Convention Abbreviation: CCPR
Quatre-vingt-et-unième session
5 - 30 juillet 2004
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-et-unième session -
Communication No. 1033/2001
Au nom de: L'auteur
État partie: Sri Lanka
Date de la communication: 19 juin 2001 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1033/2001, présentée au nom de M. Nallaratnam Singarasa en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur à l'égard de l'État partie le 11 septembre 1980 et le premier Protocole facultatif le 3 janvier 1998.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 16 juillet 1993, vers 5 heures du matin, l'auteur a été arrêté par les forces de sécurité sri-lankaises alors qu'il dormait chez lui. Cent cinquante Tamouls ont été raflés en même temps que lui dans son village. Aucun d'entre eux n'a été informé des raisons de son arrestation. Ils ont tous été emmenés au camp militaire de Komathurai et accusés de soutenir les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (organisation connue sous le sigle «LTTE»). Au cours de sa détention au camp, l'auteur aurait été suspendu les mains liées à un manguier et agressé par des membres des forces de sécurité.
2.2 Dans la soirée du 16 juillet 1993, l'auteur a été remis à l'unité de lutte contre la subversion de la police de Batticaloa et détenu au «camp de détention militaire de la prison de Batticaloa». Il a été placé en détention conformément à une ordonnance du Ministre de la défense prise en vertu du paragraphe 1 de l'article 9 de la loi no 48 de 1979 sur la prévention du terrorisme (telle que modifiée par la loi no 10 de 1982 et la loi no 22 de 1988) (ci-après dénommée «la loi sur la prévention du terrorisme»), qui dispose qu'une détention sans mise en accusation peut durer au maximum 18 mois (par périodes de trois mois renouvelables sur ordonnance) lorsque le Ministre de la défense «a des raisons de penser ou de soupçonner qu'une personne quelconque est liée à une activité illicite, ou impliquée dans une telle activité, quelle qu'elle soit». (1) L'auteur ne s'est pas vu signifier le mandat de dépôt et n'a pas été informé des raisons de sa détention.
2.3 Dans la période du 17 juillet au 30 septembre 1993, trois policiers dont un agent du Département des enquêtes criminelles, aidés d'un ancien militant tamoul, ont interrogé l'auteur. Celui-ci affirme avoir été soumis pendant les deux jours suivant son arrestation à la torture et à des mauvais traitements, consistant à être plongé dans une citerne et maintenu sous l'eau, puis à être frappé face contre terre, un bandeau sur les yeux. Il aurait été interrogé dans un mauvais tamoul par les agents de police puis détenu au secret sans être autorisé à bénéficier des services d'un avocat ni d'un interprète; il n'aurait pas non plus été autorisé à consulter un médecin. L'auteur affirme avoir fait le 30 septembre 1993 une déclaration à la police.
2.4 Au cours du mois d'août 1993, l'auteur a été présenté à un magistrat puis remis en garde à vue. Il est resté en détention provisoire dans l'attente du jugement, sans aucune possibilité de demander ou d'obtenir une libération sous caution, conformément au paragraphe 2 de l'article 15 de la loi sur la prévention du terrorisme. (2) Le magistrat n'a pas examiné le mandat de dépôt, conformément à l'article 10 de la loi sur la prévention du terrorisme qui dispose qu'un mandat de détention décerné en vertu de son article 9 est définitif et ne peut être contesté devant aucun tribunal. (3)
2.5 Le 11 décembre 1993, l'auteur a été amené devant le commissaire adjoint du Département des enquêtes criminelles et le même agent de police que celui qui l'avait interrogé précédemment. On lui a posé de nombreuses questions personnelles sur son éducation, son travail et sa famille. Comme l'auteur ne parlait pas le cingalais, l'agent a assuré l'interprétation du tamoul vers le cingalais et vice versa. L'auteur s'est vu ensuite demander de signer une déposition qui avait été traduite et tapée en cingalais par l'agent. Il a refusé de la signer parce qu'il ne la comprenait pas. Il affirme que le commissaire adjoint l'a ensuite forcé à apposer l'empreinte de son pouce sur la déposition tapée. L'accusation a par la suite produit cette déposition comme preuve des aveux qu'aurait faits l'auteur. Celui-ci ne disposait ni d'un interprète externe ni d'un représentant en justice à ce stade.
2.6 En septembre 1994, après plus de 14 mois de détention, l'auteur a été mis en accusation par la Haute Cour dans trois affaires distinctes.
a) Le 5 septembre 1994, il a été inculpé dans la communication no 6823/94, en même temps que plusieurs autres personnes désignées nommément ou non, d'avoir commis l'infraction prévue au paragraphe 2 ii) de l'article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 f) de l'article 2 de la loi sur la prévention du terrorisme, consistant à avoir causé «des actes de violence, et en particulier à avoir reçu une formation au combat armé dispensée par l'organisation terroriste LTTE» à Muttur, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1989.
b) Le 28 septembre 1994, il a été inculpé dans la communication no 6824/94, en même temps que plusieurs autres personnes nommément désignées ou inconnues, d'avoir causé le décès d'officiers de l'armée à Arantawala, entre le 1er et le 30 novembre 1992, infraction tombant sous le coup du paragraphe 1 a) de l'article 2, lu conjointement avec le paragraphe 2 i) de l'article 2 de la loi sur la prévention du terrorisme.
c) Le 30 septembre 1994, il a été inculpé dans la communication no 6825/94, en même temps que plusieurs autres personnes nommément désignées ou inconnues, de cinq chefs, le premier – en vertu de l'article 23 a) du règlement no 1 sur l'état d'urgence (Dispositions diverses et pouvoirs) de 1989 annexé à la loi no 28 de 1988 portant modification de la loi sur la sécurité publique – d'avoir illégalement conspiré en vue de renverser le Gouvernement sri-lankais légalement constitué, et les quatre autres – en vertu du paragraphe 2 ii) de l'article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 c) de l'article 2, de la loi sur la prévention du terrorisme – d'avoir attaqué quatre camps militaires (à Jaffna Fort, Palaly, Kankesanthurai et Elephant Pass, respectivement) dans le but de réaliser l'objectif énoncé dans le premier chef.
2.7 À la date de présentation de la communication, l'auteur n'avait pas été jugé dans les communications nos 6823/94 et 6824/94.
2.8 Le 30 septembre 1994, la Haute Cour a assigné d'office un avocat à l'auteur. C'était la première fois que celui-ci était représenté par un conseil depuis son arrestation. Il s'est par la suite attaché les services d'un défenseur privé. Il a pu bénéficier d'un interprète tout au long de la procédure; il a plaidé non coupable des infractions reprochées.
2.9 Le 12 janvier 1995, dans une requête à la Haute Cour, le défenseur, tirant argument de ce que l'auteur portait sur son corps des marques visibles de coups et blessures, a demandé qu'un constat médical soit établi. Sur ordonnance de la Cour, un médecin légiste l'a examiné. D'après l'auteur, l'expertise médicale indiquait que l'auteur avait des cicatrices sur le dos et une blessure grave – sous forme de cicatrice cornéenne – à l'œil gauche, qui avait entraîné une déficience permanente de la vue. Il y était aussi déclaré: «les blessures constatées sur la partie dorsale inférieure gauche de la poitrine et à l'œil ont été causées par un instrument contondant tandis que la lésion de la partie médiodorsale de la poitrine est probablement due à l'application d'un objet tranchant».
2.10 Le 2 juin 1995, les aveux qu'aurait faits l'auteur ont été l'objet d'un examen préliminaire de la Haute Cour au cours duquel le commissaire adjoint, l'agent de police et l'auteur ont déposé, et l'expertise médicale a été examinée. La Haute Cour a conclu que ces aveux étaient recevables, conformément au paragraphe 1 de l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme, qui dispose qu'est recevable toute déposition faite devant un fonctionnaire de police de rang non inférieur à celui de commissaire adjoint, sous réserve qu'elle ne soit pas jugée dénuée de pertinence en vertu de l'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves. En vertu du paragraphe 2 de l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme, il incombe à l'accusé de prouver qu'une telle déposition est dénuée de pertinence. (4) La Cour n'a pas jugé que ces aveux étaient dénués de pertinence, bien que le défenseur de l'auteur lui ait demandé de les rejeter au motif qu'ils lui avaient été extorqués sous la menace.
2.11 D'après l'auteur, la Haute Cour n'a pas exposé les motifs qui l'avaient amenée à écarter l'expertise médicale alors même qu'elle avait noté la présence de «cicatrices provenant de blessures actuellement visibles sur le corps [de l'auteur]» et qu'elle avait reconnu qu'il s'agissait de séquelles de blessures «infligées avant ou après cet incident». En déterminant que les aveux étaient spontanés, la Haute Cour s'était appuyée sur le fait que l'auteur ne s'était plaint à personne, à aucun moment, d'avoir été battu, et elle avait estimé que tout «être humain normal» aurait informé le juge d'une telle agression. Elle n'a pas examiné la déposition de l'auteur selon laquelle celui-ci n'avait pas dénoncé l'agression au magistrat par crainte de représailles à son retour en garde à vue.
2.12 Le 29 septembre 1995, la Haute Cour a déclaré l'auteur coupable des cinq chefs et, le 4 octobre 1995, l'a condamné à 50 années d'emprisonnement. Cette condamnation était uniquement fondée sur les aveux présumés.
2.13 Le 9 octobre 1995, l'auteur a interjeté appel devant la cour d'appel, lui demandant d'annuler le verdict de culpabilité et la peine. Le 6 juillet 1999, la cour d'appel a confirmé la culpabilité mais a réduit la peine à 35 ans au total. Le 4 août 1999, l'auteur a déposé une demande d'autorisation spéciale de se pourvoir devant la Cour suprême de Sri Lanka, au motif que celle-ci devait examiner certains points de droit soulevés par le jugement de la cour d'appel. (5) Le 28 janvier 2000, la Cour suprême de Sri Lanka a refusé d'autoriser ce recours.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, du fait qu'il a été condamné par la Haute Cour sur la seule base de ses aveux présumés, qu'il aurait faits dans des conditions constituant une violation de son droit à un procès équitable. Les garanties fondamentales de procédure qui permettent de vérifier que des aveux sont fiables et spontanés n'auraient pas été respectées dans cette affaire. L'auteur affirme en particulier que son droit à un procès équitable a été violé par les juridictions internes en ceci qu'elles n'ont tenu aucun compte de l'absence de conseil et d'interprétation alors qu'il faisait les aveux présumés, et qu'elles n'ont pas enregistré ces aveux ni pris d'autres précautions pour veiller à ce qu'ils soient spontanés. L'auteur affirme que le fait que la cour d'appel n'ait pas examiné ces questions est incompatible avec le droit à un procès équitable et que le fait pour le tribunal de première instance de s'être appuyé sur les aveux au lieu d'examiner les éléments de preuve à sa décharge témoigne du manque d'impartialité et du caractère manifestement arbitraire de la décision de ce dernier. Il ajoute qu'il incombait aux instances d'appel d'intervenir dans cette situation où les éléments de preuve n'ont tout simplement pas été pris en considération.
3.2 L'auteur affirme que le délai de quatre ans qui s'est écoulé entre sa condamnation et le rejet de sa demande d'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême constituait une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14. Il allègue une violation du paragraphe 3 f) de l'article 14 du fait qu'on ne lui a pas fourni un interprète qualifié et externe lorsqu'il a été interrogé par la police. Il ne pouvait ni parler ni lire le cingalais et, sans un interprète, n'était pas en mesure de bien comprendre les questions qu'on lui posait ni les dépositions qu'il aurait été contraint de signer.
3.3 L'auteur affirme que le fait de s'être appuyé sur ses aveux, étant donné les circonstances, et dans une situation où il lui incombait de prouver que ses aveux n'avaient pas été spontanés alors que l'accusation n'avait pas quant à elle à prouver qu'ils avaient été spontanés, constitue une violation de ses droits consacrés par le paragraphe 3 g) de l'article 14. À son avis, cette disposition fait obligation à l'accusation de fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve «obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé», et interdit tout traitement qui viole le droit des détenus d'être traités avec le respect de la dignité inhérente à leur personne. (6) Il invoque l'Observation générale no 20 du Comité, dans laquelle celui-ci déclare qu'il importe «que la loi interdise d'utiliser ou déclare irrecevable dans une procédure judiciaire des déclarations et aveux obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit» et fait observer que les mesures prises à cet égard comprennent notamment des dispositions interdisant la détention au secret et l'accès rapide et régulier du détenu à des médecins et des avocats. (7)
3.4 L'auteur affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 14 dans la mesure où, compte tenu de l'existence des aveux – considérés comme spontanés –, il lui incombait de prouver son innocence et il n'était donc pas présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie, ainsi que le prescrit cette disposition. Selon lui, le paragraphe 2 de l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme renverse la charge de la preuve pour la faire peser sur l'accusé, qui doit démontrer que toute déclaration qu'il a pu faire – y compris des aveux – n'était pas spontanée et devait par conséquent être exclue des éléments de preuve; cette disposition est donc en tant que telle incompatible avec le paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. En particulier, lorsque les aveux ont été obtenus sans garantie et qu'il y a allégation de torture et de mauvais traitements, l'application du paragraphe 2 de l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme constitue une violation du paragraphe 2 de l'article 14. Il y a, selon l'auteur, violation du paragraphe 5 de l'article 14, en raison de la décision prise par la cour d'appel de confirmer la condamnation en dépit des «irrégularités» susmentionnées.
3.5 Il est déclaré que l'article 7 a été violé en ce qui concerne le traitement décrit aux paragraphes 2.1 et 2.3 ci-dessus. S'agissant des considérations ratione temporis (voir par. 3.11), l'auteur affirme que la torture est pertinente essentiellement pour les questions touchant au procès équitable traitées plus haut. Mais il déclare en outre qu'il y a violation continue des droits protégés par l'article 7 dans la mesure où le droit sri-lankais n'offre aucun recours utile contre la torture et les mauvais traitements auxquels il a déjà été soumis. L'auteur affirme que, tant en droit qu'en fait, l'État partie ferme les yeux sur ces violations, contraires à l'article 7, et à son devoir positif de garantir les droits protégés, énoncé au paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte.
3.6 L'auteur affirme que la décision de retenir ses aveux, qui auraient été obtenus par violation de ses droits, et de s'appuyer uniquement sur eux pour le condamner violait ses droits reconnus au paragraphe 1 de l'article 2, puisque l'État partie n'a pas «garanti» les droits consacrés par le Pacte. L'auteur affirme aussi que l'application de la loi sur la prévention du terrorisme elle-même violait ses droits au titre de l'article 14 et du paragraphe 1 de l'article 2.
3.7 L'auteur prétend qu'il y a violation du paragraphe 3 de l'article 2 lu conjointement avec les articles 7 et 14, en ceci que l'interdiction constitutionnelle qui lui est faite de contester les paragraphes 1 et 2 de l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme a pour effet de lui dénier un recours utile lui permettant de demander réparation des tortures qu'il a subies et de son procès inéquitable. La loi sur la prévention du terrorisme dispose que les aveux extrajudiciaires obtenus en garde à vue et en l'absence d'avocat sont recevables et met à la charge de l'accusé l'obligation de prouver que de tels aveux ont été obtenus «sous la menace». (8) Ainsi, la loi elle-même a créé une situation dans laquelle les droits consacrés à l'article 7 peuvent être violés sans qu'aucun moyen de recours ne soit ouvert. L'État doit appliquer l'interdiction de la torture et des mauvais traitements, ce qui signifie notamment prendre des «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction». (9) Ainsi, le fait que dans la pratique la législation encourage ou facilite des violations est à tout le moins contraire au devoir positif de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour prévenir la torture et les peines inhumaines. L'auteur affirme qu'il y a eu violation distincte du paragraphe 3 de l'article 2 pris isolément, dans la mesure où l'interdiction expresse que lui fait le droit sri-lankais de contester la constitutionnalité des lois promulguées l'a empêché d'attaquer le fonctionnement de la loi sur la prévention du terrorisme.
3.8 L'auteur affirme que le fait que ses aveux présumés n'aient pas été exclus comme éléments de preuve par le tribunal de première instance et la cour d'appel, alors qu'ils avaient été faits en l'absence d'un interprète qualifié et indépendant, constituait une violation de son droit de ne pas subir de discrimination reconnu au paragraphe 1 de l'article 2, lu conjointement avec l'article 26. Il affirme que la loi sur la prévention du terrorisme s'est traduite par une discrimination indirecte contre les membres de la minorité tamoule – y compris lui-même – dont il continue de souffrir.
3.9 L'auteur fait valoir qu'il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 dans les communications nos 6823/94 et 6824/94 puisqu'il a été détenu avant jugement pendant plus de sept ans à compter de ses premières mises en accusation (huit à compter de son arrestation), et n'avait pas encore été jugé à la date de la présentation de sa communication.
3.10 L'auteur dit avoir épuisé les recours internes, puisqu'il n'a pas eu l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême. En ce qui concerne les recours en inconstitutionnalité, il note que la Constitution sri-lankaise (par. 1 de l'article 126) n'autorise le contrôle judiciaire que d'un acte de l'exécutif ou un acte administratif, et qu'elle interdit expressément toute contestation de la constitutionnalité des lois déjà promulguées (art. 16, par. 3, de l'article 80 et par. 1 de l'article 126). (10) Les tribunaux ont estimé de même que le contrôle judiciaire de décisions de justice n'était pas admissible. (11) C'est pourquoi il n'a pu demander la révision judiciaire d'aucune des décisions applicables dans son affaire, ni contester la constitutionnalité des dispositions de la loi sur la prévention du terrorisme qui autorisaient sa détention avant jugement (concernant les communications nos 6823/94 et 6824/94), la recevabilité de ses aveux présumés et le renversement de la charge de la preuve concernant la recevabilité de ces aveux.
3.11 L'auteur fait valoir que la communication est recevable ratione temporis. En ce qui concerne la communication no 6825/94, l'arrêt de la cour d'appel du 6 juillet 1999, qui confirmait le verdict de culpabilité, et le rejet par la Cour suprême de Sri Lanka, le 28 janvier 2000, de sa demande d'autorisation de se pourvoir devant elle, sont des décisions qui ont été rendues après l'entrée en vigueur du premier Protocole facultatif à l'égard de Sri Lanka. Il affirme que le droit à un procès équitable porte sur tous les stades de la procédure pénale, y compris l'appel, et que les garanties d'une procédure régulière prévues à l'article 14 s'appliquent à l'ensemble du procès. Les violations présumées par la cour d'appel des droits protégés à l'article 14 constituent le fondement de cette communication. Les griefs de l'auteur seraient recevables ratione temporis dans la mesure où ils ont trait à des violations continues des droits que lui confère le Pacte. Il affirme que le déni d'un droit à une voie de recours relativement aux plaintes formulées au titre du paragraphe 3 de l'article 2, lu conjointement avec les articles 7 et 14 (par. 3.7), persiste. S'agissant de ses griefs au titre de l'article 14, l'auteur demeure incarcéré sans perspective de libération ni de nouveau jugement, ce qui s'apparente à une violation continue de son droit de ne pas être soumis à une détention prolongée sans procès équitable. En ce qui concerne les communications nos 6823/94 et 6824/94, l'auteur affirme qu'il était demeuré en détention avant jugement pendant un total de huit ans à la date de la présentation de sa communication, dont trois ans après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif.
3.12 En matière de réparation, l'auteur soutient que la plus appropriée en cas de constatation des violations alléguées dans sa communication est la libération, ainsi que l'octroi d'une indemnité, conformément au paragraphe 6 de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans une lettre du 4 avril 2002, l'État partie affirme que la communication est irrecevable ratione personae. Il soutient qu'il n'a pas reçu copie de la procuration et que, s'il la recevait, il devrait en vérifier la «validité et son applicabilité». Quand bien même cette autorisation lui aurait-elle été soumise, l'État partie considérerait qu'un auteur doit présenter personnellement une communication à moins qu'il ne prouve qu'il est incapable de le faire. Or l'auteur n'a en rien laissé croire que tel était le cas.
4.2 L'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Tout d'abord, il aurait pu solliciter la grâce présidentielle, un sursis à exécution de la sentence ou une commutation de peine, ainsi qu'il en a le droit en vertu du paragraphe 1 de l'article 34 de la Constitution. Deuxièmement, il aurait pu saisir la Cour suprême en vertu de l'article 11 de la Constitution, qui interdit la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de ses allégations de torture par des militaires et des policiers. Un tel acte constituerait un «acte de l'exécutif» aux termes des articles 17 et 26 de la Constitution. (12) Si la Cour suprême avait constaté que l'auteur avait été soumis à la torture, elle aurait pu déclarer que ses droits consacrés à l'article 11 avaient été violés, ordonner à l'État de lui verser une indemnité, condamner l'État aux dépens et, si cela était justifié, ordonner la libération immédiate de l'auteur.
4.3 Troisièmement, l'État partie affirme que l'auteur aurait pu se plaindre à la police d'avoir été soumis à la torture telle que définie à l'article 2, lu conjointement avec l'article 12, de la Convention contre la torture. Une procédure pénale aurait alors pu être ouverte devant la Haute Cour par le Procureur général. Quatrièmement, l'auteur aurait pu engager des poursuites pénales directement contre les auteurs des tortures présumées devant le tribunal de première instance, conformément au paragraphe 1 a) de l'article 136 de la loi no 15 de 1979 sur le Code de procédure pénale. Si la Cour suprême avait constaté que l'auteur avait été soumis à la torture ou si des poursuites avaient été engagées contre les tortionnaires présumés, soit il n'aurait pas été mis en accusation, soit il aurait été mis fin aux poursuites déjà engagées.
4.4 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle ses droits consacrés par le paragraphe 3 c) de l'article 14 ont été violés alors qu'il était détenu avant jugement dans les communications nos 6823 et 6825, lesquelles n'ont pas encore été jugées, l'État partie affirme que l'auteur aurait pu présenter une requête à la Cour suprême et se plaindre d'une violation, par «acte de l'exécutif» de ses «droits fondamentaux», garantis par les paragraphes 3 et/ou 4 de l'article 13 de la Constitution. Si une telle violation avait été établie, la Cour suprême aurait pu casser les mises en accusation ou ordonner la libération de l'auteur.
4.5 Dans ses observations sur le fond datées du 20 novembre 2002, l'État partie nie que l'un quelconque des droits conférés à l'auteur par le Pacte ait été violé et qu'une disposition quelconque du règlement no 1 sur l'état d'urgence (Dispositions diverses et pouvoirs) de 1989 (promulgué en vertu de l'ordonnance sur la sécurité publique) ou de la loi sur la prévention du terrorisme enfreint le Pacte. En ce qui concerne les plaintes au titre de l'article 14, l'État partie affirme que la cause de l'auteur a été entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi; il a bénéficié de la présomption d'innocence, qui est garantie par le droit interne et reconnue comme un droit constitutionnel.
4.6 Sur la question de l'accès à un interprète, l'État partie affirme qu'une personne connaissant bien le tamoul et le cingalais était présente lorsque les aveux de l'auteur ont été recueillis. Ce traducteur a été appelé à la barre par l'accusation au cours du procès, et l'auteur a eu la faculté de l'interroger contradictoirement, de même que de mettre à l'épreuve ses connaissances et sa compétence. L'État partie affirme que ce n'est qu'après que ce témoignage eut été consigné, au cours de l'examen préliminaire, que la Cour a admis les aveux comme élément de preuve au procès. Il ajoute que l'auteur bénéficiait des services gratuits d'un interprète connaissant bien le tamoul au cours du procès et qu'il était également représenté par un avocat de son choix, lequel, lui aussi, connaissait le tamoul.
4.7 L'État partie affirme que l'auteur avait le droit de garder le silence, de faire une déclaration sans serment à partir du banc des accusés ou de faire sous serment à la barre des témoins une déclaration, qui pouvait faire l'objet d'un contre-interrogatoire. Il nie que l'auteur ait été contraint de déposer au procès, de déposer contre lui-même ou d'avouer sa culpabilité. Au contraire, l'auteur a choisi de témoigner et la Cour était en droit d'examiner ce témoignage pour arriver à son verdict. L'État partie explique qu'en vertu de l'ordonnance sur l'administration des preuves, une déclaration faite devant un officier de police est irrecevable mais qu'en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme, les aveux faits devant un officier de police de rang non inférieur à celui de commissaire adjoint sont recevables, à condition qu'une telle déclaration ne soit pas dénuée de pertinence en vertu de l'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves. (13) La spontanéité d'une telle déclaration ou de tels aveux, avant qu'ils ne soient jugés recevables, peut être contestée. Bien que la charge de la preuve, au-delà d'un doute raisonnable, pèse sur l'accusation, il incombe à la personne qui affirme que ses aveux n'ont pas été spontanés de le prouver. D'après l'État partie, cela est conforme au «principe de droit universellement accepté selon lequel qui affirme doit prouver»; le fait de s'appuyer sur des aveux n'est pas assimilable à une violation du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte et est autorisé par la Constitution. L'État partie affirme que l'accusé doit prouver que ses aveux ont été faits sous la contrainte non pas au-delà de tout doute raisonnable mais en fait selon un seuil «placé très bas», et qu'il doit «seulement montrer qu'il est possible qu'il ait subi des pressions».
4.8 Sur l'accusation de torture, l'État partie affirme que le tribunal de première instance et la cour d'appel ont conclu clairement et sans ambiguïté que les allégations de l'auteur étaient incompatibles avec l'expertise médicale présentée comme élément de preuve et que celui-ci n'avait pas fait part de ses allégations au juge ni à la police avant le procès.
4.9 Sur la plainte concernant la discrimination qui aurait caractérisé la façon dont les aveux de l'auteur ont été recueillis et examinés par la Cour, l'État partie réitère les arguments avancés à propos des conditions dans lesquelles ont été faits ces aveux, au paragraphe 4.6 ci-dessus. Sur la question d'une violation du paragraphe 5 de l'article 14, il note que l'auteur avait toute faculté de faire examiner la déclaration de culpabilité et la peine par un tribunal, conformément à la loi, et qu'il ne cherche qu'à mettre en cause les constatations de fait des tribunaux internes devant le Comité. Enfin, l'État partie informe le Comité que, comme suite au verdict de culpabilité de l'auteur dans la communication no 6825/94, les chefs d'accusation retenus contre lui dans les communications nos 6823/94 et 6824/94 ont été retirés.
Commentaires de l'auteur
5.1 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui objecte que la communication est irrecevable ratione personae, l'auteur déclare que la procuration figurait dans la communication présentée et fait observer que son emprisonnement l'a empêché de présenter personnellement cette communication. Il ajoute qu'il est d'usage pour le Comité d'accepter des communications de tiers agissant pour le compte d'individus incarcérés.
5.2 Sur la question de l'épuisement des recours internes, l'auteur affirme que l'obligation d'épuiser tous les recours internes disponibles ne s'applique pas aux recours non judiciaires ni à une grâce présidentielle qui, en tant que moyen de recours extraordinaire, est laissée à la discrétion de l'exécutif et ne représente donc pas un recours utile aux fins du Protocole facultatif.
5.3 L'auteur réaffirme qu'il n'a pu former de recours en inconstitutionnalité concernant aucune des décisions de justice ou des lois pertinentes relatives à la recevabilité des aveux présumés, ou à sa détention avant jugement, étant donné que la Constitution sri-lankaise n'autorise pas l'examen judiciaire des décisions de justice ni des lois promulguées. C'est pourquoi il n'a pu se pourvoir en inconstitutionnalité de la décision des tribunaux internes d'admettre ses aveux présumés, ni de la législation interne qui rend recevables les dépositions faites devant la police et oblige l'accusé à prouver la non-pertinence de telles dépositions.
5.4 Sur la question de savoir s'il aurait pu engager des poursuites contre les tortionnaires présumés, l'auteur prétend que l'obligation d'épuiser les recours internes ne s'applique pas aux recours inaccessibles, vains en pratique, ou susceptibles de délais trop longs. Il rappelle que les lois applicables ne sont pas conformes aux normes internationales et, en particulier, aux prescriptions de l'article 7 du Pacte. C'est pourquoi les recours contre la torture sont inutiles. Si l'auteur n'a pas déposé de plainte faisant valoir que les soi-disant aveux lui avaient été extorqués sous la torture, c'est parce qu'il en craignait les conséquences tant qu'il demeurait en détention. Il fait observer que, lorsqu'il a fait état de ces allégations, au cours de l'examen préliminaire devant la Haute Cour, aucune enquête n'a été ouverte.
5.5 Sur la question de l'épuisement des recours internes, relativement à sa détention avant jugement et à la longueur de la procédure, l'auteur affirme que seuls les «recours utiles» doivent être épuisés. La Constitution ne prévoit aucun droit particulier à être jugé rapidement et, à ce jour, les tribunaux n'ont pas interprété le droit à un procès équitable comme comprenant le droit à un procès mené avec diligence. Au surplus, la Constitution prévoit expressément la possibilité de la détention avant jugement et, en tout état de cause, dispose que les recours en inconstitutionnalité ne sont pas applicables aux décisions de justice, par exemple la décision d'un tribunal d'accorder de fréquents ajournements à la demande de l'accusation qui provoquent des lenteurs dans la procédure.
5.6 Sur le fond, l'auteur reprend les arguments qu'il avait avancés dans sa lettre initiale. En ce qui concerne les informations fournies par l'État partie sur les communications nos 6823/94 et 6824/94, l'auteur confirme que les charges relatives à l'ancienne affaire ont été retirées et donc qu'il «ne présente aucune autre communication concernant ces procès». Cependant, l'auteur ne présente aucune information permettant de savoir si les charges retenues dans la dernière affaire ont été abandonnées, et il affirme qu'il pourrait toujours être traduit en justice de ce chef.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.2 Pour ce qui est de la question de la qualité pour agir et de l'argument de l'État partie selon lequel le conseil de l'auteur n'était pas habilité à le représenter, le Comité note qu'il a reçu la preuve littérale du mandat ad litem du représentant de l'auteur et renvoie à l'article 90 b) de son règlement intérieur, qui prévoit cette possibilité. Ainsi, le Comité estime que le représentant de l'auteur a qualité pour agir en son nom, et la communication n'est pas considérée irrecevable pour cette raison.
6.3 Bien que l'État partie n'ait pas argué que la communication était irrecevable ratione temporis, le Comité note que les violations alléguées par l'auteur ont eu lieu avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité renvoie à ses décisions antérieures et réitère qu'il ne peut examiner une communication si les violations alléguées sont intervenues avant l'entrée en vigueur du Pacte pour l'État partie, à moins que lesdites violations ne persistent ou qu'elles n'aient d'effets persistants qui constituent en eux-mêmes une violation du Pacte. Une violation persistante s'entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l'État partie. (14) Le Comité note que, bien que l'auteur ait été condamné en première instance le 29 septembre 1995, soit avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, l'arrêt de la cour d'appel confirmant la condamnation de l'auteur et la décision de la Cour suprême de rejeter sa demande d'autorisation et de se pourvoir devant elle ont été rendus le 6 juillet 1999 et le 28 janvier 2000, respectivement, soit après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité considère la décision des instances d'appel de confirmer la condamnation prononcée par le tribunal de première instance comme une homologation de la conduite du procès. Dans ces conditions, le Comité conclut qu'il ne lui est pas interdit ratione temporis d'examiner la communication. Toutefois, en ce qui concerne les plaintes de l'auteur au titre de l'article 26 et du paragraphe 1 de l'article 2 en tant que tel et lu conjointement avec l'article 14, ainsi que la plainte au titre du paragraphe 3 de l'article 9, relatives à son maintien automatique en détention provisoire sans possibilité de libération sous caution, le Comité les considèrent irrecevables ratione temporis.
6.4 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur n'a pas épuisé les recours internes car il n'a pas sollicité de grâce présidentielle, le Comité réaffirme ses décisions antérieures selon lesquelles de telles grâces constituent une réparation extraordinaire et ne sont pas en tant que telles un recours utile aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur concernant une violation de l'article 7, et considérant qu'elle est limitée à la torture ce qui soulève des questions en matière de procès équitable, le Comité note qu'elles ont été examinées par les instances d'appel et rejetées comme dénuées de fondement. Sur cette base, et attendu que la Cour suprême a débouté l'auteur de sa demande d'autorisation de former recours devant elle, le Comité estime que l'auteur a épuisé les recours internes.
6.6 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article 14, dès lors que la cour d'appel a confirmé le verdict de culpabilité de l'auteur, malgré les «irrégularités» qui auraient été commises lors du procès, le Comité note que cette disposition garantit le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Comme il n'est pas contesté que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l'auteur ont été examinées par la cour d'appel, le fait que l'auteur soit en désaccord avec le verdict ne suffit pas à faire entrer cette question dans le champ d'application du paragraphe 5 de l'article 14. En conséquence, le Comité estime que cette plainte est irrecevable, ratione materiae, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.7 Le Comité passe donc à l'examen au fond de la communication concernant les plaintes pour torture, telles que limitées au paragraphe 6.4 ci-dessus, et procès inéquitable - article 14 en tant que tel et lu conjointement avec l'article 7.
Examen au fond
7.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 f) de l'article 14 en raison de l'absence d'un interprète externe lorsque l'auteur a fait les aveux présumés, le Comité note que cette disposition concerne le droit à l'assistance d'un interprète au cours de l'audience uniquement, droit qui a été accordé à l'auteur. (15) Toutefois, comme cela ressort clairement des débats, les aveux ont été faits en présence uniquement des deux agents chargés de l'enquête – le commissaire adjoint et l'agent de police; ce dernier a tapé la déposition et assuré l'interprétation du tamoul vers le cingalais et vice versa. Le Comité conclut donc que le droit de l'auteur à un procès équitable, prévu au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, a été violé dans la mesure où il a été condamné sur la base des seuls aveux obtenus dans ces circonstances.
7.3 Pour ce qui est du délai écoulé entre la déclaration de culpabilité et le rejet définitif du recours formé par l'auteur devant la Cour suprême (du 29 septembre 1995 au 28 janvier 2000), dans la communication no 6825/94, délai sur lequel l'État partie n'a toujours pas fourni d'explications, le Comité note, en se référant à sa décision ratione temporis énoncée au paragraphe 6.3 ci-dessus que, plus de deux années de cette période, du 3 janvier 1998 au 28 janvier 2000, se sont écoulées après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité rappelle ses décisions antérieures, selon lesquelles les droits consacrés aux paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14, lus conjointement, confèrent un droit à l'examen sans délai de l'issue du procès. (16) Dans ces circonstances, il considère que le délai observé en l'espèce viole le droit de l'auteur à former recours sans délai et constate donc une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte.
7.4 Pour ce qui est de l'allégation de violation des droits conférés à l'auteur par le paragraphe 3 g) de l'article 14, du fait qu'il a été contraint de signer des aveux et a dû par la suite faire la preuve que ses aveux avaient été extorqués sous la contrainte et n'étaient pas spontanés, le Comité doit examiner les principes sous-jacents au droit protégé dans cette disposition. Il renvoie à ses décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l'article 14, en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable» doit s'entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d'instruction sur l'accusé, dans le but d'obtenir un aveu. (17) Le Comité considère qu'il est implicite dans ce principe que l'accusation doit prouver que les aveux ont été faits sans contrainte. Il note en outre que, conformément à l'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves, les aveux arrachés par «les pressions, la menace ou les promesses» sont irrecevables et qu'en l'espèce, tant la Haute Cour que la cour d'appel ont examiné la déposition de l'auteur selon laquelle il avait été agressé plusieurs jours avant les aveux présumés. Mais le Comité note aussi que la charge de prouver que les aveux étaient spontanés incombait à l'accusé. Ceci n'est pas contesté par l'État partie puisque c'est ce que prévoit l'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme. Même si, comme le soutient l'État partie, le seuil de la preuve est «placé très bas» et si «une simple possibilité que les aveux n'aient pas été spontanés» aurait suffi à faire pencher la Cour en faveur de l'accusé, il reste que la charge de la preuve pesait sur l'auteur. Le Comité note à cet égard que le refus des juridictions, à tous les stades, de prendre en considération les allégations de torture et de mauvais traitements sur la base du caractère peu concluant de l'expertise médicale (en particulier un certificat obtenu plus d'un an après l'interrogatoire et les aveux subséquents) laisse supposer que ce seuil n'a pas été respecté. En outre, étant donné que les juridictions étaient disposées à conclure au manque de crédibilité des allégations de l'auteur dans la mesure où ce dernier ne s'était pas plaint de mauvais traitements, le Comité considère que cette conclusion est manifestement infondée compte tenu du fait que l'auteur s'attendait à retourner en garde à vue. De surcroît, le traitement que les juridictions ont réservé à cette plainte n'exonère en rien l'État partie de son obligation d'instruire efficacement les allégations de violation de l'article 7. Le Comité conclut qu'en obligeant l'auteur à prouver que ses aveux avaient été faits sous la contrainte, l'État partie a violé les paragraphes 2 et 3 g) de l'article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2, et l'article 7 du Pacte.
7.5 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des paragraphes 1, 2, 3 c) de l'article 14 et du paragraphe g) de l'article 14, conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2, et l'article 7 du Pacte.
7.6 Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie a l'obligation de fournir à l'auteur une réparation effective et appropriée, consistant en sa libération ou un nouveau procès et une indemnisation. L'État partie a l'obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir et devrait faire en sorte que les dispositions contestées de la loi sur la prévention du terrorisme soient rendues conformes à celles du Pacte.
7.7 Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
_________________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.
1. Le paragraphe 1 de l'article 9 de la loi sur la prévention du terrorisme dispose: «Le Ministre, lorsqu'il a des raisons de penser ou de soupçonner qu'une personne quelconque est liée à une activité illicite, ou impliquée dans une telle activité, quelle qu'elle soit, peut ordonner que l'intéressé soit détenu pendant une période ne dépassant pas trois mois, au lieu et dans les conditions qu'il détermine. Ce mandat de détention peut être prorogé périodiquement pour des périodes ne dépassant pas trois mois à chaque occasion.».
2. Le paragraphe 2 de l'article 15 de la loi sur la prévention du terrorisme (telle que modifiée par la loi no 10 de 1982 dispose: «Lorsque la Haute Cour reçoit un acte d'accusation contre toute personne, pour toute infraction au titre de la présente loi ou toute infraction à laquelle s'appliquent les dispositions de l'article 23, elle doit, dans tous les cas, ordonner la mise en détention provisoire de l'intéressé jusqu'à la conclusion du procès.». L'auteur ne formule aucune plainte particulière au sujet de cette question.
3. L'article 10 de la loi sur la prévention du terrorisme dispose: «Un mandat décerné en vertu de l'article 9 est définitif et ne peut être mis en question devant aucune juridiction par un acte judiciaire ou tout autre moyen.».
4. L'article 16 de la loi sur la prévention du terrorisme dispose: «1) Nonobstant les dispositions de toute autre loi, la déposition de toute personne inculpée d'une infraction en vertu de la présente loi faite à quelque moment que ce soit, a) qu'elle s'apparente à des aveux ou non; b) qu'elle soit faite oralement ou uniquement par écrit; c) que cette personne ait été ou non en garde à vue ou en présence d'un fonctionnaire de police; d) que la déposition ait été faite au cours d'une enquête ou non; e) qu'elle ait constitué ou non, en tout ou partie, une réponse à quelque question que ce soit, peut être retenue à la charge de cette personne pour autant que cette déposition ne soit pas dénuée de pertinence en vertu de l'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves, si ce n'est toutefois qu'aucune déposition de cet ordre ne peut être retenue à la charge d'une telle personne si elle a été faite devant un fonctionnaire de police de rang inférieur à celui de commissaire adjoint. 2) La charge de prouver que toute déposition mentionnée au paragraphe 1 est dénuée de pertinence en vertu de l'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves incombe à la personne qui déclare que ladite déposition est dénuée de pertinence. 3) Toute déposition recevable au titre du paragraphe 1 peut être retenue à la charge de toute autre personne accusée conjointement avec la personne faisant ladite déposition, si et seulement si cette déposition est corroborée sur des points essentiels par des éléments de preuve autres que les dépositions visées au paragraphe 1.».
L'auteur note que l'article 17 de la loi sur la prévention du terrorisme dispose en outre que les articles 25, 26 et 30 de l'ordonnance sur l'administration des preuves qui prévoient des restrictions supplémentaires à la recevabilité des aveux ne sont applicables dans aucune des procédures engagées en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme. L'article 24 de l'ordonnance sur l'administration des preuves stipule que «les aveux faits par un accusé sont dénués de pertinence dans une procédure pénale s'il apparaît au tribunal qu'ils ont été obtenus par incitations, menaces ou promesses en rapport avec la charge retenue contre l'accusé, émanant d'une personne ayant autorité ou émanant d'une autre personne en présence de la personne ayant autorité et avec l'assentiment de cette dernière, et que ces incitations, ces menaces ou ces promesses sont suffisantes de l'avis du tribunal pour que l'accusé puisse raisonnablement supposer qu'en faisant de tels aveux, il obtiendrait un avantage ou s'épargnerait des embarras de caractère provisoire en rapport avec la procédure engagée contre lui.».
5. L'article 128 de la Constitution n'autorise à intenter un recours devant la Cour suprême que sur des points de droit.
6. Saunders v. United Kingdom (1996) 23 EHRR 313, Observation générale no 13 du Comité des droits de l'homme, datée du 13 avril 1984; Kelly c. Jamaïque, communication no 253/87, constatations adoptées le 4 août 1991.
7. Observation générale no 20 du Comité des droits de l'homme, datée du 10 mars 1992.
8. À ce sujet, l'auteur note que le récent rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires mentionne des allégations répétées d'aveux arrachés sous la torture à des personnes accusées d'infractions réprimées par la loi sur la prévention du terrorisme (rapport du Rapporteur spécial, M. Bacre Waly Ndiaye, additif, présenté conformément à la résolution 1997/61 de la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1998/68/Add.2, 12 mars 1998)).
9. Par. 1 de l'article 2 de la Convention contre la torture.
10. Le paragraphe 1 de l'article 126 de la Constitution de Sri Lanka dispose: «La Cour suprême a compétence exclusive pour connaître de toute question relative à la violation par un acte de l'exécutif ou un acte administratif de tout droit fondamental…». Le paragraphe 1 de l'article 16 de la Constitution dispose: «Toute loi écrite ou non écrite existante est valable et produit ses effets nonobstant toute discordance éventuelle avec les dispositions précédentes du présent titre [Titre III relatif aux droits fondamentaux.]». De plus, le paragraphe 3 de l'article 80 de la Constitution de Sri Lanka dispose: «Aucune cour ni aucun tribunal ne peut s'informer ni se prononcer sur la validité de [toute loi du Parlement] ou la mettre en cause de quelque manière ou pour quelque motif que ce soit.». En sa qualité d'ancien Président de la Cour suprême de Sri Lanka, le juge S. Sharvananda a fait le commentaire ci-après (voir juge S. Sharvananda, Fundamental Rights in Sri Lanka (Sri Lanka: 1993), p. 140): «Le paragraphe 3 de l'article 80 donne à la loi promulguée un caractère définitif en ce sens que la validité d'un texte législatif ne peut être mise en cause par aucune juridiction. Dans ce schéma constitutionnel, il n'est pas possible d'introduire le concept de "procédure régulière" ni les notions de "caractère raisonnable de la loi" et de "justice naturelle" ainsi que l'a fait la Cour suprême de l'Inde dans l'affaire Maneka Gandhi A. I. R. (1978) SC 597, p. 691 et 692. Comme on l'a dit plus haut, à Sri Lanka, une juridiction ne peut abroger une loi au motif qu'elle cherche à priver une personne de sa liberté contrairement à l'idée que se fait cette juridiction des notions de justice ou de procédure régulière.».
11. Velmurugu v. AG (1981) 1 SLR 406; Saman v. Leeladasa SC Appl. no 4/88 SC Minutes 12 décembre 1988.
12. L'article 17 dispose: «toute personne a le droit, comme prévu à l'article 126, de saisir la Cour suprême en cas de violation, ou de violation imminente, par un acte de l'exécutif ou un acte administratif, d'un droit fondamental qu'elle peut revendiquer en vertu des dispositions du présent titre». L'article 26 dispose: «la Cour suprême a compétence exclusive pour connaître de toute question relative à la violation par un acte de l'exécutif ou un acte administratif de tout droit fondamental ou de tout droit linguistique proclamé et reconnu par les titres III ou IV ainsi que de statuer à ce sujet».
13. L'article 28 dispose: «Les prescriptions de la présente loi (la loi sur la prévention du terrorisme) ont effet, quelles que soient les dispositions figurant dans toute autre loi écrite et, en conséquence, en cas de conflit ou d'incohérence entre les dispositions de la présente loi et celles de toute autre loi écrite, les dispositions de la présente loi prévalent.».
14. E. et A. K. c. Hongrie, communication no 520/1992, décision du 7 avril 1994, et K. V. et C. V. c. Allemagne, communication no 568/1993, décision du 8 avril 1994, Holland c. Irlande, communication no 593/1994, décision du 26 octobre 1996.
15. B. d. B. c. Pays-Bas, communication no 273/1988, décision du 30 mars 1989, Yves Cadoret c. France, communication no 221/1987, décision du 11 avril 1991 et Hervé Le Bihan c. France, communication no 323/1988, décision du 9 novembre 1989.
16. Lubuto c. Zambie, communication no 390/1990, constatations adoptées le 31 octobre 1995; Neptune c. Trinité-et-Tobago, communication no 523/1992, constatations adoptées le 16 juillet 1996; Sam Thomas c. Jamaïque, communication no 614/95, constatations adoptées le 31 mars 1999; Clifford McLawrence c. Jamaïque, communication no 702/96, constatations adoptées le 18 juillet 1997; Johnson c. Jamaïque, communication no 588/1994, constatations adoptées le 22 mars 1996.
17. Berry c. Jamaïque, communication no 330/1988, constatations adoptées le 4 juillet 1994.