Présentée par: Isabel Ferragut Pallach (représentée par un conseil,
M. Javier Bruna Reverter)
Au nom de: Arturo Navarra Ferragut
État partie: Espagne
Date de la communication: 16 octobre 2002 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de
l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication, datée du 16 octobre 2000, est Isabel
Ferragut Pallach, de nationalité espagnole, qui allègue des violations
par l'Espagne de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques à l'égard de son
fils Arturo Navarra Ferragut, décédé le 27 décembre 1993. L'auteur est
représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur
pour l'Espagne le 25 janvier 1985.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 3 mars 1988, Arturo Navarra Ferragut, âgé de 27 ans, qui souffrait
d'une névrose obsessionnelle, a subi un traitement par radiochirurgie,
effectué par les docteurs Enrique Rubio García et Benjamín Guix Melchor.
Au cours des années qui ont suivi, il a perdu peu à peu et de manière
irréversible ses facultés vitales jusqu'à son décès, survenu le 27 décembre
1993.
2.2 L'auteur a porté plainte devant le tribunal pénal no 13 de Barcelone
contre les médecins, pour délit de faute professionnelle (imprudencia
temeraria profesional) ayant entraîné la mort. Dans son jugement
du 14 juillet 1997, le tribunal pénal a acquitté les accusés, faute
de preuves permettant d'établir de manière digne de foi la faute professionnelle.
2.3 L'auteur a fait appel devant l'Audiencia Provincial de Barcelone.
Elle a sollicité la tenue d'une audience publique pour pouvoir mieux
établir le bien-fondé de son recours et obtenir une meilleure décision.
Par un arrêt du 27 janvier 1998, l'Audiencia Provincial a rejeté
le recours.
2.4 L'auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal
constitutionnel en alléguant la violation du droit au respect des garanties
de procédure et du droit à la vie et à l'intégrité physique et morale.
Par une décision du 13 juillet 1998, le Tribunal constitutionnel a rejeté
son recours.
2.5 L'auteur a présenté une requête devant la Cour européenne des droits
de l'homme en alléguant des violations des articles 2, 3, 8 et du paragraphe
1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales. Par une décision du 27 avril
2000, la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur allègue une violation de l'article 7 du Pacte concernant
l'interdiction de soumettre une personne à des expériences médicales
ou scientifiques. Elle affirme que le traitement qui a entraîné la mort
de son fils a été présenté par les médecins comme un remède contre les
troubles psychiques, alors qu'en réalité il s'agit d'un traitement utilisé
contre les tumeurs cancéreuses cérébrales. L'auteur affirme que le cas
de son fils a été utilisé pour pratiquer une expérience scientifique
afin d'étudier la possibilité d'appliquer la technique de la radiochirurgie
par rayons gamma aux malades atteints de troubles psychiques.
3.2 L'auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l'article 14
du Pacte, en faisant valoir que l'Audiencia Provincial de Barcelone
ne s'est pas prononcée sur sa demande expresse, à savoir la tenue d'une
audience publique avant le prononcé du jugement.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité
4.1 Dans son courrier du 20 juin 2002, l'État partie affirme que la
communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif, faisant valoir que la communication présentée
au Comité porte exactement sur la même question que celle soumise par
la même personne à la Cour européenne des droits de l'homme. Il ajoute
que l'examen auquel a procédé la Cour européenne avait pour objet la
procédure considérée dans son ensemble. Il rappelle que le Comité a
déclaré à plusieurs reprises que «la même question», au sens du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, devait s'entendre comme
la même plainte concernant la même personne, présentée par cette dernière
devant un organe international Les décisions adoptées par le Comité
sur les communications 808/1998, Rogl c. Allemagne et
744/1997, Linderholm c. Croatie allaient dans ce sens..
(1) L'État partie prétend que confondre «la même question» avec
un motif de plainte séparé suppose que l'on oublie la notion unitaire
du procès, qui impose son examen dans sa totalité.
4.2 L'État partie affirme que, selon l'article 795 du Code de procédure
pénale, la tenue d'une audience publique pour examiner le recours en
appel devant l'Audiencia Nacional ne dépend pas de la requête
des parties, mais relève de la discrétion de l'organe judiciaire. Conformément
à l'article précité, il y aura audience publique uniquement «lorsque
l'Audiencia le juge nécessaire pour pouvoir se forger correctement
une conviction fondée». L'État partie affirme que, dans le cas de l'auteur,
l'Audiencia n'a pas jugé nécessaire de tenir une audience publique
car celle-ci avait déjà eu lieu devant le tribunal pénal, et ajoute
que, par ailleurs, cette question a été prise en compte par la Cour
européenne. L'État partie fait aussi valoir que la Cour européenne a
également pris en considération les arguments que l'auteur invoque devant
le Comité pour dénoncer une violation de l'article 7 du Pacte, en relevant
à ce sujet l'existence d'un document signé par Arturo Navarra Ferragut,
dans lequel ce dernier a consenti à l'intervention médicale qui a été
pratiquée sur lui.
Commentaires de l'auteur sur la recevabilité
5.1 Dans son courrier du 22 novembre 2002, l'auteur fait valoir que
les plaintes qu'elle présente au Comité n'ont pas été soumises à d'autres
organes internationaux. Elle affirme que, bien que faisant partie du
même procès judiciaire, les faits et l'aspect juridique qu'elle soumet
maintenant au Comité constituent une question distincte de celle qu'elle
a soumise à la Cour européenne.
5.2 L'auteur reconnaît que l'Audiencia Nacional n'était pas
tenue par la loi de siéger en audience publique pour statuer sur le
recours, mais à son avis cela ne signifie pas qu'elle n'aurait pu le
faire, d'autant plus que la loi en prévoit la possibilité. Selon l'auteur,
les principes directeurs du procès que sont la cohérence, le respect
des garanties de procédure ainsi que le droit d'obtenir un jugement
sur les questions soumises aux tribunaux par les parties, sont contenus
dans les termes du paragraphe 1 de l'article 14 et obligeaient la juridiction
saisie à se prononcer sur sa requête, laquelle a été ignorée.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité observe que l'auteur a soumis une plainte (requête) à
la Cour européenne des droits de l'homme, qui a déclaré la requête irrecevable
le 27 avril 2000, la considérant manifestement infondée. Le Comité note
que la Cour européenne a examiné les faits qui lui sont maintenant présentés
par l'auteur, ainsi que la procédure judiciaire considérée dans son
ensemble. De manière spécifique, elle s'est prononcée sur l'absence
supposée de réponse de la part de l'Audiencia Nacional à la demande
formulée par l'auteur concernant la tenue d'une audience publique. La
Cour a considéré que l'auteur n'avait pas prouvé que sa cause n'avait
pas été entendue en toute égalité devant les tribunaux espagnols. De
même, elle a pris en compte le fait que, selon le jugement rendu le
14 juillet 1997 par le tribunal pénal no 13 de Barcelone, Arturo Navarra
Ferragut avait signé un document autorisant l'intervention de radiochirurgie
pratiquée sur lui, et que ce document mentionnait expressément les possibles
effets secondaires. Il s'ensuit que, bien que l'auteur souhaite que
le Comité aborde la question sous un angle différent de celui sous lequel
elle a été abordée par la Cour européenne, il s'agit de «la même question»
qui a déjà été soumise à l'examen d'une autre instance internationale
d'enquête et analysée dans ce contexte. Le Comité note que, si dans
la majorité des versions linguistiques originales, l'alinéa a du
paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif mentionne seulement
les cas où la même question est en cours d'examen devant une autre instance
internationale, dans le texte espagnol en revanche, ladite disposition
mentionne aussi les situations dans lesquelles cet examen est achevé.
Le Comité maintient sa position selon laquelle l'alinéa a du
paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif doit être interprété
à la lumière des autres versions originales, plutôt qu'à la lumière
de la version espagnole. Il relève cependant que la déclaration faite
par l'État partie - en espagnol - au moment de la ratification
du Protocole facultatif reprend les mêmes termes que le texte espagnol
du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité
observe que l'état partie avait clairement l'intention de préserver
le sens du texte espagnol du Protocole facultatif et conclut que cette
déclaration correspond donc à une réserve, le paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole étant étendu de manière à viser les communications qui
ont déjà été examinées par d'autres instances internationales. Par conséquent,
la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, tel qu'il est modifié par
la déclaration de l'état partie.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'alinéa a
du paragraphe 2 l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
_______________________________
[Fait en espagnol (version originale) et traduit en anglais et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel DU Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont
participé à l'examen de la présente communication: M. Nisuke Ando, M.
Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme
Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir
Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari
Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Les décisions adoptées par le Comité sur les communications 808/1998,
Rogl c. Allemagne et 744/1997, Linderholm c. Croatie
allaient dans ce sens.