1.2 Le 14 mai 2002, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l'homme a demandé à l'État partie, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l'exécution des auteurs condamnés à la peine capitale pendant l'examen de leur cas par le Comité.
2.1 Avant 1987, la peine de mort existait dans le système judiciaire philippin,
et de nombreux crimes, parmi lesquels le meurtre, étaient punis de mort. Le
2 février 1987, une nouvelle Constitution est entrée en vigueur après avoir
été «approuvée» par le peuple philippin consulté par plébiscite. Cette Constitution,
en son article 3 19) 1), a aboli la peine de mort dans les termes suivants:
«Il ne sera pas imposé de peines d'amende, ni de peines cruelles, inhumaines
ou dégradantes. La peine de mort ne sera pas imposée, excepté si le Congrès
le prévoit ultérieurement pour des raisons impérieuses dans le cas de crimes
odieux. Toute peine de mort déjà prononcée sera commuée en réclusion à perpétuité.».
2.2 Le 13 décembre 1993, le Congrès philippin, par la loi de la République
no 7659, a réintroduit la peine de mort par électrocution pour les «crimes
odieux spécifiques», notamment les meurtres commis dans diverses circonstances.
(1) En substance, le crime de meurtre est resté inchangé.
2.3 Dans la soirée du 25 août 1996, une grenade a été lancée dans la chambre
à coucher de la famille Dulay. L'explosion a tué Florentino Dulay, ainsi
que ses filles Norwela et Nissan, et a blessé une autre fille, Noemi. Le
25 octobre 1996 et le 9 décembre 1996, les auteurs Jaime Carpo et Roche
Ibao, respectivement, ont été arrêtés. Après quoi, les autres auteurs, Oscar
et Warlito Ibao, se sont rendus.
2.4 Le 22 janvier 1998, la Cour régionale de Tayug, Pangasinan, a reconnu
les auteurs coupables d'«homicides multiples avec tentative de meurtre»,
les a condamnés à mort et a fixé le montant des dommages-intérêts pour responsabilité
civile à 600 000 pesos. Le 4 avril 2001, dans le cadre de la procédure de
révision automatique, une chambre composée de 15 juges de la Cour suprême,
après avoir longuement examiné les faits, a confirmé la déclaration de culpabilité
tout en ramenant le montant des dommages-intérêts à 330 000 pesos. Quant
à la condamnation à mort, la Cour a considéré que l'affaire relevait de
l'article 48 du Code pénal révisé selon lequel la peine la plus lourde encourue
pour le crime le plus grave devait être prononcée. (2) Puisque la
peine maximale pour le crime le plus grave commis par les auteurs, c'est-à-dire
le meurtre, était la mort, la Cour a considéré que l'article 48 était applicable
et a requis la peine de mort. Dans le jugement, il était également noté
que quatre juges de la Cour avaient estimé que la loi de la République no
7659 était inconstitutionnelle dans la mesure où elle prescrivait la peine
de mort, mais s'étaient ralliés à la décision de la majorité de la Cour
selon laquelle la loi no 7659 était constitutionnelle, et que les auteurs
devaient par conséquent être condamnés à la peine de mort.
2.5 La Cour suprême a également demandé que le dossier complet de l'affaire
soit adressé au Bureau de la Présidente des Philippines pour que celle-ci
prenne éventuellement une mesure de grâce. À ce jour, la Présidente n'a
accordé aucune mesure de grâce présidentielle.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs font valoir que la réintroduction de la peine de mort et
son application dans leur cas est incompatible avec la première phrase du
paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, qui autorise l'imposition de la peine
de mort dans les États «où la peine de mort n'a pas été abolie». En outre,
les auteurs font valoir que «le meurtre» n'emportait pas la peine de mort
avant la réintroduction de cette dernière, et qu'il ne peut par conséquent
pas constituer un des «crimes les plus graves» (pour lesquels le paragraphe
2 de l'article 6 autorise l'application de la peine de mort) après la réintroduction
de la peine capitale, alors que la définition du délit de meurtre est restée
en substance totalement inchangée.
3.2 Concernant la plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l'article
14, les auteurs affirment que, dans le cadre de la procédure de révision
automatique, ils n'ont obtenu «aucun réexamen véritable (de leur cas) devant
la Cour suprême». Ils affirment n'avoir eu «aucune véritable possibilité
d'être entendus», étant donné que la Cour n'a autorisé aucune plaidoirie
et a «pratiquement exclu la présentation de toutes nouvelles pièces à conviction».
Par conséquent, selon les auteurs, la révision automatique par la Cour suprême
ne constituait pas réellement un moyen efficace de déterminer si la déclaration
de culpabilité et la condamnation étaient adéquates et solidement fondées.
3.3 Les auteurs déclarent que la même question n'a pas été soumise à l'examen
d'une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une lettre du 8 juillet 2002, l'État partie a affirmé que la communication
n'était pas étayée et qu'elle était irrecevable eu égard à tous les griefs
formulés.
4.2 En ce qui concerne le paragraphe 2 de l'article 6, l'État partie considère
l'argument invoqué comme un argument «normatif» qui ne peut être examiné
par le Comité. Selon lui, l'argument porte uniquement sur le point de savoir
s'il est judicieux d'imposer la peine capitale pour certaines infractions,
alors que la détermination des crimes entrant dans cette catégorie est une
question relevant purement de la compétence nationale. Selon l'État partie,
le Pacte ne vise pas à limiter le droit qu'a un État partie d'apprécier
l'opportunité de se doter d'une loi imposant la peine capitale. L'État partie
fait valoir que la constitutionnalité de la loi sur la peine de mort est
un point qu'il appartient à l'État partie lui-même de trancher, et note
que la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi en question.(3)
L'État partie fait valoir aussi qu'il n'appartient pas au Comité d'interpréter
la constitution d'un État partie en vue de déterminer le respect du Pacte
par cet État partie.
4.3 L'État partie fait la distinction entre les États qui ont actuellement
des lois sur la peine de mort et ceux qui ont réintroduit la peine de mort
après l'avoir abolie ou suspendue. Il met l'accent sur la disposition spécifique
de l'article constitutionnel abolissant la peine de mort qui prévoit la
possibilité pour le Congrès de la réimposer. Le Pacte n'empêche pas une
telle réintroduction, car le paragraphe 2 de l'article 6 mentionne simplement
les pays qui ont une législation sur la peine de mort. L'exigence imposée
par le Pacte est que la peine capitale doit être imposée dans le strict
respect des formes légales. Dans le cas à l'examen, l'argument selon lequel
l'État partie a manqué au respect de ses propres procédures internes n'a
pas été invoqué.
4.4 En ce qui concerne l'argument des auteurs selon lequel la peine capitale
a été imposée pour des crimes qui ne font pas partie des «plus graves»,
l'État partie note que les États ont toute latitude pour interpréter cette
disposition en fonction des valeurs culturelles, des nécessités apparentes
et d'autres facteurs, étant donné que la notion de «crimes les plus graves»
n'est pas définie plus explicitement dans le Pacte. L'État partie juge fallacieux
le raisonnement des auteurs qui veut que, étant donné que la peine de mort
ne pouvait être imposée pour aucun crime avant d'être réintroduite,
aucun crime ne saurait figurer parmi les «plus graves» pouvant emporter
la peine de mort après sa réintroduction - le crime de meurtre restait,
et reste encore, l'un des plus graves dans l'ordre interne, comme l'attestait
notamment la gravitÚ des sanctions qui pouvaient alors lui Ûtre appliquÚes.
4.5 Quant au paragraphe 5 de l'article 14, l'╔tat partie rejette
les arguments des auteurs car toute personne condamnÚe Ó mort a automatiquement
droit Ó un appel. En outre, le fait de ne pas accorder d'audience pour la
plaidoirie ne signifie pas qu'il n'y a pas de rÚvision authentique, car
la pratique suivie de longue date par la Cour consiste Ó n'entendre de plaidoirie
que dans les cas soulevant des questions de droit inÚdites. En ce qui concerne
la grÔce prÚsidentielle, l'╔tat partie note qu'en droit philippin
cette prÚrogative relÞve exclusivement du pouvoir discrÚtionnaire du PrÚsident.
Toute demande en grÔce sera reþue et examinÚe, mais la teneur de la dÚcision
est laissÚe Ó la discrÚtion du PrÚsident.
Commentaires des auteurs
5.1 Dans une lettre du 24 novembre 2002, les auteurs ont répondu aux observations
de l'État partie. Ils relèvent qu'en adhérant au Pacte et au Protocole facultatif,
l'État partie a accepté de reconnaître au Comité la faculté de déterminer
si les actions de l'État partie étaient compatibles avec les dispositions
des deux instruments. En invoquant le paragraphe 6 de l'article 6 du Pacte,
les auteurs croient détecter dans le Pacte une «position abolitionniste»
qui n'envisage pas le renoncement à l'abolition, ce qu'a fait l'État partie.
Quant à la discrétion qui serait laissée à l'État partie pour déterminer
le contenu de la notion de «crimes les plus graves», les auteurs notent
que, selon le consensus international, il est entendu qu'il s'agira de crimes
intentionnels ayant des conséquences fatales ou d'autres conséquences extrêmement
graves. (4) Les auteurs relèvent que, bien au contraire, la longue
liste des infractions emportant la peine de mort dans l'État partie comprend
des crimes tels que l'enlèvement, les infractions à la législation sur les
stupéfiants, le pillage et la corruption qualifiée.
5.2 Pour ce qui est du paragraphe 5 de l'article 14, les auteurs notent
que l'absence de plaidoirie devant la Cour suprême lorsqu'elle a examiné
leur recours l'a empêchée d'avoir sa propre appréciation des dépositions
des témoins et l'a obligée à s'appuyer sur l'appréciation de la juridiction
inférieure. Les auteurs font valoir qu'aucune révision effective n'est possible
lorsque la Cour suprême doit choisir entre la crédibilité de l'accusé et
celle de la victime sans pouvoir entendre les principaux témoins.
5.3 Les auteurs mentionnent d'autres faits ultérieurs, notamment un article
paru dans la presse selon lequel, bien que la Présidente ait annoncé au
début d'octobre 2002 l'interdiction des exécutions jusqu'à nouvel avis afin
de permettre au Congrès d'adopter une législation sur l'abolition, des dispositions
préliminaires avaient déjà été prises en vue de l'exécution des auteurs.
La Présidente avait récemment accordé sa grâce à certains condamnés qui
devaient être exécutés, mais les auteurs à ce jour n'avaient reçu aucune
notification dans ce sens. De plus, l'exécution des auteurs serait, semble-t-il,
illégale au regard du droit interne, car elle interviendrait après la période
de 18 mois prescrite par la loi, dès lors que le jugement est définitif,
comme étant le délai maximum à l'expiration duquel l'exécution doit avoir
eu lieu.
Échanges de correspondance ultérieurs avec les parties
6.1 Bien qu'il y ait été invité par des rappels datés du 27 novembre 2002
et du 8 janvier 2003, l'État partie n'a envoyé aucun autre courrier concernant
le fond de la communication pour compléter ses observations sur la recevabilité.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité note que le seul argument avancé par l'État partie pour contester
la recevabilité est que les griefs des auteurs ne sont pas étayés, en présentant
divers arguments portant sur le fond de la plainte. Le Comité estime donc
plus approprié de traiter de ces questions en examinant le fond. En l'absence
de tout autre élément faisant obstacle à la recevabilité, le Comité déclare
donc les griefs des auteurs recevables.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient
communiquées, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.2 En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 2 de l'article 6,
le Comité souligne tout d'abord, en réponse à l'argument de l'État partie
qui objecte qu'il n'appartient pas au Comité d'apprécier la constitutionnalité
des lois des États parties, que le rôle du Comité est de déterminer la compatibilité
avec le seul Pacte des griefs précis portés devant lui.
8.3 Le Comité note que le meurtre tel qu'il est qualifié par la loi pénale
de l'État partie est défini de façon très large puisqu'il est constitué
par le seul fait de tuer quelqu'un. En l'espèce, le Comité fait observer
que la Cour suprême a jugé que cette affaire relevait de l'article 48 du
Code pénal révisé, selon lequel, si un acte unique constitue deux crimes
à la fois, c'est la peine maximale encourue pour le crime le plus grave
qui doit être prononcée. Les crimes commis au moyen d'un seul acte étant
trois meurtres et une tentative de meurtre, la peine maximale prévue pour
le meurtre - la peine de mort - a ÚtÚ prononcÚe automatiquement
en application des dispositions de l'article 48. Le ComitÚ renvoie Ó sa
jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire Ó la peine de mort
constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe
1 de l'article 6 du Pacte, dans des circonstances o¨ la peine capitale est
prononcÚe sans qu'il soit possible de prendre en considÚration la situation
personnelle de l'accusÚ ou les circonstances ayant entourÚ le crime en question.(5)
Il en découle que la condamnation automatique des auteurs à la peine de
mort en vertu de l'article 48 du Code pénal révisé était une violation des
droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte.
8.4 Compte tenu de la constatation ci-dessus selon laquelle il y a bien
eu violation de l'article 6 du Pacte, il n'est pas nécessaire que le Comité
examine les autres plaintes des auteurs qui concernent toutes l'imposition
de la peine de mort dans leur cas.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'offrir aux auteurs un recours utile et approprié, consistant
en une commutation de peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations
analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie
est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
_________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castllero Hoyos, Mme Christine Chanet, M.
Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed
Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth
Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
** Le texte de deux opinions individuelles signées par M. Nisuke
Ando et Mme Ruth Wedgwood, membres du Comité, est annexé au présent document.
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité
(dissidente)
Je ne puis approuver les constatations adoptées à la majorité selon lesquelles
«le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire
à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation
du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine
capitale est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération
la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le
crime en question» (par. 8.3).
En premier lieu, je doute que la jurisprudence établie du Comité
veuille que «la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une
privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l'article
6 du Pacte». Les constatations adoptées à la majorité sont fondées sur les
constatations du Comité dans l'affaire no 806/1998 adoptées le 18 octobre
2000 (Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines). [Le Comité
a adopté une décision similaire dans l'affaire no 845/1998 (Kennedy
c. Trinité-et-Tobago), mais les faits pertinents dans les deux affaires
étaient différents]. Il me faut toutefois signaler que deux opinions dissidentes
ont été annexées aux constatations et qu'elles émanaient de cinq membres
(Lord Colville, pour l'une et MM. Kretzmer, Amor, Yalden et Zakhia, pour
l'autre). Il se trouve que j'étais absent lorsque les constatations ont
été adoptées et que je n'ai pas été en mesure d'exprimer mon opinion. Si
j'avais participé à la prise de la décision, j'aurais cosigné les deux opinions
dissidentes.
En tout état de cause, comme l'ont souligné M. Kretzmer et consorts, ainsi
que Lord Colville, les constatations dans l'affaire Thompson s'écartaient
de ce qui était jusque-là la pratique du Comité. Avant cette décision, le
Comité avait été saisi de nombreuses communications émanant de personnes
condamnées à mort en vertu d'une législation qui rend la condamnation à
mort obligatoire en cas de meurtre. Or, dans aucune de ces affaires, le
Comité n'avait posé que le caractère obligatoire de la peine entraînait
une violation de l'article 6 (ou de tout autre article) du Pacte. De plus,
dans l'exercice de ses fonctions au titre de l'article 40 du Pacte, le Comité
a examiné des rapports d'États parties dont la législation prévoit que la
peine capitale est obligatoire en cas de meurtre, mais il n'a jamais posé
dans ses observations finales que l'obligation de prononcer une sentence
de mort en cas de meurtre était incompatible avec le Pacte. En outre, dans
son Observation générale no 6 relative à l'article 6 du Pacte, le Comité
n'a indiqué à aucun moment que le prononcé obligatoire de la peine capitale
était incompatible avec l'article 6. Bien entendu, comme M. Kretzmer et
consorts l'ont fait observer, le Comité n'est pas lié par sa jurisprudence.
Toutefois, s'il souhaite s'en écarter, il doit en donner les motifs à l'État
partie et à la personne concernée. Malheureusement, cette explication n'a
pas été fournie dans les constatations du Comité sur l'affaire Thompson
et elle ne l'est pas davantage dans les constatations sur l'affaire à l'examen.
En deuxième lieu, Lord Colville dit clairement que, dans les juridictions
de common law, les juges doivent, s'agissant de prononcer une sentence
de mort en cas d'homicide, tenir compte de la situation personnelle et des
circonstances particulières du crime. Selon lui, des facteurs tels que la
légitime défense, une provocation de la part de la victime, le rapport entre
la réaction de l'accusé et sa propre perception de la situation sont examinés
par les tribunaux et le chef d'inculpation de meurtre peut être ramené à
celui d'homicide. De même, dans les juridictions de droit civil, diverses
circonstances aggravantes ou atténuantes telles que la légitime défense,
la nécessité, un état de détresse et les facultés de discernement de l'accusé
doivent être examinées avant d'arriver à une déclaration de culpabilité
de prononcer une condamnation dans chaque affaire d'homicide. Ces points
ont dû être traités avant que les tribunaux philippins compétents n'aient
rendu leur décision dans l'affaire à l'examen mais les constatations adoptées
à la majorité n'en font aucune mention, se bornant à noter que «le meurtre
tel qu'il est qualifié par la loi pénale de l'État partie est défini de
façon très large puisqu'il est constitué par le seul fait de tuer quelqu'un»
(par. 8.3; non souligné dans le texte).
Or, comme l'indique la note de bas de page 1 (par. 2.2 ci-dessus), l'article
248 du Code pénal révisé des Philippines définit le «meurtre». Il dispose
que «toute personne qui … en tue une autre est coupable de meurtre
et condamnée … à mort si le meurtre a été commis: avec perfidie, en
tirant parti d'une plus grande force physique, avec l'aide d'hommes armés,
en usant de moyens visant à amoindrir les capacités de défense, ou en recourant
à des personnes ou moyens garantissant l'impunité, ou en provoquant une
inondation, un incendie, un empoisonnement, une explosion, un naufrage,
un échouage ou un déraillement, en attaquant une voie de chemin de fer,
en provoquant la chute d'un aéronef, à l'aide de véhicules motorisés ou
de tout autre moyen causant de grandes pertes ou destructions». De toute
évidence, les tribunaux philippins ont examiné de près ces dispositions,
outre les circonstances aggravantes et atténuantes énoncées ci-dessus.
Selon les constatations adoptées à la majorité, «la Cour suprême» [des
Philippines] a estimé que cette affaire relevait de l'article 48 du Code
pénal révisé, selon lequel, si un acte unique constitue deux crimes à la
fois, c'est la peine maximale encourue pour le crime le plus grave qui doit
être prononcée. Les crimes commis au moyen d'un seul acte étant trois meurtres
et une tentative de meurtre, la peine maximale prévue pour le meurtre -
la peine de mort - a ÚtÚ automatiquement prononcée, en application
des dispositions de l'article 48» (par. 8.3; non souligné dans le texte).
Il me semble que les dispositions de l'article 48 qui sont citées sont des
dispositions courantes que l'on peut trouver dans les Codes pénaux d'un
très grand nombre d'États. Pourtant, le Comité ajoute dans ses constatations
adoptées à la majorité: «il en découle que la condamnation automatique
des auteurs à la peine de mort en vertu de l'article 48 du Code pénal révisé
était une violation des droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de
l'article 6 du Pacte» (par. 8.3; non souligné dans le texte). Les crimes
commis par les auteurs étaient certainement «les crimes les plus graves
en vertu du droit en vigueur au moment où ils ont été commis» aux Philippines,
et l'application en l'occurrence de l'article 48 fait assurément partie
des procédures pénales habituelles. Compte tenu de toutes les circonstances
pertinentes, je dois conclure que, dans l'affaire à l'examen, il n'est pas
du tout justifié de qualifier la condamnation à mort d'«obligatoire» ou
d'«automatique».
En troisième lieu, je me demande si les constatations adoptées
à la majorité peuvent être justifiées par le seul postulat selon lequel
la peine de mort en soi constitue une privation arbitraire de la vie. En
tout état de cause, ce postulat est contraire à la structure du Pacte, qui
admet qu'une sentence de mort peut être prononcée pour les crimes les plus
graves (par. 2 de l'article 6). Il est également en contradiction avec le
fait que le Protocole visant à abolir la peine de mort est «facultatif».
La disposition figurant au paragraphe 6 de l'article 6 suggère que l'abolition
de la peine de mort est souhaitable mais cela n'en fait pas pour autant
une obligation juridique. Il est vrai que, dans certaines régions du monde,
la plupart des États ont aboli la peine de mort. Il n'en est pas moins vrai
que, dans d'autres régions du monde, la plupart des États l'ont conservée.
À mon avis, le Comité des droits de l'homme, dont l'existence repose sur
la communauté mondiale des États, devrait tenir compte de cette situation
lorsqu'il interprète et applique les dispositions du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, quelles qu'elles soient.
(Signé) Nisuke Ando
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Mme Ruth Wedgwood, membre du Comité
(dissidente)
Le Comité des droits de l'homme a conclu que l'État partie avait lésé les
quatre auteurs de cette communication en les soumettant à une «condamnation
obligatoire à la peine de mort» qui «constitue une privation arbitraire de
la vie, en violation du paragraphe 1 de l'article 6» du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. (Voir les constatations du Comité,
par. 8.3.) Le Comité affirme que la peine de mort a été «prononcée sans qu'il
soit possible de prendre en considération … les circonstances ayant
entouré le crime en question». (Ibid., par. 8.3.)
L'angle sous lequel le Comité examine cette question est pour le moins
problématique. Dans leur communication, les auteurs ne formulent aucun grief
concernant une condamnation qui aurait été obligatoire et l'État partie
a donc été privé de toute possibilité de commenter l'argument que le Comité
invoque à présent de sa propre initiative. La communication des auteurs
est datée du 6 mai 2002, soit bien postérieure à la publication des opinions
précédentes du Comité à propos des condamnations obligatoires à la peine
de mort** Communication no 806/1998, Thompson c. Saint-Vincent-et-les
Grenadines, constatations adoptées le 18 octobre 2000; et communication
no 8465/1998, Kennedy c. Trinité-et-Tobago, constatations
adoptées le 26 mars 2002. Je partage les doutes exprimés par M. Ando au
sujet de ces deux décisions, qui me serviront néanmoins de point de départ
dans le cas présent., et leur conseil a déconseillé aux auteurs de formuler
ce type de grief. Le Comité n'a pas renvoyé la question de la condamnation
obligatoire à l'État partie pour commentaire bien qu'il se puisse qu'elle
relève éminemment d'une interprétation du droit philippin relatif au meurtre
et aux infractions multiples. De fait, le Comité a pris sa décision sans
même disposer d'une copie de l'opinion du tribunal de première instance.
La jurisprudence antérieure du Comité contestant l'imposition «obligatoire»
de la peine de mort se rapporte à des affaires de meurtre dans la perpétration
d'une infraction (lorsqu'un décès se produit de manière imprévue alors qu'un
crime se commet) et dans le contexte d'un régime de peine indifférencié
(dans lequel tous les homicides intentionnels emportent la peine de mort).
Il est beaucoup plus radical de supposer qu'un code pénal adopté démocratiquement
et qui spécifie soigneusement les circonstances aggravantes qui doivent
entourer un meurtre avant que la peine de mort puisse être prononcée est
d'une certaine manière en contradiction avec une interdiction implicite
de toute condamnation obligatoire que fait l'article 6 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. À vrai dire, le fait que ce grief
ne soit pas formulé dans la requête des auteurs reflète peut-être l'opinion
qu'un tel grief n'est pas convaincant en pareilles circonstances.
Lorsqu'elle a réexaminé les déclarations de culpabilité et les condamnations
dans cette affaire, la Cour suprême des Philippines a noté que les dispositions
du Code pénal philippin révisé relatives au meurtre ne prévoyaient la peine
de mort que si une ou plusieurs circonstances aggravantes avaient été établies
– ici, un meurtre délibéré avec «perfidie». Les auteurs ont été reconnus
coupables du meurtre de Florentino Dulay et de ses deux filles et de la
tentative de meurtre d'une troisième fille. Ils ont commis ces crimes en
«lanç[ant] une grenade dans la chambre à coucher de la famille Dulay», dans
la soirée, alors que les enfants étaient couchés. (Voir l'opinion de la
Cour suprême des Philippines, 4 avril 2001, p. 13.) L'intention, selon l'opinion
de la Cour suprême, était d'empêcher Florentino Dulay de témoigner contre
l'un des auteurs de la communication dans un autre procès pour meurtre.
La plus jeune des victimes était une petite fille de 5 ans, tuée par un
éclat de grenade. Les accusés ont été identifiés par un témoin oculaire
qui les connaissait depuis longtemps, et le tribunal de première instance
a rejeté comme non plausibles les alibis qu'ils invoquaient. La Cour suprême
des Philippines a réexaminé le jugement de culpabilité en plénière et, bien
qu'ils aient demandé que soit consignée leur opinion selon laquelle la peine
de mort était incompatible avec la Constitution nationale, quatre membres
ont décidé «d'approuver, par un vote à la majorité, la décision de la Cour
selon laquelle la loi [était] constitutionnelle et la peine de mort devait
donc être appliquée». (Opinion, p. 16). Aucune requête n'a été présentée
devant la Cour suprême des Philippines pour faire valoir que la peine de
mort était obligatoire et donc abusive.
L'article 248 du Code pénal révisé ne prévoit la peine de mort que s'il
est avéré qu'une circonstance aggravante entourait le meurtre, notamment
la perfidie ou le fait de provoquer une explosion. La Cour suprême a fait
observer que les critères définissant la perfidie étaient réunis puisque
celle-ci consiste à tirer parti d'une plus grande force physique, se faire
aider par des hommes armés ou user de moyens visant à amoindrir les capacités
de défense ou recourir à des moyens ou personnes garantissant l'impunité.
Ici, «les victimes étaient endormies lorsque la grenade a été lancée dans
leur chambre» et «elles n'ont eu aucune chance de se défendre ni de repousser
l'attaque. De toute évidence, l'attaque a été lancée sans qu'aucun des accusés
ne soit exposé à des tentatives de défense de la part des victimes». (Opinion,
p. 12, note 23.) La Cour suprême a fait remarquer que le facteur aggravant
de l'«explosion» aurait aussi pu être retenu, bien qu'il n'ait pas été invoqué
durant l'instruction.
Le Comité ne remet pas en question la légitimité de l'article 248 en soi.
Il suppose plutôt que la condamnation à mort était obligatoire parce que
l'affaire était également jugée en vertu d'une disposition relative aux
«crimes multiples» figurant dans l'article 48 du Code pénal révisé. En effet,
la déclaration de culpabilité concluait et à la tentative de meurtre et
à des meurtres multiples. L'article 48 dispose ce qui suit: «Lorsqu'un seul
acte constitue deux ou plusieurs infractions plus ou moins graves …
c'est la peine encourue pour le crime le plus grave qui sera prononcée,
et pendant la période maximale prévue par la loi.».
Il semble que l'article 48 soit destiné à éviter le problème de la «multiplicité»,
c'est-à-dire la possible multiplication des chefs d'accusation et des condamnations
à partir d'un seul acte répréhensible. La solution la plus simple était
de prévoir que «la peine encourue pour le crime le plus grave [serait] prononcée,
et pendant la période maximale prévue par la loi». Du point de vue sémantique,
on peut douter que l'expression «période maximale» se réfère à la peine
de mort*** Le Comité affirme, sans explications que, selon l'article
48, «la peine la plus lourde encourue pour le crime le plus
grave doit être prononcée». Constatation du Comité, par. 2.4 (non souligné
dans le texte); mais, en réalité, le texte de l'article 48 est le suivant:
la peine pour le crime le plus grave … et pendant la
période maximale prévue par la loi» (non souligné dans le texte).
Là aussi, il aurait été souhaitable de demander à l'État partie son opinion
au sujet de cette interprétation du droit interne.*. En tout état
de cause, rien dans l'article 48 n'écarte ni n'atténue la disposition distincte
énoncée dans l'article 248 selon laquelle le tribunal doit trouver
une circonstance aggravante avant de pouvoir prononcer une sentence de mort.
En d'autres termes, la condamnation à mort prononcée dans les règles pour
un meurtre commis avec perfidie ne devient pas obligatoire du simple fait
qu'elle s'accompagne d'une accusation supplémentaire pour tentative de meurtre.
Le Comité ne fournit aucun argument convaincant à l'appui de sa conclusion
selon laquelle la peine de mort a été prononcée «automatiquement» ou «sans
qu'il soit possible de prendre en considération … les circonstances
ayant entouré le crime en question».
Dans les sociétés modernes, les opinions divergent quant à l'admissibilité
de la peine de mort. L'article 6.2 du Pacte par lequel ce Comité est régi
dispose ce qui suit: «Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie,
une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus
graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a
été commis…». Il est peut-être sage que le Comité n'ait pas accepter
l'invite des auteurs à conclure que le fait de tuer des enfants endormis
en faisant exploser une grenade ne fait pas partie des «crimes les plus
graves». Le Comité n'a pas non plus examiné le grief des auteurs selon lequel
l'amélioration constitutionnelle intervenue aux Philippines de réserver
la peine de mort, aux «crimes odieux» constitue en quelque sorte une «réimposition»
illégitime de la peine de mort qui serait prohibée par l'article 6.2. En
tentant de formuler un grief que les parties elles-mêmes avaient écarté,
le Comité s'est appuyé sur une interprétation douteuse du droit philippin
et se méprend sur la teneur des décisions que lui-même a prises dans le
passé.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. L'article 6 de ladite loi modifie le Code pénal révisé comme
suit:
«Art. 248. Meurtre – Toute personne qui, ne relevant pas des
dispositions de l'article 246 [Parricide], en tue une autre, se rend coupable
de meurtre et est condamnée à la réclusion à perpétuité, ou à mort si le
meurtre a été commis:
1. Avec perfidie, en tirant parti d'une plus grande force physique, avec
l'aide d'hommes armés, en usant de moyens visant à amoindrir les capacités
de défense, ou en recourant à des personnes ou moyens garantissant l'impunité.
2. En échange d'un prix, d'une récompense ou d'une promesse.
3. En provoquant une inondation, un incendie, un empoisonnement, une explosion,
un naufrage, un échouage ou un déraillement, en attaquant une voie de chemin
de fer, en provoquant la chute d'un aéronef, à l'aide de véhicules motorisés
ou de tout autre moyen causant de grandes pertes ou destructions.
4. Durant l'une des calamités énumérées au paragraphe précédent, ou durant
un tremblement de terre, l'éruption d'un volcan, un cyclone destructeur,
une épidémie ou toute autre calamité publique.
5. Avec une préméditation flagrante.
6. Avec cruauté, en augmentant de façon délibérée et inhumaine les souffrances
de la victime, ou en offensant, ou en traitant avec dérision la victime
ou son cadavre.».
2. L'article 48 du Code pénal révisé dispose ce qui suit: «Peines encourues
pour les crimes complexes. Lorsqu'un seul acte constitue deux ou plusieurs
infractions plus ou moins graves, ou lorsqu'une infraction est le moyen
nécessaire pour commettre l'autre, c'est la peine encourue pour le crime
le plus grave qui sera prononcée, et pendant la période maximale prévue
par la loi.».
3. People c. Echegaray (GR no 117472, jugement du 7 février
1997).
4. Résolution 1984/50 du Conseil économique et social en date du 25 mai
1984, approuvée par l'Assemblée générale dans sa résolution 39/118 du 14
décembre 1984.
5. Communication no 806/1998, Thompson c. Saint-Vincent-et-les
Grenadines, constatations adoptées le 18 octobre 2000; et communication
no 845/1998, Kennedy c. Trinité-et-Tobago, constatations adoptées
le 26 mars 2002.