Comité des droits de l'homme
77ème session
17 mars - 4 avril 2003
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
- Soixante-dix-septième session -
Communication No. 1082/2002
Présentée par: Olivier de Clippele (représenté par un conseil, Maître
Arnaud Jansen)
Au nom de: L'auteur
État partie: Belgique
Date de la communication: 8 mars 2002 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 mars 2003,
Adopte la décision ci-après:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur est M. Olivier de Clippele, citoyen belge résidant à Bruxelles
(Belgique). Il se déclare victime de violations par la Belgique de l'article
25 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'auteur
est représenté par un conseil.
(Le Pacte et le Protocole facultatif s'y rapportant sont entrés en vigueur
pour la Belgique le 17 août 1984.)
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 La loi belge du 11 avril 1994 (telle que modifiée par la loi du 18
décembre 1998 et la loi du 12 août 2000) a instauré le vote automatisé dans
certaines circonscriptions électorales, cantons électoraux ou communes.
2.2 Déclarant agir en tant que citoyen électeur et candidat aux élections
communales dans la commune d'Ixelles, l'auteur a saisi les juridictions
belges compétentes afin de faire constater que la loi sur le vote automatisé
ne respectait pas les droits consacrés par l'article 25 b) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
2.3 Le 17 novembre 2000, conformément à la loi électorale communale belge,
l'auteur a introduit un recours contre la procédure de préparation, d'organisation
et de dépouillement des opérations de vote dit automatisé des élections
communales du 8 octobre 2000 à Ixelles, ceci afin d'obtenir leur annulation
devant le Collège juridictionnel de la région de Bruxelles-Capitale.
2.4 Le 14 décembre 2000, le Collège juridictionnel a rejeté la réclamation
de l'auteur.
2.5 Le 26 décembre 2000, l'auteur a interjeté appel auprès du Conseil d'État.
2.6 Le 4 avril 2001, le Conseil d'État a rejeté le recours de l'auteur.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur conteste la loi sur le vote automatisé pour les raisons suivantes:
- L'absence de contrôle indépendant des opérations électorales susceptible
d'influencer la répartition des sièges entre les listes et se manifestant
par quatre éléments:
- Un système non transparent dans la mesure où les logiciels de vote et
de dépouillement n'ont pas été rendus publics de sorte que ni le bureau
principal ni les bureaux de vote n'ont pu procéder à un contrôle réel
des opérations;
- L'électeur ne peut avoir la certitude de la concordance entre le vote
souhaité et le message électronique inscrit sur la carte magnétique, le
logiciel constituant un intermédiaire qui échappe à tout contrôle de l'électeur;
- Le dépouillement est organisé et contrôlé par le Ministère de l'intérieur.
Le contrôle exercé par un collège d'experts ne remédie pas à ce défaut
d'indépendance de l'organe de dépouillement dans la mesure où le fonctionnement,
les pouvoirs et l'organisation de ce collège sont affectés de nombreuses
déficiences (impossibilité de contrôler effectivement tous les bureaux
de vote, absence de pouvoir contre la fraude);
- Les candidats et les témoins sont dans l'incapacité de vérifier les
opérations de dépouillement ou de totalisation des votes puisqu'ils n'ont
pas accès aux logiciels et doivent ainsi se contenter d'observer une imprimante
inscrire les résultats d'opérations électroniques opaques;
- L'atteinte à la liberté de vote puisque l'électeur doit choisir une liste
sans pouvoir visualiser simultanément l'ensemble des candidats présents sur
chaque liste;
- L'absence de fiabilité et des erreurs liées à ce vote automatisé s'étant
manifestées au cours des élections du 8 octobre 2000 par des divergences
entre le nombre de cartes enregistrées dans l'urne de plusieurs bureaux
et le nombre d'électeurs y ayant voté et des divergences entre le nombre
de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans plusieurs bureaux de
vote.
3.2 L'auteur estime que la loi sur le vote automatisé mise en œuvre
lors des élections communales du 8 octobre 2000 est contraire à l'article
25 b) du Pacte.
3.3 L'auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et précise
que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité de la
communication
4.1 Dans ses observations du 29 juillet 2002, l'État partie conteste la
recevabilité de la communication.
4.2 En premier lieu, se référant à la jurisprudence du Comité (1),
l'État partie estime que l'auteur n'a pas démontré sa qualité de victime.
L'auteur formule des critiques générales et abstraites contre le système
de vote automatisé sans démontrer de manière concrète qu'un tel système
ait pu l'affecter directement et lui ait causé un préjudice personnel, soit
en sa qualité de candidat aux élections communales dans la commune d'Ixelles,
soit en sa qualité d'électeur de la même commune. L'État partie affirme
qu'en tant que candidat, l'auteur n'a subi aucun préjudice, puisqu'il a
été élu. En outre, selon l'État partie, l'auteur n'avance aucune allégation
concrète de nature à démontrer que les prétendues irrégularités qu'il dénonce
ont faussé, à son détriment ou au détriment du candidat pour lequel il a
voté, le résultat des élections communales d'Ixelles.
4.3 En second lieu, l'État partie soutient que l'auteur n'a pas épuisé les
voies de recours internes en ce qui concerne les griefs tirés de prétendues
divergences entre d'une part, le nombre de cartes enregistrées dans l'urne
de plusieurs bureaux et le nombre d'électeurs y ayant voté et, d'autre part,
le nombre de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans plusieurs
bureaux de vote. D'après l'État partie, le Collège juridictionnel de la
région de Bruxelles-Capitale, juridiction administrative de première instance,
compétente en matière de contentieux électoral communal, a décidé par jugement
du 14 décembre 2000, que les griefs précités constituaient des moyens nouveaux
invoqués après l'expiration du délai de 40 jours pour introduire une réclamation
devant le Collège (art. 74, par. 1 de la loi électorale communale). En effet,
ces moyens ne figuraient nullement dans la réclamation initiale et n'avaient
été invoqués que plus tard dans les mémoires déposés les 8 et 11 décembre
2000. Considérant qu'il s'agissait de moyens nouveaux qui ne pouvaient être
assimilés à de simples développements de moyens figurant dans la réclamation
initiale, le collège a, dès lors, déclaré ces moyens irrecevables. En outre,
selon l'État partie, par arrêt du 4 avril 2001, et au terme d'une motivation
circonstanciée, le Conseil d'État, statuant en degré d'appel, a entièrement
partagé ce point de vue et a conclu que «le moyen invoqué tardivement devant
le Collège juridictionnel était irrecevable et le reste, en degré d'appel,
devant le Conseil d'État».
4.4 Se fondant sur la jurisprudence du Comité (2), l'État partie
considère que l'auteur n'a pas épuisé les voies de recours internes dans
la mesure où il a omis d'épuiser de tels recours par suite de sa propre
négligence, en omettant d'introduire les recours prévus en droit interne
dans les délais requis.
4.5 En troisième lieu, l'État partie soutient que l'auteur n'a pas suffisamment
étayé ses allégations. Se référant à la jurisprudence du Comité (3),
l'État partie estime que l'auteur procède par de simples affirmations sans
rapporter d'éléments de preuve concrets aux fins de la recevabilité.
4.6 Enfin, l'État partie fait observer que les griefs de l'auteur ont été
soigneusement examinés par les juridictions nationales et que conformément
à la jurisprudence du Comité (4), il appartient aux tribunaux d'appel
des États parties et non au Comité d'évaluer les faits et les preuves dans
une affaire donnée, et ce, à moins qu'il ne soit possible de prouver que
les juridictions nationales ont été manifestement arbitraires.
4.7 L'État partie rappelle que le Conseil d'État a souligné, d'abord, de
manière générale, que l'article 25 b) du Pacte ne prescrit, ni ne proscrit
aucun système de vote particulier.
4.8 Eu égard aux griefs tirés du manque de transparence du système de vote
automatisé, le Conseil d'État les conteste au motif notamment que le «code
source» a été divulgué même si cette divulgation n'incluait pas les algorithmes
de sécurité. De plus, il ne s'est pas avéré pour autant que la transparence
assurée par la divulgation du «code source» ne serait pas suffisante.
4.9 Relativement au contrôle par l'électeur de son bulletin de vote, le
Conseil d'État remarque - et l'auteur admet - que l'électeur
peut vérifier son vote après avoir exprimé son choix et que les contrôles
effectués par le collège d'experts ont démontré qu'il n'y avait pas de discordance
entre l'affichage du vote émis et les informations portées sur la carte
magnétique.
4.10 Concernant l'indépendance du collège d'experts, le Conseil d'état remarque
que l'auteur reproche à ce collège d'être élu par des assemblées législatives.
Le Conseil d'état souligne d'abord qu'à suivre ce raisonnement, il faudrait
nécessairement mettre en doute l'indépendance et l'impartialité de tous
les magistrats en Belgique, nommés par le Roi sur proposition du ministre
compétent, et donc du "pouvoir en place". Le Conseil d'état constate
ensuite qu'aucun élément concret de nature à démontrer le manque d'indépendance
du collège n'est avancé. En revanche, le Conseil d'état rappelle que c'est
suite aux observations critiques du collège dans son rapport sur les élections
du 13 juin 1999 que des modifications ont été apportées à la loi du 11 avril
1994. Dans le rapport concernant les élections du 8 octobre 2000, le collège
énumère les différentes améliorations apportées au système de vote automatisé,
aussi bien en ce qui concerne les procédures et le matériel utilisés. Parmi
ces améliorations, figure la possibilité pour l'électeur de vérifier lui-même
le vote qu'il a émis.
4.11 Le Conseil d'état met ensuite en exergue le fait qu'avant les élections
du 8 octobre 2000, le collège d'experts a procédé à des tests consistant
à émettre des votes, à les visualiser et à comparer le résultat avec les
votes émis et qu'il a constaté que les machines à voter affichent fidèlement
le contenu du vote dans la mémoire de l'ordinateur. Le Conseil d'état a
aussi pris en compte les contrôles effectués le jour des élections, et même
après celles-ci, lors desquels il a été constaté que 1) les "exécutables"
des logiciels étaient strictement identiques à ceux qui avaient été créés
lors de la compilation de référence; 2) le lecteur des cartes magnétiques
ne modifie pas le contenu des cartes qui sont dans l'urne et 3) qu'il est
possible de procéder à un recomptage indépendant en visualisant une par
une toutes les cartes des urnes d'une commune, et de compter les votes manuellement.
De plus, le Conseil d'état souligne qu'un double recours peut être exercé
devant la Députation permanente ou le Collège juridictionnel en première
instance, puis devant le Conseil d'état en appel et que ces instances peuvent
ordonner des mesures d'instruction. Ces juridictions statuent en pleine
juridiction et leur intervention constitue donc une garantie supplémentaire.
4.12 Concernant le grief d'atteinte à la liberté de vote, le Conseil d'état
répond, d'une part, que l'article 15 de la loi du 11 avril 1994 impose l'affichage
de l'ensemble des listes de candidats dans chaque bureau de vote et dans
chaque compartiment-isoloir et, d'autre part, que l'article 7 prescrit l'affichage,
sur l'écran de visualisation, du numéro d'ordre et du sigle de toutes les
listes de candidats, l'invitation à confirmer le vote émis et la possibilité
de le recommencer tant qu'il n'est pas confirmé. De cela, il résulte que
la liberté de vote n'est en rien entravée par le vote automatisé.
4.13 Eu égard au grief sur l'absence de fiabilité et des erreurs liées
au vote automatisé, le Conseil d'état rejette le moyen car la juridiction
de première instance n'a pas été réguliÞrement saisie.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie concernant
la recevabilité
5.1 Dans sa lettre du 26 septembre 2002, l'auteur conteste l'argumentation
de l'État partie.
5.2 En premier lieu, il soutient être personnellement et directement victime
du non-respect de l'article 25 b) du Pacte qui lui confère des droits subjectifs
politiques et demande au Comité d'examiner la violation de ses droits à
l'occasion de l'application de la loi du 11 avril 1994 sur le vote automatisé
lors des élections communales du 8 octobre 2000. Selon l'auteur, les garanties
de fond et de forme assortissant les droits garantis aux citoyens par le
Pacte en matière électorale ne sont pas respectées par le système même de
vote automatisé, et il serait dès lors abusif d'exiger la démonstration
concrète d'irrégularités.
5.3 En second lieu, eu égard à l'épuisement des voies de recours internes,
l'auteur confirme que les griefs de divergences, dans certains bureaux de
vote, entre le nombre de cartes enregistrées et le nombre d'électeurs ayant
voté, ainsi qu'entre le nombre de cartes validées par rapport aux cartes
enregistrées et annulées ont effectivement été déclarés irrecevables pour
une raison de procédure tirée de leur tardiveté. Cependant, selon l'auteur,
ce point n'affecte pas la recevabilité de sa communication portant sur la
violation de l'article 25 b) du Pacte par la loi sur le vote automatisé
appliquée lors des élections communales du 8 octobre 2000.
5.4 En troisième lieu, l'auteur estime que ses allégations sont suffisamment
étayées par une analyse rigoureuse, sérieuse et détaillée. D'après l'auteur,
sa communication ne porte pas sur la réalité des faits ou des preuves -
à savoir l'existence des élections, de la loi sur le vote automatisé et
la manière dont elle fut appliquée - mais sur la compatibilité de
la loi du 11 avril 1994 telle qu'elle existe et a été appliquée avec l'article
25 b) du Pacte. L'auteur précise ne pas avoir été convaincu par l'arrêt
du Conseil d'état du 4 avril 2001, en particulier pour les motifs suivants:
1) Le Conseil d'état ne répond pas à la critique suivant laquelle il est
matériellement impossible au collège d'experts de contrôler tous les bureaux
de vote; 2) Le Conseil d'état se réfère aux constatations du collège d'experts
en ce qui concerne la problématique de la vérification par l'électeur de
la concordance de son vote alors qu'il a omis de répondre à la critique
ci-dessus mentionnée; 3) l'auteur maintient le grief sur le manque de garanties
d'indépendance du collège d'experts; 4) Le Conseil d'état ne répond pas
à la question du contrôle du dépouillement par les candidats et leurs témoins.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de
l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même
question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
6.3 Eu égard à l'épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris
note des arguments de l'État partie faisant valoir l'irrecevabilité des
allégations de divergences entre, d'une part, le nombre de cartes enregistrées
dans l'urne de plusieurs bureaux et le nombre d'électeurs y ayant voté et,
d'autre part, le nombre de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans
plusieurs bureaux de vote dans la mesure où ces griefs n'avaient pas été
soulevés auprès des juridictions nationales compétentes dans les délais
fixés par la loi. Le Comité a également noté la confirmation par l'auteur
de ces motifs d'irrecevabilité. Le Comité déclare, en conséquence, cette
partie de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif.
6.4 Relativement aux autres griefs ayant trait à l'absence de contrôle indépendant
des opérations électorales et à l'atteinte à la liberté de vote résultant
de la loi sur le vote automatisé, le Comité estime qu'à supposer même qu'il
ait pu être une victime, l'auteur n'a apporté aucun élément de preuve à
l'appui de sa plainte. Dès lors, le Comité considère cette partie de la
plainte irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)
de l'article 5 et de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
________________________
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (original). Paraîtra ultérieurement
en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée
générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Nisuke Ando, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine
Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir
Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Communications no 35/1978 (Shirin Aumeeruddy-Cziffra et 19
autres Mauriciennes c. Maurice); et no 831/1998 (Michael Meiers
c. France).
2. Communications nos 925/2000 (Wan Kuok Koi c. Portugal);
26/1978 (N.S. c. Canada).
3. Communication no 779/1997 (Aarela, Anni et Nakkalajarvi, Jouni
c. Finlande).
4. Communications no 866/1999 (Marina et Al Torregrosa Lafuente
c. Espagne), et no 947/2000 (Barry Hart c. Australie).