Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1 avril 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur est M. Lionel Bochaton, citoyen français résidant à Saint-Paul-en-Chablais
(France). Il se déclare victime de violations par la France des paragraphes
1, 2 et 3c de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. L'auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 28 novembre 1996, suite à une enquête de gendarmerie, l'auteur
a été mis en examen par le juge d'instruction du tribunal de grande
instance de Thonon-les-Bains du chef d'exhibitions sexuelles.
2.2 Par ordonnance du 11 juin 1997, le juge d'instruction a renvoyé
l'auteur devant le tribunal correctionnel au motif « qu'il résulte de
l'information des charges suffisantes contre Lionel Bochaton d'avoir
à Vacheresse, au cours de l'été 1996 et jusqu'au 21 septembre 1996,
dans un lieu accessible aux regards du public, commis des exhibitions
sexuelles, en l'espèce en se promenant nu ».
2.3 Par acte délivré le 1er juillet 1997 par le Procureur de la République,
l'auteur a été cité pour ces faits devant le tribunal correctionnel
de Thonon-les-Bains.
2.4 Par jugement du 17 septembre 1997, le tribunal a relaxé au bénéfice
du doute l'auteur des faits qui lui étaient reprochés.
2.5 Le 24 septembre 1997, le Procureur de la République a interjeté
appel de ce jugement.
2.6 Par arrêt du 30 juin 1999, la Cour d'appel de Chambéry a infirmé
le jugement et a condamné l'auteur pour exhibition sexuelle à une peine
de trois mois d'emprisonnement avec sursis et à une interdiction des
droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans.
2.7 Le 1er juillet 1999, l'auteur a formé un pourvoi en cassation contre
cet arrêt.
2.8 Par arrêt du 13 septembre 2000, la Chambre criminelle de la Cour
de cassation a rejeté le pourvoi.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se déclare non-coupable des faits incriminés, à savoir
d'exhibitions sexuelles.
3.2 L'auteur se plaint de la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation
et soulève, à cet égard, les griefs suivants :
- L'imprécision de l'acte d'accusation : La citation délivrée par le
parquet devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains était
imprécise quant aux faits déterminés et leur datation telles que l'attestent
les mentions vagues et peu détaillées « au cours de l'été 1996 et jusqu'au
21 septembre 1996 » ou « à plusieurs reprises ».
- Le non-respect du principe de la présomption d'innocence : Compte
tenu de l'imprécision de l'acte d'accusation, l'auteur a dû déterminer
lui-même la date des faits pour lesquels il était poursuivi.
- L'absence de légalité de la condamnation : L'auteur estime que les
juridictions internes l'ont déclaré coupable d'exhibitions sexuelles
sans rapporter la preuve de ces faits.
- L'atteinte aux droits de la défense et aux règles du procès équitable
: La citation délivrée devant la Cour d'appel de Chambéry ne faisait
pas mention de l'article 131-26 du Code pénal qui prévoit la peine complémentaire
d'interdiction des droits civils et de famille alors que la Cour d'appel
l'a condamné à cette peine.
- La durée excessive de la procédure : La phase d'appel de l'affaire
a duré 1 an, 9 mois et 6 jours, ce qui est, selon l'auteur, excessif
dans la mesure où l'affaire a été jugée sur 1 mois et 11 jours (plaidoirie
le 19 mai 1999 et arrêt le 30 juin 1999).
3.3 L'auteur estime finalement qu'il y a eu violation des paragraphes
1, 2 et 3c de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
3.4 L'auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et
précise que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité de la
communication
4.1 Dans ses observations du 14 août 2002, l'Etat partie conteste la
recevabilité de la communication.
4.2 Eu égard au grief tiré de la durée excessive de la procédure, l'Etat
partie soutient que l'auteur n'a pas épuisé toutes les voies de recours
internes.
4.3 En premier lieu, d'après l'Etat partie, l'auteur n'a pas exercé
les recours prévus par l'article L 781-1 du Code de l'organisation judiciaire
(COJ). Cet article dispose que « L'Etat est tenu de réparer le dommage
causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette
responsabilité n'est engagée que pour une faute lourde ou pour un déni
de justice. » Les actions engagées par les particuliers contre l'Etat
sur le fondement de ce texte relèvent de la compétence des tribunaux
de l'ordre judiciaire. Selon l'Etat partie, dans sa décision du 7 novembre
2000, requêtes N°44952/98 et N°44953/98 de Mmes Van Der Kar et Lissaur
Van West, la Cour européenne des droits de l'homme a admis l'efficacité
du recours fondé sur l'article L.781-1 du COJ et a ainsi accueilli «
l'argument du Gouvernement français selon lequel le recours fondé sur
l'article L781-1 du COJ, dès lors qu'il est à présent soutenu par une
jurisprudence interne constante, permet de remédier à la violation alléguée
lorsque la procédure est achevée au plan interne ». L'Etat partie explique
que la Cour a reconnu que, depuis l'arrêt de la Cour d'appel de Paris
en date du 20 janvier 1999 et les décisions ultérieures rendues par
d'autres juridictions, cette voie de recours pouvait être utilement
exercée pour contester la durée d'une procédure (cf. jugements rendus
par le tribunal de grande instance de Paris les 9 juin et 22 septembre
1999, affaires Quillichini et Legrix de la Salle) concernant des durées
de procédure civile, ainsi qu'en matière pénale (cf. arrêts rendus par
la Cour d'appel de Lyon, arrêt Association Défense Libre du 27 octobre
1999 ; et par celle d'Aix-en-Provence, arrêt Lagarde du 14 juin 1999).
En l'occurrence, la Cour européenne était saisie d'un grief tiré de
la durée excessive de la procédure en application des dispositions de
l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont
la rédaction est similaire à celle de l'article 14 du Pacte. Mutatis
mutandis, l'Etat partie considère que cette jurisprudence peut être
également appliquée par le Comité des droits de l'homme. En l'espèce,
d'après l'Etat partie, l'auteur a introduit sa communication devant
le Comité le 11 avril 2002, soit postérieurement à l'arrêt rendu par
la cour d'appel de Paris et aux autres décisions rendues en France sur
le fondement de l'article L781-1 du COJ, relatives à des durées de procédure.
L'Etat partie estime donc que l'auteur était parfaitement en mesure
de connaître l'existence et l'effectivité de ce recours.
4.4 En second lieu, l'Etat partie fait valoir que l'auteur n'a pas
saisi, dans son mémoire ampliatif, la Cour de cassation du grief tiré
de la durée prétendûment excessive de la procédure. L'Etat partie rappelle
la jurisprudence du Comité des droits de l'homme selon laquelle l'auteur
doit faire valoir en substance devant les juridictions nationales le
grief qu'il invoque par la suite. Se référant à la communication N°661/1995
(P. Triboulet c. France), l'Etat partie rappelle que le Comité avait
déclaré irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours
internes, le grief fondé sur la durée excessive de l'instruction et
de la procédure judiciaire au motif que l'auteur de la communication
n'avait pas porté ce grief devant la Cour de cassation.
4.5 Eu égard aux griefs fondés sur l'imprécision de l'acte d'accusation,
le non- respect de la présomption d'innocence et l'absence de légalité
de la condamnation, l'Etat partie estime que l'auteur tente, en réalité,
de remettre en cause sa condamnation. En effet, d'après l'Etat partie,
l'auteur indique à l'appui de ses griefs que les juges ont inversé la
charge de la preuve en le condamnant : « les juges d'appel ont procédé
par voie d'amalgame en mélangeant les dates des faits et les témoignages,
sans apporter la preuve objective et vérifiable de chaque fait distinct.
» A cet égard, l'Etat partie rappelle la jurisprudence du Comité des
droits de l'homme selon laquelle le Comité ne peut examiner les faits
et les éléments de preuve soumis aux tribunaux nationaux, à moins qu'il
ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu'elle
équivaut à un déni de justice. Or, l'Etat partie estime qu'en l'occurrence,
l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Chambéry est très longuement motivé
et démontre que chaque élément du dossier a été analysé. D'après l'Etat
partie, aucun reproche d'arbitraire ou de déni de justice ne peut sérieusement
être invoqué. Au demeurant, l'Etat partie fait valoir que la Chambre
criminelle de la Cour de cassation a elle-même considéré, en répondant
au second moyen de cassation (qui correspond aux trois griefs soulevés
devant le Comité), « (…) que les moyens qui se bornent à remettre
en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits
et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement
débattus, ne sauraient être admis. »
4.6 Concernant le grief relatif à la citation délivrée devant la Cour
d'appel de Chambéry, l'Etat partie estime que l'auteur n'a pas épuisé
les voies de recours internes dans la mesure où il n'a soulevé la nullité
de la citation ni devant la Cour d'appel de Chambéry, ni devant la Cour
de cassation. En effet, d'après l'Etat partie, l'auteur n'a, à aucun
moment, invoqué même en substance devant la juridiction suprême une
violation des dispositions de l'article 14 du Pacte, au motif que la
citation délivrée à son encontre devant la Cour d'appel aurait omis
la mention de l'article 131-26 du code pénal.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'Etat partie
concernant la recevabilité
5.1 Dans sa lettre du 8 novembre 2002, l'auteur conteste l'argumentation
de l'Etat partie.
5.2 Eu égard au grief tiré de la durée excessive de la procédure, l'auteur
estime que l'article L781-1 du COJ institue, en fait, un régime très
restrictif de la responsabilité étatique, voire impossible à mettre
en œuvre. L'auteur considère, en outre, que la solution adoptée
par la Cour européenne des droits de l'homme et citée par l'Etat partie
constitue un revirement de sa propre jurisprudence. D'après l'auteur,
le fait d'imposer au requérant qu'il exerce, préalablement à toute saisine
du Comité, le recours restrictif et inefficace prévu par l'article L
781-1 du COJ, aboutirait à allonger abusivement la procédure devant
les juges internes ; et à retirer au Comité tout contrôle effectif sur
la garantie instituée par le Pacte au titre du paragraphe 3 c de l'article
14 du Pacte. Enfin, l'auteur note que la décision pré-citée de la Cour
européenne est du 7 novembre 2000, soit postérieure à la période mise
en cause dans le cas d'espèce et à l'arrêt de la Cour de cassation du
13 septembre 2000.
5.3 Eu égard aux griefs fondés sur l'imprécision de l'acte d'accusation,
le non- respect de la présomption d'innocence et l'absence de légalité
de la condamnation, l'auteur estime qu'il est unanimement reconnu qu'en
matière pénale, l'accusé a le droit d'être informé de manière très détaillée
des faits qui lui sont imputés et sur lesquels se fonde l'accusation.
D'après l'auteur, le fait de condamner une personne pour des faits commis
à une date non précisée, comme en l'espèce, relève de l'arbitraire.
Compte tenu des graves conséquences pouvant découler d'une condamnation
pénale, l'auteur souligne qu'il est du devoir des Etats de veiller à
ce que les actes d'accusation soient très précis. A défaut, la personne
poursuivie est contrainte de faire la preuve négative de sa participation
aux faits. Ce renversement de la charge de la preuve constitue également,
d'après l'auteur, un dépassement arbitraire de la présomption d'innocence.
5.4 Concernant le grief relatif à la citation délivrée devant la Cour
d'appel de Chambéry, l'auteur déclare qu'il n'a pas entendu contester
la citation, mais la condamnation à une peine complémentaire non visée
dans l'acte d'accusation délivrée à son encontre devant la Cour d'appel
de Chambéry. L'auteur estime qu'il ne lui appartenait pas de soulever
la nullité de la citation en justice qui n'avait pas repris l'article
131-26 du code pénal prévoyant des peines complémentaires, car cet abandon
privait la Cour d'appel de la possibilité de faire application de cette
disposition. D'après l'auteur, il n'était donc pas dans son intérêt
de soulever la nullité de l'acte d'accusation qui avait renoncé à l'application
d'un texte répressif à son encontre. A la lecture de l'arrêt rendu par
les juges internes, l'auteur déclare avoir découvert qu'il avait été
arbitrairement condamné à une peine que l'acte d'accusation ne mentionnait
pas, le privant de toute défense sur ce point.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a de
l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même
question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
6.3 Eu égard au grief tiré de la durée excessive de la procédure, le
Comité a pris note de l'argumentation de l'Etat partie soutenant que
la violation alléguée n'a pas fait l'objet d'un recours en vertu de
l'article L 781-1 du Code de l'organisation judiciaire (COJ) et n'a
pas été soulevée par l'auteur auprès de la Cour de Cassation. Le Comité
a également noté les arguments de l'auteur qualifiant le recours prévu
à l'article L781-1 du COJ comme étant restrictif et inefficace. Le Comité
estime que l'auteur n'a pas suffisamment étayé son argumentation contestant
les développements de l'Etat partie faisant valoir que l'article L781-1
du COJ instituait un recours utile. Le Comité constate, en outre, que
l'auteur n'a pas contesté le fait que son grief n'avait pas été porté
devant la Cour de cassation. Enfin, le Comité estime que le grief relatif
à la durée excessive de la procédure n'a pas été suffisamment étayé.
En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable
au regard de l'article 2 et du paragraphe 2b de l'article 5 du
Protocole facultatif.
6.4 Concernant les griefs quant à l'imprécision de l'acte d'accusation,
le non-respect de la présomption d'innocence et l'absence de légalité
de la condamnation, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle
il appartient généralement aux juridictions des Etats parties au Pacte
d'examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée.
Lorsqu'il examine des allégations de violation de l'article 14 à cet
égard, le Comité est seulement habilité à vérifier si la condamnation
a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Or, les informations
dont le Comité est saisi n'indiquent pas que l'évaluation des moyens
de preuve par les tribunaux ait souffert de telles irrégularités. En
conséquence, cette partie de la communication n'a pas été suffisamment
étayée, aux fins de la recevabilité, et est donc irrecevable au titre
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 Eu égard au grief relatif à la citation délivrée devant la Cour
d'appel de Chambéry, après avoir examiné les arguments de l'Etat partie
et de l'auteur, le Comité constate que la violation alléguée découlant
de la condamnation du requérant, en appel, à des peines complémentaires
alors que l'article 131-26 du code pénal prévoyant de telles peines
n'avait pas été visé dans la citation, n'a pas été soulevée par l'auteur,
dans son mémoire ampliatif, auprès de la Cour de cassation. Le Comité
considère, en conséquence, cette partie de la communication irrecevable
au regard du paragraphe 2b de l'article 5 du Protocole facultatif.
Le Comité déclare, en conséquence, ces griefs irrecevables au regard
de l'article 2, et du paragraphe 2b de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7.1 En conséquence, le Comité décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2, et
du paragraphe 2b de l'article 5 du Protocole facultatif.
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
_______________________________
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale).
Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans
le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Nisuke Ando, M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco
Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik
Khalil, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin Scheinin,
M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski
et M. Maxwell Yalden.
** Conformément à l'article 85 du Règlement intérieur du Comité, Mme.
Christine Chanet n'a pas pris part à l'examen de cette affaire.