GENERALE
CCPR/C/86/D/1085/2002
16 mai 2006
Original: FRANCAIS
Communication No. 1085/2002 : Algeria. 16/05/2006.
CCPR/C/86/D/1085/2002. (Jurisprudence)
Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-sixième session
13 - 31 mars 2006
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-sixième session -
Communication No 1085/2002
Présentée par: Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi (représentés par un conseil)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Algérie
Date de la communication: 5 janvier 1999 (date de la lettre initiale − enregistrée le 23 mai 2002, d'autres lettres ayant été reçues des auteurs par la suite)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 mars 2006,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1085/2002 présentée par Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi au nom des auteurs, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication, datée du 5 janvier 1999, sont Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi, citoyens algériens et résidant en Algérie. Ils se déclarent victimes de violations de la part de l'Algérie de l'article 7, des paragraphes 1 et 3 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, des paragraphes 1, 2, et 3 c) de l'article 14, et des articles 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Algérie le 12 décembre 1989.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 9 mars 1996, Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi, respectivement président du conseil d'administration, directeur général, directeur financier et directeur des approvisionnements de la société d'État COSIDER, ont été inculpés pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux, et placés en détention provisoire. Le 30 mars 1996, le juge d'instruction a désigné un expert pour étudier la gestion de COSIDER dans un délai d'un mois. Par ordonnance du juge d'instruction du 12 mai 1996, les comptes bancaires de tous les auteurs ont été bloqués. Par nouvelle ordonnance du juge d'instruction du 8 juin 1996, le patrimoine immobilier de Abdelhamid Taright a été saisi.
2.2 Plusieurs demandes de mise en liberté provisoire ont été formulées. La demande du 29 juin 1996 de mise en liberté provisoire de Abdelhamid Taright a été rejetée par le magistrat instructeur par ordonnance du 30 juin 1996, confirmée par arrêt de la chambre d'accusation du 16 juillet 1996. Une seconde demande datant du 19 novembre 1996 a été rejetée par arrêt de la chambre d'accusation du 17 novembre 1996. Une troisième demande en date du 28 mars 1998 a été ignorée. Une quatrième demande a été à nouveau rejetée par arrêt de la chambre d'accusation du 2 août 1998. Une nouvelle demande de mise en liberté provisoire de tous les auteurs a été rejetée par arrêt de la chambre d'accusation du 30 décembre 1998. Les auteurs ajoutent que plusieurs autres demandes de mise en liberté ont été introduites par Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi sans préciser les dates. Les auteurs ont été remis en liberté provisoire sous contrôle judiciaire par arrêt de la chambre d'accusation du 7 septembre 1999. Ce contrôle judiciaire a été levé pour Abdelhamid Taright par arrêt du 27 décembre 1999.
2.3 En ce qui concerne les expertises, le 17 novembre 1996, la chambre d'accusation a écarté, pour imprécision et confusion, le rapport du premier expert remis le 5 août 1996 et désigné un collège de trois experts. Par arrêt du 10 février 1998, la chambre d'accusation a décidé de décharger les experts de leur mission au motif que leurs honoraires étaient abusifs et de confier cette mission à l'Inspection générale des finances (IGF). Par arrêt du 2 août 1998, elle a ordonné un complément d'expertise à l'IGF. Le 6 janvier 1999, les auteurs ont déposé une plainte pour faux contre les experts de l'IGF, laquelle a fait l'objet d'un non-lieu le 24 mars 1999.
2.4 En ce qui concerne la saisie des biens des auteurs, la requête du 16 septembre 1996 de levée de la saisie frappant Abdelhamid Taright a été rejetée par le juge d'instruction par ordonnance du 28 septembre 1996. L'appel formé contre cette ordonnance a été rejeté par la chambre d'accusation par arrêt du 17 novembre 1996.
2.5 Par arrêt du 30 décembre 1998, la chambre d'accusation a décidé le renvoi des prévenus devant le tribunal criminel (pour dilapidation de biens publics et passation de contrats contraires à l'intérêt de l'entreprise). Le 31 janvier 1999, les auteurs se sont pourvus en cassation. Le 8 juin 1999, la Cour suprême a cassé l'arrêt en cause, pour non-respect des droits de la défense et renvoyé l'affaire à la chambre d'accusation. Le 27 février 2001, la chambre d'accusation a rendu, à nouveau, un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel. Les auteurs se sont alors, à nouveau, pourvus en cassation le 7 avril 2001. Le 29 avril 2002, la Cour suprême a cette fois confirmé l'arrêt de renvoi. Les auteurs ont comparu devant le tribunal criminel d'Alger en octobre 2002; ils ont été acquittés le 16 juillet 2003.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs estiment que leur cas résulte d'une instrumentalisation de la justice dans le cadre d'une campagne politicienne dite de moralisation et de lutte contre la corruption. Ils font valoir que leurs griefs ont trait respectivement à leur détention arbitraire, au non-respect du délai raisonnable de jugement, ainsi qu'à leur «mort civile».
3.2 Relativement au premier grief, les auteurs expliquent que leur détention préventive du 9 mars 1996 au 7 septembre 1999, soit trois ans et six mois, constitue une violation flagrante de l'article 125 du Code de procédure pénale algérien qui limite ladite détention à une période maximale de seize mois. Plusieurs demandes de mise en liberté provisoire avaient été rejetées alors même que des retards excessifs dans la procédure d'instruction relevaient de la seule responsabilité des magistrats. Les auteurs font valoir une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.
3.3 Concernant le second grief, les auteurs n'ont été jugés et acquittés que le 16 juillet 2003, alors qu'ils avaient été inculpés le 9 mars 1996, et ceci sans qu'aucune responsabilité dans les retards accumulés en cours de procédure ne puisse leur être attribuée, puisque c'est la chambre d'accusation qui a changé d'experts à plusieurs reprises. Les auteurs considèrent que les différents rapports d'expertise ne constatent aucun détournement ou malversation, mais font état de préjudices dus à une prétendue mauvaise gestion. Finalement, ils estiment qu'ainsi la présomption d'innocence a été violée et que, plus généralement, les conditions du droit à un procès équitable ont été compromises. Les auteurs font valoir des violations des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphes 1, 2 et 3 c).
3.4 Au sujet du troisième grief, les auteurs estiment que la saisie du patrimoine immobilier d'Abdelhamid Taright et le blocage des comptes bancaires de tous les auteurs sont contraires à l'article 84 du Code de procédure pénale algérien et à la jurisprudence ne permettant que la saisie des biens en rapport direct avec l'infraction, à l'exclusion des biens personnels. Ils précisent que les demandes du conseil de levée de la saisie n'ont pas abouti. Les auteurs concluent être ainsi privés de leur personnalité juridique (art. 16 du Pacte) et frappés de «mort civile», ce qui constitue également, selon eux, un traitement cruel et inhumain (art. 7 du Pacte), une atteinte à la dignité de la personne humaine (art. 10, par. 1) ainsi qu'à l'honneur et à la réputation (art. 17).
3.5 Concernant les recours devant les juridictions internes, au sujet du premier grief, les auteurs, après avoir fait état des recours auprès du juge d'instruction et de la chambre d'accusation, précisent que, conformément à l'article 495 a) du Code de procédure pénale algérien, les arrêts de la chambre d'accusation en matière de détention préventive n'étaient pas susceptibles de pourvoi en cassation. Au sujet du second grief, les auteurs font valoir que le retard excessif quant à l'absence de jugement était imputable aux autorités judiciaires d'Alger. Concernant le troisième grief, outre les recours ci-dessus mentionnés, les auteurs déclarent ne pas s'être pourvus en cassation contre l'arrêt de la chambre d'accusation du 17 novembre 1996 car, d'une part, la saisie étant une mesure provisoire sur laquelle la juridiction de jugement doit statuer, le pourvoi n'avait aucune chance d'aboutir, et d'autre part un tel pourvoi aurait eu pour effet de suspendre toute la procédure durant une année environ, jusqu'à ce que la Cour suprême statue.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans sa note verbale du 11 juillet 2002, l'État partie conteste, en premier lieu, la recevabilité de la communication. D'après lui, les auteurs n'ont pas épuisé les voies de recours internes prévues par la législation nationale et reconnaissent eux-mêmes que l'affaire était encore au stade de l'instruction et qu'elle était encore pendante devant la chambre d'accusation lorsqu'ils ont saisi le Comité le 5 janvier 1999. L'État partie ajoute que les auteurs ont continué à exercer les voies de recours internes non encore épuisées après avoir saisi le Comité. Ils se sont, en effet, pourvus en cassation contre l'arrêt de la chambre d'accusation du 30 décembre 1998 qui les a renvoyés devant le tribunal criminel.
4.2 L'État partie rappelle la chronologie des faits et souligne qu'ayant estimé les faits suffisamment graves et après avoir notifié aux auteurs les motifs de leur accusation et recueilli leurs déclarations, le juge d'instruction a ordonné leur placement en détention provisoire, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale algérien. Il note que la complexité de l'affaire demandait une série d'expertises judiciaires et rappelle qu'alors que le tribunal criminel s'apprêtait à juger l'affaire les auteurs ont choisi de se pourvoir en cassation à deux reprises, prolongeant ainsi la procédure.
4.3 L'État partie estime que non seulement les voies de recours internes ne sont pas épuisées, la justice étant encore saisie de l'affaire, (1) mais également que ces recours fonctionnent puisqu'ils ont abouti à la cassation du premier arrêt de renvoi, à la modification des chefs d'accusation, et à la révision à la baisse du montant estimé des préjudices. Ces recours ont également permis aux auteurs d'être libérés avant leur jugement alors que la loi autorise la chambre d'accusation à les maintenir en détention jusqu'à leur comparution devant le tribunal criminel. En conséquence, les auteurs n'ayant pas épuisé toutes les voies de recours internes, leur communication est irrecevable.
4.4 En ce qui concerne le bien-fondé de la communication, l'État partie insiste sur le fait que les mesures provisoires, conservatoires ou d'investigation ont été ordonnées par un juge d'instruction saisi conformément à la loi, dans le cadre d'une information judiciaire. Il estime que les auteurs ont bénéficié de toutes les garanties énoncées dans le Pacte, pour ce qui est de leur arrestation, de leur mise en détention et des accusations portées contre eux.
4.5 S'agissant de la détention provisoire, l'État partie rappelle qu'elle a été ordonnée le 9 mars 1996 dans le cadre d'une information judiciaire en matière criminelle qui permet au juge d'instruction de maintenir en détention les accusés pour une durée n'excédant pas seize mois selon l'article 125 du Code de procédure pénale. Il note que le juge d'instruction a clôturé son dossier par ordonnance de transmission des pièces au Procureur général dans les délais fixés par le Code de procédure pénale. Il explique que le maintien en détention des auteurs au-delà de la durée de seize mois s'est fait en application de l'article 166 du Code de procédure pénale qui dispose que:
Si le juge d'instruction estime que les faits constituent une infraction qualifiée de crime par la loi, il ordonne que le dossier de la procédure et un état des pièces servant à conviction soient transmis sans délai par le Procureur de la République au Procureur général près la Cour, pour être procédé ainsi qu'il est dit au chapitre relatif à la chambre d'accusation. Le mandat d'arrêt ou de dépôt conserve sa force exécutoire jusqu'à ce qu'il ait été statué par la chambre d'accusation.
L'État partie note que la chambre d'accusation avait estimé que l'instruction était incomplète, avait ordonné un supplément d'information et avait maintenu les auteurs en détention en attendant de se prononcer sur le fond, ce qu'elle a fait le 30 décembre 1998. Une fois renvoyés devant le tribunal criminel, les auteurs ont été maintenus en détention jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement en application de l'article 198 du Code de procédure pénale qui prévoit que:
La chambre d'accusation décerne, en outre, une ordonnance de prise de corps contre l'accusé poursuivi pour crime dont elle précise l'identité. Cette ordonnance est immédiatement exécutoire. […] Elle conserve sa force exécutoire contre l'accusé détenu, jusqu'au prononcé du jugement par le tribunal criminel.
4.6 L'État partie souligne que les auteurs auraient été jugés dès le début de l'année 1999 s'ils n'avaient pas multiplié les recours en cassation. Il note que la chambre d'accusation a quand même usé des prérogatives que lui confère la loi pour ordonner la libération des auteurs avant leur comparution devant le tribunal criminel et a autorisé l'un d'eux à quitter le territoire national pour raisons de santé. L'État partie estime donc que les allégations de violation des articles 9 et 14 sont infondées.
4.7 En tout état de cause et dans le cas où la juridiction de jugement déciderait d'acquitter les auteurs, (2) l'État partie précise que ces derniers auront le droit de saisir la Commission d'indemnisation instituée au niveau de la Cour suprême, en réparation du préjudice subi du fait de leur détention provisoire, conformément à l'article 137 bis et suivants du Code de procédure pénale.
4.8 En ce qui concerne la prétendue «mort civile» et la violation des articles 7, 10 et 16 du Pacte, du fait de la décision du juge d'instruction de saisir un terrain appartenant à Abdelhamid Taright et de bloquer les comptes bancaires de tous les auteurs, l'État partie précise que cette mesure, qui est bien une mesure provisoire et conservatoire, n'a pas porté sur l'ensemble des biens des auteurs, a été prise par le juge d'instruction pour la sauvegarde des droits des parties et du Trésor, et qu'en tout état de cause il appartient à la juridiction de jugement de se prononcer sur sa régularité et la suite à lui donner.
Commentaires de l'auteur et observations de l'État partie
5. Par lettre du 17 mars 2003, le conseil a indiqué qu'il ne souhaitait pas faire de commentaires sur les observations de l'État partie.
6. Par note verbale du 12 novembre 2003, l'État partie a informé le Comité qu'il n'avait pas d'observations supplémentaires à présenter.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
7.3 Relativement à l'épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l'État partie soutenant que les auteurs n'avaient pas épuisé les recours internes lors de la saisine du Comité et qu'ils ont continué ensuite à exercer les voies de recours internes non encore épuisées. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la question de l'épuisement des voies de recours internes est décidée au moment de son examen par le Comité, sauf circonstances exceptionnelles, (3) ce qui n'est pas le cas pour la présente communication.
7.4 Eu égard au grief de violation de l'article 9, paragraphes 1 et 3, le Comité a pris note des arguments des auteurs selon lesquels les arrêts de la chambre d'accusation en matière de détention préventive ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation, selon l'article 495 a) du Code de procédure pénale. L'État partie n'ayant pas contesté ces informations et tout en notant que les auteurs ont été libérés le 7 septembre 1999 par arrêt de la chambre d'accusation, le Comité estime que les voies de recours internes ont été épuisées.
7.5 Eu égard au grief de violation de l'article 14, paragraphe 3 c), le Comité constate que le problème de non-respect du délai raisonnable de jugement a été soulevé par les auteurs à maintes reprises devant les juridictions internes. Il note, en particulier, que les auteurs ont introduit le 26 janvier 1998 une requête pour protester contre le retard pris par les trois experts qui avaient été désignés le 17 novembre 1996, c'est-à-dire quatorze mois plus tôt. En conséquence, le Comité conclut que la communication est recevable quant à une possible violation de l'article 14, paragraphe 3 c).
7.6 Concernant les arguments des auteurs selon lesquels la saisie de leurs biens représente une violation des articles 7, 10, paragraphe 1, 16 et 17 du Pacte, le Comité estime que les auteurs ont insuffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité.
7.7 Eu égard aux griefs de violation de l'article 14, paragraphes 1 et 2, le Comité estime que les auteurs ont insuffisamment étayé leurs allégations, aux fins de la recevabilité.
7.8 Le Comité conclut que les griefs des auteurs de violations des articles 9, paragraphes 1 et 3, et 14, paragraphe 3 c), ont été suffisamment étayés, et sont recevables. Il procède donc à leur examen sur le fond.
Examen au fond
8.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.2 Eu égard aux griefs de violations de l'article 9, paragraphes 1 et 3, le Comité note que les allégations des auteurs ont trait à la durée et au caractère arbitraire de leur détention. Le Comité constate que les auteurs ont fait l'objet d'une détention préventive entre le 9 mars 1996 et le 7 septembre 1999, soit trois ans et demi. Le Comité a pris note des renseignements de l'État partie sur les accusations portées contre les auteurs, les fondements juridiques de leur mise en détention, ainsi que les exigences en matière de procédure découlant du Code de procédure pénale. En outre, il a noté l'affirmation de l'État partie selon laquelle la complexité de l'affaire avait nécessité une série d'expertises judiciaires qui s'étaient conclues par l'arrêt du 30 décembre 1998 de la chambre d'accusation de renvoi des accusés devant la juridiction de jugement, et que cette procédure et en conséquence la détention des auteurs avaient également été prolongées du fait du pourvoi en cassation des auteurs le 31 janvier 1999.
8.3 Le Comité réaffirme, conformément à sa jurisprudence, que la détention avant jugement doit être l'exception et que la libération sous caution doit être accordée sauf dans les cas où le suspect risque de se cacher ou de détruire des preuves, de faire pression sur les témoins ou de quitter le territoire de l'État partie. De même, l'historique de la rédaction du paragraphe 1 de l'article 9 confirme qu'il ne faut pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais plutôt l'interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste, imprévisible, et contraire à la légalité. En outre, le maintien en détention provisoire après une arrestation légale doit non seulement être légal, mais aussi être raisonnable à tous égards. Or, le Comité constate que l'État partie n'a pas suffisamment justifié son argumentation, d'une part, sur les raisons du placement en détention provisoire des auteurs, et, d'autre part, sur la complexité de l'affaire pouvant justifier le maintien en détention.
8.4 Le Comité estime, en outre, que la responsabilité des auteurs dans le prolongement de la procédure en raison de leurs recours en cassation ne peut être établie. À cet égard, il constate que les expertises judiciaires se sont succédé uniquement sur décision des autorités et pour certaines sur la base de motifs qui ne peuvent être considérés comme raisonnables. En l'occurrence, il note la décision de la chambre d'accusation, par arrêt du 10 février 1998, de décharger le collège de trois experts de leur mission en raison de leurs honoraires abusifs, alors même que ces experts avaient été désignés par cette même chambre d'accusation par arrêt du 17 novembre 1996, et ceci après son rejet du rapport du premier expert qui avait été désigné le 30 mars 1996. Le Comité note également que le premier pourvoi en cassation des auteurs a conduit la Cour suprême à renvoyer l'affaire à la chambre d'accusation en raison de violations des droits de la défense liées aux rapports d'expertise. En l'absence d'autres informations ou de justifications suffisamment convaincantes sur la nécessité et le caractère raisonnable du maintien en détention des auteurs durant trois ans et six mois, le Comité conclut à une violation des paragraphes 1 et 3 de l'article 9.
8.5 Concernant le grief de violation de l'article 14, paragraphe 3 c), le Comité note que bien que les auteurs aient été inculpés de plusieurs infractions pénales le 9 mars 1996, l'instruction des chefs d'inculpation et leur examen n'ont abouti à un jugement en première instance que le 16 juillet 2003, soit sept ans et trois mois après leur inculpation. Aux termes du paragraphe 3 c) de l'article 14, toute personne a droit «à être jugée sans retard excessif». De l'avis du Comité, les arguments avancés par l'État partie ne peuvent servir à justifier des retards excessifs dans la procédure judiciaire. Le Comité estime également que l'État partie n'a pas démontré que la complexité de l'affaire et le pourvoi en cassation des auteurs étaient de nature à justifier ce retard dans la procédure judiciaire. Il conclut donc à une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
10. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de fournir aux auteurs une réparation appropriée. L'État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 de celui-ci, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.
__________________________
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Les observations de l'État partie datent de novembre 2002.
2. Les observations de l'État partie datent de novembre 2002.
3. Voir communication no 925/2000, Kuok Koi c. Portugal, décision d'irrecevabilité adoptée le 22 octobre 2003, par. 6.4.