Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1086/2002 présentée
au nom de M. Sholam Weiss en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L'ARTICLE 5
DU PROTOCOLE FACULTATIF
1.1 L'auteur de la communication, initialement datée du 24 mai 2002, est Sholam
Weiss, ayant la double nationalité américaine et israélienne, né le 1er avril
1954. Quand il a envoyé sa communication, il se trouvait en détention en Autriche,
en attendant d'être extradé vers les États-Unis d'Amérique («les États-Unis»).
Il se déclare victime de violations par l'Autriche du paragraphe 3 de l'article
2, de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il se dit
également victime d'une violation du droit de ne pas faire l'objet d'une détention
illégale et du droit à l'«égalité devant la loi», ce qui peut soulever des
questions au regard des articles 9, 26 et 14, paragraphe 1, du Pacte. Par
la suite, ayant été extradé il s'est déclaré victime de ce fait d'une violation
du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, ainsi que de l'article premier et
de l'article 5 du Protocole facultatif. L'auteur est représenté par un conseil.
1.2 Le 24 mai 2002, le Comité, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur
spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l'État partie, en
application de l'article 86 de son règlement intérieur de ne pas extrader
l'auteur tant qu'il n'aurait pas reçu et examiné la réponse de l'État partie
sur la question de savoir s'il y avait un risque de préjudice irréparable,
comme le conseil le faisait valoir. Le 9 juin 2002, l'État partie a extradé
l'auteur vers les États-Unis sans avoir envoyé au Comité les renseignements
demandés.
1.3 En ratifiant le Protocole facultatif, l'État partie a émis une réserve
rédigée comme suit: «La République autrichienne ratifie le Protocole facultatif
… étant entendu que, conformément aux dispositions de l'article 5,
paragraphe 2 dudit Protocole, … le Comité des droits de l'homme ne
devra examiner aucune communication émanant d'un particulier sans s'être
assuré que la même question n'a pas déjà été examinée par la Commission
européenne des droits de l'homme établie en vertu de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.».
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Accusé de nombreux chefs d'escroquerie, de racket et de blanchiment
d'argent, l'auteur a été jugé par le tribunal de district de Floride. Pendant
tout le procès, qui s'est ouvert le 1er novembre 1998, il était représenté
par un défenseur qu'il avait choisi lui-même. Le 29 octobre 1999, alors
que le procès entrait dans la phase de délibération du jury, l'auteur a
quitté précipitamment le prétoire et a pris la fuite. Le 1er novembre 1999,
il a été reconnu coupable de tous les chefs d'inculpation. Après avoir entendu
l'accusation et la défense qui étaient opposées sur la question de savoir
s'il convenait de condamner l'accusé en son absence, la cour a fini par
condamner l'auteur par contumace, le 18 février 2000, à un emprisonnement
de 845 ans [avec possibilité de remise de peine pour bonne conduite à 711
années (sic)] et à une peine financière dépassant 248 millions de
dollars É.-U.
2.2 Le conseil de l'auteur a déposé une déclaration d'appel dans le délai
légal de dix jours. Le 10 avril 2000, la cour d'appel de la onzième circonscription
a rejeté la demande du conseil de l'auteur qui sollicitait un report du
rejet de l'appel et a débouté le condamné en appliquant la règle qui veut
que l'accusé en fuite renonce à ses droits. En vertu de cette règle, la
cour d'appel peut rejeter un recours formé par un fugitif au seul motif
que l'appelant est en fuite. Cette décision a mis un terme à la procédure
pénale engagée contre l'auteur aux États-Unis.(1)
2.3 Le 24 octobre 2000, l'auteur a été arrêté à Vienne (Autriche) en vertu
d'un mandat d'arrêt international et il a été placé en détention extraditionnelle
le 27 octobre 2000. Le 18 décembre 2000, les États-Unis ont adressé aux
autorités autrichiennes une demande d'extradition. Le 2 février 2001, le
juge d'instruction du tribunal pénal régional de Vienne (Landesgericht
für Strafsachen) a recommandé à la cour d'appel régionale de Vienne
(Oberlandesgericht), tribunal de premier et de dernier ressort pour
ce qui est de la recevabilité d'une demande d'extradition, de faire droit
à la demande des États-Unis.
2.4 Le 25 mai 2001, la cour d'appel régionale de Vienne a demandé aux autorités
des États-Unis s'il existait encore pour l'auteur une possibilité de faire
appel de sa condamnation et de sa peine. Le 21 juin 2001, l'Attorney General
des États-Unis a déposé une motion d'urgence visant à rétablir le recours
que l'auteur avait formé auprès de la cour d'appel de la onzième circonscription.
Le conseil de l'auteur n'a pris explicitement aucune position à ce sujet
mais a contesté que l'État ait qualité pour déposer une telle requête au
nom de l'auteur. Le 29 juin 2001, la cour a rejeté la motion. Le 5 juillet
2001, le procureur des États-Unis a déposé une autre motion d'urgence auprès
de la cour de district de Floride (district du centre), en vue de faire
annuler le jugement de ce tribunal. Le 6 juillet 2001, la cour a rejeté
la motion et a confirmé que son arrêt n'était pas susceptible de révision.
2.5 Le 13 août 2001, l'auteur a adressé une requête à la Cour européenne
des droits de l'homme («la Cour européenne») en faisant valoir que son extradition
constituerait une violation des dispositions ci-après de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales («la Convention
européenne»): l'article 3 parce qu'il devrait exécuter une peine obligatoire
de réclusion à perpétuité; l'article 6 et l'article 2 du Protocole no 7
parce que sa condamnation et sa peine avaient été prononcées par contumace
et qu'aucune voie de recours ne lui était ouverte; l'article 5 parce que
sa détention extraditionnelle était illégale; et l'article 13.
2.6 Le 11 septembre 2001, la cour d'appel régionale de Vienne a refusé
l'extradition demandée par les États-Unis, en avançant pour seul motif qu'il
était contraire à l'article 2 du Protocole no 7 de la Convention européenne
d'extrader l'auteur sans avoir l'assurance qu'il pourrait exercer tous les
recours disponibles.(2)
2.7 Le procureur de l'État (qui est le seul à avoir qualité pour former
un tel pourvoi) a fait appel de la décision de la cour d'appel régionale
auprès de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Le 9 avril 2002,
la Cour suprême a statué que la décision de la cour d'appel régionale n'était
pas valable parce qu'elle n'était pas compétente pour examiner la question
du droit d'appel en vertu de l'article 2 du Protocole no 7 à la Convention
européenne. Cette cour ne pouvait examiner que les aspects spécifiques énoncés
dans la loi sur l'extradition (déterminer si l'auteur avait bénéficié d'un
procès équitable et si sa peine pourrait constituer un traitement ou une
peine cruel, inhumain ou dégradant); le Ministre de la justice était la
seule autorité ayant compétence pour examiner toute autre question (y compris
le droit d'appel) quand il décidait si la personne dont l'extradition avait
été judiciairement déclarée recevable allait ou non être extradée. L'arrêt
de la cour d'appel régionale a donc été annulé et l'affaire a été renvoyée.
2.8 Le 8 mai 2002, la cour d'appel régionale, ayant réexaminé l'affaire,
a conclu que l'extradition était recevable pour tous les chefs d'accusation
sauf celui de «faux témoignage en tant que défendeur» (pour lequel l'auteur
avait été condamné à 10 ans d'emprisonnement). Conformément à la décision
de la Cour suprême, la cour a conclu que l'auteur avait bénéficié d'un procès
équitable et que sa condamnation ne serait pas cruelle, inhumaine ou dégradante.
Elle n'a pas traité de la question du droit d'appel. Le 10 mai 2002, le
Ministre de la justice a autorisé l'extradition de l'auteur vers les États-Unis
sans mentionner les autres questions relatives aux droits fondamentaux de
l'auteur.(3)
2.9 Le 10 mai 2002, la Cour européenne des droits de l'homme a demandé
des mesures provisoires de sursis à l'extradition. Le 16 mai 2002, ayant
reçu les observations de l'État partie, la cour a décidé de ne pas prolonger
l'application des mesures provisoires. À la demande de l'auteur, la Cour
constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) a rendu une injonction,
en date du 17 mai 2002, ordonnant le sursis à exécution de l'extradition
(jusqu'au 23 mai 2002).
2.10 Le 23 mai 2002, la Cour constitutionnelle a refusé de faire droit
à une demande de décision déposée par l'auteur, au motif que ses chances
d'aboutir étaient insuffisantes et qu'elle n'était pas exclue de la compétence
du Tribunal administratif (Verwaltungsgerichtshof). La cour a donc
mis fin à l'injonction de sursis. Le même jour, l'auteur s'est de nouveau
adressé à la Cour européenne des droits de l'homme pour demander des mesures
provisoires et sa requête a été rejetée.
2.11 Le 24 mai, l'auteur a informé la Cour européenne qu'il retirait sa
demande «avec effet immédiat». Le même jour, il a déposé une requête auprès
du Tribunal administratif pour contester la décision du Ministre d'autoriser
son extradition et pour demander un sursis à l'exécution de la mesure en
attendant une décision sur le fond. Le sursis a été accordé et renvoyé au
Ministère de la justice et au tribunal pénal régional de Vienne.
2.12 Le 26 mai, les autorités ont voulu livrer l'auteur. Après un coup
de téléphone de l'officier responsable de la police de l'aéroport au Président
du tribunal administratif, l'auteur a été renvoyé dans un centre de détention,
en raison du sursis qui avait été ordonné par le tribunal administratif
et de son mauvais état de santé. Le 6 juin 2002, le juge d'instruction du
tribunal pénal régional de Vienne a statué que le tribunal administratif
n'était pas compétent pour examiner une procédure d'extradition ou pour
empêcher l'exécution d'une décision d'extradition et a ordonné que l'auteur
soit livré. Le 9 juin 2002, l'auteur a été transféré de sa prison et des
Ministères de la justice et de l'intérieur à la juridiction des autorités
militaires américaines à l'aéroport de Vienne puis a été renvoyé aux États-Unis.
2.13 Quand l'auteur a été extradé, il restait deux actions en cours devant
la Cour constitutionnelle, dont aucune n'avait d'effet suspensif en vertu
de la loi de l'État partie. Tout d'abord, l'auteur avait déposé le 25 avril
2002 une action pour contester la constitutionnalité de plusieurs dispositions
de la loi d'extradition de l'État partie, ainsi que du traité d'extradition
conclu avec les États-Unis, en particulier la façon dont le jugement par
contumace y est traité. Deuxièmement, il avait déposé le 17 mai 2002 une
motion tendant à demander une décision pour trancher le conflit négatif
d'attributions (Antrag auf Entscheidung eines negativen Kompetenzkonfliktes)
afin de résoudre la question de savoir si c'est à un tribunal administratif
ou à une juridiction de l'ordre judiciaire qu'il appartient de se prononcer
sur le droit à un recours, étant donné que la cour d'appel régionale aussi
bien que le Ministre de la justice avaient refusé de traiter de cette question.
2.14 Le 13 juin 2002, le tribunal administratif a statué que, vu que l'auteur
avait été renvoyé dans son pays en violation du sursis ordonné, les procédures
étaient privées de tout objet et il les a donc suspendues. Il a relevé que
le but de l'ordonnance de sursis à extradition était de préserver les droits
de l'auteur en attendant l'issue des actions principales et que désormais
aucune mesure ne pouvait être prise au détriment de l'auteur sur la base
de la décision attaquée du Ministre. En conséquence, le renvoi de l'auteur
n'avait pas de base légale suffisante.
2.15 Le même jour, la Cour européenne des droits de l'homme a pris acte
du souhait de l'auteur de retirer sa requête. Après avoir pris connaissance
des faits et des griefs, elle a conclu que le respect des droits de l'homme
garantis dans la Convention et dans les protocoles y relatifs ne rendait
pas nécessaire la poursuite de l'examen de l'affaire même si l'auteur souhaitait
retirer sa demande, et a radié la requête.(4)
2.16 Le 12 décembre 2002, la Cour constitutionnelle s'est prononcée en
faveur de l'auteur, statuant que la cour d'appel régionale devait examiner
toutes les questions relatives à la recevabilité se rapportant aux droits
de l'homme de l'auteur, notamment la question du droit d'appel. Il s'ensuit
que la décision formelle d'extrader l'intéressé prise par le Ministre devait
tenir compte de toutes autres questions relatives à la dignité humaine qui
pouvaient se poser. La Cour a également établi que l'impossibilité dans
laquelle se trouvait l'auteur du fait de la loi d'extradition de l'État
partie de contester une décision de la cour d'appel régionale ouvrant droit
à une demande d'extradition était contraire aux principes de la légalité
et à la Constitution.
Teneur de la plainte
3.1 Dans sa première communication (adressée avant d'avoir été extradé),
l'auteur affirme que son extradition vers les États-Unis entraînerait pour
lui l'impossibilité d'être présent dans l'État partie pour faire valoir
ses griefs dans cette juridiction. En particulier, il ne pourrait pas bénéficier
des recours qui découleraient de la décision de la Cour constitutionnelle
quand elle aurait tranché le conflit négatif d'attributions et déterminé
quelle juridiction ou autorité administrative devait examiner le grief de
déni du droit à un procès équitable/droit d'appel ainsi que de l'examen
ultérieur de cette question par l'autorité compétente, selon les prescriptions
du paragraphe 5 de l'article 14 et du paragraphe 3 de l'article 2, lus conjointement.
L'extradition l'empêcherait d'obtenir certains résultats comme la décision
pure et simple de ne pas l'extrader, l'extradition consentie pour une peine
équivalente à celle qui serait prononcée dans l'État partie ou l'extradition
sous réserve de la possibilité d'exercer l'intégralité des droits de recours.
Il fait valoir que ni les tribunaux ni les autorités administratives de
l'État partie n'ont jamais examiné sur le fond la question du déni aux États-Unis
du droit à un procès équitable/droit d'appel.
3.2 L'auteur ajoute que si l'État partie l'extradait, il faciliterait et
cautionnerait la violation du droit consacré au paragraphe 5 de l'article
14 qu'il affirme avoir déjà subie aux États-Unis. Eu égard à l'issue de
la procédure pénale aux États-Unis, l'extradition dans ce pays serait illégale,
en premier lieu parce qu'il a été reconnu coupable et condamné par contumace
et en deuxième lieu parce qu'il n'a pas eu et qu'il n'a toujours pas de
possibilité de faire appel de la déclaration de culpabilité ou de la peine,
en application de la règle qui veut que l'accusé en fuite est déchu de ce
droit. Plus précisément, il ne peut pas faire appel du fait qu'il a été
reconnu coupable et condamné par contumace. L'auteur fait valoir que tel
qu'il est garanti dans le Pacte, le droit à un procès équitable/droit d'appel
est obligatoire et que s'il n'était pas respecté, l'extradition serait illégale.
3.3 L'auteur invoque une violation du droit à l'égalité devant la loi.
Seul le procureur de l'État a la faculté de former un pourvoi devant la
Cour suprême contre une décision de la cour d'appel régionale sous réserve,
selon la loi de l'État partie, que ce pourvoi ne puisse pas opérer au détriment
de la personne qui a été jugée et dont le jugement est attaqué, étant donné
qu'elle ne peut pas elle-même se prévaloir du même recours. En l'espèce,
la Cour suprême a annulé la décision de la cour d'appel régionale qui avait
statué que l'auteur ne pouvait pas être extradé et a renvoyé l'affaire,
laquelle a été réexaminée sans que le droit de l'auteur à un procès équitable/droit
d'appel ait été pris en considération.
3.4 L'auteur fait valoir que sa condamnation à un emprisonnement de 845
ans, sans possibilité de remise en liberté avant au moins 711 ans, est une
peine «exceptionnelle et grotesque», «inhumaine» et équivalente à la forme
la plus grave d'incarcération pour ne pas dire qu'elle équivaut à une torture.
Il fait valoir qu'il y a une violation «manifeste et irréversible» du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte du fait de la longueur excessive de la peine
et de l'absence de possibilité de libération pendant la vie d'un homme ou
de possibilité de recours. L'État partie est responsable du fait que ses
tribunaux et ses autorités administratives n'ont pas examiné la question.
3.5 Enfin, l'auteur se plaint d'être en détention illégalement. D'après
lui, comme l'extradition est illégale puisqu'il n'a pas eu droit à un procès
équitable/appel, la détention extraditionnelle est automatiquement illégale.
3.6 En ce qui concerne la recevabilité de la plainte, l'auteur fait valoir
que, depuis que la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt, tous les recours
utiles sont épuisés. Il affirme que les questions soulevées dans la communication
ne sont pas «en cours d'examen» au sens du paragraphe 2 de l'article 5 du
Protocole facultatif, au titre de la procédure européenne (ou autre) d'enquête
ou de règlement. La réserve émise par l'État partie à l'égard du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif n'empêche pas non plus le Comité
d'examiner la communication.
3.7 L'auteur fait valoir tout d'abord qu'il n'y a jamais eu de décision
formelle de la Cour européenne concernant la recevabilité ou le fond de
sa requête mais qu'il n'y a eu que des décisions de procédure. Étant donné
l'interprétation donnée par le Comité dans l'affaire Pauger c. Autriche
(5) au mot «examinée» utilisé par l'Autriche dans sa réserve,
il fait valoir que ces décisions de procédure ne constituent pas un «examen»
de l'affaire. Deuxièmement, quand elle était pendante, la requête n'a pas
été transmise à l'État partie pour qu'il formule ses observations sur la
recevabilité ou sur le fond. Troisièmement, en tout état de cause, la communication
porte en partie sur des droits (comme le paragraphe 3 de l'article 2 et
le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte) qui ne font pas l'objet de dispositions
de la Convention européenne.
3.8 Par une lettre datée du 19 juin 2002 (après son extradition), l'auteur
fait valoir que son renvoi n'empêche pas le Comité d'examiner la communication
et ne doit pas non plus avoir d'effet sur les mesures provisoires demandées
par le Comité. Il se réfère au débat que le Comité avait eu au sujet des
obligations des États parties à l'occasion de l'examen d'une affaire précédente,
dans laquelle une demande de mesures provisoires n'avait pas été respectée.(6)
Il invoque la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale,
indiquant que la participation à un système de justice internationale implique
que l'État partie accepte l'obligation de s'abstenir de toute mesure propre
à avoir un effet préjudiciable à l'égard de l'exécution de la décision qui
sera rendue et, d'une façon générale, de ne pas permettre que soit prise
une quelconque mesure qui pourrait aggraver ou prolonger le litige. (7)
De même, la Cour internationale de Justice a statué que les mesures
provisoires qu'elle demandait étaient obligatoires pour les parties à un
litige dont elle était saisie.(8)
3.9 Dans le cas d'espèce, l'auteur fait valoir que, d'après la jurisprudence
du Comité, il encourt un risque de préjudice irréparable. Dans l'affaire
Stewart c. Canada,(9) des mesures provisoires avaient
été demandées alors qu'il n'était pas probable que l'auteur puisse retourner
dans son pays d'adoption, le Canada, tandis que dans le cas d'espèce il
n'y a aucune possibilité d'être libéré de prison.
3.10 L'auteur rappelle qu'en ce qui le concerne il ne s'agit pas d'une
affaire où il s'est écoulé peu de temps entre le moment où des mesures provisoires
ont été demandées (24 mai 2002) et le moment où la mesure que l'on cherchait
à éviter a été exécutée (9 juin 2002). Il demande donc au Comité de demander
à l'État partie d'expliquer par quels faits il justifie son renvoi, s'il
a tenu compte de la demande de mesures provisoires et de quelle façon, et
comment il comptait s'acquitter de ses obligations persistantes.
Réponse de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la
communication
4.1 Par une réponse datée du 24 juillet 2002, l'État partie a contesté
la communication autant du point de vue de la recevabilité que du fond.
Il fait valoir que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Tout en
reconnaissant que le Comité n'exige pas d'ordinaire que les procédures internes
aient été achevées au moment où la communication est adressée, il souligne
que ces procédures doivent avoir été achevées au moment où le Comité examine
la communication. (10) Étant donné qu'une procédure était toujours
en cours devant la Cour constitutionnelle au moment où l'État partie adresse
sa réponse, cette condition n'a pas été remplie.
4.2 L'État partie rappelle la réserve qu'il a faite à l'égard du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif et objecte qu'une plainte déjà
soumise aux organes européens ne peut pas être soumise au Comité. Il affirme
que la Cour européenne a «examiné» la requête sur le fond - aprÞs
avoir demandÚ ses observations, la Cour a procÚdÚ Ó une indiscutable apprÚciation
du fond de l'affaire. En demandant la radiation de sa requÛte du registre
de la Cour avant de soumettre sa plainte au ComitÚ, l'auteur montre bien
que les griefs qu'il prÚsente aux deux organes sont essentiellement les
mÛmes.
4.3 Pour ce qui est du fond, l'╔tat partie relÞve que l'extradition
en tant que telle n'entre pas dans le champ d'application du Pacte de sorte
qu'il s'agit de dÚterminer si l'╔tat partie soumettrait l'auteur Ó
un traitement contraire au Pacte dans un ╔tat qui n'est pas partie
au Protocole facultatif, par le fait de l'extradition (11) . Du point
de vue de la procédure interne, l'État partie objecte que les juridictions
ordinaires ainsi que les juridictions supérieures de même que les autorités
administratives ont étudié attentivement les arguments développés par l'auteur
et que celui-ci a été représenté par un défenseur de bout en bout des procédures.
L'État partie rappelle que, d'après la jurisprudence de la Cour européenne,
la procédure d'extradition ne doit pas nécessairement être entourée des
mêmes garanties de procédure que la procédure pénale qui est à l'origine
de la demande d'extradition.(12)
4.4 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14, au motif que l'auteur a été reconnu coupable et condamné par contumace,
l'État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui a considéré qu'un
jugement par contumace était compatible avec l'article 14 si l'accusé avait
été cité à comparaître en temps opportun et avait été informé des poursuites
engagées contre lui (13). En l'espèce, l'auteur ne dit pas que ces
conditions n'ont pas été remplies - il a pris la fuite à la fin de
la phase du procès consacrée à la présentation des preuves et quand le jury
s'était retiré pour délibérer et ne s'est jamais présenté de nouveau au
procès. Il n'a donc pas été reconnu coupable par contumace, et le fait que
la condamnation a été prononcée ensuite ne change rien.
4.5 Pour ce qui est de la deuxième allégation de violation du paragraphe
5 de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2,
découlant de l'impossibilité pour l'auteur, du fait de son absence, de bénéficier
d'un procès en appel équitable, l'état partie relève que le paragraphe 5
de l'article 14 garantit un droit d'appel "conformément à la loi╗.
L'état partie en question est donc libre de définir en détail le contenu
de ce droit, du point de vue du fond et du point de vue de la procédure
et peut prévoir, comme dans le cas d'espèce, l'obligation de forme que l'appelant
ne soit pas en fuite quand il se pourvoit. L'auteur était représenté par
un conseil et connaissait la situation légale aux Etats-Unis; on peut donc
raisonnablement conclure de son comportement général, notamment de sa fuite,
qu'il avait renoncé à son droit de faire appel. L'Etat partie relève que
l'auteur n'a pas soutenu la demande de l'Attorney général des Etats-Unis
tendant à rétablir le recours qu'il avait formé, parce qu'il voulait empêcher
son extradition vers les Etats-Unis. Il ne s'est jamais pourvu en appel
et la déclaration d'appel qu'il avait faite est restée sans suite. Pour
ce qui est du traitement qu'il peut attendre à l'avenir à ce sujet, l'Etat
partie signale que son Ministre de la justice a demandé et obtenu que les
autorités américaines compétentes donnent l'assurance que de nouvelles procédures
de détermination de la peine seraient ouvertes à l'auteur pour tous
les chefs d'inculpation.
4.6 En ce qui concerne le grief concernant l'emprisonnement à vie qui,
d'après l'auteur, constituerait une violation du paragraphe 1 de l'article
10, l'État partie fait valoir que cette disposition porte exclusivement
sur les conditions de détention et ne porte pas sur la durée. Il se réfère
à la jurisprudence du Comité qui avait établi que la simple privation de
liberté ne suppose pas une violation de la dignité humaine (14).
D'après l'État partie, la peine de 845 ans d'emprisonnement n'est pas excessive
ni inhumaine au regard des innombrables atteintes aux biens commises et
des pertes subies par des titulaires de pension escroqués. L'État partie
note aussi que la juridiction de jugement n'a pas écarté la possibilité
d'une remise en liberté conditionnelle si l'auteur restituait 125 millions
de dollars et versait une amende de 123 millions de dollars. L'État partie
souligne également que la Cour européenne a certes laissé entendre qu'une
réclusion à perpétuité pouvait soulever des questions au regard de l'article
3 de la Convention européenne mais n'a pas à ce jour fait de constatations
dans ce sens.(15)
4.7 De l'avis de l'État partie, rien dans le Pacte n'empêche d'extrader
quelqu'un vers un État où l'infraction emporte une peine plus lourde (à
l'exception d'une peine corporelle). S'il en était autrement, l'extradition
serait vidée de son utilité en tant qu'outil de coopération internationale
dans l'administration de la justice et de refus de l'impunité, objectif
que le Comité a lui-même mis en relief.(16)
Autres questions liées à la demande de mesures provisoires formulée
par le Comité
5.1 Par une lettre en date du 2 août 2002 adressée au représentant de l'État
partie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, le Comité a, par l'intermédiaire
de son Président, exprimé son profond regret face à l'extradition de l'auteur,
intervenue alors qu'il avait demandé des mesures provisoires de protection.
Le Comité a demandé à l'État partie d'expliquer par écrit les motifs qui
l'ont conduit à ne faire aucun cas de sa demande et de préciser comment
il entendait à l'avenir garantir que de telles demandes soient observées.
Par une note datée du même jour, le Rapporteur spécial pour les nouvelles
communications a prié l'État partie de suivre de près la situation et le
traitement qui serait réservé à l'auteur après son extradition ainsi que
de faire auprès du Gouvernement des États-Unis l'intervention qui serait
jugée utile pour empêcher qu'un préjudice irréparable ne soit porté à l'auteur
en violation des droits garantis dans le Pacte.
5.2 Dans une réponse datée du 15 octobre 2002, l'État partie explique qu'après
réception de la demande de mesures provisoires du Comité, le Ministre fédéral
de la justice a ordonné le 25 mai 2002 au service du Procureur de Vienne
(Staatsanwaltschaft) de demander au juge d'instruction du tribunal
pénal régional de Vienne la suspension de la mesure d'extradition. Le même
jour, le tribunal a répondu en refusant de faire droit à cette demande,
faisant valoir que l'article 86 du règlement intérieur du Comité ne peut
pas infirmer une décision judiciaire ni restreindre la compétence d'une
juridiction nationale indépendante. Le 6 juin 2002, le juge d'instruction
a donc ordonné que l'auteur soit livré.
5.3 Au sujet des questions de droit qui se posent, l'État partie fait valoir
que l'article 86 du règlement intérieur du Comité n'oblige pas les États
à modifier leur constitution de façon à permettre que les demandes de mesures
provisoires aient un effet direct. Une demande de mesures provisoires en
application de l'article 86 «n'a pas en tant que telle d'effet contraignant
en droit international». Une telle requête ne peut pas l'emporter sur une
obligation de droit international contraire, c'est-à-dire une obligation
contractée en vertu du traité d'extradition entre l'État partie et les États-Unis
de livrer un individu quand les conditions nécessaires énoncées dans le
traité ont été respectées. L'État partie souligne que les juridictions autrichiennes
et la Cour européenne ont examiné en détail le cas de l'auteur.
5.4 Pour ce qui est de la situation actuelle, l'État partie fait remarquer
que l'Attorney des États-Unis a demandé à la Cour de district de prononcer
une nouvelle peine (de façon qu'il n'exécute pas de peine pour le délit
de «faux témoignage» pour lequel l'extradition a été refusée). Selon les
informations communiquées à l'État partie, l'auteur bénéficiera, en cas
de nouvelle condamnation, de toutes les possibilités de recours pour attaquer
la (nouvelle) peine et la déclaration de culpabilité initiale elle-même.
L'État partie continuera à demander des renseignements aux autorités des
États-Unis, par les voies appropriées, pour savoir où en est la procédure
aux États-Unis.
Commentaires de l'auteur
6.1 Par une lettre datée du 8 décembre 2002, l'auteur a affirmé qu'il était
victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte pour avoir
été extradé vers les États-Unis en violation de la demande de mesures provisoires
formulée par le Comité. Il invoque les constatations du Comité dans l'affaire
Piandiong c. Philippines.(17)
6.2 Par une lettre du 21 janvier 2003, l'auteur a rejeté l'argument de
l'État partie qui affirme que la demande de mesures provisoires en application
de l'article 86 ne pouvait pas l'emporter sur l'obligation internationale
d'extrader qui découlait de son traité d'extradition avec les États-Unis.
L'auteur relève que le traité lui-même, ainsi que la législation interne
de l'État partie, prévoit la possibilité de refuser l'extradition pour des
motifs liés aux droits de l'homme. En tout état de cause, les dispositions
obligatoires des instruments relatifs aux droits de l'homme applicables
erga omnes, dont le Pacte, priment toutes obligations découlant d'un
traité liant deux États.
6.3 L'auteur fait valoir qu'il existe une obligation exprès en vertu du
droit international, du Pacte et du Protocole facultatif pour l'État partie
de respecter une demande formulée en application de l'article 86 du règlement
intérieur. Cette obligation découle à la fois du paragraphe 3 de l'article
2 du Pacte et de la reconnaissance, au moment de la ratification du Protocole
facultatif, de la compétence du Comité pour déterminer s'il y a eu violation
du Pacte, ce qui implique subsidiairement de respecter le règlement intérieur
que le Comité a valablement établi.
6.4 L'auteur s'appuie sur la jurisprudence du Comité pour faire valoir
que le fait d'exposer quelqu'un à une mesure irréversible avant d'examiner
une affaire va à l'encontre de l'objectif du Protocole facultatif et prive
l'intéressé du recours utile que le Pacte oblige l'État partie à garantir.
(18) Par conséquent, par sa décision (voir plus haut par. 5.2) le
tribunal pénal régional de Vienne a ignoré les obligations découlant directement
de l'article premier et de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité
est invité à demander à l'État partie d'indiquer quelles mesures il entend
prendre pour remédier à cette violation, y compris par la voie diplomatique
auprès des États-Unis, pour rétablir le statu quo ante.
6.5 En ce qui concerne les arguments avancés par l'État partie pour contester
la recevabilité, l'auteur objecte que les procédures encore en cours devant
les tribunaux ne sont pas opportunes ni effectives puisqu'il a été renvoyé
avant qu'elles soient achevées. Quoi qu'il en soit, avec la décision que
la Cour constitutionnelle a rendue le 12 décembre 2002, les recours internes
ont été épuisés. Il rejette l'argument selon lequel la Cour européenne a
«examiné» sa requête au sens de la réserve émise par l'État partie à l'égard
du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif car la décision de
radier l'affaire des registres de la Cour «ne supposait assurément pas une
décision sur le fond».
6.6. Sur le fond, l'auteur maintient qu'il est victime d'une violation
du paragraphe 5 de l'article 14 car l'application de la règle qui veut que
l'accusé en fuite perd ses droits l'a privé de la révision, en appel, de
la déclaration de culpabilité ou de la peine aux États-Unis. L'application
de cette règle a également servi à empêcher la motion des États-Unis tendant
à rétablir le recours qu'il avait formé. L'auteur conteste qu'il ait «renoncé»
à faire recours étant donné que la juridiction d'appel a rejeté sa demande
(la demande de son conseil) de report du rejet du recours. En Autriche,
cette violation a été entérinée puisque aucun tribunal effectivement compétent
n'a examiné cet aspect de l'affaire avant qu'il ne soit extradé. Quand la
Cour constitutionnelle a reconnu que les juridictions inférieures auraient
dû le faire, il était trop tard pour que ce soit un recours utile.
6.7 Pour ce qui est de l'allégation de violation des articles 7 et 10,
l'auteur fait valoir qu'une condamnation à 845 ans d'emprisonnement pour
des délits d'escroquerie était manifestement disproportionnée, élément qui
équivaut à une peine inhumaine(19). L'auteur réfute l'argument tiré
par l'État partie de l'affaire Vuolanne c. Finlande (20)
en faisant remarquer que cette affaire portait sur une privation de
liberté de 10 jours qui ne saurait être comparable à sa peine. Il ajoute
que la réclusion à perpétuité (sans possibilité de libération conditionnelle)
pour un crime non violent est en soi une peine inhumaine. Il invoque une
décision de la Cour constitutionnelle de l'Allemagne qui a établi qu'une
peine de réclusion à perpétuité pour un meurtre était inconstitutionnelle
si elle n'était pas assortie de la possibilité d'une réhabilitation sur
parole et d'une libération conditionnelle.(21) A fortiori, une peine
d'emprisonnement à perpétuité pour un délit qui n'a pas entraîné d'atteintes
physiques ou psychiques irréparables et avec une possibilité de restitution
serait inhumaine. Cette peine est une atteinte à la dignité de l'homme et
l'absence de possibilité de remise de peine fait qu'elle est incompatible
avec le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
6.8 L'auteur rejette l'argument de l'État partie qui affirme qu'il n'y
a rien à redire à une extradition vers un pays où l'intéressé risque une
peine éventuellement plus grave que celle qui est applicable dans l'État
qui extrade car elle est inhérente à la nature de l'extradition, étant donné
qu'à un certain stade, la peine plus lourde devient tellement inhumaine
que le fait d'extrader est un acte inhumain. L'auteur cite les constatations
du Comité dans l'affaire Ng c. Canada (22) à l'appui
de cet argument et renvoie également à la jurisprudence de la Cour européenne
qui laisse entendre qu'une peine de prison totalement disproportionnée comme
peut l'être une condamnation à perpétuité incompressible (différente d'une
torture physique ou psychologique) pourrait également atteindre ce degré
d'inhumanité.(23)
Inobservation de la demande de mesures provisoires de protection
formulée par le Comité
7.1 Le Comité constate, dans les circonstances de l'espèce, que l'État
partie a manqué à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant
l'auteur avant qu'il ait pu examiner son allégation d'atteinte irréparable
aux droits consacrés dans le Pacte. Le Comité est préoccupé en particulier
par la séquence des événements dans cette affaire car, avant de demander
des mesures provisoires de protection directement en supposant que l'extradition
pouvait entraîner pour l'auteur un préjudice irréversible, il avait d'abord
demandé, en application de l'article 86 de son règlement intérieur, les
observations de l'État partie sur le caractère irréparable d'un préjudice
éventuel. En répondant, l'État partie aurait pu montrer au Comité que l'extradition
n'entraînerait pas un préjudice irréparable.
7.2 Demander des mesures provisoires en application de l'article 86 de
son règlement intérieur adopté conformément à l'article 39 du Pacte constitue
un élément essentiel du rôle du Comité en vertu du Protocole. Ne faire aucun
cas de cette demande, en particulier, en prenant des mesures irréversibles
telles que l'exécution de la victime présumée ou son expulsion du territoire
affaiblit la protection des droits énoncés dans le Pacte par l'intermédiaire
du Protocole facultatif.
Délibérations du Comité
Examen de la question de la recevabilité
8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui fait valoir que
les recours internes n'ont pas été épuisés, le Comité relève que le recours
auprès de la Cour constitutionnelle est épuisé depuis que l'État partie
a envoyé sa réponse. Il relève en outre que quand il demande des mesures
provisoires de protection, c'est parce qu'il existe un risque de préjudice
irréparable. Dans de tels cas, un recours dont il est dit qu'il reste ouvert
après que l'acte que les mesures provisoires visent à empêcher s'est produit
est par définition inutile car le préjudice irréparable ne peut pas être
annulé si le recours interne aboutit ensuite à une décision favorable à
l'auteur. En pareil cas, il n'y a plus de recours utile à épuiser après
que l'acte que la demande de mesures provisoires vise à empêcher s'est produit;
spécifiquement, aucun recours approprié n'est ouvert à l'auteur maintenant
qu'il est détenu aux États-Unis même si les juridictions internes de l'État
partie se prononçaient en sa faveur à l'issue des procédures qui étaient
toujours en cours après l'extradition. Le Comité n'est donc pas empêché
en vertu de l'alinéa b du paragraphe 2 de l'article 5 d'examiner
la communication.
8.3 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui fait valoir que
sa réserve à l'égard de l'alinéa a du paragraphe 2 de l'article 5
du Protocole facultatif empêche l'examen de la communication, le Comité
note que cette réserve porte sur les requêtes soumises à la Commission européenne
des droits de l'homme. Supposant que la réserve vaut pour les plaintes reçues
non plus par l'ancienne Commission européenne mais par la Cour européenne
des droits de l'homme, le Comité se réfère à sa jurisprudence et rappelle
que, dans les cas où la Cour européenne est allée plus loin qu'une simple
décision technique ou procédurale concernant la recevabilité, et a procédé
à une appréciation du fond de l'affaire, la plainte a bien été «examinée»
au sens du Protocole facultatif ou, dans le cas d'espèce, au sens de la
réserve émise par l'État partie (24). Dans le cas d'espèce, le Comité
note que la Cour a estimé que le respect des droits de l'homme n'était pas
en jeu au point de justifier la poursuite de l'examen de l'affaire et l'a
radiée de ses registres. Il estime que décider qu'une affaire n'est pas
suffisamment importante pour justifier la poursuite de son examen après
que le requérant a retiré sa plainte n'équivaut pas à procéder à une véritable
appréciation du fond de l'affaire. En conséquence, la plainte ne saurait
être considérée comme ayant été «examinée» par la Cour européenne et le
Comité n'est pas empêché par la réserve de l'État partie d'examiner les
griefs présentés en vertu de la Convention européenne, mais retirés par
l'auteur. En l'absence d'autres obstacles s'opposant à la recevabilité,
le Comité conclut que les questions soulevées dans la communication sont
recevables.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière
de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe
1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle le fait
que la déclaration de culpabilité et la condamnation ont été prononcées
par contumace a entraîné une violation de l'article 14 du Pacte, le Comité
note qu'en l'espèce l'auteur et son défenseur étaient présents pendant toute
la phase du procès consacrée aux plaidoiries et à l'administration des preuves
et que, par conséquent, l'auteur ne pouvait pas ne pas savoir que le jugement
et, en cas de condamnation, la peine allaient être prononcés. Dans ces circonstances,
le Comité, rappelant sa jurisprudence, estime que l'on ne peut faire valoir
qu'il y a eu violation du Pacte par l'État partie du fait que la déclaration
de culpabilité et la condamnation de l'auteur ont été prononcées dans un
autre État.
9.3 Pour ce qui est du grief de l'auteur qui affirme que du fait de l'application
de la règle qui veut que l'accusé en fuite perd ses droits il a été privé
d'un droit d'appel complet, le Comité note qu'il ressort des renseignements
dont il dispose que, comme l'auteur est extradé pour des chefs d'inculpation
moins nombreux que ceux pour lesquels il a été condamné, conformément à
la règle de la spécialité, il fera l'objet d'une nouvelle peine. Selon les
informations communiquées à l'État partie, cette nouvelle condamnation lui
permettra de se pourvoir et d'obtenir la révision complète de la déclaration
de culpabilité et de la peine. Le Comité n'a donc pas à examiner si la règle
qui veut que l'accusé en fuite perd ses droits est compatible ou non avec
le paragraphe 5 de l'article 14 ni si l'extradition vers un pays où un appel
a été rejeté pour ce motif soulève une question au regard du Pacte en ce
qui concerne l'État partie.
9.4 Pour ce qui est de la question de savoir si l'extradition de l'auteur
par l'État partie afin qu'il purge une peine d'emprisonnement à perpétuité
sans possibilité de libération anticipée constitue une violation de l'article
7 et de l'article 10 du Pacte, le Comité relève, comme il l'a exposé dans
le paragraphe précédent, que la déclaration de culpabilité et la peine ne
sont pas encore définitives puisqu'on attend le nouveau prononcé de la peine,
décision qui donnerait la possibilité de former recours contre la déclaration
de culpabilité initiale elle-même. Comme la déclaration de culpabilité et
la peine ne sont pas encore définitives, il est prématuré de déterminer
en fonction de faits qui restent hypothétiques si la situation a fait naître
une responsabilité de l'État partie en vertu du Pacte.
9.5 Ces constatations font qu'il est inutile pour le Comité d'examiner
les autres griefs fondés sur une constatation de violation du Pacte pour
l'un quelconque des éléments ci-dessus.
9.6 En ce qui concerne l'allégation de violation du droit à l'égalité devant
la loi lors des procédures devant les tribunaux de l'État partie, le Comité
relève qu'après avoir adressé sa communication au Comité, l'auteur a obtenu
du Tribunal administratif un sursis à l'exécution de l'extradition tant
que celui-ci ne se serait pas prononcé sur la demande de l'auteur contestant
la décision du Ministre qui avait ordonné son extradition. Il note que,
bien que l'ordre de sursis ait été dûment transmis aux autorités compétentes,
l'auteur a été renvoyé dans la juridiction des États-Unis après plusieurs
tentatives, en violation de l'ordre de sursis du tribunal. Ce dernier, ayant
appris le renvoi de l'auteur, a fait remarquer qu'il avait été extradé en
violation du sursis à l'exécution de la mesure qu'il avait ordonné et qu'il
n'y avait pas de fondement légal à l'extradition; en conséquence, les procédures
étaient caduques et n'avaient plus d'objet compte tenu de l'extradition
et seraient donc arrêtées. Le Comité note en outre que la Cour constitutionnelle
a conclu qu'il était inconstitutionnel que l'auteur ne puisse pas attaquer
une décision défavorable de la cour d'appel régionale, dans la mesure où
le Procureur pouvait faire appel d'un jugement antérieur de la cour d'appel
régionale déclarant l'extradition irrecevable et a de fait exercé ce recours.
Le Comité estime que l'extradition de l'auteur en violation d'un sursis
ordonné par le Tribunal administratif et l'impossibilité pour l'auteur de
faire appel d'une décision qui lui était défavorable de la cour d'appel
régionale alors que le Procureur pouvait le faire constituent une violation
du droit à l'égalité devant les tribunaux garanti au paragraphe 1 de l'article
14, considéré conjointement avec le droit à un recours utile et exécutoire
reconnu au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation par l'Autriche du paragraphe 1 (première
phrase) de l'article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article
2 du Pacte. Il réitère sa conclusion que l'État partie a violé ses obligations
en vertu du Protocole facultatif en extradant l'auteur sans laisser le Comité
examiner la question de savoir s'il subirait de ce fait un préjudice irréparable,
comme il l'affirmait.
11. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile. Étant donné les circonstances,
l'État partie a l'obligation de faire auprès des autorités des États-Unis
les démarches qui peuvent être nécessaires pour garantir que l'auteur ne
subisse pas de violation des droits garantis par le Pacte du fait de son
extradition effectuée en violation des obligations contractées par l'État
partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif. L'État partie est également
tenu de veiller à ce que pareilles violations ne se reproduisent pas à l'avenir,
en particulier en prenant les mesures voulues pour faire en sorte que les
demandes de mesures provisoires de protection que le Comité pourra lui adresser
soient respectées.
12. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures qu'il aura prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations
du Comité.
________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M.
Franco Depasquale, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer
Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell
Yalden.
Notes
1. À l'appui de cet argument, l'auteur cite une décision d'un autre tribunal
de district des États-Unis (affaire United States v. Bakhtiar,
964 F Suppl. no 112). Il ressort de cette affaire que, quand un individu est
extradé pour des chefs d'inculpation moins nombreux que ceux pour lesquels
il a été condamné, la déclaration de culpabilité et la peine initiales demeurent
inchangées mais il est possible de faire une demande d'habeas corpus
une fois que la peine a été exécutée pour les infractions pour lesquelles
l'extradition a été accordée (voir plus loin les paragraphes 4.5 (dernière
phrase) et 5.4).
2. «Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal
a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration
de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les
motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.».
3. L'auteur cite les termes du traité qui disposent: «Condamnations par
contumace. Si la personne réclamée a été reconnue coupable par contumace,
l'autorité exécutive de l'État requis peut refuser l'extradition à moins
que l'État requérant ne donne les informations ou les assurances que l'État
requis considère suffisantes pour montrer que l'intéressé a bénéficié de
la possibilité de présenter sa défense ou qu'il existe des recours suffisants
ou d'autres procédures encore disponibles à l'intéressé une fois qu'il sera
livré.».
4. L'article 37 du Protocole no 11 de la Convention européenne, pour autant
qu'il soit applicable, dispose que:
«1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête
du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure:
a) Que le requérant n'entend plus la maintenir; …
Toutefois, la Cour poursuit l'examen de la requête si le respect des
droits de l'homme garantis par la Convention et ses protocoles l'exige.».
5. Communication no 716/1996, constatations adoptées le 30 avril 1999.
6. CCPR/C/SR.1352 (discussion à un stade préliminaire de l'affaire Ashby
c. Trinité-et-Tobago (communication no 580/1994), constatations
adoptées le 21 mars 2002).
7. Electricity Company of Sofia and Bulgaria PCIJ-Série A/B no 79,
p. 199.
8. Allemagne c. États-Unis (affaire La Grand), arrêt du 27
juin 2001.
9. Communication no 538/1993, constatations adoptées le 16 décembre 1996.
10. Asensio López c. Espagne, communication no 905/2000,
décision adoptée le 23 juillet 2001; Wan Kuok Koi c. Portugal,
communication no 925/2000, décision adoptée le 22 octobre 2001.
11. Ng c. Canada, communication no 469/1991, constatations
adoptées le 5 novembre 1993; Cox c. Canada, communication
no 539/1993, constatations adoptées le 31 octobre 1994.
12. Raf c. Espagne, Appl. no 53652/00, arrêt du 21 novembre
2001, et Eid c. Italie, Appl. no 53490/99, arrêt du 22 janvier
2002.
13. Maleki c. Italie, communication no 699/1996, constatations
adoptées le 15 juillet 1999.
14. Vuolanne c. Finlande, communication no 265/1987, constatations
adoptées le 7 avril 1989.
15. Dans Einhorn c. France, Appl. no 71555/01, arrêt du 16
octobre 2001, où la Cour a déclaré: «… il n'est pas non plus exclu
que l'extradition d'un individu vers un État où il risque d'être condamné
à une peine d'emprisonnement à vie incompressible puisse poser une question
sous l'angle de l'article 3 de la Convention».
16. Cox c. Canada, op. cit., par. 10.3.
17. Communication no 869/1999, constatations adoptées le 19 octobre 2000.
18. Ashby c. Trinité-et-Tobago, op. cit.; Mansaraj et
consorts c. Sierra Leone, communication no 839/1998, constatations
adoptées le 16 juillet 2001; Piandiong et consorts c. Philippines,
op. cit.
19. L'auteur se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne pour affirmer
que des peines disproportionnées peuvent être inhumaines: Weeks c.
Royaume-Uni (1988) 10 CEDH 293; Hussain c. Royaume-Uni
(1996) 22 CEDH 1.
20. Op. cit.
21. Detlef 45 BVerfGE 187 (1977). Dans le même sens la Cour suprême namibienne
a établi dans l'affaire State c. Tcoeib (1996) 7 BCLR 996
qu'une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération sur
parole était inconstitutionnelle.
22. Op. cit. (mort par gaz asphyxiant) et Soering c. Royaume-Uni
11 CEDH 439 (syndrome du quartier des condamnés à mort en général).
23. Altun c. Allemagne, Appl. no 10308/83 DR 209; Nivette
c. France, arrêt du 3 juillet 2001; Einhorn c. France,
op. cit.
24. Voir par exemple Linderholm c. Croatie, communication
no 744/1997, décision adoptée le 23 juillet 1999.