Présentée par: Peter Hesse
Au nom de: L'auteur
État partie: Australie
Date de la communication: 26 février 2001, 6 août 2001 et 10 mai
2002
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 juillet 2002
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication datée du 26 février 2001, du 6 août 2001
et du 10 mai 2002, est Peter Hesse. Il affirme être victime d'une violation
par l'Australie de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 14 et de l'article
26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1).
Il n'est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur réside en Australie occidentale. Pendant qu'il était soigné
à l'hôpital public, Sir Charles Gaidner, à Perth, et dans deux autres
hôpitaux entre 1977 et 1989, il a reçu, selon lui sans son consentement,
24 injections intrathécales à la moelle épinière de Depo-Medrol, médicament
fabriqué par la société Pharmacia & Upjohn. Les médecins avaient dit
à l'auteur que les injections étaient sans danger.
2.2 En 1977, le Département australien de la santé a informé la société
Pharmacia & Upjohn que le Depo-Medrol ne convenait pas à l'usage intrathécal
et leur a suggéré d'insérer un avertissement dans la notice du produit.
La société ne l'a pas fait. En 1982, la société Pharmacia & Upjohn
a déposé auprès de la Commission australienne d'évaluation des médicaments
(Australian Drug Evaluation Committee) une demande d'autorisation de l'utilisation
de son produit pour des injections épidurales à la moelle épinière. La
Commission a rejeté la demande en 1983 (2). Toutefois, la Commission
fédérale de l'assurance maladie a continué de prendre en charge ces injections.
En 1992, le Ministre fédéral de la santé du Gouvernement travailliste,
Brian Howe, a fait savoir au Parlement que le Depo-Medrol n'avait jamais
été autorisé ni même évalué par la Commission australienne d'évaluation
des médicaments et que le médicament était utilisé à titre expérimental.
Selon l'auteur, chacun sait que le Depo-Medrol, lorsqu'il est administré
par voie intrathécale, peut causer une arachnoïdite, maladie qui provoque
une inflammation de l'arachnoïde (une des trois membranes qui enveloppent
le cerveau et la moelle épinière).
2.3 En raison de vives douleurs au dos, à la tête et aux bras, l'auteur
a subi en octobre 1979 une myélographie qui a révélé qu'il souffrait d'arachnoïdite
chronique. À partir de novembre 1980, il a bénéficié d'une pension d'invalidité
totale. Les médecins ont continué de le soigner au moyen d'injections
de Depo-Medrol à la moelle épinière jusqu'en mai 1989, date à laquelle,
alors qu'il rentrait chez lui après une hospitalisation, sa jambe droite
a fléchi; dans la chute qui a suivi, il s'est fracturé le pied droit.
2.4 Le 19 novembre 1990, l'auteur a écrit au spécialiste de la douleur
qui le soignait pour lui demander s'il lui avait administré du Depo-Medrol
et, le cas échéant, combien d'injections il avait reçues pendant son traitement
entre 1977 et 1989. N'ayant pas reçu de réponse du médecin, l'auteur a
téléphoné à son cabinet le 19 novembre 1991. Il a été alors informé que
son dossier médical avait été transféré ailleurs et que son médecin était
mort trois mois auparavant. L'auteur a ensuite écrit à la femme du médecin,
en sa qualité d'exécutrice du testament de son mari, et aux trois hôpitaux
où le médecin l'avait soigné, mais aucune réponse ne lui est parvenue.
Il a également pris contact avec le Cabinet du Ministre de la santé de
l'Australie occidentale; il a fini par recevoir des réponses de deux ou
trois hôpitaux. Le 22 septembre 1992, un spécialiste des affections de
la moelle épinière a examiné l'auteur et a conclu que 70 % des symptômes
de l'auteur étaient attribuables aux complications de l'arachnoïde dont
il souffrait par suite de son exposition au Depo-Medrol.
2.5 Le 27 juin 1991, l'auteur a pris contact avec le cabinet d'avocats
Cashman & Partners, qui étudiait la possibilité d'intenter une «action
collective» contre la société Pharmacia & Upjohn au nom de 122 plaignants
qui avaient reçu des injections de Depo-Medrol à la moelle épinière. La
procédure a été entamée en 1993 et le cas de l'auteur a été considéré
comme un des six cas clefs dans l'affaire (3).
2.6 Dans la requête qu'il a déposée auprès de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles
du Sud, l'auteur, de concert avec quatre autres plaignants, a demandé
que l'affaire soit transférée à la cour d'appel en application de la règle
2 de la section 12 des SCR (Règles établies par la Cour suprême)
(4) . Le 29 février 1996, la cour a rejeté la requête en condamnant
les requérants aux dépens.
2.7 Dans son jugement du 22 décembre 1998, la Cour suprême de la Nouvelle-Galles
du Sud a de nouveau rejeté la demande de l'auteur et de trois autres plaignants
tendant à ce que leurs requêtes soient transférées à la cour d'appel et
a différé la décision sur leur demande de transfert de l'affaire à leurs
tribunaux régionaux respectifs (5).
2.8 En 2000, la Haute Cour d'Australie a interprété la loi sur la prescription
qui était applicable dans tout le pays de manière à ce que la requête
de l'auteur reste uniquement du ressort de la Cour suprême de l'Australie
occidentale. Selon l'auteur, la décision de la Haute Cour a fait que sa
cause soit frappée de prescription. Si la requête de l'auteur avait été
examinée par la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, son action
en justice n'aurait pas été prescrite dès lors que devant ce tribunal
et plusieurs autres juridictions australiennes, un requérant bénéficie
d'un délai de six ans pour déposer une requête une fois qu'il se rend
compte qu'une négligence ou une faute professionnelle lui a causé un préjudice.
2.9 Dans une télécopie datée du 23 février 2001, le cabinet Cashman &
Partners a informé l'auteur qu'il cessait de le représenter en justice.
Dans une lettre datée du 14 mars 2001, la Cour suprême de la Nouvelle-Galles
du Sud a fait savoir à l'auteur que la procédure était ajournée jusqu'au
20 juillet 2001 et qu'elle reprendrait à cette date même en son absence
ou en l'absence de son représentant en justice. Un avocat a expliqué à
l'auteur que, n'étant pas en mesure d'obtenir une aide judiciaire et de
se déplacer, il perdrait certainement son procès pour des motifs «techniques»
et lui a donc conseillé d'abandonner l'affaire (6). L'auteur a
plus tard appris que la Cour l'avait condamné le 26 octobre 2000 à payer
les dépens à deux défendeurs à compter du 7 juillet 2000.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que son action en justice contre la sociéte Pharmacia
& Upjohn étant frappée de prescription en Australie occidentale alors
qu'une action similaire ne le serait pas dans la Nouvelle-Galles du Sud,
il est victime d'une discrimination en violation de l'article 26 du Pacte.
Il ajoute que la pratique discriminatoire de l'État partie a persisté
après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Australie.
3.2 L'auteur fait valoir qu'il a été soumis à une expérience médicale
sans son consentement en violation de l'article 7 du Pacte.
3.3 L'auteur affirme qu'en transférant son procès d'un État où sa requête
n'était pas frappée de prescription vers un État où elle l'était, les
tribunaux australiens ont violé son droit à l'égalité d'accès aux tribunaux
garanti par le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. En outre, le fait
que les médecins et les hôpitaux aient tardé à remettre ses dossiers médicaux
a fait qu'il tombe sous le coup de la loi sur la prescription et l'a par
conséquent privé de droits qui lui sont reconnus à l'article 14 du Pacte.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur au titre de l'article
26 du Pacte selon laquelle la législation de l'État partie fait que sa
requête contre la société Pharmacia & Upjohn est frappée de prescription
en Australie occidentale alors qu'une requête similaire ne le serait pas
dans la Nouvelle-Galles du Sud, le Comité estime que l'auteur n'a pas
démontré aux fins de la recevabilité que des différences en matière de
délai de prescription entre diverses parties d'un État fédéral soulèvent
une question au titre de l'article 26.
4.3 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il a
été soumis à une expérience médicale sans son consentement en violation
de l'article 7 du Pacte, le Comité note que l'expérience médicale présumée
a eu lieu entre 1977 et 1989, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du
Protocole facultatif pour l'Australie. Cette plainte qui porte sur le
traitement administré à l'auteur avant septembre 1991 est donc irrecevable
ratione temporis.
4.4 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur selon laquelle en transférant
sa requête d'un État où elle était frappée de prescription vers un État
où elle ne l'était pas, les tribunaux australiens ont violé des droits
qui lui sont reconnus par le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, le
Comité estime que l'auteur n'a pas démontré aux fins de la recevabilité
qu'il a en vertu du paragraphe 1 de l'article 14 le droit de poursuivre
la procédure devant les tribunaux de la Nouvelle-Galles du Sud ou que
la décision de la Haute Cour selon laquelle l'affaire relevait de la juridiction
des tribunaux de l'Australie occidentale soulève une question au titre
de l'article 14 du Pacte. Le Comité estime également que l'auteur n'a
pas étayé aux fins de la recevabilité son allégation selon laquelle le
fait que les médecins et les hôpitaux ont tardé à remettre ses dossiers
médicaux soulève une question au titre du paragraphe 1 de l'article 14
du Pacte.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la Commission est irrecevable au regard des articles 1er et 2
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
_______________________
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont pris part à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik
Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael
Rivas Posada, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick
Vella et M. Maxwell Yalden.
** Conformément au paragraphe 1 a) de l'article 84 du règlement intérieur
du Comité, M. Yvan Shearer n'a pas participé à l'examen de la communication.
1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Australie le 24
septembre 1991.
2. Ce rejet est confirmé dans une lettre datée du 29 avril 2002, adressée
par le Ministère de la santé et des personnes âgées à Judi Moylan, représentant
de la circonscription de Pearce au Parlement. La lettre contient une référence
à une lettre de l'auteur.
3. Les seuls renseignements fournis en ce qui concerne la procédure sont
les deux jugements décrits plus loin.
4. Aucune précision n'est donnée quant au nom et au contenu de ce texte.
5. L'action en dommages et intérêts de l'auteur était dirigée contre la
société Pharmacia & Upjohn, les trois hôpitaux où il avait reçu des
injections de Depo-Medrol et les cinq médecins responsables des injections.
6. On ignore si l'auteur a suivi le conseil de l'avocat.