Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 6 août 2003,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. Bernard Veriter, citoyen français,
né le 11 juillet 1946 en Belgique, résidant à Moulins les Metz (France). Il
se déclare victime de violations par la France des articles 2 et 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. L'auteur n'est pas
représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a effectué son service militaire dans l'armée belge avant
d'acquérir par mariage la nationalité française. Il a été recruté dans l'administration
française à compter du 1er janvier 1978 en tant qu'attaché de préfecture.
Il a alors effectué des démarches (demande d'avis du 24 novembre 1982 auprès
du ministre de la fonction publique; requête du 11 juillet 1988 auprès du
ministre de l'intérieur) afin que sa période de service militaire soit prise
en considération pour ses droits à l'avancement à l'ancienneté et ses droits
de pension.
2.2 Les 18 novembre 1988 et 20 juillet 1989, l'auteur a saisi le tribunal
administratif de Strasbourg d'une requête tendant à l'annulation de la décision
par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement rejeté sa demande
en ne répondant pas à sa lettre du 11 juillet 1988. Par jugement du 5 septembre
1991, le tribunal a rejeté ces requêtes. Il a notamment considéré que les
règlements communautaires (1) invoqués par l'auteur ne concernaient
que les ressortissants d'un Etat travaillant dans un autre Etat, ce qui
n'est pas le cas de M. B. Veriter, citoyen français travaillant en France.
L'auteur a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 15 juin 1994, le
Conseil d'Etat a déclaré la requête irrecevable. (2)
2.3 Suite à ce jugement, la Commission des Communautés Européennes, saisie
d'une plainte de l'auteur, a indiqué au Gouvernement français que le refus
de validation de services était contraire à l'article 48§4 du traité CEE
relatif à l'égalité de traitement devant exister entre travailleurs des
différents Etats membres, tel qu'interprété par la Cour de Justice des Communautés
Européennes (aff. 15/69 UGLIOLA). Le Gouvernement français a alors admis
qu'une modification des règles en vigueur, notamment de l'article L.63 du
code du service national, devait être opérée.
2.4 Cette modification a résulté de la loi N°96-1043 du 16 décembre 1996
relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre
statutaire. Désormais, le nouvel article 5ter de la loi N°83-634 du 13 juillet
1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoit, s'agissant
du temps de services militaires accompli dans un autre Etat membre que :
« ce temps est retenu pour le calcul de l'ancienneté de service exigé pour
l'avancement dans les fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière.
»
2.5 Le 15 janvier 1997, l'auteur a présenté une nouvelle demande de prise
en compte de la durée de son service national. Néanmoins, le 29 mai 1997,
le préfet de la Moselle lui a notifié la décision de refus du ministre de
l'intérieur en date du 20 mai 1997, prise au motif que ce nouveau texte
n'était pas en vigueur au moment de son recrutement.
2.6 Le 11 juillet 1997, l'auteur a, à nouveau, saisi le tribunal administratif
de Strasbourg d'une requête tendant à l'annulation de cette décision.
2.7 En cours d'instance, le ministre de l'intérieur est revenu sur sa décision
et a accepté de prendre en considération la période de service militaire
lors d'une promotion de l'auteur. Ainsi par arrêté du ministre de l'intérieur
du 16 mars 2001, ont été reconnus les 13 mois de services militaires de
l'auteur au titre de l'ancienneté lors de sa promotion au sixième échelon
du corps des attachés principaux de préfecture.
2.8 Par jugement du 6 juillet 2001, le tribunal administratif de Strasbourg
a considéré que la non prise en compte du service national de l'auteur au
seul motif qu'il l'avait effectué en Belgique constituait une discrimination
contraire aux prescriptions de l'article 48 du Traité instituant la Communauté
européenne et du règlement (CEE) n° 1612/68 du 15 octobre 1968, lesquels
étaient déjà en vigueur à la date d'intégration du requérant dans la fonction
publique française et était directement applicable par la France. Le tribunal
a annulé la décision contestée du 20 mai 1997 ainsi que l'arrêté du 16 mars
2001 en tant qu'il ne prend en compte la période de service national de
l'auteur que pour l'intervention de la prochaine promotion et non dès le
début de sa carrière de fonctionnaire. Le tribunal a enjoint au ministre
de l'intérieur de procéder à la reconstitution de carrière de l'auteur dans
les conditions ainsi définies.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur prétend être victime d'une discrimination fondée sur la nationalité
au titre de l'article 2 du Pacte.
3.2 L'auteur se plaint, en outre, de la mauvaise administration de la justice
dans le cas d'espèce dans la mesure où le tribunal administratif de Strasbourg
est revenu sur son jugement du 5 septembre 1991 par son arrêt du 6 juillet
2001. L'auteur demande l'exécution de cet arrêt tout en estimant que celui-ci
ne constitue pas une réparation au préjudice de discrimination subi pendant
22 ans.
3.3 L'auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et précise
que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité de la communication
4.1 Dans ses observations du 13 novembre 2002, l'Etat partie conteste la
recevabilité de la communication.
4.2 En premier lieu, il soutient que l'auteur ne peut plus justifier de
sa qualité de victime d'une violation de l'article 2 du Pacte.
4.3 L'Etat partie rappelle que pour le Comité, à l'instar de la Cour européenne
des droits de l'homme, le requérant doit se prétendre personnellement et
effectivement victime d'une violation de l'un des droits énoncés dans le
Pacte et avoir un intérêt personnel à agir. Se référant à la jurisprudence
de la Cour européenne, l'Etat partie soutient que la qualité de victime
doit s'apprécier à tous les stades de la procédure. Le requérant peut ainsi
perdre cette qualité en cours d'instance, notamment par suite d'une réparation
suffisante, au plan interne, des conséquences de la violation alléguée.
La Cour considère, en effet, qu' « une mesure d'une autorité publique n'enlève
à pareille personne la qualité de victime que si les autorités nationales
ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de
la Convention » (CEDH, arrêt Nsona du 28 novembre 1996). C'est ainsi que
l'annulation, par une juridiction nationale, d'une mesure disciplinaire
prise à l'encontre d'un professeur lui retire la qualité de victime dès
lors que cette sanction est considérée comme n'ayant jamais existé, qu'elle
est rétrospectivement privée d'effets (CEDH arrêt Akkoc c Turquie du 10
octobre 2000).
4.4 Dans le cas d'espèce, d'après l'Etat partie, force est de constater
que l'auteur a saisi le Comité quelques jours après la notification du jugement
du 6 juillet 2001, sans attendre que les services compétents du ministre
de l'intérieur aient pu matériellement prendre les mesures d'exécution qu'appelait
ce jugement. Or, l'Etat partie explique que par un arrêté du ministre de
l'intérieur du 19 octobre 2001, soit deux mois seulement après la notification
du jugement, la reconstitution de carrière de l'auteur a été effectuée dans
le sens préconisé par le tribunal. Par ailleurs, la somme que l'Etat a été
condamné à verser au titre des frais de procédure a été payée. L'Etat partie
estime donc que l'auteur n'est plus victime d'une violation de l'article
2 du Pacte et que la communication est donc irrecevable en vertu de l'article
2 du Protocole.
4.5 En second lieu, selon l'Etat partie, l'auteur tente d'établir que la
condition de recevabilité ci-dessus rappelée est remplie en soutenant que
nonobstant le jugement du 6 juillet 2001, « le préjudice de discrimination
subi pendant vingt-deux ans n'est pas réparé ». Or, l'Etat partie soutient
qu'à supposer que, en dépit de la décision de reconstitution de carrière,
l'intégralité du préjudice ne soit pas réparé, force serait alors de considérer
que la communication n'obéit pas au principe d'épuisement des voies de recours
internes. Il s'agit d'une condition classique de recevabilité (3)
qui concerne « au premier chef les recours juridictionnels » (4) c'est-à-dire
les recours disponibles et de nature à porter remède aux griefs, (5)
et devant présenter « une perspective raisonnable de succès ». (6)
4.6 L'Etat partie affirme qu'en l'espèce, l'absence d'épuisement des voies
de recours internes est d'autant plus évidente que l'auteur vient, à nouveau,
de saisir le tribunal administratif de Strasbourg d'une requête tendant
à l'indemnisation de ce préjudice. En effet, le jour même où il a saisi
le Comité, soit le 16 août 2001, l'auteur a présenté au ministre de l'intérieur
une demande de versement d'une somme de 2500 FF, en réparation, semble-t-il,
du préjudice moral subi du fait de l'illégalité des décisions de refus prises
à son encontre. Aucune réponse expresse n'ayant été apportée à cette demande,
l'auteur a présenté dès le 27 novembre 2001 une nouvelle requête au tribunal
administratif de Strasbourg tendant à la condamnation de l'Etat français
à lui verser la somme précitée, outre une somme de 400 FF au titre des frais
irrépétibles. Cette requête n'est pas encore en état d'être jugée, mais
selon l'Etat partie présente des chances raisonnables de succès dès lors
qu'en droit interne, toute illégalité entachant une décision administrative
est fautive et donc susceptible d'engager la responsabilité de l'Administration
(Conseil d'Etat 26 janvier 1973 Driancourt Rec.p.77). Toujours est-il que
les juridictions internes n'ayant pas pu encore statuer sur cette requête,
l'absence d'épuisement des voies de recours internes ne fait aucun doute.
En tout état de cause, selon l'Etat partie, à supposer que l'auteur persiste
à considérer que l'administration n'a pas tiré toutes les conséquences du
jugement du 6 juillet 2001 et n'a pas correctement reconstitué sa carrière,
il lui appartient de saisir à nouveau le tribunal administratif de Strasbourg
d'une demande d'annulation de l'arrêté précité du 19 octobre 2001. Or, à
la connaissance de l'Etat partie, l'auteur ne l'a pas fait. La communication
est donc irrecevable en application des articles 2 et 5§2 b) du Protocole.
4.7 En troisième lieu, selon l'Etat partie, le grief d'une mauvaise administration
de la justice - du fait que s'agissant de la même question, le tribunal
administratif de Strasbourg a rejeté la requête de l'auteur, mais dix ans
plus tard, lui a donné satisfaction sur le fondement des mêmes textes communautaires
- est incompatible avec l'article 14 du Pacte. Cet article ne prévoit nullement
un droit à l'absence d'erreur de droit susceptible d'être commise par un
juge.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'Etat partie
concernant la recevabilité
5.1 Dans ses commentaires du 10 décembre 2002, l'auteur affirme que sa
qualité de victime existe toujours dans la mesure où sa reconstitution de
carrière, d'une part, ne prend pas en compte les intérêts pour les retards
accumulés depuis 20 ans, et d'autre part, ne répare pas le préjudice d'une
si longue discrimination. Il indique également que les délais raisonnables
semblent déjà dépassés depuis son premier recours contre la discrimination
à son encontre, sans qu'il lui soit nécessaire d'attendre davantage.
5.2 Eu égard au grief de violation de l'article 14 du Pacte, l'auteur met
en cause la partialité du Conseil d'Etat ayant déclaré sa requête irrecevable,
alors qu'aucune des parties n'a soulevé cet élément, et que la requête a
été par deux fois jugée recevable par le tribunal administratif. Enfin,
d'après l'auteur, la mise en cause du tribunal administratif et du Conseil
d'Etat est très difficile à mettre en œuvre en l'absence d'une faute
qualifiée lourde.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a de l'article
5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou
de règlement.
6.3 Eu égard au grief de violation de l'article 2 du Pacte, le Comité
prend note des arguments de l'Etat partie faisant valoir la perte de la
qualité de victime de l'auteur dans la mesure où le jugement du 6 juillet
2001 du tribunal administratif de Strasbourg a été exécuté par l'arrêté
du ministre de l'intérieur en date du 19 octobre 2001 portant à la fois
reconstitution de carrière par validation du service national et règlement
des frais de procédure. Le Comité a également noté l'argument de l'auteur
contestant la conclusion de l'Etat partie au motif que le préjudice de discrimination
n'a pas été réparé. Le Comité considère que le grief de discrimination et
la question de la réparation constituent deux éléments distincts de la plainte.
Or, le Comité constate, en premier lieu, que la plainte de discrimination
a été tranchée par le jugement du 6 juillet 2001 dont l'auteur demandait
l'exécution, ce que l'Etat partie a entrepris par l'arrêté du 19 octobre
2001. En outre, toute contestation de l'auteur quant à cet arrêté supposerait
un recours auprès du tribunal administratif de Strasbourg. En second lieu,
le Comité constate que la réparation du préjudice de discrimination fait
l'objet d'un recours que l'auteur a introduit le 27 novembre 2001 auprès
du tribunal administratif de Strasbourg et qui reste en cours d'examen.
Finalement, le Comité considère que l'auteur n'a pas épuisé les voies de
recours internes afin d'établir la recevabilité du grief de violation de
l'article 2 du Pacte. Ceci est sans préjudice quant à la question de savoir
si l'article 2 est capable par lui-même d'être violé indépendamment d'une
autre disposition du Pacte ou si la plainte aurait dû être faite au titre
de l'article 26 plutôt que l'article 2 du Pacte.
6.4 Concernant le grief tiré d'une violation de l'article 14 du Pacte,
le Comité a pris note des arguments de l'Etat partie soutenant l'incompatibilité
ratione materiae des élements de la plainte avec les dispositions
du Pacte. Le Comité a également noté l'argumentation de l'auteur relative,
d'une part, à une mauvaise administration de la justice par le tribunal
administratif et le Conseil d'Etat, et d'autre part, aux difficultés à introduire
des recours à leur encontre. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle
il appartient généralement aux tribunaux nationaux d'examiner les faits
et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu'il ne soit
manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu'elle équivaut à un
déni de justice. Le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment étayé
sa plainte de mauvaise administration de la justice. Le Comité considère
également que, nonobstant les doutes que l'auteur pouvait avoir quant à
l'efficacité des recours, il lui appartenait d'exercer tous les recours
disponibles. Finalement, cette partie de la communication est irrecevable
en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2(b) de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7. En conséquence, le Comité décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et
5, paragraphe 2(b) du Protocole facultatif ;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
____________________________
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice
Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah,
M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, Mme. Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Règlements de l'Union Européenne
2. Considérant que dans sa demande adressée au ministre de l'intérieur,
l'auteur se bornait à solliciter « la prise en compte pour ses droits à
l'ancienneté et ses droits à pension de son service militaire effectué dans
l'armée belge en Allemagne », sans indiquer quelle décision précise il entendait
contester ou obtenir ; que dès lors le silence gardé par le ministre n'a
pu faire naître une décision faisant grief susceptible de recours pour excès
de pouvoir ; que par suite M. Veriter n'est pas fondé à se plaindre de ce
que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a
rejeté sa demande. »
3. Communication N°130/1982 (J.S. c. Canada), décision du 6 avril 1983.
4. Communication N°262/1987 (R..T c. France), décision du 3 avril 1989.
5. Communications N°146 et 148 à 154/1983 (Baboeram c. Suriname), constatations
du 4 avril 1985.
6. Communication 550/1993 (Faurisson c. France), constatations du 16 décembre
1996.