Présentée par: M. Wannakuwate Perera
Au nom de: L'auteur
État partie: Sri Lanka
Date de la communication: 18 avril 2002 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 août 2003,
Adopte la décision ci-après:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1.1 L'auteur de la communication, datée du 18 avril 2002, est M. Wannakuwatte
Perera, citoyen sri-lankais né le 30 octobre 1938. Il affirme être victime
de violations du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte par la République socialiste
démocratique de Sri Lanka. Il n'est pas représenté par un conseil. Le Protocole
facultatif est entré en vigueur à Sri Lanka le 3 octobre 1997.
1.2 Le 17 octobre 2002, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles
communications a décidé d'examiner séparément la recevabilité et le fond
de la communication.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Alors qu'il exerçait les fonctions d'administrateur principal adjoint
de la Banque populaire (banque d'État de Sri Lanka), l'auteur a été «suspendu»
par son employeur au motif qu'il aurait trompé le bureau régional de la
banque en approuvant l'octroi de facilités à un client. Selon lui, la banque
en tant que telle n'a subi aucune perte dans cette transaction, et les accusations,
qui reposaient sur des hypothèses et étaient empreintes de partialité, visaient
à couvrir certaines fautes professionnelles commises par deux cadres supérieurs
directement impliqués dans l'octroi des facilités au client.
2.2 Après une enquête interne, l'auteur a été licencié le 2 mars 1987,
sans aucune possibilité de faire appel à des témoignages en sa faveur. En
1988, n'ayant pu obtenir réparation auprès du tribunal du travail, il a
saisi le tribunal de grande instance.
2.3 Le 13 février 1998, le tribunal de grande instance a jugé que l'auteur
avait été abusivement licencié et a ordonné le versement de 474 941,60 roupies
(1) à titre d'indemnisation et de frais de justice, en lieu et place
de la réintégration de l'intéressé puisque celui-ci avait à l'époque déjà
atteint l'âge de la retraite, soit 55 ans. L'auteur a formé un recours devant
la Cour suprême, au motif que le montant de la réparation accordé par le
tribunal de grande instance était insuffisant, en particulier parce que
les augmentations de salaire qu'il aurait perçues s'il n'avait pas été licencié
n'avaient pas été prises en compte. Son employeur a interjeté un appel incident
devant la Cour suprême, pour contester la décision du tribunal de grande
instance qui avait considéré le licenciement abusif.
2.4 Le 22 mars 2000, le Président de la Cour suprême, assisté de deux autres
juges de la Cour, a examiné les différentes conclusions des parties et aurait
fait observer qu'il ne valait pas la peine de lire un aussi volumineux dossier
portant sur une affaire somme toute «mineure». Il aurait poursuivi en déclarant
que l'auteur avait subi une forme d'injustice et proposé «une certaine indemnisation».
Le conseil de l'auteur a objecté que le montant des dommages-intérêts fixé
dans le jugement du tribunal de grande instance était insuffisant et plaidé
pour que l'affaire soit examinée et jugée. Malgré cela, le Président de
la Cour suprême a conseillé aux avocats des parties de parvenir à un accord
et a ajourné l'examen de l'affaire.
2.5 Le 9 mai 2000, quand l'affaire est revenue pour la deuxième fois devant
la Cour suprême, le Président n'a pas autorisé le conseil de l'auteur à
plaider, bien que la plaidoirie ait été prévue pour cette date, et a menacé
de rejeter l'affaire si aucun accord n'était conclu à une date ultérieure,
qui a été fixée au 12 septembre 2000. Il aurait déclaré que l'affaire ne
devait être soumise à personne d'autre que lui.
2.6 Le 12 septembre 2000, le conseil de l'employeur a accepté de verser
à l'auteur une indemnisation d'un montant de 469 941,60 roupies (environ
4 690 dollars des États-Unis). La Cour suprême a alors rejeté le même jour
les deux recours, sans frais de justice, et ce malgré les objections qu'aurait
soulevées le conseil de l'auteur afin que les droits à pension de son client
soient dûment mentionnés. Depuis lors, l'auteur affirme que son employeur
aurait abusivement refusé de reconnaître ses droits à pension.
2.7 L'auteur a adressé un recours au Président de Sri Lanka, mais n'a reçu
aucune réponse.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme être victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, du fait qu'il s'est vu refuser le droit à un procès équitable
par la Cour suprême et que celle-ci, lorsqu'elle a examiné son affaire,
n'a pas agi comme un tribunal indépendant et impartial, le contraignant
à accepter toute décision qu'elle prendrait.
3.2 L'auteur prétend que ni lui ni son conseil n'ont eu d'autre possibilité
que d'accepter passivement l'arrêt de la Cour suprême. Il affirme que même
l'intervention de son avocat principal tendant à ce que ses droits à pension
soient consignés n'a rencontré aucun écho.
3.3 En outre, l'auteur considère que, quand bien même l'arrêt de la Cour
suprême n'a pas d'effet sur ses droits à pension, son ancien employeur n'a
tenu aucun compte de ses demandes répétées d'être admis au bénéfice de ces
prestations en vertu dudit arrêt, au motif que la Cour n'y a pas consigné
les droits en question.
3.4 En conséquence, l'auteur prie le Comité de déclarer qu'il n'a pas bénéficié
d'un procès équitable et qu'il a ainsi été privé de ses droits au versement
d'une pension et d'autres prestations par son ancien employeur. Il le prie
en outre de demander le versement d'une indemnisation d'un montant correspondant
à celui des pertes réellement subies, tenant compte de l'évolution qu'aurait
suivie sa carrière.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité de la
communication
4.1 Dans ses observations en date du 10 octobre 2002, l'État partie affirme
que la communication est irrecevable, d'une part parce qu'elle ne fait pas
apparaître de violation des droits de l'auteur au titre du paragraphe 1
de l'article 14 du Pacte, et d'autre part parce que les recours internes
concernant les autres griefs n'ont pas été épuisés.
4.2 S'agissant de la plainte relative au paragraphe 1 de l'article 14,
l'État partie constate que l'arrêt de la Cour suprême constitue le résultat
d'un accord entre les parties, à savoir l'auteur et la Banque populaire.
Les deux parties étaient représentées par des conseils qui ont contracté
cet accord devant la Cour au nom de leurs clients respectifs. L'auteur était
d'ailleurs représenté par un avocat très expérimenté du barreau local exerçant
depuis plus de 30 ans. L'État partie fait valoir que l'auteur n'a pu fournir
au Comité aucun élément indiquant que son conseil n'avait pas effectivement
accepté l'accord ou qu'il l'avait fait sous la contrainte ou la menace.
Dans ces conditions, l'affirmation de l'auteur, selon laquelle le consentement
donné en son nom pour l'accord évoqué dans l'arrêt de la Cour ne dépendait
pas de sa volonté, n'est pas étayée. Les circonstances montrent à l'inverse
que l'auteur a toujours acquiescé et consenti à l'accord contracté devant
la Cour.
4.3 Par ailleurs, l'État partie note que l'unique argument invoqué par
l'auteur pour appuyer l'affirmation selon laquelle il n'a pas bénéficié
d'un procès équitable devant la Cour suprême est le comportement du Président
de cette dernière. Il constate toutefois que l'arrêt traduit une décision
collective de la Cour et non pas l'opinion individuelle de son Président.
De fait, cette décision a été prise à l'unanimité par le collège des trois
juges qui ont entendu l'affaire. L'auteur ne s'est pas plaint de l'attitude
des deux autres juges ayant pris part aux délibérations et rendu l'arrêt,
alors que ces juges jouissent au regard de la Constitution d'un pouvoir
égal à celui du Président dans la conduite des procédures judiciaires. En
conséquence, l'affirmation selon laquelle l'auteur n'a pas bénéficié d'un
procès équitable est absurde et sans fondement.
4.4 L'État partie fait observer, en tout état de cause, que s'il avait
été insatisfait du comportement du Président de la Cour ou de tout autre
juge, l'auteur se serait opposé, oralement ou par écrit, à ce que le juge
en question continue de participer à la procédure. Dans le cas d'espèce,
l'auteur n'a pas exercé ce droit, alors qu'il en avait la possibilité, ce
qui ne fait que renforcer l'argument selon lequel il a acquiescé et consenti
à la décision de la Cour suprême.
4.5 L'État partie note que les autres griefs reposent sur l'affirmation
que la décision de la Cour suprême a eu un effet préjudiciable sur les droits
à pension de l'auteur. Cependant, comme le confirment les décisions du tribunal
de grande instance et de la Cour suprême, ces droits n'ont à aucun moment
fait partie des affaires examinées par le tribunal du travail et les autres
juridictions. Les juridictions concernées avaient à se prononcer sur le
fait de savoir si le licenciement de l'auteur était ou non justifié. Elles
n'auraient donc pas été en mesure de rendre une décision concernant les
droits à pension et, de fait, l'auteur reconnaît lui-même que l'arrêt de
la Cour suprême ne mentionnait aucunement ces droits.
4.6 L'État partie fait observer par ailleurs que la question des droits
à pension est régie par la loi et que la Constitution et la législation
prévoient plusieurs possibilités de recours pour faire valoir ces droits
lorsque la partie tenue de verser les prestations correspondantes ne respecte
pas ses obligations. Ainsi, l'auteur aurait pu demander un recours exceptionnel,
par voie d'injonction de la Cour d'appel, au titre de l'article 140 de la
Constitution, ou invoquer la compétence de la Cour suprême relative aux
droits fondamentaux, au titre de l'article 126 de la Constitution. Il n'a
formé aucun de ces recours alors même qu'il avait tout loisir de le faire.
Il n'a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles comme l'exige
le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Dans sa lettre datée du 3 décembre 2002, l'auteur a contesté les observations
de l'État partie, rappelant que le Président de la Cour suprême avait menacé
de rejeter l'affaire si les parties ne parvenaient pas à s'entendre et ordonné
que l'affaire ne soit examinée par personne d'autre que lui à l'audience
suivante. Il affirme que son conseil n'a pas eu d'autre possibilité que
de se soumettre à la volonté du Président, lequel est l'autorité judiciaire
statuant en dernier ressort dans le système juridique de l'État.
5.2 À ce propos, l'auteur déclare que le traitement arbitraire et partisan
de certaines affaires judiciaires a fait l'objet d'investigations par diverses
organisations internationales, dont l'Association internationale du barreau
qui a dépêché une mission à Sri Lanka «pour établir les circonstances entourant
l'appel à un référendum sur la Constitution, apprécier la valeur constitutionnelle
d'une telle mesure et ses effets sur la primauté du droit, à la lumière
des récentes tentatives visant à radier le Président de la Cour suprême
en tant qu'avocat (…)». (2) L'auteur renvoie également à une
motion de mise en accusation dudit Président, déposée devant le Président
du Parlement le 6 juin 2001, au sujet d'autres affaires dans lesquelles
le Président de la Cour suprême aurait abusé de son autorité. Selon l'auteur,
tout tend à démontrer que l'attitude de l'intéressé a créé une situation
dans laquelle les plaideurs, les avocats et les juges, tous placés sous
son autorité, étaient contraints d'obtempérer. Compte tenu de ces circonstances,
l'auteur affirme s'être retrouvé désarmé en tant que plaideur, et dépourvu
de tout recours.
5.3 S'agissant de ses droits à pension, l'auteur renvoie au courrier dans
lequel son ancien employeur interprète l'arrêt de la Cour comme définitif
sur cette question. Dans une lettre datée du 31 mars 2001, l'intéressé a
indiqué qu'il ne communiquerait plus avec l'auteur au sujet des «divers
paiements, y compris les indemnités de licenciement» réclamés, car la Cour
suprême avait statué sur cette demande. L'auteur considère qu'une telle
situation ne se serait pas produite si, comme l'avait demandé son conseil
à l'audience, le Président de la Cour avait consigné que l'accord, même
imposé à l'auteur, n'aurait pas d'effet sur ses droits à pension.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne la plainte concernant le paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, le Comité note que l'arrêt de la Cour suprême en date du 12
septembre 2000 a été rendu par trois juges. À son avis, les accusations
de comportement inapproprié concernant l'administration de la justice dans
d'autres affaires qui ont été portées contre le Président de la Cour dans
la notification de résolution parlementaire n'étayent pas les griefs selon
lesquels le fait que le Président a encouragé les conseils des deux parties
à conclure un accord à l'amiable sur le montant des dommages-intérêts sort
du cadre d'une gestion appropriée de ses ressources judiciaires par une
juridiction supérieure, en violation des dispositions du paragraphe 1 de
l'article 14. Le Comité constate, dans ce contexte, que le conseil n'a pas
expressément contesté la façon dont la Cour a décidé oralement de statuer
sur l'affaire, et que, en substance, le jugement du tribunal de grande instance
donnant gain de cause à l'auteur a presque entièrement été confirmé par
la juridiction d'appel. En conséquence, le Comité considère que cette plainte
n'a pas été étayée aux fins de la recevabilité et qu'elle est donc irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 Quant aux griefs relatifs aux droits à pension, le Comité note que
la question de ces droits n'a à aucun moment été examinée par les tribunaux
nationaux, qui devaient se prononcer sur la légalité du licenciement de
l'auteur et apprécier le dommage en résultant, et en particulier que l'arrêt
de la Cour suprême daté du 12 septembre 2000 ne traite pas cette question.
À supposer que l'ancien employeur de l'auteur refuse de lui reconnaître
ses droits légitimes au versement d'une pension, le Comité constate que
l'auteur dispose de toute une série de recours internes lui permettant de
faire valoir ses droits. Ces griefs sont donc irrecevables en vertu du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, au motif du non-épuisement
des recours internes.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.
___________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael
Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Cette somme était composée d'un montant de 469 941,60 roupies, correspondant
au dernier salaire mensuel multiplié par le nombre de mois écoulés jusqu'au
jugement, et d'un montant de 5 000 roupies, correspondant aux frais de justice.
2. Rapport de l'Association internationale du barreau, 2001, Sri Lanka:
Failing to protect the Rule of Law and The Independence of the Judiciary,
http://www.hg.org/cgi-bin/redir.cgi?url=http://www.ibanet.org.