des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Quatre-vingt-troisième session -
Communication No. 1092/2002
Au nom de: L'auteur
État partie: Espagne
Date de la communication: 16 juin 1999 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Exposé des faits
2.1 En juillet 1992, l'auteur de la communication et son mari qui avaient deux enfants mineurs se sont séparés. Dans le jugement de séparation, du 15 juillet 1992, la garde du fils aîné a été confiée au père et celle du cadet, Daniel, à la mère, le père et la mère continuant d'exercer en commun l'autorité parentale. Après la séparation, l'auteur s'est installée en France en emmenant son fils Daniel comme un juge l'y avait expressément autorisée. L'autorisation judiciaire imposait certaines conditions relativement au régime des visites et l'auteur était obligée de faire 1 000 kilomètres tous les 15 jours pour que l'enfant passe le week-end avec son père.
2.2 Le 12 juillet 1993, le père a demandé au juge de modifier le régime de garde de façon à retirer la garde de Daniel à la mère et à lui confier les deux enfants. À cette fin, il a produit un pouvoir que l'auteur avait donné longtemps auparavant à un avoué dans le cadre de la procédure de sa séparation. Le pouvoir n'était plus valable car l'auteur n'avait pas conservé cet avoué. Le juge, qui avait initialement décidé de convoquer l'auteur, a annulé la commission rogatoire internationale qu'il avait établie et a accepté le pouvoir bien que celui-ci doive être présenté par la personne à laquelle il a été donné et non par la partie adverse. Il s'ensuit que les notifications du tribunal ont été envoyées au domicile de l'ancien avoué et non au domicile de l'auteur, laquelle n'a donc pas su qu'une procédure était engagée.
2.3 Le 2 avril 1994 pendant une visite en France, le père de l'enfant, résidant à Lorca (Murcie) a soustrait le mineur à la garde de sa mère et l'a emmené en Espagne, où il l'a confié à ses grands-parents paternels. L'auteur a déposé plainte pour l'enlèvement et la rétention illégale de son fils et c'est ainsi que son avocat a appris de manière fortuite qu'une procédure avait été engagée pour retirer à la mère la garde de l'enfant.
2.4 Par une lettre datée du 18 avril 1994, l'auteur a constitué avoué et avocat pour la représenter dans la procédure de modification de la garde et a demandé, en application de l'article 240, paragraphe 1, de la loi organique du pouvoir judiciaire l'annulation des actes de procédure diligentés à compter du moment où elle aurait dû être citée à comparaître. Sa demande a été rejetée et, en date du 11 juillet 1994, le juge a rendu un jugement par lequel la garde des deux mineurs était accordée aux grands-parents paternels, solution qui était considérée comme répondant le mieux aux intérêts des enfants. Le jugement prévoit également un autre régime de garde en faveur de la mère pour le cas où les grands-parents refuseraient de s'occuper des enfants et d'assurer leur éducation. Selon l'auteur, cette décision est étonnante étant donné que la garde n'a jamais été demandée pour les grands-parents, le père l'ayant demandé pour lui-même.
2.5 Entre-temps, le 2 juillet 1994, l'auteur a retrouvé Daniel dans un camping où il séjournait avec son père et, profitant d'un moment d'inattention de ce dernier, l'a emmené avec elle en France.
2.6 L'auteur a fait appel du jugement du 11 juillet 1994. L'Audiencia provincial de Murcie a tenu son audience le 21 janvier 1997. L'avocat de l'auteur s'était trompé de date et ne s'est donc pas présenté à l'audience mais la Cour a néanmoins examiné le fond de l'affaire et dans son arrêt du 22 janvier 1997 elle a confirmé intégralement la décision prise en premier ressort. Elle indiquait dans ce jugement que, si l'absence injustifiée de l'avocat l'avait empêchée de prendre connaissance des motifs de la contestation du jugement rendu en première instance, elle ne l'empêchait en aucun cas d'examiner la totalité des preuves produites. L'auteur indique que le fait qu'elle ait eu un différend au pénal avec le juge de première instance a influé sur la décision de l'Audiencia, compte tenu de l'esprit de corps existant entre les juges. Toutefois, elle n'explique pas sur quoi portait ce différend.
2.7 Le 24 février 1997, l'auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, en faisant valoir que le droit à un procès contradictoire et les droits de la défense n'avaient pas été respectés. D'une part, une procédure visant à lui retirer la garde de son fils avait été conduite sans qu'elle ait été convoquée et sans qu'elle en ait eu connaissance avant avril 1994, alors que le dossier était déjà clos. D'autre part, la garde de l'enfant avait été confiée aux grands-parents sans que le père l'ait demandé et sans que cette solution ait fait l'objet d'une quelconque procédure contradictoire. L'auteur a en outre invoqué une violation du droit au respect de la vie privée ou de la vie de famille.
2.8 Le 26 mai 1997, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours. Il a estimé que du fait de l'absence de l'avocat à l'audience en appel les recours ouverts par voie judiciaire n'avaient pas été épuisés, ce qui était la condition de recevabilité du recours en amparo prévue à l'article 44 de la loi organique du Tribunal constitutionnel. Le Tribunal a considéré de plus que certains des motifs exposés dans la demande n'avaient pas trait à des questions constitutionnelles qui pouvaient justifier une décision sur le fond.
2.9 Le 13 mai 1996, l'auteur a adressé à la Commission européenne des droits de l'homme une requête qu'elle a ensuite retirée par lettre du 4 octobre 1996. L'auteur joint la copie d'une lettre du secrétariat de la Commission datée du 11 octobre 1996, prenant note de sa demande de retrait de la requête mais ajoutant que, comme celle-ci avait déjà été enregistrée, la Commission prendrait une décision à ce sujet.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur fait valoir que le fait qu'elle n'ait pas été informée par le juge de la procédure qui avait été engagée à son encontre constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, qui protège le droit pour toute personne à un procès dans le cadre duquel sa cause sera entendue. En effet, n'ayant pas été informée, elle n'a pas pu réfuter les allégations figurant dans la demande. Elle n'a pas pu non plus présenté une demande de nouvelle audition conformément à l'article 773 du Code de procédure civile, car cette possibilité n'est prévue que pour les cas où le défendeur a été défaillant tout au long de la procédure. L'auteur au contraire s'est manifestée par lettre du 18 avril 1994, date à laquelle toutes les preuves avaient été examinées et il n'était plus possible de présenter de nouvelles allégations. En outre, le droit d'être entendu par un juge compétent, consacré dans les mêmes dispositions du Pacte, a été violé dans la mesure où le juge qui a traité cette affaire n'avait pas la sensibilité nécessaire pour adopter des solutions raisonnables.
3.2 L'Audiencia provincial de Murcie a commis un déni de justice et a agi en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte en faisant valoir que l'absence injustifiée de l'avocat à l'audience avait empêché la chambre de prendre connaissance des motifs de la contestation du jugement rendu en premier ressort. Or ces motifs étaient exposés dans la demande d'appel. En outre, le jugement rendu par ce tribunal renouvelle les atteintes portées aux droits fondamentaux par la décision de la première instance.
3.3 Il y a violation du paragraphe 1 de l'article 14 pour deux autres raisons. Premièrement, le jugement rendu en premier ressort ne correspond pas à la demande, étant donné que le père avait demandé la garde des deux enfants pour lui-même et que le juge l'a attribuée aux grands-parents paternels. Deuxièmement, la décision du Tribunal constitutionnel déforme les faits de la cause et elle est arbitraire.
3.4 L'auteur affirme également que le fait qu'elle ait été privée arbitrairement de la garde de son fils cadet constitue une violation du droit de ne pas être l'objet d'immixtions illégitimes dans sa vie privée, consacré à l'article 17 du Pacte. Il n'y avait aucune raison de transférer la garde de l'enfant aux grands-parents paternels et de le priver ainsi de la présence de sa mère, avec laquelle il avait l'habitude de vivre et qui s'occupait parfaitement de lui.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans une réponse datée du 27 septembre 2002, l'État partie conteste la recevabilité de la communication. Il indique tout d'abord que l'auteur a omis de joindre au Comité la lettre du 4 octobre 1996 par laquelle elle faisait connaître à la Commission européenne des droits de l'homme sa décision de retirer sa requête. Elle a également omis de communiquer la décision de rejet de la requête rendue le 28 novembre 1996 par la Commission qui avait estimé, conformément à l'article 30, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il n'y avait aucune circonstance particulière relativement au respect des droits garantis par la Convention qui justifie de poursuivre l'examen de la requête. Il s'ensuit que la question a bien été soumise à une autre instance internationale qui, contrairement à ce qu'affirme l'auteur, l'a examinée et classée, faute d'avoir constaté une violation des droits de l'homme. En conséquence, l'État partie fait valoir que la communication n'est pas recevable au titre du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
4.2. L'État partie déclare également que la communication devrait être jugée irrecevable, conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole, pour non-épuisement des recours internes. En effet, dans sa très succincte demande d'appel de la décision du 11 juillet 1994, l'auteur met en avant les droits fondamentaux qui selon elle n'ont pas été respectés, mais elle n'explique pas en quoi ils ont été violés. Cette absence d'explication n'a pas été corrigée à l'audience puisque l'avocat était absent. C'est pourquoi le Tribunal constitutionnel a considéré que la défaillance de l'avocat avait empêché d'épuiser les possibilités offertes par le droit interne, avant de le saisir de la question, afin que les organes du pouvoir judiciaire réparent l'atteinte qui aurait été portée aux droits fondamentaux, condition indispensable compte tenu de la nature subsidiaire du recours en amparo. Selon l'État partie, si la nature subsidiaire du Tribunal constitutionnel empêche ce dernier de se prononcer sur des plaintes qui n'ont pas été suffisamment présentées aux organes judiciaires ordinaires, le Comité ne peut pas non plus examiner des plaintes qui n'ont pas été correctement plaidées devant des organes internes.
4.3 Dans une réponse du 23 janvier 2003, l'État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, objectant qu'il n'y avait pas eu violation du Pacte. L'État partie réaffirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour les raisons exposées plus haut. Il ajoute que le fait d'être en désaccord avec une décision judiciaire ne signifie pas qu'elle a été rendue par un juge arbitraire et insensible, à moins que ces allégations ne soient dûment étayées et justifiées. Or ce n'est absolument pas le cas dans la présente affaire, vu que l'auteur se contente de tout rejeter en général, sans apporter le moindre argument objectif.
Commentaires de l'auteur
5.1 Par une lettre du 12 mai 2003, l'auteur a répondu aux observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication. En ce qui concerne l'argument selon lequel la même question a déjà été soumise à la Commission européenne des droits de l'homme, l'auteur affirme que la Commission n'a pas examiné le fond de l'affaire et s'est limitée à déclarer qu'il n'y avait pas de circonstances particulières exigeant de poursuivre l'examen de la demande malgré sa demande de retrait de la requête.
5.2 En ce qui concerne le non-épuisement des recours internes, dans sa décision l'Audiencia provincial reconnaît que l'absence de l'avocat ne l'a en aucun cas empêchée d'examiner, comme elle il y était habilitée, la totalité des preuves versées au dossier, et elle a immédiatement après rendu sa décision. En outre, dans sa demande d'appel, l'auteur avançait la violation de plusieurs droits fondamentaux. Par conséquent, l'argument du Tribunal constitutionnel, qui fait valoir que l'absence de l'avocat a empêché d'épuiser les recours internes, n'est pas fondé et contredit la décision de l'Audiencia provincial. Enfin, l'auteur accuse le juge de première instance d'être arbitraire et de lui être hostile, sans donner plus de détails pour étayer son allégation.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif du Pacte.
6.2 Le Comité prend note de l'argument de l'État partie qui objecte que la question a été examinée par la Commission européenne des droits de l'homme et que la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève que, en date du 13 mai 1996, l'auteur a présenté une requête à la Commission puis l'a retirée par une demande écrite du 4 octobre de la même année. Dans sa décision du 28 novembre 1996, la Commission a pris acte du retrait et a estimé qu'il n'y avait pas de raisons particulières relativement au respect des droits protégés par la Convention pour poursuivre l'examen de la requête. Le Comité estime par conséquent que l'affaire n'a pas fait l'objet d'un examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne la nécessité d'épuiser les recours internes disponibles, l'État partie fait valoir que la déclaration d'appel n'expliquait pas suffisamment les motifs de la demande et que cette absence d'explication n'a pas été corrigée à l'audience, du fait de l'absence de l'avocat. Le Comité relève toutefois que ces faits n'ont pas empêché l'Audiencia provincial de se prononcer sur le recours en appel et que l'auteur a par la suite introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, par une demande écrite dans laquelle elle décrivait les faits et les droits qui avaient été violés. Le Comité en conclut que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.4 L'auteur fait valoir que, comme elle n'avait pas été informée par le juge de la procédure engagée contre elle, elle n'a pas pu y participer avant plusieurs mois alors que toutes les preuves avaient déjà été administrées et qu'il n'était plus possible de présenter de nouvelles allégations, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte qui protège le droit pour toute personne à un procès dans lequel sa cause sera entendue. Le Comité constate toutefois que l'auteur a eu la possibilité de présenter de nouvelles preuves et allégations dans le cadre du recours en appel et que les manquements de sa défense, en particulier l'absence de l'avocat à l'audience, ne peuvent pas être imputés à l'État partie. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication n'est pas suffisamment étayée et doit être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 L'auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, parce que le juge n'était pas compétent et impartial et parce que la décision rendue en première instance est sans rapport avec la demande, étant donné que le père avait demandé la garde des deux enfants et que le tribunal avait confié cette garde aux grands-parents. Le Comité relève que l'auteur souhaite qu'il examine les faits et éléments de preuve du dossier et, renvoyant à sa jurisprudence, il réaffirme qu'il appartient aux juridictions nationales d'apprécier les faits et les éléments de preuve des tribunaux nationaux, à moins qu'il ne soit manifeste que l'appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère que l'auteur n'a pas suffisamment étayé sa plainte pour pouvoir affirmer qu'il y a eu arbitraire ou déni de justice et il estime par conséquent que cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.6 De même, en ce qui concerne la violation de l'article 17 invoquée par l'auteur parce qu'elle a été privée de la garde de son fils mineur, le Comité observe qu'il ne lui appartient pas d'examiner les faits et éléments de preuve et que l'auteur n'a pas démontré que l'appréciation de ceux-ci par les tribunaux nationaux ait été arbitraire ou équivalente à un déni de justice. Par conséquent, cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.
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[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson López, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.