Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 2004
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1 Les auteurs de la communication sont Mme Palandjian et son frère Aghabab
Palandjian, (1) citoyens hongrois de naissance mais citoyens américains
depuis 1966, qui résident actuellement aux États-Unis. Ils affirment être
victimes de violations du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.
1.2 Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour la Hongrie
le 7 décembre 1988.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 En 1952, les biens que le père des auteurs avait en commun avec
son frère à Budapest ont été nationalisés par l'ancien régime communiste.
La même année, la famille est allée vivre en Autriche. En 1960, le père
des auteurs, citoyen arménien/iranien, est décédé et les auteurs ont
alors émigré aux États-Unis.
2.2 En 1991, les autorités hongroises ont adopté la loi no XXV de 1991
(ci-après dénommée la «loi d'indemnisation»), par laquelle elles accordaient
une indemnisation partielle pour les biens qui avaient été nationalisés
sous le régime communiste. En vertu du paragraphe 2 de cette loi, les
personnes suivantes avaient le droit d'être indemnisées: 1) les citoyens
hongrois; 2) les anciens citoyens hongrois; et 3) les ressortissants
étrangers qui résidaient en Hongrie le 31 décembre 1990.
2.3 Le 11 décembre 1992 et le 30 avril 1993, le consulat de Hongrie
à New York a répondu aux demandes de renseignements de Mme Palandjian
à propos de ses droits à indemnisation, expliquant qu'elle ne pouvait
y prétendre étant donné que son père ne faisait pas partie des bénéficiaires
aux termes de la loi d'indemnisation dès lors qu'il n'était pas citoyen
hongrois au moment de la nationalisation.
2.4 Le 16 mars 1993, le Bureau de règlement des réclamations pour perte
de biens de Budapest a rejeté la demande d'indemnisation de Mme Palandjian
au motif que son père ne remplissait pas les critères fixés dans la
loi d'indemnisation. Le 29 avril 1993, Mme Palandjian a fait appel de
cette décision. Le 2 mai 1996, le Bureau national de règlement des réclamations
pour perte de biens et d'indemnisation a confirmé cette décision. Le
1er avril 1998, le tribunal de district de Pest a à son tour confirmé
la décision.
2.5 En 1994 ou vers cette date, Mme Palandjian a demandé conseil au
Secrétaire principal de la Cour constitutionnelle. Dans une lettre datée
du 21 novembre 1994, ce dernier a expliqué qu'un recours auprès de cette
juridiction devait contester la constitutionnalité d'une loi quand aucun
autre moyen de droit n'est disponible et que la réponse à une simple
demande d'avis sur une question juridique ne faisait pas partie
des compétences de la Cour. Mme Palandjian n'a pas introduit de requête
constitutionnelle, ayant appris d'un avocat, en 1990, qu'il demanderait
le dépôt d'une caution de 240 000 dollars pour présenter une telle requête.
2.6 Le 26 février 1999, une requête présentée par Mme Palandjian à
la Cour européenne des droits de l'homme a été déclarée irrecevable;
compte tenu de tous les éléments qui étaient en sa possession et dans
la mesure où les questions qui faisaient l'objet des plaintes relevaient
de sa compétence, la Cour a estimé que les faits exposés ne faisaient
apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés dans la
Convention et ses protocoles.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment qu'ils n'ont pas présenté de requête à la
Cour constitutionnelle parce que le coût d'une telle procédure est prohibitif.
De ce fait, ils considèrent qu'ils ont épuisé tous les recours internes.
3.2 Les auteurs font valoir que leur droit à la propriété a été violé
dès lors que les autorités hongroises ne leur ont pas restitué les biens
de leur père ou ne les ont pas indemnisés de la perte de ces biens à
la suite de leur nationalisation en 1952.
3.3 Les auteurs affirment également qu'ils ont fait l'objet d'une discrimination
dans la mesure où ils n'ont pas été indemnisés de la perte des biens
de leur père parce que ce dernier n'était pas citoyen hongrois au moment
de la nationalisation et qu'il ne remplissait donc pas les critères
fixés dans la loi d'indemnisation de 1991.
Observations de l'État partie sur la recevabilité
4.1 Dans sa lettre du 8 octobre 2002, l'État partie affirme que l'allégation
de Mme Palandjian, selon laquelle il y a eu violation de son droit à
la propriété, ne relève pas du champ d'application du Pacte et est par
conséquent irrecevable ratione materiae conformément à l'article
3 du Protocole facultatif. En ce qui concerne sa plainte selon laquelle
elle a été victime d'une discrimination pour ce qui est de son indemnisation
pour la perte des biens nationalisés de son père, l'État partie estime
qu'elle est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif dans la mesure où Mme Palandjian
n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles.
4.2 L'État partie soutient que l'allégation de Mme Palandjian, selon
laquelle elle a été victime d'une discrimination du fait de la loi d'indemnisation,
étant donné qu'elle n'a pas bénéficié d'une indemnisation partielle
pour la perte des biens de son défunt père, n'a jamais été soulevée
devant les autorités nationales compétentes notamment devant des organes
judiciaires. Il ressort des documents présentés que Mme Palandjian a
adressé une demande d'indemnisation au Bureau de règlement des réclamations
pour perte de biens. Cette demande a été rejetée le 16 mars 1993 au
motif que son auteur ne remplissait pas les conditions requises car
«au moment du préjudice, le propriétaire n'était pas citoyen hongrois
comme l'exige le paragraphe 1 b) de l'article 2 de la loi d'indemnisation».
Selon l'État partie, seul Aghabab Palandjian a fait appel de cette décision
devant le Bureau national de règlement des réclamations pour perte de
biens et d'indemnisation et a demandé par la suite un examen judiciaire
de la décision. L'État partie fait observer que Mme Palandjian n'a ni
fait appel de cette décision devant le Bureau national de règlement
des réclamations pour perte de biens et d'indemnisation ni demandé un
examen judiciaire conformément à l'article 10 de la loi d'indemnisation.
4.3 L'État partie affirme que Mme Palandjian n'a pas déposé de requête
constitutionnelle alors qu'elle aurait pu soumettre dans une telle requête
son allégation de discrimination. Il explique que le droit de ne pas
faire l'objet d'une discrimination est garanti par l'article 70/A de
la Constitution hongroise, qui est interprété par la Cour constitutionnelle
conformément aux instruments internationaux, y compris les dispositions
du Pacte. L'État partie fait valoir que Mme Palandjian aurait pu se
prévaloir de ces deux recours pour contester la constitutionnalité de
la loi en cause. Premièrement, et à supposer qu'elle ait fait appel
devant le Bureau de règlement des réclamations pour perte de biens et
d'indemnisation, elle aurait pu adresser une plainte à la Cour constitutionnelle
conformément à l'article 48 de la loi no XXXII de 1989. (2) Deuxièmement,
et même si elle n'a pas épuisé tous les autres moyens de droit disponibles,
elle aurait pu déposer une requête devant la Cour constitutionnelle
pour contester la constitutionnalité de la loi d'indemnisation en invoquant
la discrimination dont elle fait état. Dans les deux cas et dans l'hypothèse
où elle aurait statué que les restrictions concernant la qualité des
personnes ayant droit à une indemnisation étaient discriminatoires,
la Cour aurait pu abroger les dispositions législatives contestées.
4.4 L'État partie affirme en outre que Mme Palandjian aurait pu intenter
une action au civil contre les autorités hongroises pour discrimination
fondée sur la nationalité en invoquant l'article 76 du Code civil et
l'article 26 du Pacte, lequel a été incorporé au droit hongrois par
le décret-loi no 8 de 1976 et est, par conséquent, directement applicable
devant les tribunaux nationaux. Si elle l'avait fait, elle aurait pu
obtenir réparation ou le tribunal saisi aurait pu demander à la Cour
constitutionnelle de vérifier la constitutionnalité de la loi d'indemnisation.
Commentaires des auteurs
5. Le 22 janvier 2003, les auteurs ont réitéré leurs précédentes allégations
et rejeté l'affirmation selon laquelle ils n'auraient pas épuisé les
recours internes disponibles. Ils affirment que l'exercice des recours
est une procédure excessivement longue et onéreuse et qu'ils ont été
informés par le département juridique du Bureau d'indemnisation qu'il
leur serait impossible d'obtenir réparation dans le cadre de la loi
actuelle. Ils affirment, en ce qui concerne Mme Palandjian, qu'en demandant
conseil au Secrétaire principal de la Cour constitutionnelle ils ont
épuisé les recours internes.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit déterminer, conformément à l'article
87 de son règlement intérieur, si la communication est recevable en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà
examiné les faits de la cause et conclu qu'ils ne «[faisaient] apparaître
aucune violation des droits et des libertés consacrés par la Convention
et les protocoles s'y rapportant». Cela dit, il note que la Cour européenne
ayant déjà examiné les faits de la cause, celle-ci «n'est pas en cours
d'examen actuellement devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole
facultatif et que par conséquent la communication ne peut être déclarée
irrecevable à cet égard.
6.3 Concernant la confiscation des biens de leur père, le Comité fait
observer que le droit à la propriété n'est pas expressément protégé
par le Pacte. La plainte pour violation du droit des auteurs à la propriété
est donc en soi irrecevable ratione materiae, en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité note aussi la plainte des auteurs selon laquelle ils
ont été victimes d'une discrimination en violation de l'article 26 du
Pacte dans la mesure où on a refusé de les indemniser au motif que leur
défunt père n'était pas citoyen hongrois au moment de la nationalisation
de ses biens. À cet égard, il constate que bien que les auteurs aient
tous deux, semble-t-il, fait appel devant le Bureau national de règlement
des réclamations pour perte de biens et d'indemnisation, ils n'ont pas
montré qu'ils ont invoqué un quelconque argument relatif à la discrimination
dont ils auraient été victimes devant les juridictions nationales. Notant
que les auteurs n'ont en rien étayé leur assertion selon laquelle l'épuisement
des recours internes aurait eu un coût prohibitif, le Comité conclut
par conséquent que cette plainte est irrecevable pour non-épuisement
des recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5
du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 et
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et, pour
information, à l'État partie.
_______________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M.
Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth
Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Aghabab Palandjian souffre d'une affection musculaire dégénérative
qui l'empêche de voir, de lire ou d'écrire. Il a autorisé sa sœur
à agir en son nom.
2. Cet article stipule ce qui suit: «1) Quiconque a été victime d'une
violation de ses droits consacrés par la Constitution du fait de l'application
d'une disposition anticonstitutionnelle et qui a épuisé tous les moyens
de recours ou qui ne dispose pas de tels moyens peut déposer une plainte
constitutionnelle devant la Cour constitutionnelle…».