Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-deuxième session
18 octobre - 5 novembre 2004
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-deuxième session -
Communication No. 1110/2002
Au nom de: L'auteur
État partie: Philippines
Date de la communication: 22 juillet 1998 (date de la lettre initiale)
Réuni le 3 novembre 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1110/2002, présentée au nom de Pagdayawon Rolando en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Le 28 août 2002, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l'homme a demandé à l'État partie, en application de l'article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l'exécution de l'auteur condamné à la peine capitale, tant que sa communication serait à l'examen.
1.3 Le 20 octobre 2003, informé que l'État partie avait l'intention d'exécuter l'auteur, le Comité des droits de l'homme, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a de nouveau demandé à l'État partie, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, de ne pas exécuter l'auteur tant que sa communication était à l'examen devant le Comité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 En septembre 1996, l'auteur a été arrêté et conduit au poste de police, sans mandat d'arrêt. Il a été informé qu'il était arrêté parce que sa femme l'accusait d'avoir violé sa belle-fille. L'auteur, qui a été policier, a demandé à voir le mandat d'arrêt le concernant ainsi qu'une copie de la plainte officielle, mais n'a reçu aucun des deux. Il dit ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence ou de son droit de consulter un avocat, comme l'exige l'article III, section 12-1, de la Constitution de 1987. Il a été libéré le 1er novembre 1996. À aucun moment durant sa détention, il n'a été traduit devant une autorité judiciaire ni formellement inculpé.
2.2 Le 27 janvier 1997, il a de nouveau été arrêté et accusé du viol de sa belle-fille Lori Pagdayawon, en vertu du paragraphe 3 de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié. Il dit ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence ou de consulter un avocat. Il indique également qu'il n'a pas pu engager un avocat à titre privé avant l'enquête. Il a été représenté par le même avocat tout au long de la procédure. Le 27 mai 1997, le tribunal régional de première instance de Davao l'a reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné à mort, ainsi qu'au versement de 50 000 pesos à la victime. (1) Selon l'auteur, la peine de mort est obligatoire en cas de viol. C'est un crime contre la personne, en vertu de la loi de la République no 8353.
2.3 Le 15 février 2001, dans le cadre de sa procédure de contrôle juridictionnel automatique, la Cour suprême a confirmé la condamnation à mort prononcée par le tribunal de première instance mais a porté l'indemnisation due à la victime au titre de la responsabilité civile à 75 000 pesos et a ajouté «un montant supplémentaire de 50 000 pesos pour préjudice moral». (2) Selon l'auteur, la Cour suprême s'est conformée à sa pratique habituelle qui consiste à ne pas entendre de témoins pendant le contrôle et à s'appuyer uniquement sur l'appréciation des éléments de preuve faite par les juridictions inférieures. Elle a réaffirmé sa position, établie par la jurisprudence, (3) en ce qui concerne le crédit accordé au témoignage des jeunes femmes qui disent avoir été violées, déclarant que «le témoignage d'une victime de viol, qui est très jeune, est crédible et doit recevoir le crédit mérité, en particulier lorsque les faits la désignent comme victime d'une agression sexuelle. Elle ne chercherait certainement pas la publicité et n'endurerait pas l'épreuve et l'humiliation que représente un procès public si elle n'avait pas été effectivement violée.». Selon l'auteur, le seul critère retenu par le tribunal pour juger de la véracité des allégations de la victime présumée est le fait qu'elle soit disposée à subir un examen médical et à endurer l'épreuve d'un procès.
2.4 L'auteur décrit la procédure énoncée à l'alinéa a du paragraphe 7 du document EP 200, publié par le Bureau correctionnel en vertu de la loi de la République no 8177, concernant son exécution. Le condamné n'est prévenu de la date de son exécution qu'à l'aube du jour fixé, et l'exécution doit avoir lieu au plus tard 8 heures après que le condamné en a été informé. Il n'est pas prévu de prévenir la famille du condamné. Celui-ci a uniquement le droit de contacter un prêtre ou son avocat et ne peut leur parler qu'à travers un grillage.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que sa première mise en détention était illégale et constituait une violation des paragraphes 1 à 4 de l'article 9. Il estime que le refus de le laisser consulter un avocat lors de sa première détention constituait une violation du paragraphe 1 de l'article 14, car ses chances d'avoir un procès équitable s'en sont trouvé réduites.
3.2 L'auteur indique que la position de la Cour suprême, réaffirmée dans la présente affaire, qui consiste à accepter le témoignage d'une victime de viol comme étant forcément véridique, constitue une violation de son droit à être présumé innocent et de son droit à l'égalité devant les tribunaux, conformément au paragraphe 2 de l'article 14. Il estime qu'elle constitue également une violation du droit à l'égalité consacré par le paragraphe 1 de l'article 14, ainsi que de son droit à un procès équitable. Il fait valoir que le fait que le tribunal n'ait pas respecté la présomption d'innocence et n'ait pas «imputé la charge de la preuve à l'accusation» constitue une violation manifeste de l'obligation d'impartialité qui incombe au juge. Il indique que, le tribunal régional de première instance ayant adopté la même position en l'espèce, la présomption d'innocence n'a pas été respectée et qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable.
3.3 L'auteur ajoute que la pratique de la Cour suprême, qui consiste à ne pas entendre de témoins pendant le contrôle et donc à s'appuyer sur l'appréciation des éléments de preuve faite par les juridictions inférieures, constitue une violation du droit d'examen par une juridiction supérieure consacré par le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Dans le cas d'espèce, l'un des arguments de l'auteur devant la Cour suprême était que le tribunal s'était trompé dans son appréciation du témoignage de Lori Pagdayawon. Il estime que, pour examiner correctement l'affaire, la Cour suprême aurait dû entendre la victime afin d'évaluer la véracité de ses dires.
3.4 L'auteur estime que l'application de la peine de mort à des crimes tels que le viol en application de la loi de la République no 8353 de 1997 constitue une violation de l'obligation de l'État partie de restreindre la peine de mort aux «crimes les plus graves», conformément à l'article 6. Il fait valoir qu'aux termes de la résolution du Conseil économique et social de 1984 intitulée «Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort», l'expression «crimes les plus graves» s'applique au moins aux crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou d'autres conséquences extrêmement graves. (4) L'auteur évoque le consensus international croissant contre la peine de mort et le fait que les statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, du Tribunal pénal international pour le Rwanda et de la Cour pénale internationale ne prévoient pas l'application de la peine de mort.
3.5 Il indique que s'il était exécuté, il serait informé de son exécution seulement 8 heures avant au maximum, ne pourrait dire adieu à sa famille et pourrait seulement parler à son avocat et à un prêtre à travers un grillage, conformément à la procédure en vigueur aux Philippines, telle qu'elle est énoncée dans le document EP 200. Il soutient que cette procédure constitue une peine inhumaine et dégradante et ne respecte pas la dignité inhérente à la personne humaine, garantie par l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. L'auteur fait valoir qu'un tel traitement constitue une torture psychologique/mentale analogue au «syndrome du quartier des condamnés à mort».
3.6 L'auteur ajoute qu'en rétablissant la peine de mort pour les «crimes odieux», conformément à la loi de la République no 7659, l'État partie a violé les dispositions de l'article 6 du Pacte. Il soutient que les paragraphes 1, 2 et 6 de l'article 6, lus conjointement, permettent de conclure qu'une fois qu'un État a aboli la peine de mort, il n'est pas libre de la rétablir. Qui plus est, une «interprétation au sens large» du paragraphe 2 de l'article 5 du Pacte, qui permettrait à un État partie de restaurer la peine de mort, serait contraire à cette disposition.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1 La communication et les documents joints ont étés transmis à l'État partie le 28 août 2002. Malgré plusieurs rappels, l'État partie n'a pas donné de réponse au Comité qui l'avait prié, conformément aux articles 86 et 91 de son règlement intérieur, de lui soumettre des explications ou des observations portant sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu'il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que les États parties sont tenus d'examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et de faire parvenir au Comité toutes les informations dont ils disposent. Compte tenu de l'absence de coopération de l'État partie avec le Comité dans l'affaire dont il est saisi, il convient d'accorder tout le crédit voulu aux allégations de l'auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.
4.2 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.3 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, le Comité note que l'État partie n'a pas évoqué l'existence de recours internes qui auraient pu être épuisés par l'auteur.
4.4 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui affirme que le droit à la présomption d'innocence a été violé du fait que le tribunal a accepté le témoignage d'une victime mineure, le Comité relève à la lecture des jugements rendus par le tribunal régional de première instance et la Cour suprême que le pouvoir judiciaire a effectivement tenu compte de l'âge de la victime en appréciant son témoignage et a effectivement considéré qu'un procès pour viol était une épreuve telle qu'il était improbable que quelqu'un engage un tel procès si un viol n'avait pas été effectivement subi. Mais ces considérations n'ont pas été les seuls éléments examinés par le tribunal régional de première instance et par la Cour suprême. Les deux juridictions ont pris en considération, entre autres éléments, des preuves d'ordre médical et les dépositions de témoins pour apprécier les faits et les preuves dans cette affaire. Le Comité a également relevé dans le jugement du tribunal régional de première instance une confirmation que «dans l'ensemble, les preuves à charge sont d'un poids tel qu'elles l'emportent sur le principe constitutionnel de la présomption d'innocence de l'accusé. L'accusation a établi la culpabilité de l'accusé au-delà du doute raisonnable. Les preuves à décharge, qui consistent simplement à nier les faits, n'ont pas une valeur probante suffisante par rapport aux preuves administrées par l'accusation qui établissent sa culpabilité au-delà de tout doute possible.». Le Comité réaffirme sa jurisprudence (5) selon laquelle les juridictions des États parties sont le mieux à même d'apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L'auteur n'ayant fourni aucun élément de preuve pour démontrer que les décisions des juridictions d'appel étaient manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice, le Comité considère cette plainte comme irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif, faut d'éléments pour étayer sa recevabilité. En conséquence, le grief énoncé sur ce point est irrecevable.
4.5 Pour ce qui est du grief de violation des droits consacrés au paragraphe 5 de l'article 14, du fait que la Cour suprême n'a pas entendu la déposition des témoins mais a repris l'interprétation des preuves donnée en première instance, le Comité rappelle, conformément à sa jurisprudence, que le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte n'exige pas «un nouveau procès sur les faits de la cause» ni une «nouvelle audience». (6) En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable car, aux termes de l'article 3 du Protocole facultatif, elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.
4.6 Le Comité considère les autres griefs de l'auteur comme recevables et procède par conséquent à l'examen quant au fond des plaintes au titre de l'article 6, de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10, de l'article 9 et du paragraphe 3 d) de l'article 14.
Examen au fond
5.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.2 Il ressort des jugements rendus par le tribunal régional de première instance et par la Cour suprême que l'auteur a été reconnu coupable de viol sur mineur en vertu de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié par l'article 11 de la loi de la République no 8353 (voir la note 2 ci-dessus), qui dispose que «la peine de mort est aussi prononcée lorsque le crime de viol est commis dans les circonstances aggravantes suivantes: 1. la victime a moins de 18 ans et l'auteur est le père ou la mère, un ascendant, un beau-parent, un tuteur, un parent consanguin ou allié au troisième degré ou le concubin du parent de la victime…». La peine de mort a donc été appliquée automatiquement en vertu de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié. Le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire et automatique à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question. (7)Le Comité note par ailleurs que, dans le droit interne de l'État partie, le viol est une notion large qui recouvre des infractions de différents degrés de gravité. Il en découle que la condamnation automatique de l'auteur à la peine de mort en vertu de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié, constitue une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte.
5.3 Ayant constaté la violation de l'article 6 du Pacte, le Comité n'a pas lieu de se pencher sur les autres griefs de l'auteur au titre des paragraphes 1, 2 et 6 de l'article 6 qui concernent tous l'imposition de la peine capitale.
5.4 Le Comité prend note des griefs de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 avancés par l'auteur du fait qu'il ne serait informé de la date de son exécution qu'à l'aube du jour où elle aurait lieu, qu'il serait alors exécuté dans les 8 heures et n'aurait pas le temps de dire adieu à sa famille et de mettre en ordre ses affaires personnelles. Il prend également note de l'argument de l'État partie qui fait valoir que la peine capitale sera exécutée «au plus tôt un an et au plus tard 18 mois après que le jugement serait devenu définitif et exécutoire, sans préjudice de l'exercice à tout moment de son droit de grâce par le Président de la République». (8) Le Comité croit comprendre, au vu du texte de la loi, que l'auteur aurait au moins un an et au plus 18 mois après l'épuisement de tous les recours internes pour prendre des dispositions pour voir sa famille avant la notification de la date de l'exécution. Il note aussi qu'en vertu de l'article 16 de la loi de la République no 8177, après notification de son exécution, l'auteur aurait environ 8 heures pour prendre les dernières dispositions concernant ses affaires personnelles et voir les membres de sa famille. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle l'établissement d'un mandat d'exécution, provoque nécessairement chez l'individu concerné une angoisse intense et il estime que l'État partie devrait s'efforcer de réduire cette angoisse dans la mesure du possible. (9) Cependant, sur la base des informations fournies, le Comité ne peut pas conclure que l'exécution de l'auteur dans les 8 heures suivant la notification, considérant qu'il aurait déjà eu au moins un an après avoir épuisé les recours internes et avant la notification de son exécution pour mettre en ordre ses affaires et voir sa famille, violerait les droits qui lui sont reconnus par l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
5.5 Pour ce qui est du grief de violation de l'article 9, étant donné que l'État partie n'a pas contesté les éléments de fait présentés par l'auteur, le Comité conclut que, quand il a été arrêté en septembre 1996, l'auteur n'a pas été informé des motifs de son arrestation et n'a pas reçu notification dans le plus court délai de l'accusation portée contre lui; l'auteur a été arrêté sans mandat et par conséquent en violation du droit interne applicable; ensuite, après son arrestation, il n'a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge. En conséquence, il y a eu violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 du Pacte.
5.6 En ce qui concerne le grief de l'auteur selon lequel il n'a pas pu communiquer avec un avocat pendant la première période de détention et que pendant l'une et l'autre période il n'a pas été informé de son droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat, grief que l'État partie n'a pas contesté, le Comité estime qu'il y a violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par les Philippines du paragraphe 1 de l'article 6, des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
7. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'offrir à l'auteur un recours approprié, consistant en une commutation de sa peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
8. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.
__________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Le texte de deux opinions individuelles signées par les membres du Comité ci-après est joint à la présente communication: M. Martin Scheinin, Mme Christine Chanet, M. Rajsoomer Lallah, Mme Ruth Wedgwood et M. Nisuke Ando.
Mme Christine Chanet et M. Rajsoomer Lallah (partiellement dissidente)
Toutefois, nous ne partageons pas l'avis du Comité, exprimé au paragraphe 5.3 des constatations, selon lequel il est inutile d'examiner les autres réclamations de l'auteur portant sur l'article 6. Bien que la majorité des membres du Comité ait aussi suivi, en l'espèce, les constatations formulées le 28 mars 2003, dans l'affaire Carpo, nous sommes d'avis que le moment est venu d'examiner la question de la compatibilité avec l'article 6 du rétablissement de la peine capitale dans un pays l'ayant précédemment abolie. Depuis la décision prise dans l'affaire Carpo - Ó laquelle nous avons participÚ -, deux faits nouveaux importants se sont produits qui justifient, selon nous, que le ComitÚ se penche Ó prÚsent sur la question.
PremiÞrement, en octobre 2003, le ComitÚ a examinÚ le deuxiÞme rapport pÚriodique des Philippines et abordÚ Ó cette occasion la question de la peine capitale sous diffÚrents angles, ce qui lui a permis de comprendre beaucoup mieux le droit et la pratique de l'╔tat partie (voir le rapport de l'╔tat partie CCPR/C/PHL/2002/2, les comptes rendus de sÚance CCPR/C/SR.2138, 2139 et 2140, et les observations finales du ComitÚ CCPR/CO/79/PHL).
DeuxiÞmement, au cours de la session qui a suivi le rÞglement de l'affaire Carpo, le Comité s'est interrogé sur le point de savoir si le rétablissement de la peine capitale, une fois qu'elle a été abolie, est compatible avec l'article 6. Cette question a été examinée dans le cadre de l'affaire Roger Judge c. Canada (communication no 829/1998, constatations adoptées le 5 août 2003), au sujet de laquelle le Comité a estimé que le Canada, bien qu'ayant aboli la peine capitale, avait violé l'article 6 en expulsant l'auteur de la communication vers un pays où il était passible de la peine de mort. Il convient de souligner que le Comité n'est pas parvenu à cette conclusion parce que le Canada était partie au deuxième Protocole facultatif - il ne l'est pas -, ni parce que le pays d'accueil Útait susceptible de violer l'article 6. La question Útait plut¶t de savoir si le fait, pour un pays abolitionniste, de faire courir Ó une personne le risque d'Ûtre condamnÚe Ó la peine capitale dans un autre pays constituait en soi une violation de l'article 6.
Le ComitÚ a rÚpondu par l'affirmative Ó cette question dans les termes suivants:
Ainsi, la question juridique de savoir si la réintroduction de la peine capitale après qu'elle a été abolie constitue une violation de l'article 6 a été clarifiée après l'adoption des constatations du Comité dans l'affaire Carpo. Ce qui ne l'a pas été, en revanche, est le point de fait de savoir si les modifications constitutionnelles et législatives intervenues aux Philippines en 1987 équivalaient à l'abolition de la peine capitale. Telle est la question que le Comité aurait pu - et, selon nous, d¹ - examiner. La majoritÚ des membres du ComitÚ a toutefois estimÚ qu'il Útait inutile de la traiter dans le cas d'espÞce, sans l'examiner au fond.
Le Pacte est entrÚ en vigueur pour les Philippines le 23 janvier 1987, sans qu'aucune rÚserve y soit apportÚe. └ compter de cette date, les Philippines Útaient tenues par l'ensemble des obligations qui dÚcoulaient de l'article 6 du Pacte. Tout de suite aprÞs, le 2 fÚvrier 1987, une nouvelle Constitution approuvÚe par plÚbiscite populaire est entrÚe en vigueur. L'article 3 19) 1) de la Constitution a abrogÚ la peine de mort dans les termes suivants:
«… la Constitution n'a pas simplement suspendu l'application de la peine de mort, elle l'a en réalité complètement abolie en droit. Le fait de commuer ou de transformer automatiquement toute condamnation à mort prononcée mais non encore appliquée depuis l'entrée en vigueur de la Constitution en réclusion à perpétuité démontre clairement que, s'il est toujours possible d'un accusé pour un crime capital, la mort en tant que peine a cessé d'exister dans notre droit pénal et ne peut donc plus être appliquée. Telle était clairement l'intention des auteurs de la Constitution.».
Dans la présentation des événements qui précède, nous avons évité de prendre position sur la question de savoir si ce qui s'est déroulé aux Philippines en 1987 équivalait à une abolition de la peine de mort au sens du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte. Il est temps à présent de répondre à cette question.
Comme le fait observer le Comité, au paragraphe 4.1 de ses constatations dans la présente affaire, les Philippines n'ont communiqué aucune information au Comité en réponse à la communication. Cette situation est bien évidemment regrettable, mais elle ne saurait empêcher le Comité d'établir les faits à la lumière des éléments dont il dispose.
La distinction entre abolition et moratoire est, selon nous, capitale. En 1987, les Philippines ont supprimé la peine capitale de leur ordre juridique, de sorte qu'aucune disposition du droit pénal ne prévoyait la possibilité de condamner une personne à mort. La peine de mort ne pouvait être appliquée au motif qu'il y était fait référence dans la Constitution. Au contraire, la Constitution elle-même précisait très clairement que la peine capitale avait été supprimée de l'ordre juridique, c'est-à-dire abolie. Le fait qu'elle ait comporté une espèce de réserve interne, en ce sens que la réintroduction de la peine capitale selon certaines modalités pourrait ne pas être inconstitutionnelle, est sans incidence sur les dispositions de fond ou l'application de l'article 6 du Pacte en tant que traité international.
Partant, nous concluons que, aux fins du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, les Philippines ont aboli la peine capitale en 1987 et l'ont réintroduite en 1993. Suite à cela, l'auteur de la présente communication a été condamné à mort, ce qui constitue, selon nous, une violation de l'article 6 du Pacte. Cette violation se distingue de la violation de l'article 6 établie par le Comité sur le fondement du prononcé obligatoire de la peine de mort, et s'y ajoute.
Notre conclusion est appuyée par les arguments que l'État partie lui-même a communiqués au Comité dans le cadre de l'affaire Carpo. Bien que l'État partie n'ait pas coopéré avec le Comité en l'espèce, il est à présent intéressant d'observer que, avant que le Comité n'ait statué sur l'affaire Carpo, l'État partie avait fait valoir que:
1) «Le fait que les Philippines aient décidé, en vertu de la Constitution de 1987, d'abolir [la peine de mort] ne saurait empêcher pour autant le législateur de la rétablir, dans la mesure où la Constitution elle-même le permet.».
2) «… il appartient à l'État partie de se prononcer sur la constitutionnalité de la peine de mort. Le Comité n'est pas compétent pour interpréter la constitution d'un État partie afin de déterminer si celui-ci se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu des Pactes.».
3) Le paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte «ne fait pas référence aux pays qui ont précédemment aboli la peine de mort: il se réfère simplement aux pays où la peine de mort est toujours prévue par la législation».
La première observation est correcte du point de vue du droit constitutionnel philippin, mais elle revient en même temps à reconnaître que l'enchaînement des événements devrait être considéré comme une abolition suivie d'une réintroduction. La deuxième observation est techniquement correcte, mais elle ne saurait affecter la compétence du Comité pour interpréter l'article 6 du Pacte. Quant à la troisième observation, elle est manifestement incorrecte au regard du début du paragraphe 2 de l'article 6: «Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que…».
Depuis qu'il a été établi, il y a plus de 25 ans, le Comité des droits de l'homme a élaboré une jurisprudence particulièrement importante en ce qui concerne le droit à la vie, qui a eu pour effet de restreindre toute application de la peine capitale. Les auteurs du Pacte ne sont manifestement pas parvenus à se mettre d'accord pour abolir la peine capitale, mais ils ont néanmoins prévu dans les dispositions détaillées de l'article 6 un certain nombre de restrictions quant à l'application de cette peine que de nombreux États, des cours suprêmes ou des cours constitutionnelles dans différents pays du monde, des juristes éminents, des universitaires et de simples particuliers considèrent inhumaine. Grâce à une application rigoureuse des divers éléments de l'article 6, le Comité est parvenu à instituer, par sa jurisprudence, une surveillance internationale de l'application de la peine de mort, sans toutefois interpréter l'article 6 comme interdisant totalement cette peine. Certains des aspects les plus importants de cette volumineuse jurisprudence portent sur l'effet d'une violation des droits de la défense dans le cadre d'un procès aboutissant à une condamnation à la peine capitale, ce qui constitue une violation non seulement de l'article 14 mais aussi de l'article 6, sur le fait de considérer le prononcé obligatoire de la peine capitale pour un crime défini en termes vagues comme une privation arbitraire de la vie, sur la portée de la notion de «crimes les plus graves» figurant au paragraphe 2 de l'article 6 et, dans l'affaire Judge, sur la question du rétablissement indirect de la peine capitale découlant du fait pour un pays abolitionniste d'expulser une personne vers un autre pays où elle court le risque d'être condamnée à mort, tous ces points constituant des violations de l'article 6. En outre, s'agissant de l'article 7 du Pacte, le Comité a également estimé que certaines formes d'exécution, ainsi qu'un séjour prolongé dans le quartier de la mort, s'il s'accompagne d'«autres circonstances déterminantes», constituent des violations du Pacte. Toute cette jurisprudence, associée au fait que l'article 6 exclut que certaines catégories de personnes puissent être condamnées à la peine capitale, a effectivement restreint le recours à cette peine. Un jour le Comité disposera peut-être de raisons suffisantes pour conclure que, compte tenu de l'évolution de l'opinion publique, de la pratique des États et de la jurisprudence de diverses juridictions, toute forme d'exécution constitue un châtiment inhumain au sens de l'article 7.
Les affaires futures montreront si c'est effectivement dans ce sens qu'évoluera la jurisprudence du Comité. En tout état de cause, nous sommes d'avis que le Comité aurait dû suivre en l'espèce l'interprétation qu'il avait déjà formulée dans l'affaire Judge et aborder la question de savoir si les Philippines avaient violé l'article 6 en réintroduisant la peine capitale en 1993, après l'avoir abolie en 1987. Comme indiqué ci-dessus, notre réponse à cette question est affirmative.
[Signé] Christine Chanet
[Signé] Rajsoomer Lallah
Mme Ruth Wedgwood et M. Nisuke Ando
[Signé] Ruth Wedgwood
[Signé] Nisuke Ando
[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
2. La Cour suprême a déclaré que l'auteur avait été condamné en vertu de l'article 11 de la loi de la République no 7659, qui dispose entre autres que «La peine de mort est aussi infligée lorsque le crime de viol est commis dans les circonstances aggravantes suivantes: 1. la victime a moins de 18 ans et l'auteur est le père ou la mère, un ascendant, un beau-parent, un tuteur, un parent consanguin ou allié jusqu'au troisième degré ou le concubin du parent de la victime…». La Cour a indiqué que «Les circonstances aggravantes de la minorité de la victime et des liens de parenté qui justifient la peine de mort ont été spécifiquement invoquées et prouvées».
3, People v. Tao (G.R. no 133872, 5 mai 2000); People v. Amigable (G.R. no 133857, 31 mars 2000); People v. Sampior (G.R. no 117691, 1er mars 2000).
4. Résolution 39/118 du 14 décembre 1984.
5. Ramil Rayos c. Philippines, communication no 1167/2003, constatations adoptées le 27 juillet 2004.
6. Perera c. Australie, communication no 536/93; et H.T.B. c. Canada, communication no 534/1993.
7. Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines, affaire no 806/1998, constatations adoptées le 18 octobre 2000; Kennedy c. Trinité-et-Tobago, affaire no 845/1998, constatations adoptées le 26 mars 2002; Carpo c. Philippines, communication no 1077/2002, constatations adoptées le 6 mai 2002.
8. Art. 1er de la loi de la République no 8177.
9. Pratt et Morgan c. Jamaïque, communications nos 210/1986 et 225/1987, constatations adoptées le 6 avril 1989.