1. L'auteur de la communication, datée du 8 juillet 2002, est Joseph Kavanagh,
citoyen irlandais, né le 27 novembre 1957. Il est actuellement incarcéré à
la prison de Mountjoy (Dublin). Il affirme être victime de violations par
la République d'Irlande du paragraphe 3 a) et b) de l'article 2 et de l'article
26 du Pacte. Il n'est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 4 avril 2001, le Comité des droits de l'homme a adopté ses constatations
au sujet de la communication 819/1998, concluant que le droit de l'auteur
à l'égalité devant la loi, qui est garanti à l'article 26 du Pacte, avait
été violé puisque le Procureur général l'avait déféré devant un tribunal
pénal spécial sans justifier le choix d'une telle juridiction dans le cas
de l'auteur. (1) Le Comité a fait observer dans ses constatations
que l'auteur avait droit à un «recours utile». (2) L'État partie
était «également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se
reproduisent pas à l'avenir; «il devait» assurer que nul ne soit renvoyé
devant le Tribunal pénal spécial si la décision à cet effet n'est pas justifiée
par des motifs objectifs et raisonnables dont l'intéressé a été informé».
(3)
2.2 Le 28 avril 2001, après avoir reçu les constatations du Comité, le
conseil a écrit au Ministre de la justice, de l'égalité et de la réforme
juridique demandant la libération de l'auteur et indiquant qu'à défaut de
cela une action en justice serait intentée pour faire valoir ses droits.
Il a été officiellement accusé réception de la lettre du conseil le 30 avril
2001. (4) Comme, selon la pratique irlandaise, les requêtes visant
à contester la détention d'une personne sont déposées le plus tôt possible,
le 3 mai 2001, l'auteur a adressé une requête ex parte à la Haute
Cour. Dans cette requête, il demandait l'annulation de sa condamnation,
la reconnaissance de l'incompatibilité du paragraphe 2 de l'article 47 de
la loi sur les atteintes à la sûreté de l'État (Offences Against the
State Act) de 1939 avec le Pacte et la Constitution, sa libération sous
caution en attendant l'issue de la procédure, le paiement de dommages et
d'autres indemnités et de frais. La requête était fondée sur les constatations
du Comité et l'affirmation selon laquelle le Gouvernement était tenu en
vertu de la Constitution et du principe de la confiance légitime de donner
suite à ces constatations.
2.3 Les 20 et 21 juin 2001, la demande d'autorisation de faire appel de
l'auteur a été examinée par la Haute Cour; l'État s'est opposé à l'octroi
de l'autorisation. L'avocat de l'auteur a fait valoir que même si le Pacte
n'était pas expressément incorporé à la législation irlandaise et n'était
pas donc devenu directement opposable au niveau local, ses dispositions
et/ou ses principes faisaient désormais partie du droit international coutumier
et étaient à ce titre obligatoires. Il a également affirmé que le fait que
l'État partie ait ratifié le Pacte et le Protocole facultatif faisait que
l'on pouvait légitimement s'attendre à ce qu'il s'y conforme et applique
les constatations adoptées par le Comité dans les affaires. Il y a lieu
de noter que l'État partie a réclamé le paiement des dépens par l'auteur;
de son côté, l'auteur a demandé que lui soient remboursés les frais encourus
pour soulever (pour la première fois) une question revêtant une importance
considérable pour le public.
2.4 Le 29 juin 2001, la Haute Cour a refusé d'accorder l'autorisation demandée,
estimant que l'auteur n'avait pas présenté d'arguments défendables. En l'absence
d'une incorporation directe, le Pacte ne pouvait être appliqué dans l'ordre
juridique interne que par le biais du paragraphe 3 de l'article 29 de la
Constitution irlandaise (5). Toutefois, la Cour a jugé que, même
en admettant, aux fins de la discussion, que le Pacte où ces principes étaient
devenus «des principes universellement reconnus du droit international»
applicables par les tribunaux, les seuls droits conférés ne se rapportaient
qu'aux relations entre États et ne concernaient pas des personnes telles
que l'auteur. La Haute Cour n'a pris aucune décision quant aux dépens, en
sorte que l'auteur a dû assumer ses propres frais.
2.5 Dès que la décision de la Haute Cour a été rendue publique, le 16 juillet
2001, l'auteur a interjeté appel auprès de la Cour suprême. Son recours
n'a été examiné que le 13 décembre 2001 bien que des demandes aient été
faites pour que la procédure soit accélérée puisque l'auteur était en détention.
L'État s'est de nouveau opposé au recours de l'auteur. L'État a réclamé
le paiement des frais par l'auteur qui, de son côté, a encore une fois demandé
le remboursement de ses frais pour avoir soulevé une question d'intérêt
public. Le 1er mars 2002, la Cour suprême composée de cinq juges, y compris
le Président de la Cour, a rejeté le recours de l'auteur contre le refus
de la Haute Cour de l'autoriser à faire appel, estimant qu'il n'avait pas
présenté d'arguments défendables. La Cour a statué qu'il n'était possible
de donner effet en droit irlandais ni au Pacte ni aux constatations du Comité.
Elle a estimé que les constatations du Comité ne pouvaient avoir la primauté
sur les dispositions de la loi sur les atteintes à la sûreté de l'État ou
sur une condamnation prononcée par un tribunal établi en application de
cette loi. La Cour n'a pris aucune décision au sujet des dépens en sorte
que l'auteur a dû prendre en charge ses propres frais.
2.6 Le 8 août 2001 (trois mois et 10 jours après avoir reçu les constatations
du Comité), le Ministre de la justice, de l'égalité et de la réforme juridique
a offert à l'auteur 1 000 livres en reconnaissance des constatations du
Comité sans préciser si cette somme constituait une indemnité, une contribution
aux frais de justice ou était destinée à d'autres fins. Le Ministre n'a
pas non plus indiqué quelle mesure avait été prise pour éviter que des violations
analogues ne se reproduisent à l'avenir.
2.7 Peu de temps après, l'auteur a reçu du secrétariat du Comité une copie
de la réponse de l'État partie aux constatations formulées par le Comité
dans la communication initiale. L'État partie y informait le Comité de la
somme proposée à l'auteur et lui faisait tenir une copie partielle d'un
rapport intérimaire établi par une commission que le Gouvernement avait
par ailleurs créé aux fins d'examiner les lois sur les atteintes à la sûreté
de l'État de 1939 à 1998.
2.8 Le 22 août 2001, l'auteur a retourné au Ministre le chèque qui lui
avait été envoyé, estimant qu'il était totalement inadéquat et ne constituait
en aucune manière une réparation effective. Il a indiqué que la réparation
la plus appropriée consisterait à annuler le verdict et à ordonner un nouveau
procès devant des tribunaux ordinaires mais que, l'auteur ayant exécuté
l'essentiel de sa peine, il devrait être libéré. Sous couvert d'une lettre
datée du 24 août 2001, le Ministre a accusé réception de la lettre de l'auteur
et a refusé la réparation suggérée. Il n'a été fait état d'aucune autre
communication du Ministre. La question du chèque n'a pas été soulevée au
cours de la procédure devant les tribunaux.
2.9 Sous couvert d'une lettre datée du 5 octobre 2001 (faisant suite à
une lettre datée du 22 août 2001), l'auteur a répondu à la lettre contenant
la réponse de l'État partie aux constatations du Comité, précisant les raisons
pour lesquelles il estimait que la réparation proposée n'était ni adéquate
ni utile. Il a fait valoir qu'une violation des droits consacrés par le
Pacte devait être traitée de la même manière que des violations des droits
fondamentaux garantis par la Constitution. Les tribunaux irlandais avaient
veillé par le passé à empêcher des violations de ces droits entraînant des
condamnations et avaient, en conséquence, annulé des condamnations et ordonné
le paiement de sommes importantes en guise d'indemnisation. L'auteur a également
fait parvenir au Comité une opinion dissidente (que l'État partie n'avait
pas soumise au Comité) du Président et de deux membres de la Commission
chargée d'examiner la législation en cause dans laquelle ces derniers estimaient
qu'aucun amendement aux lois en question ne pouvait réparer la violation
du Pacte constatée par le Comité dans l'application de ladite législation.
En tout état de cause, l'auteur fait savoir qu'aucune décision n'a été annoncée
en ce qui concerne les pouvoirs du Procureur général, qui continue de renvoyer
des affaires devant le Tribunal pénal spécial sans donner de justification.
2.10. L'auteur note que durant la procédure, l'État partie n'a pris aucune
mesure pour lui assurer une quelconque réparation. Il affirme qu'avec le
rejet de son appel par la Cour suprême, tous les recours internes ont été
épuisés.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il a été victime d'une violation du paragraphe
3 a) de l'article 2 en ce sens que l'État partie ne lui a pas fourni de
recours utile pour la violation déjà constatée par le Comité - de
l'article 26 du Pacte - dont les effets persistent. Il se rÚfÞre
Ó une sÚrie d'affaires dans lesquelles le ComitÚ avait conclu Ó l'existence
d'une violation du paragraphe 3 de l'article 2 assortie d'une violation
d'une disposition de fond du Pacte du fait que le systÞme juridique concernÚ
n'avait pas assurÚ un recours utile pour ladite violation (6). Il
estime aussi que les déclarations du Comité selon lesquelles l'article 2
ne pouvait être invoqué en l'absence d'une violation touchant une disposition
de fond ne s'appliquaient pas à son affaire, dès lors qu'une violation de
ce type s'était déjà produite et avait été constatée par le Comité.
3.2 L'auteur dénonce en outre une violation du paragraphe 3 b) de l'article
2 du fait qu'on ne lui a pas assuré la possibilité de faire déterminer par
les autorités compétentes s'il avait droit à un recours et que l'on n'a
pas créé de possibilités de recours juridictionnel dans des affaires telles
que la sienne. Il n'existe pas en droit irlandais de mécanisme dont pourrait
se prévaloir une personne se trouvant dans la situation de l'auteur. Il
n'y a aucune procédure pour faire au Ministre des propositions sur ce qui
pourrait constituer un recours utile ou pour contester une décision du Ministre
ou en obtenir un examen indépendant. L'indemnité de 1 000 livres qui a été
proposée à l'auteur ne couvre même pas les frais concernant la communication
et la procédure d'examen judiciaire ultérieure. L'auteur affirme que la
possibilité de s'adresser au Ministre pour une réparation à titre gracieux
discrétionnaire ne satisfait pas aux dispositions du paragraphe 3 b) de
l'article 2, si par «autorité compétente», on entend, entre autres, une
autorité agissant conformément à des procédures clairement établies, équitables
et impartiales et soumise à ces procédures.
3.3 L'auteur note en outre qu'au lieu d'instituer des recours judiciaires,
les tribunaux de l'État partie ont jugé que les arguments présentés par
l'auteur à l'appui de sa requête pour obtenir réparation face à une violation
établie du Pacte n'étaient même pas défendables au regard du droit irlandais.
L'auteur note que l'État partie n'a pas changé sa législation pour que les
tribunaux puissent donner effet aux constatations du Comité et assurer un
recours utile. Au contraire, le Gouvernement s'est opposé aux requêtes présentées
par l'auteur aux tribunaux à tous les niveaux et cherche à présent à lui
faire payer les dépens. La décision de la Cour suprême selon laquelle le
Pacte ne pouvait avoir la primauté sur des condamnations prononcées en application
de la loi sur les atteintes à la sûreté de l'État signifie qu'il n'y a pas
de recours utile contre la violation en question et ses effets persistants.
3.4. L'auteur affirme également que l'État partie a de nouveau violé ou
continue de violer l'article 26 tant pris séparément que considéré en même
temps que l'article 2 étant donné que les effets (emprisonnement à la suite
d'une condamnation) de la décision irréfléchie et injustifiée de le juger
devant le Tribunal pénal spécial persistent. Sa condamnation n'a pas été
annulée et il n'a obtenu aucun recours. L'auteur se réfère à l'affaire Pauger
c. Autriche (no 2) (7) dans laquelle le Comité a conclu à
l'existence d'une violation répétée de l'article 26 découlant essentiellement
des mêmes faits que ceux qu'il avait considérés comme constituant une discrimination
dans la première affaire.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, établir si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est
victime d'une violation des articles 2 et 26 du Pacte en raison de la non-fourniture
par l'État partie d'un recours utile, le Comité note que cette allégation
n'est fondée sur aucun élément factuel nouveau concernant les droits de
l'auteur en vertu du Pacte, autre que la demande effectuée par celui-ci
et restée jusqu'à présent sans effet, visant à obtenir un recours qu'il
considérerait utile s'agissant d'une violation du Pacte déjà établie par
le Comité. Dans ces conditions, il considère que l'auteur n'est pas fondé
à faire d'autres allégations en vertu du Pacte qui iraient au-delà de ce
que le Comité a déjà décidé dans la communication initiale que lui avait
présentée l'auteur. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu des articles 1er et 2 du Protocole facultatif.
4.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle l'État partie
continue de faire comparaître des personnes devant le Tribunal pénal spécial
en violation de l'article 26 sans donner de justification, le Comité note
que cette allégation relève d'une action publique dès lors qu'elle se réfère
à d'autres mesures prises par l'État partie vis-à-vis de tiers plutôt qu'à
l'égard de l'auteur lui-même, l'auteur n'étant pas personnellement victime
des nouvelles violations présumées du Pacte dont il se plaint; cette partie
de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article premier du
Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 2
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont pris part à l'examen de la
communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M.
Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart
Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga,
M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer,
M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. L'auteur a été déclaré coupable et condamné à deux peines de 12 ans d'emprisonnement
et une peine de cinq ans d'emprisonnement devant être toutes exécutées à compter
de juillet 1994. Son appel de la condamnation et de la peine a été rejeté.
2. Communication 819/1998, par. 12.
3. Ibid.
4. Aucune réponse sur le fond n'a été reçue
5. Le paragraphe 3 de l'article 29 dispose ce qui suit: «L'Irlande accepte
les principes généralement reconnus du droit international comme règle pour
la conduite de ses relations avec d'autres États».
6. A c. Australie (communication no 560/1993, constatations
adoptées le 4 mars 1997), Kelly c. Jamaïque (communication
no 537/1993, constatations adoptées le 17 juillet 1996), Ex-Philibert
c. Zaïre (communication no 90 /1981, constatations adoptées le 21
juillet 1983), Massiotti c. Uruguay (communication no 25/1978,
constatations adoptées le 26 juillet 1982).
7. Communication no 717/1996, constatations adoptées le 25 mars 1999.