Présentée par: M. Werner Petersen (représenté par un conseil, M.
Georg Rixe)
Au nom de: L'auteur
État partie: Allemagne
Date de la communication: 31 janvier 2002 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2004,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur de la communication est Werner Petersen, de nationalité allemande.
Il affirme être victime d'une violation par l'Allemagne (1) de l'article
2, paragraphes 1 et 3, et des articles 3, 14, 17 et 26 du Pacte. Il est
représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est père d'un enfant, né hors mariage le 3 mai 1985. Il
a vécu avec la mère de l'enfant, Mme B., de mai 1980 à novembre 1985.
Il avait été convenu entre eux que l'enfant porterait le nom de famille
de sa mère. Après s'être séparé de la mère, l'auteur a continué de contribuer
à l'entretien de l'enfant. Il est resté régulièrement en contact avec
son fils jusqu'à l'automne 1993. En août 1993, la mère a épousé M. K.
et pris le nom de son mari, qu'elle a fait précéder du sien (B. K.).
2.2 En novembre 1993, l'auteur a demandé à l'Office de la jeunesse de
Brême si la mère avait demandé à faire modifier le patronyme de son fils.
Il lui a été répondu, dans une lettre du 20 décembre 1993, qu'elle s'était
enquise de la possibilité de le faire, mais qu'elle n'avait pas encore
fait de demande à cet effet. Le fonctionnaire de l'Office de la jeunesse
dont émanait la lettre précisait que, si demande lui en était faite, il
approuverait le changement de nom, puisque le beau-père vivait sous le
même toit que la mère et l'enfant depuis plus d'un an et que l'enfant
l'avait parfaitement accepté. Le 30 décembre 1993, la mère et son mari
ont enregistré à l'Office d'état civil de Brême une déclaration selon
laquelle ils donnaient leur nom de famille (K.) au fils de l'auteur. Ils
avaient rempli au préalable, le 29 décembre 1993, un document de l'Office
de la jeunesse de Brême, au nom du jeune garçon alors âgé de 8 ans, attestant
que celui-ci était d'accord pour changer de nom. L'Office d'état civil
de Brême a informé l'Office d'état civil de Helmstedt en conséquence,
et l'officier d'état civil de Helmstedt a inscrit le changement de nom
sur l'extrait d'acte de naissance de l'enfant.
2.3 Le 6 avril 1994, l'auteur a déposé une plainte devant le tribunal
administratif de Brême contre la municipalité de la ville, au motif que
l'Office de la jeunesse de Brême avait refusé de l'entendre au sujet du
projet de changement de nom de son fils. Le 19 mai 1994, le tribunal administratif
de Brême s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal
de district de Braunschweig.
2.4 Le 21 octobre 1994, le tribunal de district de Braunschweig a rejeté
la requête de l'auteur demandant que le nom de son fils soit rectifié
sur l'acte de naissance. Le tribunal a estimé que la rubrique correspondante
était correcte puisque le nom de famille de l'enfant avait été modifié
conformément à l'article 1618 (2) du Code civil. Il a considéré
que cet article ne constituait nullement une violation de la disposition
de la Constitution allemande relative à la non-discrimination ou de l'article
8 de la Convention européenne des droits de l'homme. En définitive, l'article
1618 du Code civil ne portait pas atteinte à l'égalité entre enfants naturels
et enfants légitimes. En fait, en prévoyant la possibilité que tous portent
le même nom, il permettait de garantir que le statut d'enfant naturel
ne serait pas dévoilé. Pour ce qui est des questions procédurales, la
procédure concernant le changement de nom à laquelle le père naturel n'avait
pas participé ne pouvait pas être mise en cause pour inconstitutionnalité.
Plus précisément, il n'y avait pas eu violation des droits de l'auteur
en tant que parent naturel puisque l'enfant n'avait jamais porté le nom
de son père. Le changement de nom servait l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le droit du père naturel d'être entendu dans le cadre de la procédure
comme le revendiquait l'auteur, sans pouvoir s'opposer au changement de
nom, ne serait pas effectif puisque la mère et le beau-père auraient de
toute manière le dernier mot.
2.5 Le 4 janvier 1995, le tribunal régional de Braunschweig a débouté
l'auteur et confirmé le raisonnement du tribunal de district, considérant
que rien ne permettait de dire que les dispositions légales appliquées
en l'espèce étaient inconstitutionnelles. Le changement de nom était dans
l'intérêt du bien-être de l'enfant, qui l'emportait sur l'intérêt du père
naturel.
2.6 Le 10 mars 1995, le tribunal régional supérieur de Braunschweig a
rejeté le recours de l'auteur. S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle fédérale, il a réaffirmé que l'article 1618 du Code
civil ne pouvait pas être contesté pour des motifs constitutionnels. L'auteur
ne pouvait pas prétendre que ses droits en tant que père naturel l'autorisaient
à être entendu dans la procédure de changement de nom de son enfant puisque
ses droits étaient en conflit avec ceux de la mère et, plus particulièrement,
ceux de l'enfant, que cette disposition avait pour objectif primordial
de protéger. La participation de l'Office de la jeunesse à la procédure
préservait l'intérêt de l'enfant. Si la mère de l'enfant, son mari et
le tuteur étaient d'accord sur le changement de nom de l'enfant, ce changement
devait, d'une manière générale, être considéré comme étant dans l'intérêt
du bien-être de l'enfant.
2.7 En janvier 1994, s'étant heurté à des difficultés pour entrer en
contact avec son fils, l'auteur a saisi le tribunal de district de Brême
pour obtenir le droit d'entrer directement en contact avec l'enfant. En
avril 1994, le tribunal de district, dans une décision avant dire droit,
a accordé à l'auteur le droit de visite. Mais la mère n'a pas respecté
la décision et a interdit les visites à partir d'octobre 1994.
2.8 Le 3 janvier 1995, l'auteur a engagé une action en dommages-intérêts
contre la mère devant le tribunal de district de Brême pour être dédommagé
des frais de voyage engagés en pure perte les 16 octobre et 13 novembre
1994 pour aller voir son fils, la mère l'en ayant empêché.
2.9 Le 5 avril 1995, à l'issue d'une audition, le tribunal de district
de Brême a débouté l'auteur. Il a estimé que l'action en dommages-intérêts
face au refus de la mère de permettre au père de voir son fils n'était
pas fondée en droit. Le tribunal a relevé que, conformément à l'article
1711 du Code civil, la personne chargée de la garde et de l'entretien
d'un enfant naturel aménage les contacts avec le père et que le père ne
peut prétendre à des contacts avec l'enfant que si c'est dans l'intérêt
de ce dernier. Il a fait observer en outre que sa décision avant dire
droit d'avril 1994 concernant les visites était rédigée de façon à conférer
à l'enfant le droit de rendre visite à l'auteur, et non à accorder un
droit d'accès pour l'auteur.
2.10 Le 17 août 1995, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté les
recours en inconstitutionnalité institués par l'auteur contre les décisions
prises au cours des deux procédures (changement de nom de son fils; rejet
de sa demande d'indemnisation). Elle a estimé que, dans les deux cas,
la plainte n'était pas recevable. Elle a considéré en particulier que
la plainte de l'auteur concernant le changement du nom de son fils ne
soulevait pas de question d'une importance capitale. Renvoyant à la décision
qu'elle avait rendue dans une autre affaire (3) le 7 mars 1995,
elle a rappelé que le père d'un enfant naturel avait le droit d'entretenir
et d'élever l'enfant en vertu de la Constitution, même s'il ne vivait
pas avec la mère et si tous deux n'élevaient pas l'enfant conjointement.
Dans la présente affaire, rien ne permettait cependant de dire que, dans
leur interprétation et leur application de l'article 1618 du Code civil,
les tribunaux avaient fait fi des droits parentaux de l'auteur. Pour ce
qui est de la décision du tribunal de district de Brême du 5 avril 1995,
la Cour a estimé qu'aucune disposition de la Constitution ne permettait
à l'auteur de faire valoir son droit d'accès à son enfant au moyen d'une
action en dommages-intérêts.
2.11 Le 8 février 1996, l'auteur a saisi la Cour européenne des droits
de l'homme, invoquant des violations de ses droits et de ceux de son fils
au titre des articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne).
Le 6 décembre 2001, la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable
(4) pour les motifs suivants: 1) l'auteur n'avait pas qualité pour
agir au nom de son fils; 2) l'allégation selon laquelle la procédure relative
au changement de nom de son fils était un acte de discrimination à l'encontre
de sa personne en tant que père naturel et contrevenait à l'article 14
de la Convention était incompatible ratione materiae avec les dispositions
de la Convention; et 3) la plainte était manifestement infondée puisque
l'auteur alléguait a) que le changement du nom de famille de son fils
était une violation de son droit au respect de la vie familiale consacré
à l'article 8 de la Convention; b) que le fait qu'il n'y avait pas eu
audition et que les décisions du tribunal administratif de Brême et celles
du tribunal de district et du tribunal régional de Braunschweig n'avaient
pas été rendues publiquement contrevenait à l'article 6 de la Convention;
et c) que le rejet de sa demande d'indemnisation non seulement l'empêchait
d'exercer son droit de visite mais était un acte de discrimination à l'égard
de sa personne, par rapport aux pères d'enfants légitimes, en violation
de l'article 8, en liaison avec l'article 14 de la Convention.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur fait état d'une violation de ses droits au titre de l'article
2, paragraphes 1 et 3, et des articles 3, 14, 17 et 26 du Pacte, étant
donné que ses intérêts en tant que père naturel n'ont pas été dûment pris
en considération puisque ni son consentement ni sa participation n'ont
été requis dans la procédure relative au changement de nom de son fils.
Il précise bien que la communication n'est pas présentée au nom de son
fils.
3.2 L'auteur allègue que, contrairement au père d'un enfant légitime,
il n'a pas pu prétendre à ce qu'une autorité publique justifie le changement
de nom de son fils en invoquant une raison importante concernant le bien-être
de l'enfant. Il estime être victime de discrimination par rapport à la
mère de l'enfant ou au père d'un enfant légitime, qui doivent être entendus
au cours de la procédure au titre de la loi sur le changement de patronyme.
En outre, à la différence du père d'un enfant légitime, il n'a pas eu
un accès effectif aux tribunaux pour contester la décision du tuteur,
de la mère et de son mari au sujet du changement de nom en invoquant l'absence
de raisons importantes, l'incompatibilité de la mesure face à l'intérêt
de l'enfant ou le fait de ne pas être entendu dans la procédure concernant
le changement de nom.
3.3 L'auteur fait valoir que le changement de nom de son fils n'a pas
de but légitime, car le bien-être de l'enfant suppose généralement qu'il
conserve son nom pour préserver son identité. Masquer une naissance illégitime
en changeant de nom n'est pas un but légitime. En outre, que l'enfant
soit représenté par la personne qui en a la garde ne préserve pas suffisamment
ses intérêts, car l'Office de la jeunesse entend régulièrement la mère
et son mari uniquement, et pas l'enfant.
3.4 L'auteur allègue que la décision du tribunal de district de Brême
du 5 avril 1995 viole les droits que lui confèrent les articles 2, 3,
17 et 26 du Pacte, puisqu'elle ne lui garantit pas le droit d'accès à
son fils. Il ajoute que le père d'un enfant légitime peut demander des
dommages-intérêts si la mère refuse de respecter ce droit.
3.5 L'auteur fait valoir que la Cour européenne des droits de l'homme,
dans sa décision du 6 décembre 2001 déclarant la plainte irrecevable,
n'a pas «examiné» ses allégations au sens de la réserve formulée par l'État
partie à l'égard du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Lorsqu'il existe une différence matérielle entre les dispositions pertinentes
du Pacte et de la Convention européenne, et que la question a été déclarée
irrecevable ratione materiae par la Cour européenne, la question
n'a pas été «examinée» au sens de la réserve de l'Allemagne, selon la
jurisprudence du Comité dans l'affaire Rogl c. Allemagne
(5) et Casanovas c. France.(6)
3.6 À propos de ses allégations au titre de l'article 26 du Pacte, l'auteur
fait valoir que la Cour européenne a considéré que le changement de nom
de son fils et le refus de lui accorder des dommages-intérêts pour les
frais de voyage qu'il avait engagés en pure perte ne portaient pas directement
atteinte à son droit au respect d'une vie familiale (art. 8 de la Convention),
et qu'il n'y avait donc pas lieu d'appliquer l'article 14, qui ne pouvait
s'appliquer qu'eu égard aux droits et libertés fondamentaux énoncés dans
la Convention. À la différence de l'article 14 de la Convention européenne,
l'article 26 est une disposition autonome, qui peut être invoquée indépendamment
des autres droits consacrés dans le Pacte. En raison de la différence
matérielle entre les deux dispositions, la réserve de l'Allemagne n'empêchait
pas le Comité d'examiner ses allégations sur la base de l'article 26 du
Pacte.
3.7 Pour ce qui est de ses allégations au titre de l'article 17 du Pacte,
l'auteur fait valoir que la conclusion de la Cour européenne, selon laquelle
le changement du nom de famille de son fils ou le refus de sa demande
d'indemnisation ne portaient pas atteinte à son droit au respect de la
vie familiale, montre que la Cour a jugé que ces allégations ne relevaient
pas de l'article 8 de la Convention, et ne les a donc pas examinées au
sens de la réserve formulée par l'Allemagne. De plus, la Cour n'a pas
examiné l'allégation qu'il avait présentée au titre de l'article 14 de
la Convention selon laquelle, contrairement aux pères d'enfants légitimes,
il ne pouvait pas saisir les tribunaux au sujet du changement de nom de
son fils, qui n'était pas dans l'intérêt de l'enfant, ou parce qu'il n'avait
pas été entendu dans la procédure correspondante.
3.8 En ce qui concerne la réserve ratione temporis de l'État partie,
l'auteur précise qu'en ce qui concerne le changement de nom de son fils,
tout a commencé le 30 décembre 1993 lorsque la mère et son mari ont fait
une déclaration à l'Office d'état civil de Brême, lequel a ensuite informé
l'Office d'état civil de Helmstedt, dont le préposé a inscrit le changement
de nom sur l'acte de naissance de l'enfant. L'action en dommages-intérêts
engagée devant le tribunal de district de Brême concernait les frais de
voyage des 16 octobre et 13 novembre 1994 engagés en pure perte puisque
la mère avait refusé de le laisser voir son fils. Ces événements se sont
produits après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État
partie, le 25 novembre 1993.
3.9 L'auteur fait valoir que la réserve de l'Allemagne au sujet de l'article
26 du Pacte est incompatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif,
sinon du Pacte lui-même, car elle vise à limiter les obligations de l'État
partie au titre de l'article 26 d'une manière incompatible avec l'interprétation
du Comité qui a considéré que cette disposition était un principe d'égalité
autonome. (7) L'auteur renvoie à l'observation générale no 24 (8)
du Comité, à sa jurisprudence dans l'affaire Kennedy c. Trinité-et-Tobago
(9) ainsi qu'au paragraphe 1 d) de l'article 2 et à l'article 19
de la Convention de Vienne sur le droit des traités, et estime qu'aucune
réserve portant sur une obligation de fond au titre du Pacte ne peut être
émise au titre du Protocole facultatif. Il rappelle que le Comité a déploré
la réserve de l'État partie dans les observations finales qu'il a formulées
au sujet du quatrième rapport périodique de l'Allemagne.
3.10 L'auteur considère que le Comité a compétence pour déterminer si
une réserve est compatible avec l'objet et le but du Pacte et qu'une constatation
à l'effet que la réserve de l'Allemagne est incompatible avec l'objet
et le but du Protocole facultatif signifierait que la réserve est dissociable,
c'est-à-dire que le Pacte s'appliquera à l'État partie sans le bénéfice
de la réserve. (10) Pour lui, l'État partie n'a pas d'intérêt légitime
à maintenir sa réserve après avoir signé (11) le Protocole no 12
à la Convention européenne, qui contient une interdiction générale de
la discrimination. L'auteur conclut que la réserve n'est pas valable et
qu'elle n'empêche donc pas le Comité d'examiner ses allégations au titre
de l'article 26.
Observations de l'État partie sur la recevabilité
4.1 Le 1er novembre 2002, l'État partie a présenté ses observations au
sujet de la recevabilité de la communication. Selon lui, étant donné la
réserve de l'Allemagne, la communication est irrecevable ratione materiae
et parce que la même question a déjà été examinée par la Cour européenne
des droits de l'homme.
4.2 L'État partie allègue qu'invoquer l'article 3 et l'article 26 du
Pacte isolément est incompatible avec le libellé de l'article 3 et avec
la réserve formulée par l'Allemagne au sujet de l'article 26, étant donné
le caractère accessoire de ces deux dispositions. Dans la mesure où l'auteur
invoque une violation de ces seules dispositions, sa communication doit
être considérée comme incompatible ratione materiae avec les dispositions
du Pacte. En les invoquant séparément par rapport aux articles 14 et 17
du Pacte, l'auteur tente de contourner l'alinéa a de la réserve
de l'Allemagne, puisque les deux allégations sont identiques à celles
qui ont déjà été examinées par la Cour européenne des droits de l'homme
et étayées par les mêmes arguments. Le simple fait de formuler une plainte
en tant que plainte isolée de discrimination, portant sur une question
qui avait déjà fait l'objet d'une requête à la Cour européenne, étayée
par des arguments identiques, ne devait pas faire obstacle à l'application
de la réserve de l'Allemagne, qui avait pour objet d'empêcher la multiplication
des procédures d'examen devant les instances internationales, l'adoption
par ces instances de décisions contradictoires et la recherche du for
le plus avantageux par les plaignants.
4.3 L'État partie ajoute que la Cour européenne a «examiné» la même question,
puisque la décision de cette instance selon laquelle les allégations de
l'auteur étaient irrecevables ratione materiae ou manifestement
infondées dans les deux cas signifiait qu'il y avait eu examen sommaire
du bien-fondé de la requête. La décision du Comité dans l'affaire Casanovas
c. France n'a rien à voir avec la présente affaire, car la protection
conférée par l'article 6 de la Convention européenne diffère quant au
fond de celle que confère l'article 14 du Pacte, eu égard à la question
sur laquelle la Cour était appelée à statuer dans ladite affaire. Le fait
que la Cour européenne ait déclaré la requête irrecevable ratione materiae
n'était donc pas déterminant pour que le Comité rende une constatation
selon laquelle la même question n'avait pas été «examinée» par la Cour.
En fait, la prescription additionnelle relative à la nécessité que les
droits en question jouissent d'un degré de protection comparable n'avait
pas été remplie dans l'affaire Casanovas. En revanche, dans la
présente affaire, l'auteur n'a pas démontré l'existence d'une différence
substantielle essentielle entre les droits consacrés par le Pacte qu'il
invoquait et les droits analogues consacrés dans la Convention européenne.
4.4 Pour ce qui est des allégations précises de l'auteur, l'État partie
fait valoir que la Cour européenne a examiné si le changement de nom de
son fils portait atteinte au droit au respect de la vie familiale consacré
à l'article 8 de la Convention européenne; elle a également examiné les
conditions de fond de l'article 14 de la Convention et est arrivée dans
les deux cas à une conclusion négative. Dans ces conditions, le Comité
ne pouvait pas examiner les allégations identiques formulées par l'auteur
au titre de l'article 17, lu en liaison avec l'article 26 du Pacte, sachant
qu'il n'y avait pas de différence substantielle par rapport aux articles
8 et 14 de la Convention européenne.
4.5 À propos des allégations de l'auteur au titre de l'article 14, lu
en liaison avec l'article 26, selon lesquelles la procédure concernant
le changement de nom de son fils n'était pas régulière et qu'en tant que
père d'un enfant illégitime il n'a pas pu contester le changement de nom,
l'État partie précise que la Cour européenne a déclaré ces allégations
irrecevables car manifestement infondées après avoir examiné de manière
approfondie le bien-fondé des allégations présentées au titre des articles
6 et 8 de la Convention européenne. Le Comité n'avait donc pas compétence
pour examiner la même question en raison de la réserve de l'Allemagne.
4.6 Enfin, s'agissant de l'allégation de l'auteur au titre de l'article
17, lu en liaison avec l'article 26 du Pacte, selon laquelle le refus
de lui accorder des dommages-intérêts pour les frais de voyage qu'il avait
engagés en pure perte était un acte de discrimination à l'encontre de
sa personne, par rapport aux pères d'enfants légitimes, et ne lui permettait
pas d'exercer son droit de voir son fils, l'État partie précise que la
Cour européenne a jugé qu'elle portait avant tout sur une question financière,
qui n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention
européenne.
Commentaires de l'auteur
5.1 Le 20 février 2003, l'auteur a réaffirmé que la communication était
recevable pour les raisons énoncées dans sa lettre initiale. Il a fait
ressortir que ses allégations ponctuelles de discrimination n'avaient
pas été, et n'auraient pas pu être, examinées par la Cour européenne,
conformément à la jurisprudence de la Cour. (12) La réserve de
l'État partie eu égard au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole
facultatif n'empêchait donc pas le Comité d'examiner ces allégations.
5.2 L'auteur estime que l'État partie n'a pas tenu compte de son argument
selon lequel la réserve de l'Allemagne à l'article 26 du Pacte est incompatible
avec l'objet et le but du Pacte, et donc dissociable. Il précise que,
dans son cinquième rapport périodique (13) au Comité des droits
de l'homme, l'État partie a indiqué qu'il examinerait cette partie de
la réserve lorsque le douzième Protocole facultatif à la Convention européenne,
qui contient une interdiction générale de la discrimination, aurait été
ratifié. Selon l'auteur, cette affirmation étaie son hypothèse que l'État
partie n'est pas légitimement fondé à maintenir la réserve.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie a invoqué sa réserve au paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, qui empêche le Comité d'examiner
les communications «qui ont déjà été examinées par une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement». Le Comité considère que, la
Cour européenne des droits de l'homme ayant examiné la question, il y
a bien eu examen par une autre instance internationale d'enquête ou de
règlement au sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité fait observer que l'alinéa a de la réserve de l'État
partie eu égard au paragraphe 2 a) de l'article 5 doit être interprété
à la lumière du libellé de cette disposition. Une communication a donc
déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l'homme si l'examen
effectué par la Cour portait sur «la même question». Le Comité rappelle
sa jurisprudence selon laquelle il faut entendre par «même question» au
sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 une seule et même plainte concernant
le même individu, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. (14)
Il fait observer que la requête no 31180/96 a été présentée à la Cour
européenne par le même auteur, portait sur les mêmes faits et concernait,
en partie tout au moins, les mêmes droits substantiels que la présente
communication, puisque les articles 6 et 8 de la Convention européenne
ont une portée et une teneur analogues à celles des articles 14 et 17
du Pacte.
6.4 Ayant conclu que la réserve de l'État partie concernant le paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif s'appliquait, le Comité doit
se pencher sur l'argument de l'auteur selon lequel la Cour européenne
des droits de l'homme n'a pas «examiné» la même question au sens de la
réserve de l'État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle,
dès lors que les instances de Strasbourg ont fondé une déclaration d'irrecevabilité
non seulement sur des motifs procéduraux (15) mais aussi sur des
motifs qui supposent un certain examen de l'affaire quant au fond, la
même affaire a été «examinée» au sens des réserves correspondantes au
paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. (16)
6.5 Dans la mesure où l'auteur allègue que le changement de nom de son
fils et le rejet de sa demande d'indemnisation violent le droit au respect
de la vie familiale que lui confère l'article 17, conjointement avec les
droits procéduraux que lui confère l'article 14 du Pacte, le Comité note
que la Cour européenne a déclaré irrecevable parce que manifestement infondée
la plainte analogue dont elle avait été saisie, en application des paragraphes
3 et 4 de l'article 35 de la Convention européenne. La Cour a fondé sa
conclusion sur le fait que l'enfant n'avait jamais porté le nom de l'auteur,
et que ce nom n'avait donc jamais été le signe extérieur d'un lien entre
l'auteur et son fils. Quant à la demande d'indemnisation, la Cour a jugé
qu'elle portait avant tout sur une question financière et qu'elle ne pouvait
pas rendre une décision concernant le droit d'accès à l'enfant ou la manière
de faire respecter ce droit. Le rejet de la demande d'indemnisation ne
portait donc pas atteinte au droit de l'auteur au respect de la vie familiale.
Le Comité conclut que, lorsqu'elle a examiné les plaintes de l'auteur
au titre de l'article 8 de la Convention européenne, la Cour européenne
ne s'est pas limitée à de simples critères de procédure concernant la
recevabilité. Il en va de même des plaintes de l'auteur au titre de l'article
6 de la Convention européenne, relatives à la nécessité de faire en sorte
que sa cause soit entendue publiquement et que le jugement du tribunal
de district et du tribunal régional de Braunschweig soit rendu public,
et qui touchent donc aussi à des aspects de l'article 6 de la Convention
européenne dont la teneur et la portée sont analogues à celles de l'article
14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication a déjà été
«examinée» au sens de la réserve de l'État partie.
6.6 Dans la mesure où l'auteur allègue, au titre de l'article 26 du Pacte,
qu'il a fait l'objet de discrimination par rapport à la mère de l'enfant
ou aux pères d'enfants légitimes, le Comité note que la Cour européenne
a déclaré irrecevable ratione materiae les allégations analogues
de l'auteur, puisqu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 14 de
la Convention européenne, sachant que les décisions prises concernant
ce changement de nom et l'action en dommages-intérêts ne portaient pas
atteinte au droit de l'auteur au respect de la vie familiale. Le Comité
rappelle sa jurisprudence (17) selon laquelle, si les droits invoqués
devant la Cour européenne des droits de l'homme diffèrent quant au fond
des droits consacrés dans le Pacte, une affaire qui a été déclarée irrecevable
ratione materiae n'a pas, au sens des réserves correspondantes
relatives au paragraphe 2 a) de l'article 5, été examinée d'une façon
qui exclut que le Comité l'examine à son tour.
6.7 Le Comité rappelle que le droit principal à l'égalité et à la non-discrimination
consacré par l'article 26 du Pacte offre une protection qui s'étend au-delà
du droit accessoire à la non-discrimination énoncé à l'article 14 de la
Convention européenne. (18) Il note qu'en l'absence d'allégation
principale formulée au titre de la Convention ou des protocoles pertinents,
la Cour européenne ne pouvait pas examiner s'il y avait eu violation des
droits accessoires de l'auteur au titre de l'article 14 de la Convention.
En conséquence, la Cour européenne n'a pas examiné les allégations de
l'auteur eu égard à l'article 26 du Pacte. Il s'ensuit que la réserve
de l'État partie au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif
n'empêche pas le Comité d'examiner cette partie de la communication.
6.8 Le Comité rappelle que les distinctions faites par les lois d'un
État partie ne constituent pas toutes une discrimination au sens de l'article
26 et que seules les distinctions qui ne reposent pas sur des critères
raisonnables et objectifs constituent une discrimination au sens dudit
article. L'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation
selon laquelle les raisons qui ont présidé à l'insertion de l'article
1618 dans le Code civil allemand (voir plus haut par. 2.4) n'étaient ni
objectives ni raisonnables. De même, l'auteur n'a pas étayé l'allégation
selon laquelle le refus de le dédommager des frais de voyage qu'il avait
engagés en pure perte constituait une discrimination au sens de l'article
26. Cette partie de la communication est donc déclarée irrecevable au
titre de l'article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
6.9 Dans ces circonstances, le Comité estime qu'il n'a pas à examiner
la question de l'admissibilité et de l'applicabilité de la réserve formulée
par l'État partie à l'égard du Protocole facultatif en ce qui concerne
l'article 26.
6.10 Dans la mesure où l'auteur allègue que l'accès aux tribunaux allemands
lui a été refusé, en violation de l'article 14 du Pacte, parce qu'à la
différence des pères d'enfants légitimes il n'était pas en droit de contester
la décision relative au changement de nom de son fils, ni de demander
des dommages-intérêts, la mère n'ayant pas respecté son droit de voir
son fils, le Comité note que l'auteur a eu accès aux tribunaux dans les
deux cas mais que ses plaintes ont été rejetées. Le Comité estime que
l'auteur n'a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, que
ses allégations soulèvent des questions au titre du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte qui auraient pu être soulevées indépendamment de l'article
26 et qui ne concernent pas des questions qui ont déjà été «examinées»,
au sens de la réserve de l'État partie, par la Cour européenne. (19)
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable, en vertu de l'article 2 et du
paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
_____________________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice
Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas
Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Le Pacte et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte sont entrés
en vigueur à l'égard de l'Allemagne le 17 mars 1974 et le 25 novembre
1993, respectivement. Au moment de la ratification du Protocole facultatif,
l'État partie a formulé la réserve suivante: «La République fédérale d'Allemagne
formule, à l'égard du paragraphe 2 a) de l'article 5, une réserve aux
termes de laquelle le Comité n'aura pas compétence pour les communications
a) qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement, ou b) dénonçant une violation des droits qui a son origine
dans des événements antérieurs à l'entrée en vigueur du Protocole facultatif
pour la République fédérale d'Allemagne, ou c) dénonçant une violation
de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
dans la mesure où la violation dénoncée se réfère à des droits autres
que ceux garantis dans le Pacte susmentionné.».
2. Selon l'article 1617 du Code civil allemand en vigueur au moment des
faits, l'enfant naturel prenait le nom porté par la mère au moment de
sa naissance. Un changement de nom ultérieur de la mère pour cause de
mariage était sans effet sur le nom de l'enfant.
L'article 1618 de ce même texte prévoyait que la mère d'un enfant naturel
et son mari pouvaient déclarer devant un officier d'état civil que l'enfant
qui portait un nom conformément à l'article 1617 et qui n'était pas marié
porterait à l'avenir leur nom conjugal. De même, le père de l'enfant pouvait
déclarer devant un officier d'état civil que l'enfant porterait son nom.
L'enfant et la mère devaient consentir au changement de nom dans le cas
où le père désirait donner son nom à l'enfant.
3. Décisions de la Cour constitutionnelle (BVerfGE), vol. 92, no 12,
p. 158.
4. Voir Cour européenne des droits de l'homme (sect. 3), décision de
recevabilité de la requête no 31180/96 (Werner Petersen c. Allemagne),
6 décembre 2001.
5. Communication no 808/1998.
6. Communication no 441/1990.
7. L'auteur renvoie à la communication no 182/1984, Zwaan-de Vries
c. Pays-Bas.
8. Comité des droits civils et politiques, cinquante-deuxième session
(1994), observation générale no 24: questions touchant les réserves formulées
au moment de la ratification du Pacte ou des Protocoles facultatifs y
relatifs ou de l'adhésion à ces instruments, ou en rapport avec des déclarations
formulées au titre de l'article 41 du Pacte, par. 13.
9. Communication no 845/1998, par. 6.
10. L'auteur renvoie à l'observation générale no 24, par. 18, et à la
décision du Comité concernant la recevabilité de la communication no 845/1998,
Kennedy c. Trinité-et-Tobago.
11. L'Allemagne a signé le Protocole no 12 à la Convention européenne
le 4 novembre 2000, mais ne l'a pas encore ratifié. Voir Bureau des Traités
du Conseil de l'Europe: http://conventions.coe.int
(site consulté le 22 décembre 2003).
12. L'auteur renvoie à la communication no 965/2000, Karakurt
c. Autriche, par. 7.4.
13. Voir cinquième rapport périodique, Allemagne, CCPR/C/DEU/2002/5,
4 décembre 2002, par. 372.
14. Voir communication no 998/2001, Althammer c. Autriche,
par. 8.4.
15. Voir communication no 716/1996, Pauger c. Autriche,
par. 6.4.
16. Voir par exemple communication no 121/1982, A. M. c. Danemark,
par. 6; communication no 744/1997, Linderholm c. Croatie,
par. 4.2.
17. Voir par exemple communication no 441/1990, Casanovas c. France,
par. 5.1.
18. Voir communication no 998/2001, Althammer c. Autriche,
par. 8.4.
19. Voir par. 6.5.