Quatre-vingt-et-unième session
5 - 30 juillet 2004
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-et-unième session -
Communication No. 1167/2003
Au nom de: L'auteur
État partie: Philippines
Date de la communication: 24 mars 2003 (date de la lettre initiale)
Réuni le 27 juillet 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1167/2003, présentée au nom de Ramil Rayos en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Le 24 mars 2003, par l'intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l'homme a demandé à l'État partie, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l'exécution de l'auteur condamné à la peine capitale pendant l'examen de son cas par le Comité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 9 avril 1997, vers 19 heures, l'auteur est arrivé au domicile de sa tante qui, sortie pour l'accueillir, a constaté qu'il était ivre. Les cousins de l'auteur, qui se trouvaient également à l'extérieur, étaient eux aussi en état d'ébriété. En leur présence, l'auteur a commencé à avoir un comportement agité et a détruit plusieurs bancs qui se trouvaient à l'extérieur de la maison. Craignant que ses fils ne s'en prennent à l'auteur, sa tante est partie chercher de l'aide et a rencontré son cousin, un policier, qui a accepté, sur sa demande, d'enfermer l'auteur dans une cellule de la prison municipale jusqu'à ce qu'il désaoûle.
2.2 Le 10 avril 1997, alors qu'elle n'avait pas de mandat d'arrêt comme le requiert l'article III, paragraphe 3 1) de la Constitution philippine, la police a refusé à l'auteur l'autorisation de quitter la prison. Elle l'a informé qu'elle recherchait un suspect de meurtre aux cheveux longs, et qu'il répondait à ce signalement.
2.3 Le 11 avril 1997, après deux jours de détention, l'auteur a été contraint de signer des aveux extrajudiciaires, dans lesquels il reconnaissait avoir violé et tué une certaine Mebelyn Gaznan. (1) D'après l'auteur, un policier l'a obligé à signer ces aveux sous la menace d'un pistolet et, comme il refusait, l'a frappé dans le dos avec ce pistolet. L'auteur n'a pas eu la possibilité de lire les aveux avant de les signer.
2.4 Un avocat - que l'auteur n'avait pas choisi - était présent "pour l'aider à faire des aveux par écrit". L'auteur n'avait pas d'avocat avant de faire ces aveux. Au cours du procès, l'auteur a eu un avocat différent avec lequel il n'a pu communiquer que quelques minutes par jour pendant les débats.
2.5 Le 29 avril 1998, la cour régionale de Cagayan de Oro City a reconnu l'auteur coupable du "crime complexe de viol avec homicide". Il a été condamné à la peine capitale par injection létale et à verser une indemnité de 100 000 pesos philippins aux parents de la victime.
2.6 Le 7 février 2001, conformément à sa procédure de révision judiciaire automatique, la Cour suprême a confirmé la peine capitale, mais a porté la responsabilité civile de l'auteur à 145 000 pesos philippins. Le 6 septembre 2001, ce jugement est devenu définitif et exécutoire.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il y a eu violation des articles 5 et 6 étant donné que, le 13 décembre 1993 et conformément à la loi no 7659, l'État partie a rétabli la peine capitale par électrocution. Il affirme que, bien que l'article 6 ne fasse pas obligation à tous les États parties d'abolir la peine de mort, il est clair, à la lecture conjointe des paragraphes 1 et 2 de cet article, qu'une fois qu'un État partie a aboli la peine de mort il ne lui est pas loisible de la réinstituer. Il affirme qu'«une interprétation large» du Pacte autorisant une telle réinstitution serait contraire au paragraphe 2 de l'article 5. En outre, il affirme que le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, le courant abolitionniste qui gagne du terrain dans le monde et les principes de la justice internationale énoncés dans les Statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, du Tribunal pénal international pour le Rwanda et de la Cour pénale internationale exigent que l'article 6 soit interprété comme empêchant les États parties de réinstituer la peine de mort.
3.2 L'auteur affirme qu'il y a violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 car, en étendant la peine de mort à des crimes tels que l'enlèvement, les infractions relatives aux stupéfiants, le viol et la corruption aggravée, l'État partie manque à l'obligation qui lui incombe de restreindre la peine de mort aux «crimes les plus graves». À cet égard, l'auteur renvoie à l'Observation générale du Comité sur l'article 6, dans laquelle le Comité estime que l'expression «les crimes les plus graves» doit être interprétée de manière restrictive «comme signifiant que la peine capitale doit être une mesure tout à fait exceptionnelle». Il se réfère aussi à la résolution 1984/50 du Conseil économique et social intitulée «Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort» qui interprète l'expression «les crimes les plus graves» comme désignant au moins des crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou d'autres conséquences extrêmement graves.
3.3 Les droits conférés à l'auteur par l'article 7 seraient violés s'il était mis à mort. Selon lui, ses droits consacrés par l'article 7 seraient violés car la procédure énoncée dans le document EP 200 publié par le Bureau des services correctionnels conformément à la loi no 8177 de la République prévoit que la date d'exécution d'un détenu condamné ne doit lui être notifiée qu'à l'aube du jour même de son exécution et que celle-ci doit avoir lieu dans les huit heures suivant la notification. Aucune disposition ne prévoit que l'on doive informer la famille du condamné, ni que celui-ci puisse se mettre en rapport avec sa famille. Cela constituerait une torture psychologique. Les seules personnes avec lesquelles le détenu condamné puisse s'entretenir sont un ecclésiastique ou un avocat. L'entretien doit avoir lieu à travers un écran grillagé et être enregistré.
3.4 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article 10 puisque la procédure susmentionnée violerait la dignité inhérente à la personne humaine.
3.5 L'auteur affirme que les paragraphes 1 et 2 de l'article 9 ainsi que le paragraphe 3 a) de l'article 14 ont été violés puisqu'il a été privé de sa liberté sans mandat d'arrêt, et qu'il n'existe aucune trace écrite prouvant qu'au moment de son arrestation, il a été informé par la police des motifs de son arrestation, de son droit de garder le silence et de son droit d'être assisté d'un avocat.
3.6 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article 14 puisqu'il n'existe aucune trace écrite prouvant que, lors de son arrestation, il a été informé par la police des motifs de son arrestation, de son droit de garder le silence et de son droit d'être assisté d'un avocat de son choix. Il affirme en outre qu'on ne lui a pas accordé le droit d'être assisté d'un défenseur de son choix et que ce n'est qu'au deuxième jour de sa détention qu'un défenseur lui a été assigné par la police.
3.7 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 2 de l'article 14 du fait qu'en le reconnaissant coupable des crimes dont il était inculpé, la cour régionale non seulement a jugé recevables ses aveux extrajudiciaires, mais encore s'est appuyée sur eux. Si la Cour suprême des Philippines, statuant en réexamen d'office, a rejeté ces aveux, elle a néanmoins confirmé le jugement de la juridiction de première instance sur la base de prétendues preuves indirectes. D'après l'auteur, le fait de s'appuyer ainsi sur des preuves indirectes «renversait indûment la charge de la preuve, en l'imposant non plus à l'accusation mais à la défense».
3.8 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 3 a) de l'article 14 car il n'a pas été informé des motifs des accusations retenues contre lui.
3.9 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 car il n'a pas eu suffisamment de temps ni de moyens pour préparer sa défense, ni pour communiquer avec son défenseur en préparation de son procès et qu'il n'a pu communiquer avec celui-ci que quelques instants chaque jour pendant le procès. Il affirme aussi qu'il y a eu violation du paragraphe 3 g) de l'article 14 parce qu'il a été contraint de signer des aveux.
3.10 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 5 de l'article 14 du fait que la Cour suprême n'a pas examiné comme il convenait le témoignage d'un certain docteur Angelita Enopia qui a déclaré en personne au cours du procès «qu'il était possible que l'enfant ait été violée» sans toutefois affirmer clairement que l'autopsie démontrait que l'enfant avait été violée. Il soutient aussi que la Cour suprême n'a pas examiné les éléments de preuve figurant dans le dossier, lesquels, selon lui, tendaient à le disculper. Par cette omission, la Cour suprême aurait dénié à l'auteur le droit de faire examiner sa condamnation, conformément au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. L'auteur explique qu'au cours de la procédure de réexamen d'office, il n'est pas d'usage que les juges de la Cour suprême entendent des dépositions de témoins, et que les juges s'appuient, comme ils l'ont fait dans son cas, sur les dépositions faites au cours du procès.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une lettre datée du 24 octobre 2003, l'État partie conteste la recevabilité et le fond de la communication. Sur la recevabilité, d'une manière générale, il affirme qu'aucune des plaintes de l'auteur n'est étayée, puisqu'elles sont «dénuées de fondement». S'agissant de la plainte relative à l'article 9, il soutient que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Il affirme qu'initialement l'auteur a été emmené sous escorte jusqu'à la prison municipale non pas en raison du crime dont il a en définitive été inculpé et reconnu coupable, mais pour atteinte à l'ordre public. S'il a été placé derrière les barreaux, c'était pour éviter qu'il ne s'inflige des blessures ou qu'il n'en inflige à autrui, jusqu'à ce qu'il sorte de son état d'ébriété. S'il n'a pas été autorisé à sortir de prison le lendemain, c'est parce que dans l'intervalle une plainte avait été déposée contre lui pour «viol avec homicide». L'auteur n'aurait pas fait valoir que son arrestation avait été entachée d'un vice quelconque devant le tribunal de première instance et ne serait donc pas fondé à soulever cette question devant le Comité: en droit interne, toute objection, tout vice ou toute irrégularité concernant une arrestation doit être soulevé avant que l'accusé ne plaide coupable ou non coupable lors de sa mise en accusation.
4.2 Sur le fond et en ce qui concerne le paragraphe 2 de l'article 6, l'État partie considère l'argument invoqué comme un argument normatif qui sort du domaine de compétence du Comité. Selon lui, l'argument porte uniquement sur le point de savoir s'il est judicieux d'imposer la peine capitale pour certaines infractions, alors que la détermination des crimes entrant dans cette catégorie est une question relevant purement de la compétence nationale. Selon l'État partie, le Pacte ne vise pas à limiter le droit qu'a un État partie d'apprécier l'opportunité d'une loi imposant la peine capitale. L'État partie fait valoir que la constitutionnalité de la loi sur la peine de mort est un point qu'il appartient à l'État partie lui-même de trancher, et note que la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi en question. (2) L'État partie fait valoir aussi qu'il n'appartient pas au Comité d'interpréter la Constitution d'un État partie en vue de juger de l'observation du Pacte par cet État partie.
4.3 En ce qui concerne l'argument de l'auteur selon lequel la peine capitale a été imposée pour des crimes qui ne font pas partie des «plus graves», l'État partie note que les États ont toute latitude pour interpréter cette disposition en fonction des valeurs culturelles, des nécessités apparentes et d'autres facteurs, étant donné que la notion de «crimes les plus graves» n'est pas définie plus explicitement dans le Pacte. Quant à l'affirmation selon laquelle l'article 6 doit être interprété comme interdisant aux États parties de rétablir la peine capitale conformément au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, l'État partie affirme qu'elle est dénuée de fondement puisqu'il n'a ni signé ni ratifié ce protocole.
4.4 Sur le point de savoir si le fait de ne pas fixer la date d'exécution et de ne pas la notifier à l'auteur à l'avance viole l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10, l'État partie affirme qu'en vertu de l'article 15, rapproché de l'article premier, de la loi no 8177 de la République, la peine capitale doit être exécutée «au plus tôt un an et au plus tard 18 mois après que le jugement est devenu définitif et exécutoire, sans préjudice de l'exercice à tout moment par le Président de sa prérogative de grâce présidentielle». Ainsi, les détenus placés dans le quartier des condamnés à mort ont jusqu'à 18 mois, à partir du moment où le jugement imposant la peine capitale devient définitif et exécutoire, pour solliciter la grâce présidentielle et mettre en ordre leurs affaires matérielles et spirituelles. L'État partie conteste l'affirmation de l'auteur selon laquelle il ne pourra pas faire ses adieux à sa famille après avoir eu notification de la date de l'exécution, puisqu'en vertu de l'article 16 de la loi no 8177 de la République, dans la période s'écoulant entre la notification et l'exécution, le condamné doit, dans la mesure du possible, se voir fournir l'assistance qu'il demande pour recevoir la visite d'un ministre du culte auquel il appartient, de son avocat, de membres de sa famille et/ou de ses associés en affaires.
4.5 L'État partie rejette les allégations de violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 9. Il renvoie à son argument concernant la recevabilité mentionné plus haut et affirme que, même s'il devait reconnaître que l'arrestation avait été illégale, ce ne serait pas suffisant en droit interne pour casser un jugement rendu par un tribunal à l'issue d'un procès non entaché de vice.
4.6 L'État partie rejette comme dénuées de fondement les affirmations de l'auteur au titre de l'article 14. Ce dernier a reçu l'assistance d'un défenseur au cours de la préparation de ses aveux. Son défenseur l'a mis en garde contre le fait qu'une fois qu'il aurait signé des aveux, ceux-ci pouvaient être utilisés contre lui dans un tribunal et que le crime dont il était inculpé était punissable de la peine capitale. Malgré cette mise en garde, l'auteur a persisté dans son souhait de faire des aveux. N'ayant pas récusé le défenseur assigné, il était réputé, en droit interne, avoir fait ses aveux spontanément et librement. D'après l'État partie, s'il avait eu des objections à l'égard du défenseur commis d'office, il aurait pu les formuler et demander un autre avocat.
4.7 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il n'y avait aucune trace écrite prouvant qu'avant ses aveux il avait été informé de son droit de garder le silence et d'être représenté par un défenseur compétent et indépendant de son choix, l'État partie soutient qu'il est établi en droit interne que «les procédures constitutionnelles relatives aux enquêtes menées dans le cadre de la garde à vue ne s'appliquent pas à une déposition spontanée, non suscitée par l'interrogatoire direct des autorités, mais faite dans des conditions ordinaires et dans laquelle l'accusé admet oralement avoir commis l'infraction». (3) En tout état de cause, l'État partie affirme que la Cour suprême, en confirmant la condamnation de l'auteur, ne s'est pas appuyée sur ses aveux puisque sa culpabilité a été établie par des preuves indirectes.
4.8 En ce qui concerne le fait pour la Cour suprême de s'appuyer sur des preuves indirectes afin de confirmer le verdict de culpabilité de l'auteur, l'État partie explique les circonstances dans lesquelles les tribunaux internes jugent recevables de telles preuves et souligne que dans les affaires de viol avec homicide, en raison de la nature même du crime, les preuves à charge sont généralement indirectes. De l'avis de l'État partie, en l'espèce, les éléments de preuve pris dans leur intégralité font apparaître sans aucun doute possible la culpabilité de l'auteur. L'État partie affirme aussi qu'«une infraction présumée aux droits constitutionnels de l'accusé au cours de l'enquête menée dans le cadre de la garde à vue n'a de pertinence et d'importance que dans les affaires dans lesquelles un acquiescement extrajudiciaire ou des aveux extorqués à l'accusé servent de base à la reconnaissance de sa culpabilité». (4)
4.9 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle la déposition des témoins n'était pas crédible, l'État partie affirme qu'il a été suffisamment établi au cours du procès que les témoins n'avaient aucun mobile malveillant pour incriminer à tort l'auteur et faire un faux témoignage contre lui et que, conformément au droit interne de l'État partie, les constatations de fait établies par le tribunal sur la base de son appréciation de la crédibilité des témoins se voient accorder un grand poids et, à moins qu'elles ne soient arbitraires, sont censées être concluantes. (5)
4.10 Concernant l'affirmation selon laquelle il y aurait violation du paragraphe 5 de l'article 14, l'État partie affirme que l'évaluation des témoins incombe au premier chef au tribunal de première instance. L'examen des questions de fait n'est pas de la compétence de la Cour suprême, et celle-ci n'a pas à examiner ni à confronter à nouveau les dépositions orales et les preuves écrites. D'après l'État partie, l'évaluation de la crédibilité des témoins et de leur déposition est une tâche que le tribunal de première instance est le mieux à même d'accomplir car il est seul à pouvoir observer les témoins. Il réaffirme en outre la position du tribunal dans l'affaire de l'auteur, selon laquelle les témoins à charge n'avaient aucun motif d'incriminer à tort l'auteur ou de faire un faux témoignage contre lui.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans une lettre du 28 février 2004, l'auteur réaffirme ses griefs précédents. En ce qui concerne la règle selon laquelle un accusé doit protester contre les vices entachant son arrestation avant qu'il ne plaide coupable ou non coupable lors de sa mise en accusation, l'auteur affirme qu'il n'en a été informé, ni au moment de son arrestation, ni au cours de sa détention, ni par le tribunal de première instance, et que cette règle est contraire à son droit à la liberté.
5.2 En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel même si l'on admettait que l'arrestation était illégale, ce ne serait pas suffisant pour casser un jugement rendu à l'issue d'un procès non entaché de vice, l'auteur conteste que le procès n'ait pas été vicié. À l'appui de son affirmation, il mentionne ce qui suit: le fait que la Cour suprême, à la différence du tribunal de première instance, ne s'est pas appuyée sur les aveux extrajudiciaires; le fait que l'expert qui a déposé au procès a seulement affirmé qu'il était possible que la victime présumée ait été violée; enfin, le fait que la Cour suprême des Philippines a jugé dans un certain nombre d'affaires que lorsque l'accusé, dans un procès pénal, est illégalement privé de son droit à la liberté, le tribunal de première instance doit être «déclaré incompétent» à l'égard de cette personne.
5.3 En ce qui concerne ses aveux extrajudiciaires, l'auteur déclare qu'il s'agissait de la déclaration sous serment usuelle établie par la police philippine, et qu'ils ne découlaient pas d'une déclaration spontanée comme l'affirme l'État partie.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne les affirmations selon lesquelles le fait qu'il n'y ait pas de traces écrites des circonstances de l'arrestation de l'auteur et le fait qu'il ne lui ait pas été permis de choisir son défenseur après son arrestation constituent une violation du paragraphe 1 de l'article 14, le Comité constate que ces affirmations ne soulèvent pas de question au titre de l'article 14, mais plutôt au titre de l'article 9. Par conséquent, ces plaintes sont jugées irrecevables, ratione materiae, en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité note que l'État partie conteste la recevabilité de la plainte concernant une violation présumée de l'article 9 du Pacte du fait du non-épuisement des recours internes, arguant que toute irrégularité présumée commise au cours de l'arrestation de l'auteur aurait dû être soulevée par celui-ci avant sa mise en accusation. Étant donné qu'il ressort de l'examen des débats que l'auteur n'a jamais affirmé que son arrestation était entachée de vice devant les autorités internes, le Comité considère qu'il n'a pas à examiner cette question à ce stade. Le Comité note que les mêmes circonstances entourent l'allégation de l'auteur selon laquelle il y aurait violation du paragraphe 3 a) de l'article 14 (par. 3.5) pour défaut de notification des charges pesant sur lui. Par conséquent, ces plaintes sont irrecevables pour non-épuisement des recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne la plainte relative au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte, le Comité estime que l'auteur n'a pas montré en quoi le fait que la Cour suprême se soit appuyée sur des preuves indirectes pour confirmer le verdict de culpabilité du tribunal de première instance violait ses droits en vertu de cette disposition, ou de toute autre disposition du Pacte, et estime donc cette partie de la réclamation irrecevable faute d'éléments pour l'étayer, conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.
6.6 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 g) de l'article 14, le Comité estime que, comme l'auteur reconnaît lui-même qu'un défenseur l'a aidé à préparer et à faire ses aveux, il n'a pas étayé son affirmation selon laquelle il a été contraint de signer des aveux. En outre, la Cour suprême, lorsqu'elle a confirmé le verdict de culpabilité, ne s'est pas appuyée sur ces aveux. Par conséquent, cette plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.7 S'agissant de la violation présumée du paragraphe 5 de l'article 14 qui aurait été commise en raison de la façon dont la Cour suprême a interprété les dépositions des témoins, le Comité note que l'auteur lui demande principalement d'examiner l'appréciation des faits et des éléments de preuve dans l'affaire le concernant. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle les juridictions des États parties sont le mieux à même d'apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L'auteur n'ayant fourni aucun élément de preuve pour démontrer que les décisions des juridictions d'appel étaient manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice, le Comité considère cette plainte comme irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif, faute d'éléments pour étayer sa recevabilité.
6.8 En ce qui concerne la plainte relative à l'article 5 du Pacte, le Comité estime que cette disposition ne fait pas naître un droit individuel distinct. En conséquence, la plainte est incompatible avec le Pacte et irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.9 Le Comité ne trouve aucune autre raison de considérer les autres plaintes soulevées par l'auteur comme irrecevables et procède donc à l'examen au fond des plaintes relatives à l'article 6, au paragraphe 2 de l'article 5; à l'article 7, au paragraphe 1 de l'article 10; et au paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte.
Examen au fond
7.1 Le Comité note que l'auteur affirme qu'il y a violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 en raison du fait qu'on ne lui notifierait la date de son exécution qu'à l'aube du jour où celle-ci aurait lieu, qu'il serait alors exécuté dans les huit heures et n'aurait pas suffisamment de temps pour faire ses adieux aux membres de sa famille et mettre en ordre ses affaires personnelles. Il note aussi l'affirmation de l'État partie selon laquelle la peine capitale serait exécutée «au plus tôt un an et au plus tard 18 mois après que le jugement serait devenu définitif et exécutoire, sans préjudice de l'exercice à tout moment par le Président de sa prérogative de grâce présidentielle». (6) Le Comité croit comprendre, au vu de la législation, que l'auteur aurait au moins un an et au plus 18 mois après l'épuisement de tous les recours disponibles pour prendre des dispositions en vue de voir les membres de sa famille avant la notification de la date de l'exécution. Il note aussi qu'en vertu de l'article 16 de la loi no 8177 de la République, (7) après notification de son exécution, l'auteur aura environ huit heures pour prendre les dernières dispositions concernant ses affaires personnelles et avoir la visite de membres de sa famille. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle l'établissement d'un ordre d'exécution provoque nécessairement chez l'individu concerné une angoisse intense, et il estime que l'État partie devrait s'efforcer de réduire cette angoisse dans la mesure du possible. (8) Cependant, sur la base des informations fournies, le Comité ne peut pas estimer que l'exécution de l'auteur dans les huit heures suivant la notification, considérant qu'il aurait déjà eu au moins un an après l'épuisement des recours internes et avant la notification de son exécution pour organiser ses affaires personnelles et recevoir la visite de membres de sa famille, violerait les droits qui lui sont reconnus par l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10.
7.2 En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, le Comité fait observer, en réponse à l'argument de l'État partie selon lequel il n'appartient pas au Comité d'apprécier la constitutionnalité des lois des États parties, que le rôle du Comité est de déterminer la compatibilité avec le seul Pacte des griefs précis portés devant lui.(9) Le Comité relève dans les décisions tant de la cour régionale que de la Cour suprême que l'auteur a été reconnu coupable du crime complexe de viol avec homicide en vertu de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié par la loi no 7659 de la République, lequel dispose: «Lorsque, des suites ou à l'occasion d'un viol, un homicide est commis, la peine prononcée est la mort». Ainsi, la peine de mort a été imposée automatiquement par application de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié. Le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation automatique et obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question. (10) Il en découle que la condamnation automatique de l'auteur à la peine de mort en vertu de l'article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié, était une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte.
7.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 b) de l'article 14, en raison de ce que l'auteur n'a pas bénéficié de suffisamment de temps pour préparer sa défense et communiquer avec son conseil, le Comité note que l'État partie ne conteste pas ses dires. Étant donné que l'auteur n'a eu que quelques moments chaque jour pendant le procès pour communiquer avec son conseil, le Comité considère qu'il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte. Comme la condamnation à mort de l'auteur a été confirmée à l'issue de procédures qui n'étaient pas conformes aux exigences d'équité de l'article 14 du Pacte, la conclusion s'impose qu'il y a eu également violation des droits protégés en vertu de l'article 6.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 6 et du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'offrir à l'auteur un recours utile et approprié, consistant en une commutation de sa peine de mort. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
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[Adopté en anglais (version originale), espagnol et français. Paraîtra ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres ci-après du Comité ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Le texte de deux opinions individuelles signées séparément par M. Nisuke Ando et Mme Christine Chanet, membres du Comité, est annexé au présent document.
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité
Carpo c. Philippines.
(Signé) Nisuke Ando
Opinion individuelle de Mme Christine Chanet, membre du Comité
(Signé) Mme Christine Chanet
[Adopté en anglais, espagnol et français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
1. Il s'agit d'une fillette de 9 ans dont le corps a été trouvé le soir du 9 avril 1997 à proximité de Balingasag.
2. People c. Echegaray (GR no 117472, arrêt du 7 février 1997).
3. Alvarez c. Court of Appeals, 359 SCRA 544 [2001].
4. People c. Amestuzo, 361 SCRA 184 [2001].
5. People c. Castillo, 289 SCRA 213 [1998].
6. Art. 1 de la loi no 8177 de la République.
7. Art. 16 de la loi no 8177 de la République: «… Dans l'intervalle entre la notification et l'exécution, le condamné se verra fournir, dans la mesure du possible, l'assistance dont il peut avoir besoin pour passer ses derniers instants en présence d'un prêtre ou d'un ministre du culte auquel il appartient et consulter ses avocats, ainsi que pour rédiger un testament et s'entretenir avec des membres de sa famille ou des personnes chargées de la gestion de ses affaires, de l'administration de ses biens ou de l'entretien de ses descendants.». Cependant, le 8 mars 2004, le conseil du condamné a communiqué au Comité le texte EP 200 conformément auquel le condamné pourrait seulement voir un prêtre et son avocat, à l'exclusion des membres de sa famille.
8. Pratt et Morgan c. Jamaïque, communications nos 210/1986 et 225/1987, constatations adoptées le 6 avril 1989.
9. Carpo c. Philippines, communication no 1077/2002, constatations adoptées le 28 mars 2003.
10. Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines, communication no 806/1998, constatations adoptées le 18 octobre 2000; et Kennedy c. Trinité-et-Tobago, communication no 845/1998, constatations adoptées le 26 mars 2002.