concernant la
Communication No. 181/1984
Présentée par : Elcida Arévalo Pérez aux noms de ses fils, Alfredo Rafael et Samuel Humberto Sanjuán Arévalo
Au nom de: Alfredo Rafael et Samuel Humberto Sanjuan Arévalo ,
Etat partie concerné : Colombie
Date de la communlcation : 17 septembre 1984 (date de la première lettre)
Date de la decision concernant la recevabilité : 7 avril 1988 Le Comité des droits de l'homme institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Réuni le 3 novembre 1989, Ayant achevé l'examen de la communication No 181/1984, présentée au Comité par Elcida Arévalo Pérez en vertu du protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,
Adopte ce qui suit :
1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 17 septembre 1984 et lettres ultérieures) est Elcida Arévalo Pérez, citoyenne colombienne résidant en Colombie, s'exprimant au nom de ses fils Alfredo Rafael et Samuel Humberto Sanjuán Arévalo, disparus en Colombie le 8 mars 1982. 2.1 L'auteur déclare qu'Alfredo Rafael (né le 7 octobre 19471, étudiant en ingénierie à l'Université de Bogota , a quitté le domicile familial à Bogota, le 8 mars 1982 à 8 heures du matin, pour se rendre à l'université, et que Samuel Humberto (né le 25 mars 1959), étudiant en anthropologie à l'Université nationale de Colombie, a quitté le domicile familial, le même jour à 15 heures, pour se rendre à une entrevue relative à une offre d'emploi. Ils ne sont pas rentrés chez eux, et l'on a perdu leur trace depuis lors. L'auteur déclare en outre que, le même jour, des voisins lui ont dit que sa maison était surveillée par des individus armés portant des talkies-walkies qui posaient des questions sur les activités de la famille Sanjuán et qui s'étaient présentés comme des agents de la "F2" (section de la police colombienne).
2.2 Le 10 mars 1982, l'auteur a signalé la disparition de ses fils à la police locale et à la section des personnes disparues de la "F2". Elle s'est aussi rendue régulièrement dans les morgues. Entre les mois de juin et septembre 1982, le cas de ses deux fils a été signalé au procureur adjoint de la police, aux forces armées, au Procureur général de la République et au "DAS" (Département administratif de la sécurité). La plupart de ces autorités ont fait des recherches pendant quelques semaines, mais sans résultat. L'auteur fait également état de plusieurs lettres qu'elle aurait écrites au Président de la République et déclare que, sur instructions de ce dernier, un juge d'un tribunal pénal a été désigné au mois de février 1983 pour procéder aux recherches voulues. A la date de sa communication, l'affaire était toujours en suspens, les juges changeant fréquemment.
2.3 L'auteur affirme qu'elle n'a jamais pu obtenir des autorités compétentes de renseignements officiels sur le sort de ses fils. Toutefois, d'après une lettre envoyée le 17 août 1982 par le père des deux étudiants au Ministre d'Etat Rodrigo Escobar Navia (avec copie au Président de la République, au Ministre de la justice et au Procureur général), qui fait partie des pièces jointes à la communication No 181/1984, les parents d'Alfredo et Samuel Sanjuán Arévalo ont été informés en août 1982 par le Chef du "DAS" que leurs fils avaient été arrêtés par des agents de la "F2", et le 13 août 1982, au cours d'une entrevue, le Directeur national de la "F2", leur a donné à entendre qu'ils réapparaîtraient bientôt (" Confien en Dios que prontico apareceran y estén tranquilos").
2.4 L'auteur prétend que les articles 2, 6, 7, 9 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont été violés.
2.5 Elle précise que l'affaire concernant ses fils n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
3. Ayant conclu que l'auteur de la communication avait le droit d'agir au nom des victimes présumées, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a décidé le 17 octobre 1984 de transmettre la communication à 1'Etat partie intéressé, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur, en le priant de lui soumettre des renseignements et observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication. Le Groupe de travail demandait aussi à 1'Etat partie de lui adresser copie des résultats de toute enquête officielle menée à propos de la disparition signalée d'Alfredo Rafael et de Samuel Humberto Sanjuán Arévalo.
4. Le délai fixé à 1'Etat partie pour présenter ses observations conformément à l'article 91 du règlement intérieur expirait le 20 janvier 1985. Aucune commnication n'a été reçue de l'Etat partie en application dudit article. 5.1 En ce qui concerne le paragraphe 2, alinéa a), de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité a noté que l'affirmation de l'auteur selon laquelle l'affaire intéressant ses fils n'était en cours d'examen devant aucune autre instance internationale d'enquête ou de règlement n'était pas contestée. 5.2 Pour ce qui est du paragraphe 2, alinéa b), de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité n'était pas en mesure de conclure, en se fondant sur les renseignements qui lui avaient été communiqués , que des recours pouvaient ou auraient dû être exercés en l'espèce. 6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé le 11 juillet 1985 que la communication était recevable. L'Etat partie a été prié une nouvelle fois de fournir copie des résultats de toute enquête officielle menée à propos de la disparition signalée d'Alfredo Rafael et Samuel Humberto Sanjuán Arévalo. 7.1 Avec les explications qu'il a présentées en application du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, les 11 août 1986, 21 janvier et 8 juillet 1987, 20 octobre 1988 et 27 janvier 1989, 1'Etat partie a envoyé au Comité copie des rapports de police concernant les enquêtes en cours sur la disparition des frères Sanjuán. 7.2 Dans un , rapport de l'Office du Procureur général de Colombie (Procuraduría General ), daté du 19 juin 1986, il est indiqué que, sur ordre du Procureur général de Colombie daté du 21 mai 1986, l'avocate colombienne Maria Julieta Tovar Cardona était chargée de procéder à un examen général des registres de la Police nationale de Colombie pour déterminer si une enquête satisfaisante avait été effectuée sur les cas de dix personnes disparues et de deux personnes décédées. 7.3 Le rapport indique que Mme Tovar Cardona a étudié le 19 juin 1986 les documents concernant l'enquête entreprise par la Police nationale colombienne le 8 mars 1983 au sujet du délit présumé d'enlèvement de 12 personnes, dont les deux frères Sanjuán. Dans ce rapport, Mme Tovar Cardona note que des sanctions ont été prononcées contre 18 fonctionnaires de police. Elle note également qu'un juge a été désigné pour mener l'enquête sur le délit présumé d'enlèvement et que, au cours de l'enquête de la police, des documents concernant des découvertes antérieures de cadavres, les 7 et 27 juin 1982, 11 et 19 juillet 1982, 28 septembre 1982, 21 novembre 1982 et 15 février 1983, ont été examinés. Aucun de ces corps n'avait été identifié. 7.4 Les 16 pages suivantes du rapport, qui comprend 18 pages, contiennent. principalement la liste des noms de 193 personnes interrogées (notamment ceux de fonctionnaires de police soupçonnés d'être impliqués dans les disparitions), avec indication de la date et du lieu de leurs dépositions. Cependant on n'y trouve pas d'indication sur le contenu de ces dépositions, ni sur leur relation avec les cas des frères SanjUan. En dehors des déclarations faites le 11 mars 1983 par Elcida Maria Arévalo Pérez et Yolanda Sanjuán Arévalo, on ne peut pas distinguer , parmi les déclarations et dépositions énumérées, lesquelles -s'il y en a -concernent ces cas. Il est fait mention en revanche de renseignements recueillis dans des prisons ou des commissariats de police pour s'assurer que les frères SanjUan n'y étaient pas détenus. D'autres indications ont trait à la désignation de magistrats pour évaluer les preuves fournies et affecter certaines personnes à des inspections sur place. Les résultats de cette initiative ne sont pas précisés. 7.5 Mme Tovar Cardona indique en outre que la police colombienne a procédé à des enquêtes très détaillées sur les plaintes pour disparition ou assassinat, et que ces enquêtes se sont poursuivies jusqu'à la fin de mai 1986. On ne sait pas si les accusations retenues contre divers fonctionnaires de police ont été suivies d'autres mesures contre ces fonctionnaires.
7.6 Mme Tovar Cardona conclut son rapport par les observations suivantes : "La visite effectuée a permis de consulter les registres originaux portant les numéros 1 à 7 inclus, et la lecture de ces registres a essentiellement permis, conformément à l'ordre verbal de M. le Procureur délégué auprès de la police nationale, de déterminer quels ont été les différents actes de procédure dans le cadre à la fois de la juridiction ordinaire et de la justice pénale militaire , avec les dates de réception et de transmission, ainsi que les différentes procédures suivies par les services qui ont eu à connaître du dossier. Etant donné que les éléments de preuves étaient très nombreux, en plus des éléments. antérieurs mentionnés, il n'était pas absolument nécessaire à la bonne application des procédures judiciaires que tous ces éléments fussent communiqués au Procureur délégué auprès de la police nationale; de ce fait, ils n'ont pas été consignés en totalité. Néanmoins, il ressort de la lecture des différentes pièces que les tâches de l'instruction ont été menées avec sérieux, précision et efficacité, en dépit des difficultés fréquentes dues au manque de temps, aux distances, au manque de ressources et aux réticences des parents, des amis, des voisins, et de manière générale des personnes au courant des faits, à témoigner ou à participer aux confrontations et aux tentatives d'identification; on constate donc que les éléments de preuves disponibles ont été intégralement utilisés. La lecture du dossier ne fait ressortir aucune irrégularité ni retard qui puisse constituer des fautes disciplinaires justifiant l'établissement de rapports pour l'ouverture d'une enquête disciplinaire; en conséquence, les instructions formulées dans l'ordre daté du 21 mai 1986 de l'office du Procureur délégué auprès de la police nationale ayant été accomplies, le dossier sera retourné officiellement." 8.1 En réponse à la demande de précisions du Comité sur le déroulement de l'enquête concernant la disparition des frères Sanjuán, 1'Etat partie a indiqué dans une note du 22 janvier 1987 que le cas des frères Sanjuan. (dossier No 45317) faisait l'objet d'une information et que la procédure pourrait aboutir à l'inculpation de certains membres de la police. Dans une lettre du 27 janvier 1989, le Ministre colombien des affaires étrangères a informé le Comité que la chambre 34 de la Cour pénale de Bogota avait ouvert une enquête : "Dans cette affaire pénale, le neuvième juge d'instruction de Bogota, initialement saisi de l'affaire, a rendu le 2 mai 1983 une décision déclarant recevable la demande de constitution de partie civile déposée par la famille des victimes. La législation pénale colombienne prévoit la possibilité de se constituer partie civile pour obtenir l'indemnisation des dommages causés , qu'ils soient d'ordre matériel ou moral, une fois que les faits dénoncés ont été prouvés. En outre, la législation offre aux personnes lésées ou à leurs représentants la possibilité de demander que la lumière soit faite sur le délit, ses auteurs ou leurs complices, sur leur responsabilité pénale et sur la nature et le montant des préjudices causés, et prévoit de nombreuses autres procédures légales , comme la formation de recours. Dans le cas des frères Sanjun Arévalo, il ressort du dossier que leurs représentants n'ont pas fait concrètement usage de ce droit, puisqu'ils se sont limités à demander copie des actes accomplis dans le cadre de la procédure, sans aller réellement plus loin. Etant donné les liens allégués entre cette affaire et le personnel de la police nationale, la procédure pénale militaire a été engagée par l'Inspecteur général de la police , juge de première instance qui a rendu le 12 mars 1987 une ordonnance de non-lieu définitif à l'égard des officiers, sous-officiers et agents de police qui étaient soupçonnés dans cette affaire. La décision a été prise au motif que les conditions requises à l'article 539 du Code de justice militaire n'étaient pas réunies, à savoir : la preuve totale du corps du délit, ou un concours de témoignages crédibles, dont la crédibilité repose sur des motifs sérieux ou des indices graves désignant les prévenus comme les auteurs ou complices du fait qui est l'objet de l'enquête... Cette décision du juge de première instance ayant été soumise au Tribunal supérieur militaire pour réexamen, celui-ci, le 6 juillet 1987, l'a confirmée dans sa totalité." 8.2 En ce qui concerne l'enquête disciplinaire, 1'Etat partie ajoute que le Procureur général "a relancé la procédure et, par une décision du 8 novembre 1988, a chargé une commission spéciale , composée de deux avocats coordonnateurs de la police judiciaire et de deux enquêteurs, de poursuivre l'enquête en vue d'établir les faits ayant abouti à la disparition des deux frères Sanjuán Arévalo. Leur mission accomplie, les commissaires ont remis le 27 décembre 1988 leur rapport d'évaluation, dans lequel ils proposaient l'ouverture d'une enquête disciplinaire contre le chef de la DIPEC (ancien service de renseignements de la police nationale), le chef de la section des renseignements de la DIPEC, le chef de la police judiciaire de la DIPEC et les sous-officiers et agents de la police nationale qui avaient agi sous les ordres des officiers précités. L'Office du Procureur général, se fondant sur ledit rapport d'évaluation, a décidé, par instructions du 19 décembre 1988 adressées au Procureur délégué auprès de la police nationale, l'ouverture d'une enquête disciplinaire officielle contre les officiers et sous-officiers ci-dessus mentionnés."
8.3 L'Etat partie fait en outre observer que, les investigations n'étant pas terminées et les procédures judiciaires applicables n'étant pas closes, les recours internes n'ont pas été épuisés.
9. Aucune autre observation n'a été reçue de 1'Etat partie ni de l'auteur. 10. Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui avaient été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. En adoptant ses constatations, le Comité souligne qu'il ne se formule aucune conclusion sur la culpabilité ou l'innocence des officiers colombiens qui font actuellement l'objet d'une enquête sur leur éventuelle implication dans la disparition des frères Sanjuán. Le Comité se borne à exprimer son avis sur la question de savoir si l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, et en particulier dans les articles 6 et 9, a été violé par 1'Etat partie à l'égard des frères Sanjuán. A cet égard, le Comité se réfère à son observation générale 6 (16) concernant l'article 6 du Pacte, selon laquelle, entre autres choses, les Etats parties doivent prendre des mesures spécifiques et efficaces pour empêcher les disparitions de personnes et mettre en place des moyens et des procédures efficaces pour que des enquêtes ap, pr. ofondies soient menées par un organe impartial et compétent sur les cas de personnes disparues dans des circonstances pouvant impliquer une violation du droit à la vie. Le Comité a dûment pris acte des observations de 1'Etat partie concernant les enquêtes effectuées jusqu'à présent sur le cas à l'examen. 11. Le Comité des droits de l'homme note que les parents des frères Sanjuán ont été informés que leurs fils avaient été arrêtés par des agents de la "F2". I1 note en outre qu'aucune des investigations ordonnées par le gouvernement ne semble indiquer que des personnes autres que des fonctionnaires publics sont responsables de la disparition des frères Sanjuán. Cela étant, le Comité des droits de l'homme, agissant en application du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que le droit à la vie proclamé à l'article 6 du Pacte et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne énoncé à l'article 9 du Pacte n'ont pas été effectivement protégés par la Colombie. 12. Le Comité saisit cette occasion pour signaler qu'il souhaite recevoir des renseignements sur toutes mesures prises par 1'Etat partie en rapport avec les constatations du Comité, et invite notamment 1'Etat partie à l'informer des faits nouveaux qui apparaîtraient au cours de l'enquête menée sur la disparition des frères Sanjuán.