University of Minnesota



Pierre Giry c. République dominicain
e, Communication No. 193/1985, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/193/1985 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No 193/1985



Présentée par : Pierre Giry

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : République dominicaine

Date de la communication : 23 août 1985

Date de la decision concernant la recevabilité : 11 juillet 1988

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 1990,

Ayant achevé l'examen de la communication No 19311985, présentée au Comité par Pierre Giry en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication est Pierre Giry, citoyen français, ancien résident de Saint-Barthélemy (Antilles), actuellement détenu dans un penitencier fedéral aux Etats-Unis. Il est représenté par un conseil.

La plainte

2. L'auteur affirme être victime de violations, par le Gouvernement de la République dominicaine, des articles 9 (par. 1 et 21, 12 et 13, ainsi que des articles 2 et 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il affirme notamment que sa détention pendant près de trois heures par les autorités dominicaines viole l'article 9, car il a été empêché de monter à bord de l'avion qu'il voulait prendre pour rentrer à Saint-Barthélemy et, par conséquent, a été privé du droit de circuler librement que lui confère l'article 12; il a, de plus, été expulsé illégalement de la République dominicaine, contrairement à l'article 13 du Pacte, vu qu'il en a été expulsé par la force sans avoir eu le bénéfice d'aucune procédure administrative ou judiciaire.

Rappel des faits

3.1 L'auteur déclare qu'il est arrivé en République dominicaine le 2 février 1985, qu'il y est resté deux jours et que le 4 février 1985, il s'est rendu à l'aéroport, afin d'y acheter un billet pour quitter le pays et se rendre à Saint-Barthélemy. Deux agents en uniforme, appartenant soit à la police soit aux douanes dominicaines, l'ont conduit au poste de police de l'aéroport, où il a été soumis à une fouille complète. Après deux heures et quarante minutes, il a été emmené par une porte qui donnait directement accès a la piste et a été forcé d'embarquer à bord d'un avion de la Compagnie Eastem Airlines en partance pour Porto Rico. A son arrivée, il a été immédiatement appréhendé et accusé d'association de malfaiteurs et d'avoir tenté d'introduire de la drogue aux Etats-Unis.

3.2 L'auteur a été jugé par la United States District Court (Tribunal fédéral de première instance) de San Juan de Puerto Rico , qui l'a reconnu coupable du crime d'association de malfaiteurs pour importer de la cocaïne aux Etats-Unis, et de s'être servi pour le commettre d'un moyen de communication, à savoir le téléphone.

3.3 Le 30 avril 1986, il a été condamné à 28 ans de prison et à une amende de 250 000 dollars. I1 purge actuellement sa peine à la prison fédérale de Ray Brook (New York).

3.4 L'auteur affirme, au sujet de l'obligation d'épuiser les recours internes en République dominicaine, qu'il n'a pas pu les épuiser, puisqu'il a été expulsé dans les trois heures qui ont suivi son arrestation.

Dbservations de 1'Etat partie

4.1 Par une note du 24 juin 1988 1'Etat partie a fait savoir au Comité ce qui suit :

"M. Pierre Giry a été expulsé de la République dominicaine vers les Etats-Unis en vertu du traité d'extradition en vigueur entre
les deux pays et de la loi dominicaine No 489, du 22 octobre 1969, relative à l'extradition". L'Etat partie a fait en outre observer que "eu égard à cette procédure, M. Giry aurait dû, avant de saisir le Comité de l'affaire, attendre que fussent épuisés les recours prévus par la législation dominicaine".

4.2 Dans une nouvelle communication en date du 8 juin 1990, 1'Etat partie affirme, au sujet de la prétendue violation de l'article 9 du Pacte, que celui-ci ne s'applique pas en l'espèce puisque les autorités dominicaines avaient l'intention, non d'arrêter M. Giry et de le placer en détention sur le territoire dominicain, mais uniquement de l'expulser du territoire. Le peu de temps que celui-ci a passé à l'aéroport avant de s'envoler pour Porto Rico ne saurait être qualifié de détention au sens de l'article 9. Toutefois, si détention il y a eu, elle n'a été, de l'avis de 1'Etat partie, ni arbitraire ni illégale, puisque M. Giry était internationalement recherché pour trafic de drogue. Son nom figurait sur une liste du Drug Enforcement Agency des Etats-Unis (organisme de lutte contre la drogue) avec lequel les autorités dominicaines coopèrent dans un esprit de solidarité internationale pour lutter contre le trafic de drogue.

4.3 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 13 du Pacte, 1'Etat partie affirme qu'il n'y a pas eu de violation et invoque la clause de cette disposition qui permet de procéder à une expulsion sommaire lorsque des raisons impérieuses de sécurité nationale l'exigent. M. Giry mettait en danger la sécurité de la République dominicaine qui, comme n'importe quel Etat souverain, a le droit de prendre les mesures nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé et la moralité publiques..

4.4 L'Etat partie affirme en outre que sa conduite dans cette affaire s'inscrit dans le cadre de l'action internationale visant à arrêter les
personnes qui se livrent au trafic de la drogue, lequel doit être considéré comme un crime international relevant d'une juridiction universelle.

Questions et procédures devant le Comité

5.1 Après avoir examiné la communication à sa trente-troisième session, le Comité a conclu, en se fondant sur les informations disponibles, que les conditions de recevabilité étaient remplies et que la communication soulevait, au titre du Pacte, des questions à examiner quant au fond, que l'auteur n'avait pas porté l'affaire devant une autre instance pour examen et qu'il n'y avait pas en République dominicaine de recours utile dont l'auteur pourrait ou aurait pu se prévaloir.

5.2 Le 11 juillet 1988, le Comité a déclaré la communication recevable et il a prié 1'Etat partie de présenter par écrit ses observations sur le fond de l'affaire, conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif. L'Etat partie a été prié en outre de faire tenir au Comité le texte de la loi No 489 relative à l'extradition, copie de la décision d'extradition concernant M. Giry, ainsi que le texte des lois et règlements régissant l'expulsion des étrangers. Sous couvert d'une note en date du 5 octobre 1989, 1'Etat partie a adressé au Comité copie de la loi No 489. Par télécopie du 10 juillet 1990, 1'Etat partie a demandé un délai supplémentaire pour fournir d'autres documents. Le Comité croit comprendre qu'il s'agit des minutes du procès devant le tribunal de Porto Rico, 1'Etat partie ayant fait part de son intention de les lui faire parvenir. Cependant, le Comité estime que ces minutes ne lui seront d'aucune utilité pour examiner les questions dont il est saisi.

5.3 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous I les renseignements fournis par les parties. Il fait observer que bien que la communication concerne un individu soupçonné d'être impliqué dans des crimes graves, dont il a par la suite été reconnu coupable, les droits que lui confère le Pacte doivent être respectés.

5.4 Le Comité a noté que l'auteur affirmait être victime de violations de plusieurs dispositions du Pacte. Le Comité fait observer cependant que les faits tels qu'ils lui ont été présentés soulèvent essentiellement des questions relevant de l'article 13 du Pacte. Il s'en tiendra à ces questions.

5.5 L'Etat partie a fait savoir au début que l'auteur avait été expulsé du territoire de la République dominicaine en vertu d'un traité d'extradition entre la République dominicaine et les Etats-Unis d'Amérique. Que l'on parle d'extradition ou d'expulsion, le Comité confirme ce qu'il a déjà dit dans ses observations générales à propos de l'article 13, à savoir que le mot "expulsion" au sens de cet article doit être pris au sens large et fait observer que l'extradition relève du domaine d'application dudit article qui dispose : "Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d'un Etat partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et , à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s'y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l'autorité compétente , ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin."


Le Comité note que 1'Etat partie a expressément invoqué des raisons de sécurité nationale pour déroger à cet article et forcer l'auteur à embarquer à bord d'un avion pour être traduit devant la justice des Etats-Unis d'Amérique alors que l'auteur avait l'intention de quitter la République dominicaine de son plein gré pour une autre destination. Bien qu'il y ait été plusieurs fois invité, 1'Etat partie n'a pas communiqué le texte de sa décision d'expulser l'auteur du territoire de la République dominicaine ni démontré que cette décision avait été prise "conformément à la loi" ainsi que l'exige l'article 13 du Pacte. En outre, il est évident que l'auteur n'a pas eu la possibilité, étant donné les circonstances dans lesquelles il a été expulsé, de faire valoir les raisons militant contre son expulsion ni de faire examiner son cas par l'autorité compétente. Le Comité constate qu'il y a eu violation des dispositions de l'article 13 dans l'affaire concernant M. Giry, mais il souligne que les Etats ont tout à fait le droit de protéger vigoureusement leur territoire contre la menace de trafic de drogue en concluant des traités d'extradition avec d'autres Etats. Cependant, toute action entreprise en vertu de ces traités doit être conforme à l'article 13 du Pacte et tel aurait été le cas si la loi dominicaine pertinente avait été appliquée dans l'affaire en question.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, est d'avis que les faits qui lui ont été soumis font apparaître des violations de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et que 1'Etat partie doit veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.



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