Comité des droits de l'homme
Trente-quatrième session
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre
du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux
droits civils et politiques - trente-quatrième session
concernant la
Communication No 202/1986
Présentée par : Graciela Ato del Avellanal
Victime présumée : l'auteur
Etat partie concerné : Pérou
Date de la communication : 13 janvier 1986 (première lettre)
Date de la décision sur la recevabilité : 9 juillet 1987
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 octobre 1988,
Ayant achevé l'examen de la corranunication No 202/1986, présentée au Comité
par Graciela Ato del Avellanal en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises
par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,
adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication (première lettre du 13 janvier 1986 et lettre
suivante du 11 février 1987)est Graciela Ato del Avellanal, citoyenne péruvienne
née en 1934, employée en qualité de professeur de musique, épouse de Guillermo
Burneo et résidant actuellement au Pérou. Elle est représentée par
un conseil. Le Gouvernement péruvien aurait violé les articles 2, paragraphes
1 et 3; 3, 16, 23, paraqraphe 4; et 26 du Pacte, l'auteur avant fait l'objet
d'une discrimination uniquement due à son sexe.
2.1 L'auteur est propriétaire à Lima de deux immeubles locatifs, qu'elle a
acquis en 1974. Il semble que plusieurs locataires aient profité du changement
de propriétaire pour cesser de payer le loyer de leur appartement. Après s'être
vainement efforcée d'encaisser les loyers échus, l'auteur a intenté un Procès
aux locataires le 13 septembre 1978. Le tribunal de première instance lui
a donné gain de cause et a ordonné aux locataires de lui verser les loyers
dus depuis 1974. La juridiction d'appel a infirmé ce jugement le 21 novembre
1980, pour le motif de procédure que l'auteur n'avait pas le droit d'ester,
vu que, selon l'article 168 du Code civil péruvien, dans le cas d'une femme
mariée, seul le mari a le droit de représenter les biens matrimoniaux devant
les tribunaux (" El marido es el representante de la sociedad conyuqal").
Le 10 décembre 1980, l'auteur a formé un recours devant la Cour suprême du
Pérou, en arguant notamment que la Constitution péruvienne aujourd'hui en
vigueur a aboli la discrimination à l'éqard. des femmes et que l'article 2,
paragraphe 2, de la Magna Carta Péruvienne dispose que "la loi accorde
aux femmes des droits qui ne sont pas inférieurs à ceux accordés aux hommes"
. Cependant, le 15 février 1984, la Cour suprême a confirmé la décision de
la juridiction d'appel. L'auteur a formé un recours en amparo le 6 mai 1984,
en faisant valoir que le fait de lui avoir refusé le droit d'ester sans autre
motif que de sexe constituait une violation de l'article 2, paragraphe 2,
de la Constitution. La Cour suprême a rejeté son recours en amparo le 10 avril
1985.
2.2 Ayant ainsi épuisé les recours internes, et conformément à l'article 39
de la loi péruvienne No 23506, qui dispose expressément que tout citoyen Péruvien
estimant que ses droits constitutionnels ont été violés peut se pourvoir devant
le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies, l'auteur
demande assistance à L'ONU pour soutenir son droit à l'égalité devant les
tribunaux de son pays.
3. Aux termes de sa décision du 39 mars 1986, le Groupe de travail du Comité
des droits de l'homme a, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur provisoire,
transmis la communication de l'auteur à 1'Etat partie intéressé, en demandant
à celui-ci de lui soumettre tous renseiqnenents et observations se rapportant
à la question de la recevabilité de cette communication, dans la mesure où
celle-ci pouvait soulever des questions relevant des articles 14 paragraphe
1; 16 et 26 du Pacte, lus en conjonction avec les articles 2 et 3.
Le Groupe de travail priait en outre 1'Etat partie de fournir au Comité :
a) le texte de l'arrêt de la Cour suprême en date du 10 avril 1985, b) toute
autre ordonnance ou décision jucidiaire pertinente qui n'aurait pas déjà été
fournie par l'auteur, et c) le texte des dispositions pertinentes du droit
national, notamnent celles du Code civil péruvien et de la Constitution péruvienne.
4.1 Dans ses observations du 20 novembre 1986, 1'Etat partie a indiqué que
"dans l'action intentée par Mme Graciela Ato del Avellanal et autre,
l'arrêt rendu par la Cour suprême le 10 avril 1985 est applicable, étant donné
que le recours en cassation prévu par l'article 42 de la loi No 23385 n'a
pas été introduit".
4.2 Aux termes de son arrêt du 10 avril 1985, dont le texte était joint en
annexe, la Cour suprême "déclare que la sentence de 12 pages qu'elle
a rendue le 24 juillet 1984 n'est pas entachée de nullité. Cette sentence
déclare irrecevable le recours en amparo de 2 pages introduit par Mme Graciela
Ato del Avellanal de Burneo et autre contre la première chambre civile de
la Cour suprême.
"La Cour ordonne que, dès qu'il sera applicable ou exécutoire, le
présent arrêt soit publié au Journal officiel 'El Peruano' conformément
au délai prévu à l'article 41 de la loi No 23156."
5.1 Dans ses commentaires du 11 février 1987 sur les observations présentées
par 1'Etat partie conformément à l'article 91, Graciela Ato del Avellanal
soutient ce qui suit :
"1. Il est faux que la sentence du 10 avril 1985, notifiée le
5 août 1985, soit applicable. Conrne le prouve le document ci-joint,
mes avocats ont formé un recours contre cette sentence le 6 août 1985. Leur
requête porte un cachet de réception de la deuxième chambre civile de la
Cour suprême en date du 7 août 1985.
2. La Cour suprême n'a jamais notifié à mes avocats l'arrêt
dont aurait fait l'objet le recours présenté le 6 août 1985."
5.2 L'auteur joint également une copie d'une autre requête'portant un cachet
de réception de la deuxième chambre civile de la Cour suprême en date du
3 octobre 1985, et par laquelle il était à nouveau demandé qu'il fût fait
droit au recours introduit. Elle ajoute que "la Cour suprême n'a pas
non plus notifié à mes avocats la décision dont cette seconde requête aurait
fait l'objet".
6.1 Avant d'examiner les affirmations contenues dans une communication,
le Comité des droits de l'homne doit, selon l'article 87 de son rèqlement
intérieur provisoire, décider si la communication est recevable conformément
au Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'article 5, paraqraphe 2 a), du Protocole facultatif,
le Canité a noté que la plainte de l'auteur n'est pas et n'a pas été examinée
par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Pour ce qui est de l'alinéa b)du même paragraphe, le Comité a noté la
déclaration de 1'Etat partie selon laquelle l'auteur n'avait pas formé de
recours contre la décision de la Cour suprême du Pérou en date du 10 avril
1985. Toutefois, à la lumière de la cornnunication de l'auteur datée du
11 février 1987, le Canité a conclu que la communication répondait aux conditions
énoncées audit alinéa. Le Comité a conclu en outre que la question pourrait
être réexaminée à la lumière de toute explication OU déclaration additionnelle
présentée par 1'Etat partie en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du
Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homne a décidé le 9 juillet
1987 que la communication était recevable, dans la mesure où elle soulevait
des questions relevant des articles 14, paragraphe 1, et 16 du Pacte, lus
en conjonction avec les articles 2, 3 et 26.
8. Le délai prévu pour la présentation des observations de 1'Etat partie
en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif expirait
le 6 février 1988. Il n'a pas été reçu de réponse dudit Etat, malgré un
rappel daté du 17 mai 1988.
9.1 Le Comité des droits de l'homme, ayant examiné la présente communication
à la lumière de toutes les informations qui lui ont été fournies,
conformément aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1, du Protocole
facultatif, constate que les faits de la cause, tels qu'exposés par
l'auteur, ne sont pas contestés par 1'Etat partie.
9.2 En formulant ses conclusions, le Comité des droits de l'homme tient
compte du fait que 1'Etat partie ne lui a pas fourni certains renseignements
et certains éclaircissements, notamnent au sujet des qriefs de discrimination
formulés par l'auteur. En effet, il ne suffit pas que les Etats parties
communiquent au Canité le texte des lois et décisions en cause, sans aborder
les questions précises évoquées par les auteurs des communications. Il découle
implicitement de l'article 4, paragraphe 2 du Protocole facultatif que les
Etats parties ont le devoir d'enquêter de bonne foi sur tous les griefs
de violation du Pacte qui sont formulés contre eux et contre leurs autorités,
et de soumettre au Comité les renseignements voulus sur ce point. Dans ces
conditions, il convient d'accorder tout le poids voulu aux affirmations
de l'auteur.
10.1 Au sujet de la condition énoncée à l'article 14, paragraphe 1 du Pacte,
où il est dit que "tous sont éqaux devant les tribunaux et les cours
de justice", le Comité constate que le tribunal de première instance
a donné gain de cause à l'auteur, mais que la juridiction d'appel a infirmé
cette décision au motif unique que, selon l'article 168 du Code civil péruvien,
seul l'époux a le droit de représenter les biens matrimoniaux -en d'autres
termes, que l'épouse n'est pas l'égale de son conjoint pour ce qui est d'ester
en justice.
10.2 Au sujet de la discrimination fondée sur le sexe, le Canité note
en outre que'aux termes de l'article 3 du Pacte, les Etats parties s'engagent
à "assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous
les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte" et qu'aux
termes de l'article 26 "toutes les personnes sont éqales devant la
loi et ont droit 5 une égale protection de la loi". Le Comité conclut
que les faits de la cause font apparaître que l'application à l'auteur de
l'article 168 du Code civil péruvien a abouti à un déni d'égalité
en justice et constitue un cas de discrimination fondée sur le sexe.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en application de l'article
5, paraqraphe 4, du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits de la
cause, dans la mesure où ils se sont poursuivis ou produits après le 3 janvier
1981 date d'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Pérou, font
apparaître des violations des articles 3, 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte.
12. En conséquence, le Comité est d'avis que, en vertu des dispositions
de l'article 2 du Pacte, 1'Etat partie est tenu de prendre des mesures effectives
pour remédier aux violations dont l'intéressée a été victime. Il se félicite
à ce sujet de la volonté de 1'Etat partie, telle qu'exprimée dans les articles
39 et 40 de la loi No 23506, de coopérer avec le Comité des droits de l'homne
et de donner suite à ses reconrnandations.