Communication No. 222/1987
7.3 Quant au paragraphe 2 de l'article 19, l'auteur affirme que la liberté d'expression ne peut être limitée à la liberté de s'exprimer en français et que la liberté d'expression pour des citoyens de langue maternelle bretonne ne peut être que la liberté de s'exprimer en breton. De plus, selon l'auteur, le refus du Tribunal administratif d'enregistrer sa requête aurait eu pour but de limiter sa liberté d'expression, bien qu'il soit dit que les limitations énoncées dans le paragraphe 3 de l'article 19 ne sont pas applicables. 7.4 L'auteur rejette les arguments de 1'Etat partie concernant une prétendue violation de l'article 26 et affirme qu'une administration appropriée de la justice n'exclurait pas l'utilisation du breton devant les tribunaux. Il rappelle que plusieurs Etats, y compris la Suisse et la Belgique, permettent l'utilisation de plusieurs langues dans leurs tribunaux et ne forcent pas leurs citoyens à renoncer à leur langue maternelle. Le refus d'enregistrer sa requête constitue, d'après l'auteur, une discrimination fondée sur la langue, étant donné que les citoyens français de langue maternelle bretonne ne bénéficient pas des mêmes garanties de procédure devant les tribunaux que les citoyens français de langue maternelle française. 7.5 Enfin, l'auteur indique que la France n'a pas fait de "réserve" en ce qui concerne l'article 27 mais s'est contentée de faire une simple "déclaration". L'auteur fait observer qu'une proposition de loi soutenue par de nombreux parlementaires reconnaît les différentes langues parlées en France, comme témoignages du caractère singulier d'une région ou d'une communauté. Pour l'auteur, il ne fait aucun doute que la communauté bretonne constitue une minorité linguistique au sens de l'article 27, devant pouvoir exercer le droit d'utiliser sa propre langue, y compris devant les tribunaux. 8.1 Avant d'examiner les plaintes exposées dans une communication, le Comité des droits de l'homme est tenu, conformément aux dispositions de l'article 87 de son règlement intérieur, de décider si elle est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. 8.2 Aux termes du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité n'examinera aucune communication d'un particulier qui n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il s'agit là d'une règle générale qui n'est toutefois pas appliquée si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, ou si l'auteur d'une communication démontre de façon convaincante que les recours internes ne sont pas efficaces, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune chance d'aboutir. 8.3 D'après les renseignements dont dispose le Comité, rien n'empêche l'auteur d'essayer d'utiliser tous les recours internes. L'auteur n'a pas été pourusivi au pénal, mais veut intenter une action devant un tribunal administratif aux fins de faire établir qu'il a été privé de certains droits protégés par le Pacte. Le paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif a notamment pour objet d'engager les victimes éventuelles de violations des dispositions du Pacte à s'efforcer dans un premier temps d'obtenir satisfaction auprès des autorités compétentes de 1'Etat partie, tout en permettant aux Etats parties d'examiner, sur la base d'une plainte donnée, la mise en oeuvre, sur leur territoire et par leurs instances, des dispositions du Pacte et, si nécessaire, de remédier aux violations éventuelles, avant que le Comité ne soit saisi de la question. 8.4 Il reste à déterminer si les recours devant les tribunaux français sont inexistants ou inefficaces, dès lors que l'auteur est obligé d'utiliser le français pour faire valoir que l'obligation qui lui est faite d'utiliser le français en justice, et non le breton , constitue une violation de ses droits. Le Comité note que la question à examiner en premier lieu par la justice française est celle de l'utilisation exclusive du français pour intenter une action en justice et que , pour ce faire, en vertu de la législation applicable, seul le français peut être utilisé. Comme l'auteur a montré qu'il connaissait cette langue, le Comité estime qu'il ne serait pas déraisonnable qu'il adresse sa requête en français aux tribunaux français. De plus, le fait d'utiliser le français pour former un recours ne préjugerait pas irrémédiablement de la plainte quant au fond. 8.5 L'auteur a également invoqué l'article 27 du Pacte, affirmant avoir été victime d'une violation des dispositions de ce texte. Lorsqu'il a adhéré au Pacte, le Gouvernement français a déclaré que "compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française . . . l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République". Sa déclaration n'a fait l'objet d'aucune objection de la part des autres Etats parties et n'a pas été retirée. 8.6 Le Comité est donc appelé à déterminer si cette déclaration l'empêche d'examiner une communication faisant état d'une violation de l'article 27. Au paragraphe 1 d)de l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, il est dit : "l'expression "réserve" s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il . . . adhère [à un traité], par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat." Dans la Convention, il n'est pas fait de distinction entre réserves et déclarations. Quant au Pacte, il ne contient rien qui permette de déterminer si une déclaration unilatérale faite par un Etat partie lors de son adhésion exclut la compétence du Comité, qu'elle soit appelée "réserve" ou "déclaration". Le Comité note à cet égard que ce n'est pas la désignation de la déclaration, mais l'effet qu'elle vise à avoir qui détermine sa nature. Si la déclaration vise à l'évidence à exclure ou à modifier l'effet juridique d'une disposition particulière d'un traité, elle doit être considérée comme une réserve obligatoire, même si elle est libellée sous la forme d'une "déclaration". En 1 'espèce, la déclaration faite par le Gouvernement français lors de son adhésion au Pacte est claire : elle vise à exclure l'application de l'article 27 à la France, ce qui est souligné dans le libellé par les mots "n'a pas lieu de s'appliquer". L'objet de la déclaration étant sans équivoque, elle doit être considérée comme excluant la compétence du Comité, malgré le terme employé pour la désigner. En outre, dans ses observations du 15 janvier 1989, 1'Etat partie évoque également une "réserve" de la France concernant l'article 27. Le Comité se considère donc incompétent pour examiner les plaintes contre la France faisant état de violations de l'article 27 du Pacte. 9. En conséquence, le Comité décide : a) Que la communication est irrecevable au titre de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif; b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.