University of Minnesota



T. K. (nom supprimé) c. Franc
e, Communication No. 220/1987, U.N. Doc. CCPR/C/37/D/220/1987 (1989).



Comité des droits de l'homme
Trente-septième session



.Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu du protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques - trente-septième session


concemant la

Communication No. 222/1987




Présentée Dar : T. K. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : France

Date de la communication : 12 janvier 1987 (date de la lettre initiale)


Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Réuni le 8 novembre 1989,

Adopte la décision ci-après :


Décision concernant la recevabilité



1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 12 janvier 1987, deuxième lettre datée du 30 juin 1987) est T. K., citoyen français d'origine ethnique bretonne, qui écrit en son nom propre et en sa qualité de Président de l'Unvaniezh Ar Gelennerien Brezhoneg (UAGB, Union des enseignants de breton). Né en Bretagne en 1937, il enseigne la philosophie et le breton. Il affirme que la France a violé les articles 2, 16, 19, 26 et 27 du Pacte.

2.1 L'auteur de la communication déclare que le Tribunal administratif de Rennes a refusé d'examiner une requête qu'il lui avait soumise le 7 novembre 1984, en langue bretonne, au nom de 1'UAGB. L'auteur y demandait la reconnaissance du statut d'association pour 1'UAGB. En réponse à un courrier bilingue français/breton, le tribunal a fait savoir que la requête n'avait pas été enregistrée faute d'être rédigée en français. Une lettre adressée ultérieurement au Ministre français de la justice serait restée sans réponse. A l'appui de sa requête, l'auteur joint une copie de deux jugements, rendus l'un par le Tribunal administratif de Rennes, le 21 novembre 1984, l'autre par le Conseil d'Etat, le 22 novembre 1985, et statuant tous deux qu'une requête rédigée en breton ne peut pas être enregistrée. Selon l'auteur, ces jugements constituent une discrimination fondée sur la langue et contreviennent au paragraphe 1)de l'article 2 du Pacte, dont 1'Etat partie a en outre violé le paragraphe 2 de l'article 2, relatif aux mesures d'ordre législatif ou autre propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte, le paragraphe 3) de l'article 2, relatif aux recours utiles, l'article 16, relatif au droit de chacun à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique, le paragraphe 2) de l'article 19, relatif à la liberté d'expression, l'article 26, relatif à l'égalité devant la loi sans aucune discrimination, et l'article 27 , relatif au droit d'employer sa propre langue.

2.2 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur affirme que la requête adressée au Tribunal administratif de Rennes n'a même pas été enregistrée, et que le Ministre de la justice n'a pas répondu à la lettre qu'il lui a envoyée. Il ajoute que l'affaire n'a été soumise à aucune procédure internationale d'enquête ou de règlement.

3. Sans transmettre la communication à 1'Etat partie, le Comité des droits de l'homme a, dans une décision prise le 9 avril 1987 en application de l'article 91 de son règlement intérieur, demandé à l'auteur de préciser : a) s'il prétend être affecté en tant qu'individu par les prétendues violations par 1'Etat partie des dispositions du Pacte, ou s'il prétend, en sa qualité de président d'une organisation, que cette organisation est victime des prétendues violations; b) s'il comprend, lit et écrit le français. Dans une lettre datée du 30 juin 1987, l'auteur a répondu qu'il avait d'abord voulu présenter la communication au nom de l'organisation qu'il préside, tout en maintenant être directement affecté par les faits décrits dans sa première communication. Il a par ailleurs déclaré qu'il comprenait, lisait et écrivait le français.

4. Par une nouvelle décision du 20 octobre 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à 1'Etat partie, en le priant , conformément à l'article 91 du règlement intérieur, de fournir. des renseignements et des observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication. L'auteur a été prié, en vertu de l'alinéa a) de l'article 91, de préciser de quelle manière il prétendait avoir été privé du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, b)dans quelle mesure et dans quel contexte il aurait été porté atteinte à sa liberté d'expression et c) d'étayer son affirmation selon laquelle les citoyens français de langue maternelle française et ceux de langue maternelle bretonne ne sont pas égaux devant la loi.

5. Dans sa réponse, datée du 13 janvier 1989, à la question du Groupe de travail, l'auteur affirme que les ressortissants français de langue maternelle française et ceux de langue maternelle bretonne ne sont pas égaux devant la loi parce que les premiers peuvent s'exprimer dans leur langue maternelle devant les tribunaux, alors que ces derniers ne le peuvent pas. S'il existe un Secrétariat à la francophonie, il n'y a pas d'institution similaire pour défendre les langues régionales autres que le français. Du fait que le gouvernement refuse de reconnaître la langue bretonne, ceux qui l'utilisent quotidiennement sont contraints à en abandonner l'usage ou à renoncer à leur droit de s'exprimer librement. L'auteur ajoute que la violation de sa liberté d'expression est manifeste dans le fait que le Tribunal administratif a refusé d'enregistrer une requête soumise en breton sous prétexte que son contenu était inintelligible, refusant par là de reconnaître la validité d'une requête soumise dans une langue locale et déniant aux citoyens le droit d'utiliser leur propre langue devant les tribunaux. Enfin, l'auteur affirme que l'accès aux tribunaux lui est interdit, en tant que citoyen français de langue maternelle bretonne, puisque les autorités judiciaires ne l'autorisent pas à soumettre des requêtes dans sa langue maternelle.

6.1 Dans ses observations datées du 15 janvier 1989, présentées conformément à l'article 91, 1'Etat partie affirme que la communication n'est pas recevable parce que les recours internes n'ont pas été épuisés et que certaines des plaintes de l'auteur ne sont pas compatibles avec les dispositions du Pacte. L'Etat partie rappelle que l'auteur n'a pas contesté dans les délais prescrits par la loi la décision du Tribunal administratif de ne pas enregistrer sa requête. Sa lettre au Ministre de la justice, expliquant qu'il avait été victime d'un déni de justice ne peut, de l'avis de 1'Etat partie, être considérée comme un recours judiciaire. Par ailleurs il n'a porté de recours devant aucune autre instance judiciaire. Sa communication ne répond donc pas aux conditions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Quant aux prétendues violations de l'article 2 du Pacte, 1'Etat partie affirme que cet article ne peut jamais être violé directement et isolément. Une violation de l'article 2 ne peut être admise que dans la mesure OÙ d'autres droits reconnus par le Pacte ont été violés (par. 1)ou si les mesures nécessaires pour donner effet aux droits consacrés par le Pacte n'ont pas été prises (par. 2). Une violation de l'article 2 ne peut être que le corollaire d'une autre violation d'un droit reconnu par le Pacte. L'Etat partie estime que l'auteur n'a pas fondé son argumentation sur des faits précis et qu'il ne peut prouver qu'il a été victime de discrimination dans ses relations avec les autorités judiciaires. C'était à lui d'utiliser les recours qui étaient à sa disposition.

6.3 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 16, 1'Etat partie note que l'auteur n'a soumis aucune plainte précise et rejette son interprétation de cette disposition comme abusive. La qualité de l'auteur pour agir dans la procédure administrative n'a donc jamais été mise en cause; ce qui lui a été refusé, c'est la possibilité de présenter sa requête en breton, étant donné "qu'en l'absence de dispositions législatives en disposant autrement, la langue de procédure devant les tribunaux français est la langue française" (jugement du Tribunal administratif de Rennes - 21 novembre 1984 -affaire Quillévéré).


6.4 S'agissant de la prétendue violation du paragraphe 2 de l'article 19, 1'Etat partie estime que l'auteur n'a pas prouvé de quelle manière sa liberté d'expression avait été violée. Au contraire, sa lettre au Ministre de la justice montre qu'il a eu toutes les possibilités de présenter
sa position. En outre, "la liberté d'expression" au sens de l'article 19 ne peut être interprétée comme englobant le droit qu'auraient les citoyens français d'utiliser le breton devant les tribunaux administratifs français.

6.5 Quant à l'article 26, 1'Etat partie rejette l'affirmation de l'auteur selon laquelle le refus du Tribunal administratif de Rennes d'enregistrer une requête soumise
en breton constitue une discrimination fondée sur la langue. Au contraire les autorités se sont fondées sur des règles généralement applicables, qui ont pour but de faciliter l'administration de la justice en permettant aux tribunaux de juger la requête originale (sans avoir à recourir à une traduction).

6.6 Enfin, 1'Etat partie rappelle qu'en ratifiant le Pacte, le Gouvernement français a fait une réserve en ce qui concerne l'article 27 : "Le Gouvernement français déclare que, compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République".

7.1 Dans son commentaire du 23 mai 1989, l'auteur rejette l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle la communication n'est pas recevable parce que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il estime en effet que sa lettre au Ministre de la justice constituait un appel de la décision du Tribunal administratif de ne pas enregistrer sa requête. De plus, 1'Etat partie n'a pas indiqué au Comité quels étaient exactement les recours dont il pouvait se prévaloir. Pour l'auteur, cela s'explique aisément, car 1'Etat partie doit être parfaitement conscient du fait que les recours sont inexistants, une fois que le tribunal de première instance a refusé d'enregistrer une requête soumise en breton. Toute requête ultérieure soumise en breton risque de subir le même sort, quelle que soit l'instance judiciaire à laquelle elle est soumise.

7.2 L'auteur réaffirme que la violation de ses droits en vertu des articles 16, 19, 26 et 27 entraîne automatiquement une violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 2. Il ajoute que plusieurs propositions de loi ont délibérément été ignorées par les Gouvernements français successifs, bien qu'elles eussent amené la France à se conformer, en partie au moins, à l'article 2. En ce qui concerne l'article 16, l'auteur juge sinon discriminatoire, du moins restrictive, l'interprétation de 1'Etat partie. Il est surpris que celui-ci estime que sa qualité pour agir devant le Tribunal n'ait jamais été mise en cause en dépit du fait que sa requête n'ait même pas été enregistrée et affirme que le rejet de sa requête équivaut nécessairement' à un déni de son droit de comparaître devant le Tribunal. En outre, il ajoute que le Pacte ne lie pas la question de la personnalité juridique à l'utilisation, devant les tribunaux, d'une langue particulière, et qu'en l'absence de dispositions législatives spécifiques confirmant que le français est la langue officielle de procédure devant les tribunaux, l'usage du breton peut être considéré comme autorisé.

7.3 Quant au paragraphe 2 de l'article 19, l'auteur affirme que la liberté d'expression ne peut être limitée à la liberté de s'exprimer en français et que la liberté d'expression pour des citoyens de langue maternelle bretonne ne peut être que la liberté de s'exprimer en breton. De plus, selon l'auteur, le refus du Tribunal administratif d'enregistrer sa requête aurait eu pour but de limiter sa liberté d'expression, bien qu'il soit dit que les limitations énoncées dans le paragraphe 3 de l'article 19 ne sont pas applicables.

7.4 L'auteur rejette les arguments de 1'Etat partie concernant une prétendue violation de l'article 26 et affirme qu'une administration appropriée de la justice n'exclurait pas l'utilisation du breton devant les tribunaux. Il rappelle que plusieurs Etats, y compris la Suisse et la Belgique, permettent l'utilisation de plusieurs langues dans leurs tribunaux et ne forcent pas leurs citoyens à renoncer à leur langue maternelle. Le refus d'enregistrer sa requête constitue, d'après l'auteur, une discrimination fondée
sur la langue, étant donné que les citoyens français de langue maternelle bretonne ne bénéficient pas des mêmes garanties de procédure devant les tribunaux que les citoyens français de langue maternelle française.

7.5 Enfin, l'auteur indique que la France n'a pas fait de "réserve" en ce qui concerne l'article 27 mais s'est contentée de faire une simple "déclaration". L'auteur fait observer qu'une proposition de loi soutenue par de nombreux parlementaires reconnaît les différentes langues parlées en France, comme témoignages du caractère singulier d'une région ou d'une communauté. Pour l'auteur, il ne fait aucun doute que la communauté bretonne constitue une minorité linguistique au sens de l'article 27, devant pouvoir exercer le droit d'utiliser sa propre langue, y compris devant les tribunaux.

8.1 Avant d'examiner les plaintes exposées dans une communication, le Comité des droits de l'homme est tenu, conformément aux dispositions de l'article 87 de son règlement intérieur, de décider si elle est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Aux termes du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité n'examinera aucune communication d'un particulier qui n'a pas épuisé tous les recours internes
disponibles. Il s'agit là d'une règle générale qui n'est toutefois pas appliquée si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, ou si l'auteur d'une communication démontre de façon convaincante que les recours internes ne sont pas efficaces, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune chance d'aboutir.

8.3 D'après les renseignements dont dispose le Comité, rien n'empêche l'auteur d'essayer d'utiliser tous les recours internes. L'auteur n'a pas été pourusivi au pénal, mais veut intenter une action devant un tribunal administratif aux fins de faire établir qu'il a été privé de certains droits protégés par le Pacte. Le paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif a notamment pour objet d'engager les victimes éventuelles de violations des dispositions du Pacte à s'efforcer dans un premier temps d'obtenir satisfaction auprès des autorités compétentes de 1'Etat partie, tout en permettant aux Etats parties d'examiner, sur la base d'une plainte donnée, la mise en oeuvre, sur leur territoire et par leurs instances, des dispositions du Pacte et, si nécessaire, de remédier aux violations éventuelles, avant que le Comité ne soit saisi de la question.

8.4 Il reste à déterminer si les recours devant les tribunaux français sont inexistants ou inefficaces, dès lors que l'auteur est obligé d'utiliser le français pour faire valoir que l'obligation qui lui est faite d'utiliser le français en justice, et non le breton , constitue une violation de ses droits. Le Comité note que la question à examiner en premier lieu par la justice française est celle de l'utilisation exclusive du français pour intenter une action en justice et que , pour ce faire, en vertu de la législation applicable, seul le français peut être utilisé. Comme l'auteur a montré qu'il connaissait cette langue, le Comité estime qu'il ne serait pas déraisonnable qu'il adresse sa requête en français aux tribunaux français. De plus, le fait d'utiliser le français pour former un recours ne préjugerait pas irrémédiablement de la plainte quant au fond.

8.5 L'auteur a également invoqué l'article 27 du Pacte, affirmant avoir été victime d'une violation des dispositions de ce texte. Lorsqu'il a adhéré au Pacte, le Gouvernement français a déclaré que "compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française . . . l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République". Sa déclaration n'a fait l'objet d'aucune objection de la part des autres Etats parties et n'a pas été retirée.

8.6 Le Comité est donc appelé à déterminer si cette déclaration l'empêche d'examiner une communication faisant état d'une violation de l'article 27. Au paragraphe 1 d)de l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, il est dit : "l'expression "réserve" s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il . . . adhère [à un traité], par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat." Dans la Convention, il n'est pas fait de distinction entre réserves et déclarations. Quant au Pacte, il ne contient rien qui permette de déterminer si une déclaration unilatérale faite par un Etat partie lors de son adhésion exclut la compétence du Comité, qu'elle soit appelée "réserve" ou "déclaration". Le Comité note à cet égard que ce n'est pas la désignation de la déclaration, mais l'effet qu'elle vise à avoir qui détermine sa nature. Si la déclaration vise à l'évidence à exclure ou à modifier l'effet juridique d'une disposition particulière d'un traité, elle doit être considérée comme une réserve obligatoire, même si elle est libellée sous la forme d'une
"déclaration". En 1 'espèce, la déclaration faite par le Gouvernement français lors de son adhésion au Pacte est claire : elle vise à exclure l'application de l'article 27 à la France, ce qui est souligné dans le libellé par les mots "n'a pas lieu de s'appliquer". L'objet de la déclaration étant sans équivoque, elle doit être considérée comme excluant la compétence du Comité, malgré le terme employé pour la désigner. En outre, dans ses observations du 15 janvier 1989, 1'Etat partie évoque également une "réserve" de la France concernant l'article 27. Le Comité se considère donc incompétent pour examiner les plaintes contre la France faisant état de violations de l'article 27 du Pacte.

9.
En conséquence, le Comité décide :

a) Que la communication est irrecevable au titre de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.



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