4.3 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 14, l'auteur affirme que le droit d'être assisté d'un interprète, énoncé au paragraphe 3 f) de l'article 14 du Pacte, a toujours été refusé aux citoyens français de langue bretonne. Il affirme enfin que l'administration judiciaire française suppose simplement que tous les citoyens français parlent français. 5. Par sa décision du 20 octobre 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à 1'Etat partie, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur, et l'a prié de soumettre des renseignements et obsenrations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication, en indiquant en particulier quels sont exactement en l'espèce les recours effectivement possibles. 6.1 Dans ses observations datées du 15 janvier 1989, présentées conformément à l'article 91, 1'Etat partie conteste la recevabilité de la communication pour plusieurs raisons. Il affirme que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Selon 1'Etat partie, l'auteur aurait dû se conformer aux règles de présentation du tribunal administratif; en outre, l'auteur aurait toujours pu faire appel devant le Conseil d'Etat si le tribunal administratif avait rejeté sa requête. 6.2 Pour ce qui est des allégations de violations des paragraphes 1 et 2 de l'article 2 du Pacte, 1'Etat partie indique qu'une telle violation ne peut être que le résultat d'une atteinte aux droits de l'auteur énoncés dans d'autres articles du Pacte. Il ajoute que l'auteur n'a pas pu démontrer qu'il avait été ainsi lésé dans l'exercice de l'un de ses droits. 6.3 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique (art. 16)lui aurait été refusé, 1'Etat partie indique que l'auteur n'a fourni aucune preuve à l'appui de cette allégation et que la référence à l'article 16 constitue une interprétation abusive de la notion de "personnalité juridique". Il ajoute que ce droit a été parfaitement reconnu à l'auteur dans la mesure où il ne dépendait que de lui d'engager la procédure que le tribunal administratif lui avait indiquée par sa lettre du 6 mars 1987. 6.4 Pour ce qui est des allégations de l'auteur relatives à la violation du paragraphe 2 de l'article 19, 1'Etat partie indique que la plainte est irrecevable car l'auteur n'a pas fourni de preuves tendant à montrer qu'il aurait été privé de son droit à la liberté d'expression. En outre, 1'Etat partie soutient que ce droit ne saurait englober le droit de tout citoyen français d'utiliser toute langue ou tout idiome de son choix devant les tribunaux administratifs français. 6.5 Quant à l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait été victime de discrimination fondée sur la langue, 1'Etat partie déclare que le refus du tribunal administratif de Rennes d'enregistrer la requête de l'auteur est conforme à l'usage établi consacré dans la jurisprudence du Conseil d'Etat et destiné à faciliter l'administration de la justice en évitant aux tribunaux d'avoir à recourir à des services de traduction et en leur permettant de se prononcer sur la base du texte de la requête originale. En conséquence, 1'Etat partie conclut que l'auteur ne peut pas être considéré comme victime de discrimination alors qu'il a été fait à son égard application d'une règle générale et uniforme. 6.6 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 27, 1'Etat partie considère qu'étant donné la déclaration qu'il'a faite lors de son adhésion au Pacte le 4 novembre 1980, le Comité n'est pas compétent pour examiner des communications touchant les violations prétendues de cet article. Il conclut en conséquence que la communication doit être déclarée irrecevable car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte. 7.1 Commentant les observations de 1'Etat partie, l'auteur, dans une lettre datée du 22 mai 1989, affirme que la jurisprudence établie du Conseil d'Etat en la matière prouve que les recours indiqués par 1'Etat partie n'auraient eu aucune chance d'aboutir. 7.2 L'auteur ajoute qu'il a été victime de discrimination fondée sur la langue puisque certains citoyens français sont autorisés à employer leur propre langue devant les tribunaux tandis que d'autres ne le sont pas. Il affirme en outre que les problèmes techniques dus, par exemple, à la nécessité éventuelle pour les tribunaux de recourir à des services de traduction, ne devraient pas faire obstacle au plein exercice des droits des citoyens. Il cite à cet égard l'exemple de la Belgique et de la Suisse où des pratiques différentes prévalent. 7.3 A l'égard de l'article 27, l'auteur relève tout d'abord que, lorsqu'elle a adhéré au Pacte le 4 novembre 1980, la France a fait une "déclaration" mais n'a pas émis de "réserve" et qu'étant donné que la France a émis des "réserves" a 'propos d'autres articles du Pacte, sa "déclaration" concernant l'article 27 doit être interprétée différemment; il affirme ensuite que l'existence de la minorité ethnique et linguistique bretonne est reconnue au niveau international par des sociologues et est attestée par nombre de publications scientifiques ; enfin, de nombreux groupes parlementaires français (centristes, communistes, socialistes) ont présenté des propositions de loi concernant la langue bretonne. Enfin, l'auteur fait observer que mise à part la déclaration de la France concernant l'article 27, 1'Etat partie n'a jamais émis de réserve ou fait de déclaration équivalant à une réserve à propos des articles 2, 16, 19 et 26 du Pacte. 8.1 Avant d'examiner les griefs contenus dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. 8.2 Aux termes du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité n'examinera aucune communication d'un particulier qui n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il s'agit là d'une règle générale qui n'est toutefois pas appliquée si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, ou si l'auteur d'une communication démontre de façon convaincante que les recours internes ne sont pas efficaces, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune chance d'aboutir. 8.3 D'après les renseignements dont dispose le Comité, rien n'empêche l'auteur d'essayer d'utiliser tous les recours internes. L'auteur n'a pas été poursuivi au pénal, mais veut intenter une action devant un tribunal administratif aux fins de faire établir qu'il a été privé de certains droits protégés par le Pacte. Le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif a notamment pour objet d'engager les victimes éventuelles de violations des dispositions du Pacte à s'efforcer dans un premier temps d'obtenir satisfaction auprès des autorités compétentes de 1'Etat partie, tout en permettant aux Etats parties d'examiner , sur la base d'une plainte donnée, la mise en oeuvre, sur leur territoire et par leurs instances, des dispositions du Pacte et, si nécessaire, de remédier aux violations éventuelles, avant que le Comité ne soit saisi de la question. 8.4 Il reste à déterminer si les recours devant les tribunaux français sont inexistants ou inefficaces, dès lors que l'auteur est obligé d'utiliser le français pour faire valoir que l'obligation qui lui est faite d'utiliser le français en justice, et non le breton, constitue une violation de ses droits. Le Comité note que la question à examiner en premier lieu par la justice française est celle de l'utilisation exclusive du français pour intenter une action en justice et que, pour ce faire, en vertu de la législation applicable, seul le français peut être utilisé. Comme l'auteur a montré qu'il connaissait cette langue, le Comité estime qu'il ne serait pas déraisonnable qu'il adresse sa requête en français aux tribunaux français. De plus, le fait d'utiliser le français pour former un recours ne préjugerait pas irrémédiablement de la plainte quant au fond. Le Comité ne peut retenir l'objection formulée par l'auteur , à savoir qu'il ne connaît pas suffisamment le français juridique pour présenter une requête devant un tribunal; les citoyens de tous les pays éprouvent la même difficulté, quand bien même ils utiliseraient leur langue maternelle, d'où la nécessité de faire appel aux services de juristes de profession. 8.5 L'auteur a également invoqué l'article 27 du Pacte, affirmant qu'il a été victime d'une violation des dispositions de cet article. Lorsqu'il a adhéré au Pacte, le Gouvernement français a déclaré que : "compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, . . . l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République". Cette déclaration n'a fait l'objet d'aucune objection de la part d'autres Etats parties et n'a pas été retirée. 8.6 Le Comité est donc appelé à déterminer si cette déclaration l'empêche d'examiner une communication faisant état d'une violation de l'article 27. Au paragraphe 1 d) de l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, il est dit : "l'expression 'réserve' s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il . . . adhère [à un traité], par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat." Dans la Convention , il n'est pas fait de distinction entre réserves et déclarations. Quant au Pacte, il ne contient rien qui permette de déterminer si une déclaration unilatérale faite par un Etat partie lors de son adhésion exclut la compétence du Comité, qu'elle soit appelée "réserve" ou "déclaration". Le Comité note à cet égard que ce n'est pas la désignation de la déclaration, mais l'effet qu'elle vise à avoir qui détermine sa nature. Si la déclaration vise à l'évidence à exclure ou à modifier l'effet juridique d'une disposition particulière d'un traité, elle doit être considérée comme une réserve obligatoire, même si elle est libellée sous la forme d'une "déclaration". En l'espèce, la déclaration faite par le Gouvernement français lors de son adhésion au Pacte est claire : elle vise à exclure l'application de l'article 27 à la France, ce qui est souligné dans le libellé par les-mots "n'a pas lieu de s'appliquer". L'objet de la déclaration étant sans équivoque, elle doit être considérée comme excluant la compétence du Comité, malgré le terme employé pour la désigner. En outre, dans ses observations du 15 janvier 1989, 1'Etat partie évoque également une "réserve" de la France concernant l'article 27. Le Comité se considère donc incompétent pour examiner les plaintes contre la France faisant état de violations de l'article 27 du Pacte. 9. En conséquence, le Comité décide : a) Que la communication est irrecevable au titre de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif; b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.