concernant la
Communication No 230/1987
Ayant examiné la communication No 230/1987, présentée au Comité par M. Raphaël Henry, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Avant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie, Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif. Les faits présentés par l'auteur 1. L'auteur de la communication est Raphaël Henry, citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime d'une violation, par le Gouvernement jamaïquain, de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat. 2.1 L'auteur a été arrêté en août 1984 et inculpé du meurtre d'un certain. Leroy Anderson, commis le 12 août dans la commune de Portland (Jamaïque). Traduit devant le tribunal de district de Portland, il a été reconnu coupable et condamné à mort le 7 mars 1985. La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté son appel le 28 janvier 1986. En février 1987, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa 2.2 L'auteur déclare que le 12 août 1984, alors qu'il se rendait à pied aux champs en longeant une voie ferrée, il a été abordé et soudain attaqué par la victime, qu'il a essayé de se défendre avec sa machette et que, dans la lutte qui a suivi, M. Anderson a été mortellement blessé. 2.3 Quant aux circonstances dans lesquelles s'est déroulé le procès en appel, l'auteur indique qu'il n'était pas présent lorsque son appel a été examiné et rejeté. Par ailleurs, l'avocat commis d'office qui l'avait représenté devant le tribunal de district de Portland et qui connaissait son dossier n'a pas plaidé lui-même sa cause devant la cour d'appel, mais s'est fait remplacer par un autre avocat, qui, de l'avis de l'auteur, n'était pas du tout préparé à cette tâche. Toujours dans le contexte de l'appel, l'auteur a indiqué qu'il avait eu des difficultés à obtenir le texte des décisions le concernant, et qu'il avait été informé, par une lettre du greffier de la cour d'appel de la Jamaïque, datée du 3 septembre 1987, que la cour d'appel n'avait statué qu'oralement.
2.4 Un cabinet d'avocats de Londres qui représentait l'auteur devant la Section judiciaire du Conseil privé a fait observer que sa demande de recours avait été rejetée en raison de l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel de la Jamaïque. Dans ce contexte, le conseil de l'auteur indique que les demandes d'autorisation de recours présentées par trois autres condamnés à mort jamaïquains ont toutes été examinées et rejetées en janvier 1987 par la Section judiciaire du Conseil privé pour la même raison, à savoir l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel. Dans ce contexte il explique que, si la demande d'autorisation spéciale de recours a été rejetée, c'est en particulier parce que l'auteur n'a pas pu remplir les conditions énoncées dans le règlement intérieur de la Section judiciaire du Conseil privé, a savoir expliquer les motifs de sd demande et fournir à la Section judiciaire copie des décisions rendues par les instances inférieures. Le conseil cite à ce sujet les articles 3 1)b). et 4 a)du règlement intérieur de la Section judiciaire (Juridiction générale d'appel) (instrument statutaire No 1676 de 1982).
2.5 Le conseil rappelle que devant la Section judiciaire le représentant de l'auteur avait invité les membres de la Section judiciaire : a)à autoriser la demande de recours, au motif que l'absence d'arrêt écrit de la part de la cour d'appel dans une affaire de peine de mort constituait une violation suffisamment grave des principes de la justice naturelle pour justifier un recours; b) à renvoyer l'affaire à la Jamaïque en donnant pour instruction, conformément à l'article 10 de la loi de 1844 relative à la Section judiciaire, de demander à la cour d'appel de fournir par écrit ses motifs.
2.6 A l'époque le conseil était d'avis qu'une motion constitutionnelle devait être adressée à la Cour suprême de la Jamaïque. Le conseil a indiqué qu'il' étudiait la possibilité de déposer une requête devant la Cour suprême au nom de l'auteur; au milieu de 1989, le dossier de l'auteur a été transmis à un nouveau conseil à Londres, qui par la suite a confirmé que, en dépit de ses efforts en ce sens, il n'avait trouvé à la Jamaïque aucun avocat acceptant de représenter gracieusement l'auteur pour une motion constitutionnelle éventuelle devant la Cour suprême (constitutionnelle). La plainte 3.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas eu un procès équitable, et en particulier que l'enquête de la police n'a pas été menée de manière impartiale: les policiers qui l'ont arrêté l'auraient menacé afin de le pousser à avouer le crime. L'auteur soutient en outre que les témoins à charge ont fait des dépositions dépourvues de vraisemblance, étant donné qu'ils ne pouvaient pas en fait avoir vu ce qui s'était passé de l'endroit où, selon eux, ils se tenaient. Enfin, le juge aurait omis d'appeler l'attention du jury sur la question de l'homicide et de la légitime défense, et la question de savoir s'il y avait eu provocation n'aurait pas été posée au jury. 3.2 L'auteur admet qu'il était représenté au procès par un avocat commis d'office. I1 affirme néanmoins que sa défense n'a pas été suffisamment préparée, vu qu'il n'a pu consulter son avocat que le strict nécessaire avant le procès, et que sa défense n'a été préparée que le jour même de l'ouverture du procès. Il affirme en outre que les témoins à charge n'ont pas été soumis à un contre-interrogatoire approfondi. Deux témoins ont déposé en sa faveur: mais ce n'étaient pas des témoins oculaires, et l'auteur affirme qu'ils n'ont pas eu la possibilité de témoigner dans les mêmes conditions que les témoins à charge, ayant été ridiculisés et intimidés par le procureur. Les bredouillements de ces témoins, provoqués par l'attitude du procureur, ont diminué la valeur de leurs dépositions aux yeux du jury. 3.3 L'auteur indique en outre que l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel constitue une grave violation de ses droits constitutionnels, et que c'est la raison pour laquelle sa demande d'autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé a été rejetée. Il affirme que, de ce fait, son recours n'a pu faire l'objet d'un examen équitable, ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. 3.4 Le conseil affirme que la cour d'appel avait le devoir de motiver par écrit son arrêt du 28 janvier 1986, étant donné en particulier qu'une décision motivée est indispensable pour pouvoir former un nouveau recours et que l'absence de motifs écrits empêche donc l'appelant éventuel d'exercer son droit de recours. D'après le conseil, la jurisprudence du Royaume-Uni et du Commonwealth contient un grand nombre d'exemples appuyant l'idée que, d'une façon générale, les magistrats ont le devoir de motiver leurs décisions 11, pour la raison que les motifs écrits permettent d'éclairer dans une certaine mesure les bases juridiques ou matérielles de la décision rendue et donnent au défendeur la possibilité de se prévaloir de tout recours disponible en connaissance de cause et dans les délais prescrits. 3.5 Le conseil soutient que, en ne demandant pas à la cour d'appel de produire un arrêt écrit et en n'admettant pas sa requête, la Section judiciaire a privé l'auteur d'un recours utile, ce qui revient à lui dénier le droit de faire appel de sa condamnation tel que ce droit est consacré au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. En n'exerçant pas les pouvoirs à elle conférés par la loi relative à la Section judiciaire, la Section judiciaire a, de l'avis du conseil, "abdiqué" sa compétence de contrôle, qui est reconnue au paragraphe 3 de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, et qu'elle doit exercer pour veiller à la régularité des décisions des instances inférieures. 3.6 Le conseil cite une décision récemment prise par la Chambre des lords 21, qui met en relief l'importance de la fonction de contrôle des tribunaux. Dans cette affaire, il a été déclaré que les tribunaux étaient habilités, dans certaines limites, "... à soumettre une décision administrative à un examen plus rigoureux, de façon à s'assurer qu'elle n'est entachée d'aucun vice, selon la gravité de la question tranchée par ladite décision. Dans le cas OÙ une décision administrative contestée risque de mettre en péril la vie de l'appelant, le fondement de la décision contestée doit impérativement faire l'objet de l'examen le plus attentif". Bien que ces remarques visent la révision judiciaire d'une décision administrative, le conseil fait valoir qu'elles s'appliquent aussi au cas d'espèce. La "responsabilité particulière" incombe ici aussi à la Section judiciaire, vu la menace très réelle d'exécution qui pèse sur l'auteur. Le conseil affirme que la Section judiciaire n'a pas procédé à "l'examen le plus attentif" requis par les circonstances de l'affaire. Les observations de 1'Etat partie 4. Par une communication du 26 octobre 1988, 1'Etat partie reconnaît que la cour d'appel de la Jamaïque n'a pas rendu d'arrêt par écrit dans l'affaire de l'auteur : elle s'est contentée de statuer oralement en rejetant la demande présentée par M. Henry. Par une nouvelle communication, datée du 26 janvier 1989, 1'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, étant donné que l'auteur n'est pas intervenu, comme la Constitution jamaïquaine l'y autorise, pour faire respecter son droit à un juste procès et son droit de se faire représenter par un conseil, que cette Constitution lui reconnagt dans son article 20. L'Etat partie fait observer à ce, propos que le fait qu'un appelant n'ait pas obtenu réparation de la Section judiciaire du Conseil privé ne signifie pas nécessairement qu'il a épuisé les recours internes, étant donné que même après qu'une requête pénale a été examinée par le Conseil privé, l'appelant peut encore exercer son droit constitutionnel de recours devant les tribunaux jamaïquains. Les considérations et la décision du Comité concernant la recevabilité 5.1 A sa trente-huitième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a pris note du fait que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles en vertu de la Constitution jamaïquaine. Tout bien considéré, le Comité a estimé qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle au titre de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine n'était pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. 5.2 Le Comité a noté que certaines allégations de l'auteur portaient sur la partialité du tribunal de première instance, 'en particulier pour ce qui était des instructions données au jury par le magistrat. Le Comité a réaffirmé que le champ d'application de l'article 14 du Pacte ne lui donnait pas la possibilité de se pencher sur les instructions particulières données au jury par un juge, à moins qu'il ne puisse être établi que lesdites instructions sont manifestement arbitraires et qu'il y a déni de justice, ou que le juge a manifestement enfreint son obligation d'impartialité. En l'occurrence, le Comité a constaté que les instructions données par le juge n'étaient pas entachées de ce vice. 5.3 Le 15 mars 1990, le Comité des droits de l'homme a décidé en conséquence que la communication était recevable, au regard des paragraphes 3 b), d), e) et 5 de l'article 14 du Pacte.
Les objections de 1'Etat partie à la décision de recevabilité et à la demande de nouveaux éclaircissements du Comité 6.1 Par une communication du 6 février 1991, 1'Etat partie rejette les conclusions du Comité sur la recevabilité et conteste le raisonnement exposé au paragraphe 5.1 ci-dessus. Il prétend en particulier que ce raisonnement reflète une mauvaise compréhension de la législation jamaïquaine pertinente, en particulier de l'application des paragraphes 1 et 2 de l'article 25 de la Constitution. Le droit de demander réparation en vertu du paragraphe 1 est exercé aux termes de cette disposit'ion même, "sans préjudice de toute autre voie de recours qui est légalement'ouverte en la circonstance". La seule limitation est exprimée au paragraphe 2 qui, de l'avis de 1'Etat partie, n'est pas applicable dans cette affaire, étant donné que la prétendue violation du droit à un procès équitable n'était pas mentionnée dans l'appel en droit pénal adressé a la cour d'appel et a la Section judiciaire :