University of Minnesota



Raphaël Henry c. Jamaïqu
e, Communication No. 230/1987, U.N. Doc. CCPR/C/43/D/230/1987 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-troisième session




Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
quarante-troisième session

concernant la

Communication No 230/1987



Présentée par : Raphaël Henry (représenté par un conseil)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Jamaïque

Date de la communication : 29 mai 1987 (date de la première lettre)

Date de la décision concernant la recevabilité :
15 mars 1990

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le ler novembre 1991,

Ayant examiné la communication No 230/1987, présentée au Comité par M. Raphaël Henry, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,


Avant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Les faits présentés par l'auteur

1. L'auteur de la communication est Raphaël Henry, citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime d'une violation, par le Gouvernement jamaïquain, de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat.

2.1 L'auteur a été arrêté en août 1984 et inculpé du meurtre d'un certain. Leroy Anderson, commis le 12 août dans la commune de Portland (Jamaïque). Traduit devant le tribunal de district de Portland, il a été reconnu coupable et condamné à mort le 7 mars 1985. La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté son appel le 28 janvier 1986. En février 1987, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa

2.2 L'auteur déclare que le 12 août 1984, alors qu'il se rendait à pied aux champs en longeant une voie ferrée, il a été abordé et soudain attaqué par la victime, qu'il a essayé de se défendre avec sa machette et que, dans la lutte qui a suivi, M. Anderson a été mortellement blessé.

2.3 Quant aux circonstances dans lesquelles s'est déroulé le procès en appel, l'auteur indique qu'il n'était pas présent lorsque son appel a été examiné et rejeté. Par ailleurs, l'avocat commis d'office qui l'avait représenté devant le tribunal de district de Portland et qui connaissait son dossier n'a pas plaidé lui-même sa cause devant la cour d'appel, mais s'est fait remplacer par un autre avocat, qui, de l'avis de l'auteur, n'était pas du tout préparé à cette tâche. Toujours dans le contexte de l'appel, l'auteur a indiqué qu'il avait eu des difficultés à obtenir le texte des décisions le concernant, et qu'il avait été informé, par une lettre du greffier de la cour d'appel de la Jamaïque, datée du 3 septembre 1987, que la cour d'appel n'avait statué qu'oralement.

2.4 Un cabinet d'avocats de Londres qui représentait l'auteur devant la Section judiciaire du Conseil privé a fait observer que sa demande de recours avait été rejetée en raison de l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel de la Jamaïque. Dans ce contexte, le conseil de l'auteur indique que les demandes d'autorisation de recours présentées par trois autres condamnés à mort jamaïquains ont toutes été examinées et rejetées en janvier 1987 par la Section judiciaire du Conseil privé pour la même raison, à savoir l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel. Dans ce contexte il explique que, si la demande d'autorisation spéciale de recours a été rejetée, c'est en particulier parce que l'auteur n'a pas pu remplir les conditions énoncées dans le règlement intérieur de la Section judiciaire du Conseil privé, a savoir expliquer les motifs de sd demande et fournir à la Section judiciaire copie des décisions rendues par les instances inférieures. Le conseil cite à ce sujet les articles 3 1)b). et 4 a)du règlement intérieur de la Section judiciaire (Juridiction générale d'appel) (instrument statutaire No 1676 de 1982).

2.5 Le conseil rappelle que devant la Section judiciaire le représentant de l'auteur avait invité les membres de la Section judiciaire : a)à autoriser la demande de recours, au motif que l'absence d'arrêt écrit de la part de la cour d'appel dans une affaire de peine de mort constituait une violation suffisamment grave des principes de la justice naturelle pour justifier un recours; b) à renvoyer l'affaire à la Jamaïque en donnant pour instruction, conformément à l'article 10 de la loi de 1844 relative à la Section judiciaire, de demander à la cour d'appel de fournir par écrit ses motifs.

2.6 A l'époque le conseil était d'avis qu'une motion constitutionnelle devait être adressée à la Cour suprême de la Jamaïque. Le conseil a indiqué qu'il' étudiait la possibilité de déposer une requête devant la Cour suprême au nom de l'auteur; au milieu de 1989, le dossier de l'auteur a été transmis à un nouveau conseil à Londres, qui par la suite a confirmé que, en dépit de ses efforts en ce sens, il n'avait trouvé à la Jamaïque aucun avocat acceptant de représenter gracieusement l'auteur pour une motion constitutionnelle éventuelle devant la Cour suprême (constitutionnelle).

La plainte

3.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas eu un procès équitable, et en particulier que l'enquête de la police n'a pas été menée de manière impartiale: les policiers qui l'ont arrêté l'auraient menacé afin de le pousser à avouer le crime. L'auteur soutient en outre que les témoins à charge ont fait des dépositions dépourvues de vraisemblance, étant donné qu'ils ne pouvaient pas en fait avoir vu ce qui s'était passé de l'endroit où, selon eux, ils se tenaient. Enfin, le juge aurait omis d'appeler l'attention du jury sur la question de l'homicide et de la légitime défense, et la question de savoir s'il y avait eu provocation n'aurait pas été posée au jury.

3.2 L'auteur admet qu'il était représenté au procès par un avocat commis d'office.
I1 affirme néanmoins que sa défense n'a pas été suffisamment préparée, vu qu'il n'a pu consulter son avocat que le strict nécessaire avant le procès, et que sa défense n'a été préparée que le jour même de l'ouverture du procès. Il affirme en outre que les témoins à charge n'ont pas été soumis à un contre-interrogatoire approfondi. Deux témoins ont déposé en sa faveur: mais ce n'étaient pas des témoins oculaires, et l'auteur affirme qu'ils n'ont pas eu la possibilité de témoigner dans les mêmes conditions que les témoins à charge, ayant été ridiculisés et intimidés par le procureur. Les bredouillements de ces témoins, provoqués par l'attitude du procureur, ont diminué la valeur de leurs dépositions aux yeux du jury.

3.3 L'auteur indique en outre que l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel constitue une grave violation de ses droits constitutionnels, et que c'est la raison pour laquelle sa demande d'autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé a été rejetée. Il affirme que, de ce fait, son recours n'a pu faire l'objet d'un examen équitable, ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

3.4 Le conseil affirme que la cour d'appel avait le devoir de motiver par écrit son arrêt du 28 janvier 1986, étant donné en particulier
qu'une décision motivée est indispensable pour pouvoir former un nouveau recours et que l'absence de motifs écrits empêche donc l'appelant éventuel d'exercer son droit de recours. D'après le conseil, la jurisprudence du Royaume-Uni et du Commonwealth contient un grand nombre d'exemples appuyant l'idée que, d'une façon générale, les magistrats ont le devoir de motiver leurs décisions 11, pour la raison que les motifs écrits permettent d'éclairer dans une certaine mesure les bases juridiques ou matérielles de la décision rendue et donnent au défendeur la possibilité de se prévaloir de tout recours disponible en connaissance de cause et dans les délais prescrits.

3.5 Le conseil soutient que, en ne demandant pas à la cour d'appel de produire un arrêt écrit et en n'admettant pas sa requête, la Section judiciaire a privé l'auteur d'un recours utile, ce qui revient à lui dénier le droit de faire appel de sa condamnation tel que ce droit est consacré au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. En n'exerçant pas les pouvoirs à elle conférés par la loi relative à la Section judiciaire, la Section judiciaire a, de l'avis du conseil, "abdiqué" sa compétence de contrôle, qui est reconnue au paragraphe 3 de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, et qu'elle doit exercer pour veiller à la régularité des décisions des instances inférieures.

3.6 Le conseil cite une décision récemment prise par la Chambre des lords 21, qui met en relief l'importance de la fonction de contrôle des tribunaux. Dans cette affaire, il a été déclaré que les tribunaux étaient habilités, dans certaines limites, "... à soumettre une décision administrative à un examen plus rigoureux, de façon à s'assurer qu'elle n'est entachée d'aucun vice, selon la gravité de la question tranchée par ladite décision. Dans le cas OÙ une décision administrative contestée risque de mettre en péril la vie de l'appelant, le fondement de la décision contestée doit impérativement faire l'objet de l'examen le plus attentif". Bien que ces remarques visent la révision judiciaire d'une décision administrative, le conseil fait valoir qu'elles s'appliquent aussi au cas d'espèce. La "responsabilité particulière" incombe ici aussi à la Section judiciaire, vu la menace très réelle d'exécution qui pèse sur l'auteur. Le conseil affirme que la Section judiciaire n'a pas procédé à "l'examen le plus attentif" requis par les circonstances de l'affaire.

Les observations de 1'Etat partie

4. Par une communication du 26 octobre 1988, 1'Etat partie reconnaît que la cour d'appel de la Jamaïque n'a pas rendu d'arrêt par écrit dans l'affaire de l'auteur : elle s'est contentée de statuer oralement en rejetant la demande présentée par
M. Henry. Par une nouvelle communication, datée du 26 janvier 1989, 1'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, étant donné que l'auteur n'est pas intervenu, comme la Constitution jamaïquaine l'y autorise, pour faire respecter son droit à un juste procès et son droit de se faire représenter par un conseil, que cette Constitution lui reconnagt dans son article 20. L'Etat partie fait observer à ce, propos que le fait qu'un appelant n'ait pas obtenu réparation de la Section judiciaire du Conseil privé ne signifie pas nécessairement qu'il a épuisé les recours internes, étant donné que même après qu'une requête pénale a été examinée par le Conseil privé, l'appelant peut encore exercer son droit constitutionnel de recours devant les tribunaux jamaïquains.

Les considérations et la décision du Comité concernant la recevabilité

5.1 A sa trente-huitième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a pris note du fait que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles en vertu de la Constitution jamaïquaine. Tout bien considéré, le Comité a estimé qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle au titre de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine n'était pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif.

5.2 Le Comité a noté que certaines allégations de l'auteur portaient sur la partialité du tribunal de première instance, 'en particulier pour ce qui était des instructions données au jury par le magistrat. Le Comité a réaffirmé que le champ d'application de l'article 14 du Pacte ne lui donnait pas la possibilité de se pencher sur les instructions particulières données au jury par un juge, à
moins qu'il ne puisse être établi que lesdites instructions sont manifestement arbitraires et qu'il y a déni de justice, ou que le juge a manifestement enfreint son obligation d'impartialité. En l'occurrence, le Comité a constaté que les instructions données par le juge n'étaient pas entachées de ce vice.

5.3 Le 15 mars 1990, le Comité des droits de l'homme a décidé en conséquence que la communication était recevable, au regard des paragraphes 3 b), d), e)
et 5 de l'article 14 du Pacte.

Les objections de 1'Etat partie à la décision de recevabilité et à la demande de nouveaux éclaircissements du Comité

6.1 Par une communication du 6 février 1991, 1'Etat partie rejette les conclusions du Comité sur la recevabilité et conteste le raisonnement exposé au paragraphe 5.1 ci-dessus. Il prétend en particulier que ce raisonnement reflète une mauvaise compréhension de la législation jamaïquaine pertinente, en particulier de l'application des paragraphes 1 et 2 de l'article 25 de la Constitution. Le droit de demander réparation en vertu du paragraphe 1 est exercé aux termes de cette disposit'ion même, "sans préjudice de toute autre voie de recours qui est légalement'ouverte en la circonstance". La seule limitation est exprimée au paragraphe 2 qui, de l'avis de 1'Etat partie, n'est pas applicable dans cette affaire, étant donné que la prétendue violation du droit à un procès équitable n'était pas mentionnée dans l'appel en droit pénal adressé a la cour d'appel et a la Section judiciaire :


6.2 L'Etat partie estime que la décision de recevabilité attache une importance excessive au fait que les tribunaux jamaïquains n'ont pas encore eu l'occasion de se prononcer sur l'application de la clause limitative du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution dans des circonstances où l'appelant a déjà épuisé ses recours en droit pénal. Il note que dans l'affaire Noel Riley c La Reine [A. G. (1982)3 AER 469], M. Riley a pu, après que son appel en droit'pénal eut été rejeté par la cour d'appel et le Conseil privé, demander réparation la Cour constitutionnelle à et par la Suite a la cour d'appel et au Conseil privé, bien que sans succès.. De l'avis de 1'Etat partie, ce précédent illustre le fait que les appels en droit pénal ne rendent pas la disposition du paragraphe 2 de l'article 25 applicable dans des situations où, après des recours en droit pénal, un individu demande une réparation constitutionnelle.

6.3 En outre 1'Etat partie conteste l'interprétation donnée par'le Comité de la relation entre le paragraphe 2 de l'article 25 et un droit fondamental protégé par le chapitre 3 de la Constitution jamaïquaine: même si le chapitre 3 de la Constitution garantit un droit spécifique comme la protection contre l'arrestation ou la détentin arbitraire (art.15), le Comité doit vérifier l'applicabilité du paragraphe 2 de l'article 25 en relation avec les prérogatives de la Cour suprême concernant le droit d'un individu à demander l'application et la protection du droit considéré: étant donné que les tribunaux nationaux ne se sont pas prononcés, au plan judiciaire, sur cette question spécifique le Comité peut conclure que le recours n'existe pas et n'est pas disponible. Cependant, de l'avis de 1'Etat partie, semblable approche pourrait amener le Comité à conclure que de nombreux droits énoncés dans la Constitution jamaïquaine et dans la Constitution modèle de Westminster n'existent pas ou ne sont pas disponibles, parce que la question de l'applicabilité du paragraphe 2 de l'article 25 n'a pas fait l'objet d'une décision judiciaire des tribunaux.

6.4 En ce qui concerne l'absence d'assistance juridique pour présenter des motions constitutionnelles, 1'Etat partie fait valoir que rien dans le Protocole facultatif ni dans le droit international coutumier n'appuie l'argument qu'un particulier est dégagé de l'obligation d'épuiser les recours internes pour le motif de l'absence d'arrangements d'assistance juridique, et que son indigence l'a empêché d'exercer un recours utile.
A cet égard, 1'Etat partie fait observer que le Pacte impose seulement le devoir d'assurer une assistance juridique aux personnes accusées d'infractions pénales (art. 14, par. 3 d)). En outre les conventions internationales relatives aux droits économiques, sociaux et culturels n'imposent pas aux Etats l'obligation absolue d'appliquer ces droits : l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par exemple, prévoit une réalisation progressive de ces droits en fonction de la "capacité d'application" des Etats. Dans ces circonstances, 1'Etat partie soutient qu'il est incorrect de déduire de l'indigence de l'auteur et de l'absence d'assistance juridique pour exercer le droit de demander une réparation constitutionnelle que nécessairement ce recours n'existe pas ou n'est pas disponible. En conséquence, 1'Etat partie demande au Comité de revoir sa décision sur la recevabilité.

6.5 En juin 1991, le conseil a informé le Comité que la Cour suprême (constitutionnelle)avait rendu son arrêt dans les affaires Earl Pratt et Ivan Morgan
, au nom desquels un recours en vertu de la Constitution avait été introduit dans le courant de l'année 1991. Compte tenu de cet arrêt et afin de mieux apprécier si la saisine de la Cour suprême (constitutionnelle)était un moyen que l'auteur devait épuiser aux fins du Protocole facultatif, le Comité a adopté une décision interlocutoire le 24 juillet 1991, à sa quarante-deuxième session. Par cette décision, 1'Etat partie était prié de fournir au Comité des informations détaillées sur les possibilités d'assistance judiciaire ou de représentation judiciaire gratuite pour les recours en vertu de la Constitution, ainsi que des exemples de cas dans lesquels une assistance judiciaire aurait été accordée ou bien dans lesquels le demandeur aurait pu s'assurer une représentation judiciaire gratuite. L'Etat partie n'a pas communiqué ces informations dans le délai fixé par le Comité, c'est-à-dire avant le 26 septembre 1991. Dans une communication du 10 octobre concernant une autre affaire, 1'Etat partie a répondu qu'il n'existait dans le droit jamaïquain aucune clause d'assistance judiciaire pour les recours en vertu de la Constitution et que le Pacte ne faisait nullement obligation aux Etats d'assurer cette assistance.

6.6 Dans la décision interlocutoire susmentionnée, ainsi que dans la décision sur la recevabilité, 1'Etat partie était prié de présenter aussi des informations et observations sur les allégations de l'auteur quant'au fond. Dans la décision interlocutoire du 24 juillet 1991, le Comité ajoutait que, s'il ne recevait pas lesdites observations, il pourrait décider d'examiner ces allégations en bonne et due forme. Malgré la demande du Comité, 1'Etat partie n'a pas envoyé d'information ni d'observation concernant la teneur des allégations de l'auteur.

Examen après la décision de recevabilité et quant au fond de la communication

7.1 Vu ce qui précède, le Comité décide d'entreprendre l'examen de la communication. Il a noté que l'Etat partie lui a demandé de revoir sa décision sur la recevabilité, à la lumière des arguments exposés aux paragraphes 6.1 à 6.4 ci-dessus.

7.2 L'Etat partie soutient que la disposition du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine ne s'applique pas dans cette affaire, étant donné que la prétendue violation du droit à un procès équitable n'était pas l'objet des appels à la cour d'appel et à la Section judiciaire. Sur la base des renseignements présentés au Comité par l'auteur, cette affirmation paraît incorrecte. L'appel de l'auteur en date du 11 mars 1985 mentionne clairement le "procès inéquitable" parmi les motifs de l'appel. Si la cour d'appel
n'a pas examiné ce motif -il n'y a pas de moyen de vérifier si elle l'a fait, puisqu'elle a rendu seulement un jugement oral la responsabilité n'en incombe pas à l'auteur, et on ne peut prétendre qu'il n'a pas essayé d'épuiser les recours internes à ce sujet. En outre la question de savoir si une requête particulière est ou non l'objet d'un appel en droit pénal ne doit pas nécessairement dépendre de l'expression sémantique donnée à cette requête, mais plutôt de ses motifs sous-jacents. Si
on se place dans cette perspective Plus large, M. Henry en fait s'est également plaint à la Section judiciaire du Conseil privé que son procès n'avait pas été équitable, en violation de l'article 20 de la Constitution jamaïquaine. En outre les tribunaux de tous les Etats parties devraient vérifier ex officia que les procédures des instances inférieures respectent toutes les garanties d'un-procès équitable, a fortiori dans les affaires où la peine capitale est prononcée.

7.3 Le Comité rappelle que par une communication du 10 octobre 1991, dans une autre affaire, 1'Etat partie indiquait qu'une assistance judiciaire n'était pas fournie pour les recours en vertu de la Constitution. Pour le Comité, cette indication confirme la conclusion à laquelle il est parvenu dans sa décision sur la recevabilité, à savoir qu'un recours en vertu de la Constitution n'est pas un recours disponible qui doive être épuisé aux fins du Protocole facultatif. Le Comité fait observer qu'en l'occurrence ce n'est pas l'indigence de l'auteur qui le dispense de former un recours constitutionnel, mais le refus ou l'incapacité de 1'Etat partie de lui fournir une assistance judiciaire à cet effet.

7.4 L'Etat partie fait valoir qu'il n'est pas tenu par le Pacte d'assurer une assistance judiciaire dans les recours en vertu de la Constitution, car ces recours ne concernent pas l'établissement d'une accusation pour infraction pénale, ainsi qu'il est prévu à l'article 14, paragraphe 3 d)du Pacte. D'ailleurs, l'affaire dont le Comité est saisi n'a pas été soulevée au titre de l'article 14, mais seulement à propos de la question de savoir si les recours internes avaient été épuisés.

7.5 Le Comité relève que l'auteur a été arrêté en 1984, et jugé condamné l'article 5, paragraphe 2 b)du Protocole facultatif, un nouveau recours a la Cour
suprême (constitutionnelle)entraînerait une prolongation déraisonnable des procédures de recours internes.

7.6 Pour les raisons qui précèdent, le Comité conclut qu'une motion constitutionnelle ne constitue pas un recours à la fois disponible et utile au sens de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, il n'a pas de raison d'infirmer sa décision sur la recevabilité du 15 mars 1990.

8.1 A
propos de la violation présumée de l'article 14 du Pacte, quatre questions se posent au Comité : a) l'auteur a-t-il disposé de suffisamment de temps pour préparer sa défense ? b) les témoins à décharge ont-ils 6th interrogés dans les mêmes conditions que les témoins à charge ? c) la représentation légale de l'auteur devant la cour d'appel a-t-elle été conforme aux dispositions énoncées à l'alinéa d)du paragraphe 3 de l'article 14 ? d) y a-t-il eu violation du Pacte du fait que la cour d'appel n'a pas rendu un arrêt écrit après avoir rejeté son appel ?

8.2 A propos de la première question, 1'Etat partie n'a pas réfuté les affirmations de l'auteur selon lesquelles il n'a pas disposé d'un temps suffisant pour préparer sa défense, les possibilités qu'il a eues de consulter son avocat avant le procès ont été réduites au strict minimum, et sa défense en fait a été préparée le jour même du procès. Le Comité ne peut pas vérifier cependant si, effectivement, le tribunal n'a pas accordé à l'avocat assez de temps pour préparer la défense. Il ne peut pas établir non plus si les témoins à charge n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire approprié du fait d'abjections du tribunal ou en raison du jugement professionnel de l'avocat. Dans ces circonstances, les renseignements dont le Comité dispose ne suffisent pas pour conclure qu'il y a eu violation de l'article 14, paragraphe 3 b) et e).


8.3 En ce qui concerne la représentation de M. Henry devant la cour d'appel, le Comité réaffirme qu'il est axiomatique qu'une assistance juridique doit être fournie à un condamné à mort. Cela s'applique à toutes les étapes de la procédure judiciaire. Dans l'affaire concernant M. Henry, il n'est pas contesté qu'il a disposé des services d'un avocat pour son appel : le formulaire d'appel, daté du 11 mars 1985, révèle que l'auteur avait souhaité être représenté devant la cour d'appel non pas par un avocat commis d'office
mais par un avocat de son choix dont il avait les moyens de s'assurer les services et qu'il souhaitait être présent lors de l'examen de son appel. La question est de savoir si l'auteur a eu le droit d'être présent lors de l'appel, bien que défendu par un avocat, qui en fait n'était que le substitut de l'avocat choisi par lui. Le Comité estime que, l'auteur ayant choisi d'être représenté par un avocat de son choix, toute décision de cet avocat concernant la conduite de l'appel, y compris la décision d'envoyer un substitut à l'audience, et de ne pas faire en sorte que l'auteur puisse y assister, relève de la responsabilité
non pas de 1'Etat partie, mais de l'auteur lui-même. Dans ces circonstances, l'auteur ne peut pas prétendre que son absence à l'audience constituait une violation du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l'alinéa d)du paragraphe 3 de l'article 14 n'a pas été violé.

8.4 Il reste au Comité à déterminer si, en ne produisant pas un arrêt écrit, la cour d'appel de la Jamaïque a violé l'un quelconque des droits de l'auteur en vertu du Pacte. Le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte garantit le droit de toute personne déclarée coupable d'une infraction de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation "par une juridiction supérieure, conformément à la loi". Dans ce contexte, l'auteur a affirmé que dans la mesure où il n'avait pu obtenir l'arrêt écrit de la cour d'appel, il avait été privé de la possibilité de former un recours utile devant la Section judiciaire du Conseil privé qui, selon lui, rejette généralement les demandes
qui ne sont pas accompagnées du texte de la décision rendue par l'instance inférieure. A ce sujet, le Comité a examiné la question de savoir si l'article 14, paragraphe 5, garantit le droit d'interjeter un seul appel auprès d'une instance supérieure ou bien s'il garantit la possibilité d'introduire d'autres recours lorsque ceux-ci sont prévus par la loi de 1'Etat concerné. Le Comité fait observer que le Pacte n'exige pas des Etats parties qu'ils établissent plusieurs instances d'appel. Toutefois, l'expression "conformément à la loi", au paragraphe 5 de l'article 14, doit être interprétée comme signifiant que, si le droit interne prévoit d'autres instances d'appel, le condamné doit pouvoir s'adresser'utilement a chacune d'entre elles. En outre, afin d'exercer effectivement ce droit, l'intéressé doit pouvoir disposer, dans un délai raisonnable, du texte écrit des jugements, dûment motivés, pour toutes les instances d'appel. Par conséquent, bien que M. Henry ait effectivement exercé son droit de recours devant "une juridiction supérieure" en faisant appel de la décision du tribunal de district de Portland devant la cour d'appel jamaïquaine, il a encore le droit, consacré par l'article 14, paragraphe 5 du Pacte, de faire appel à une instance supérieure parce que l'article 110 de la Constitution jamaïquaine prévoit la possibilité de faire appel d'une décision de ladite cour auprès de la Section judiciaire du Conseil privé à Londres. Le Comité conclut donc que la cour d'appel a violé le droit de M. Henry visé à l'article 14, paragraphe 5, en n'ayant pas statué par écrit.



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