Comité des droits de l'homme
Quarante-sixième session
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques
- Quarante-sixième session -
Communication No 237/1987
Présentée par : Denroy Gordon [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 29 mai 1987
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 5 novembre 1992,
Ayant achevé l'examen de la communication No 237/1987, présentée
au Comité par M. Denroy Gordon en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication, et son conseil, et
par l'Etat partie,
Adopte les constatations ci-après au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication, datée du 29 mai 1987, est Denroy Gordon,
citoyen jamaïquain né en 1961, ancien agent de police. Au moment de la
lettre initiale, l'auteur, condamné à la peine capitale, attendait d'être
exécuté. Sa sentence ayant été commuée en 1991, il purge actuellement
une peine d'emprisonnement à vie au Gun Court Rehabilitation Centre (Jamaïque).
Il affirme être victime d'une violation, par le Gouvernement jamaïquain,
des droits visés au paragraphe 1 et aux alinéas b), d) et e) du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Il est représenté par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur a été arrêté le 3 octobre 1981, parce qu'il était soupçonné
d'avoir tué le même jour Ernest Millwood. En janvier 1983, il est passé
en jugement devant la Circuit Court de Manchester. Le jury n'ayant
pu rendre un verdict unanime - 11 jurés se sont prononcés en faveur de
l'acquittement et un seul en faveur de la culpabilité - le président du
tribunal a ordonné que l'auteur soit rejugé. En mai 1983, à l'issue du
nouveau procès devant le même tribunal, l'auteur a été reconnu coupable
de meurtre et condamné à mort. La Cour d'appel de la Jamaïque a rejeté
son appel le 22 novembre 1985 et rendu un arrêt par écrit le 16 janvier
1986. Le 25 janvier 1988, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté
une demande d'autorisation spéciale de recours. Le 19 février 1991, le
Gouverneur général de la Jamaïque a décidé de commuer la peine de mort
àlaquelle l'auteur avait été condamné en une peine d'emprisonnement à
vie.
2.2 L'accusation a fondé son argumentation sur le fait que des désaccords
opposaient depuis un certain temps l'auteur et l'épouse du défunt, employée
comme femme de ménage au commissariat de police de Kendal dans le district
de Manchester, où l'auteur était affecté comme jeune agent de police.
Le jour du crime, l'auteur était de service et portait donc son revolver
de service. Il s'est approché de M. Millwood qui coupait de l'herbe avec
une machette près du commissariat. Une altercation a opposé les deux hommes,
à la suite de quoi l'auteur a entrepris d'arrêter M. Millwood pour injures.
Ce dernier s'est enfui et l'auteur l'a pourchassé pour tenter de l'arrêter.
Pendant la poursuite, l'auteur a tiré en l'air mais M. Millwood ne s'est
pas arrêté. L'auteur a ensuite rattrapé la victime qui l'aurait attaqué
avec la machette. L'auteur, qui affirme qu'il a agi en état de légitime
défense, a tiré sur M. Millwood en visant l'épaule gauche pour le désarmer.
La balle s'est toutefois avérée fatale. Immédiatement après, le brigadier
Afflick est arrivé sur les lieux. L'auteur lui a remis son revolver de
service et la machette de M. Millwood, expliquant qu'il avait pourchassé
M. Millwood et lui avait demandé de lâcher la machette, et qu'il avait
tiré sur lui lorsque M. Millwood avait résisté. L'auteur est ensuite retourné
au commissariat de police et il a été officiellement arrêté plusieurs
heures plus tard, après une enquête préliminaire.
La plainte
3.1 L'auteur affirme être innocent et soutient que sa cause n'a pas été
entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, ce qui
est une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Premièrement,
il prétend que lorsqu'il a été rejugé, les membres du jury étaient de
parti pris contre lui. Il précise que la plupart d'entre eux avaient été
choisis parmi les habitants de quartiers proches de celui où le crime
s'était produit et suppose que, pour cette raison, ils s'étaient déjà
formé une opinion, en particulier sur la foi d'ouï-dire avant même l'ouverture
du procès. De plus, les jurés auraient été favorables au défunt et à sa
famille et n'avaient donc pas fondé leur verdict sur les faits en cause.
A ce propos, l'auteur affirme que bien qu'il ait demandé à maintes reprises
que l'affaire soit renvoyée devant une autre juridiction au motif que
les jurés avaient fait preuve de partialité à son égard, le tribunal a
refusé de faire droit à cette demande.
3.2 En outre, l'auteur affirme que le juge a abusé de ses pouvoirs en
déclarant irrecevable la déclaration faite par l'auteur au brigadier Afflick
immédiatement après le crime. L'auteur soutient que cette déclaration
était recevable car elle valait res gestae et confirmait que le
moyen sur lequel sa défense était fondée lors du procès n'avait pas été
fabriqué par la suite.
3.3 S'agissant de la question de la légitime défense, l'auteur soutient
que le juge aurait dû dire aux jurés qu'il incombait à l'accusation de
prouver que le recours à la violence était illicite et que si l'accusé
était sincèrement convaincu que les circonstances justifiaient l'usage
de la violence, il devait être acquitté de meurtre étant donné que cette
conviction, aussi erronée ou déraisonnable soit-elle, excluait qu'il y
ait eu intention d'agir illicitement. Or le juge n'avait pas donné ces
instructions.
3.4 L'auteur prétend en outre que le juge a donné des instructions erronées
aux jurés en retirant l'homicide involontaire des questions qui leur ont
été posées. Selon l'auteur, bien que le moyen sur lequel sa défense était
fondée ait été la légitime défense, les jurés, s'ils avaient été bien
guidés, auraient pu rendre un verdict d'homicide involontaire sur la foi
des dépositions de certains des témoins à charge. Or, dans son résumé
de l'affaire, le juge a dit aux jurés ce qui suit : "Je vous signale
que du point de vue du droit, la provocation ne s'applique pas en l'espèce.
Je vous signale en outre que sur le plan du droit également, la question
de l'homicide involontaire ne se pose pas en l'espèce ... Il m'appartient
de décider des verdicts entre lesquels vous avez le choix, et je prends
la responsabilité de vous déclarer qu'au vu des éléments de preuve, vous
n'avez le choix qu'entre deux verdicts : 1. coupable de meurtre, 2. non
coupable de meurtre ...". En droit jamaïquain une condamnation pour
meurtre emporte obligatoirement la peine de mort.
3.5 L'auteur estime en outre être victime d'une violation des dispositions
de l'alinéa b) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. Tout en reconnaissant
avoir été assisté par un avocat pour la préparation de sa défense et au
cours du procès, il prétend n'avoir pas disposé de suffisamment de temps
pour consulter son avocat avant et pendant le procès. De plus, il estime
que l'avocat n'a pas demandé avec suffisamment d'insistance le renvoi
de l'affaire devant une autre juridiction.
3.6 L'auteur prétend aussi être victime d'une violation des droits reconnus
à l'alinéa d) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte, car il n'était
pas présent lors de l'examen du recours formé devant la Cour d'appel de
la Jamaïque. A cet égard, il affirme que la question de la légitime défense,
moyen sur lequel sa défense était en fait fondée, n'a pas été étudiée
comme il convient. De plus, la Cour d'appel aurait commis une faute en
refusant d'admettre comme élément de preuve une déclaration faite par
le brigadier Afflick.
3.7 Enfin, l'auteur affirme être victime d'une violation des droits énoncés
à l'alinéa e) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte, car aucun témoin
à décharge n'aurait comparu, bien que, selon lui, il eût été facile d'en
trouver un. Il précise que les témoins à charge ont été soumis à un contre-interrogatoire
et que son avocat a essayé à plusieurs reprises de vérifier leur crédibilité
: en particulier, comme il s'agissait en réalité d'un nouveau procès,
l'avocat avait cherché à mettre en évidence les contradictions existant
entre les dépositions des témoins pendant l'enquête préliminaire, durant
le premier procès et au cours du nouveau procès. Mais le juge du fond
serait intervenu et aurait enjoint à l'avocat de limiter ses questions
à ce qui concernait uniquement le nouveau procès.
3.8 S'agissant de la règle de l'épuisement des recours internes, l'auteur
soutient qu'il doit être réputé y avoir satisfait, puisque sa demande
d'autorisation spéciale de former un recours devant la Section judiciaire
du Conseil privé a été rejetée le 25 janvier 1988. Il affirme en outre
que, vu le temps écoulé entre les diverses audiences et le temps qu'il
a passé dans le quartier des condamnés à mort, les procédures de recours
internes ont excédé "des délais raisonnables" au sens de l'alinéa
b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
3.9 L'auteur sait qu'il a la possibilité de déposer un recours constitutionnel
en vertu des articles 20 et 25 de la Constitution jamaïquaine, mais il
soutient qu'il ne s'agit pas là d'un recours utile dont il peut se prévaloir,
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il
fait valoir que, faute de moyens financiers pour acquitter les honoraires
d'un avocat et en l'absence d'assistance judiciaire permettant de former
un recours constitutionnel devant la Cour suprême (constitutionnelle)
de la Jamaïque, il se trouve en fait dans l'impossibilité d'exercer les
droits qui lui sont reconnus par la Constitution.
Observations de l'Etat partie
4.1 L'Etat partie soutient que le fait que la demande d'autorisation
spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé déposée
par l'auteur a été rejetée ne signifie pas nécessairement que tous les
recours internes disponibles ont été épuisés. Il fait valoir que la communication
demeure irrecevable, car l'auteur n'a pas cherché à invoquer les articles
20 et 25 de la Constitution jamaïquaine pour violation présumée de son
droit à un procès équitable.
4.2 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle les procédures de
recours internes ont excédé "des délais raisonnables" au sens
de l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif,
l'Etat partie précise que les retards intervenus sont imputables en partie
à l'auteur lui-même.
4.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur, quant au fond, selon
laquelle son procès n'a pas été équitable, l'Etat partie affirme que les
faits tels que présentés par l'auteur tendent à soulever des problèmes
de faits et d'éléments de preuve que le Comité n'a pas compétence pour
apprécier. L'Etat partie se réfère à la décision du Comité concernant
la communication No 369/1989, dans laquelle ce dernier a considéré que
"l'article 14 du Pacte garantit le droit de toute personne à ce que
sa cause soit entendue équitablement, mais [que] c'est aux cours d'appel
des Etats parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les
preuves dans une affaire particulière"a.
Décision concernant la recevabilité et question de la révision
de cette décision
5.1 Au vu des informations dont il disposait, le Comité des droits de
l'homme a conclu que les conditions à remplir pour déclarer la communication
recevable étaient réunies, notamment le principe de l'épuisement des recours
internes. En conséquence, le 24 juillet 1989, le Comité des droits de
l'homme a déclaré la communication recevable.
5.2 Le Comité a pris note des observations formulées par l'Etat partie
le 10 janvier et le 4 septembre 1990 à l'issue de sa décision concernant
la recevabilité, dans lesquelles l'Etat partie réaffirme que la communication
est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés.
5.3 Le 24 juillet 1991, le Comité a adopté une décision avant dire droit
par laquelle il a prié l'Etat partie de fournir des informations détaillées
sur les moyens d'assistance judiciaire ou de représentation légale gracieuse
disponibles aux fins de déposer des recours constitutionnels, ainsi que
des exemples de cas dans lesquels une assistance judiciaire aurait pu
être fournie ou une représentation légale gratuite aurait pu être obtenue
par le requérant. L'Etat partie a également été prié de donner au Comité
des explications écrites
ou de lui communiquer ses observations concernant les allégations de
l'auteur quant au fond.
5.4 Le 14 janvier 1992, l'Etat partie a réaffirmé que la communication
était irrecevable parce que les recours internes n'avaient pas été épuisés
et il a prié le Comité de réviser sa décision concernant la recevabilité.
L'Etat partie fait valoir qu'il n'est pas prévu d'assistance judiciaire
ou de représentation légale gracieuse dans le cas des recours constitutionnels.
En ce qui concerne la décision du Comité de déclarer la communication
recevable dans la mesure où elle peut soulever des questions au titre
de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie fait observer que l'article 14
comprend sept paragraphes et qu'il ne voit pas clairement celui auquel
renvoie la décision de recevabilité. "Le Comité devrait indiquer
les dispositions spécifiques de l'article 14, ou de tout article, auxquelles
se rapportent ses conclusions concernant la recevabilité, et au titre
desquelles le gouvernement est donc prié de répondre; de surcroît, le
Comité doit préciser celle des allégations de l'auteur qui fonde sa décision
de recevabilité au titre d'un paragraphe donné de l'article 14 ou de tout
autre article. Faute d'indication sur ce point, le gouvernement ne peut
savoir quelles sont les allégations précises formulées contre lui et la
violation dont il doit se défendre en formulant ses observations quant
au fond. Le Comité ne saurait attendre de réponses sur chacune des allégations
formulées par l'auteur, certaines d'entre elles étant manifestement dénuées
de tout fondement".
5.5 En ce qui concerne l'objection de l'Etat partie selon laquelle la
décision du Comité concernant la recevabilité était trop générale, le
Comité note que les allégations de l'auteur étaient suffisamment précises
et étayées pour que l'Etat partie puisse y répondre. Quant au bien-fondé
de ces allégations, il appartient au Comité d'en juger après avoir déclaré
la communication recevable, à la lumière de toutes les informations fournies
par les deux parties.
5.6 S'agissant des arguments avancés par l'Etat partie à propos de la
recevabilité, notamment en ce qui concerne l'accès aux recours constitutionnels
que l'auteur pourrait encore utiliser, le Comité rappelle que la Cour
suprême de la Jamaïque a, dans des affaires récentes, autorisé la formation
de recours constitutionnels en cas de violation des droits fondamentaux,
après que les appels pénaux interjetés dans ces affaires eurent été rejetés.
5.7 Le Comité note cependant que, par sa communication du 14 janvier
1992, l'Etat partie indiquait qu'une assistance judiciaire n'était pas
fournie pour les recours constitutionnels. Le Comité rappelle aussi que
dans sa communication du 10 octobre 1991 concernant une autre affaireb,
l'Etat partie a fait valoir qu'il n'est pas tenu par le Pacte de fournir
une assistance judiciaire pour les recours constitutionnels, car ces recours
n'appellent pas de décision sur une accusation pénale, ainsi qu'il est
prévu à l'article 14, paragraphe 3 d), du Pacte. Pour le Comité, cette
indication confirme la conclusion à laquelle il est parvenu dans sa décision
concernant la recevabilité, à savoir qu'un recours constitutionnel n'est
pas un recours disponible pour l'auteur d'une communication qui n'a pas
les moyens de le présenter. Le Comité fait observer qu'en l'occurrence,
ce n'est pas l'indigence de l'auteur qui le dispense de former un tel
recours, mais le refus ou l'incapacité de l'Etat partie de lui fournir
une assistance judiciaire à cet effet; un tel recours n'est donc pas de
ceux qui peuvent être considérés comme disponibles au sens du Protocole
facultatif.
5.8 Le Comité relève en outre que l'auteur a été arrêté en 1981, jugé
et condamné en 1983, puis débouté en appel en 1985. Il estime que, pour
les besoins de l'article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif,
la formation d'un recours constitutionnel entraînerait, en l'occurrence,
une prolongation déraisonnable des procédures de recours internes. Le
Comité ne voit donc aucune raison de revenir sur sa décision du 24 juillet
1989 concernant la recevabilité.
Examen du bien-fondé de la demande
6.1 Pour ce qui est des griefs formulés par l'auteur au titre de l'article
14, le Comité note que l'Etat partie n'a pas répondu quant au fond. Le
paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif impose à l'Etat partie
l'obligation d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation
du Pacte formulées contre lui et ses autorités judiciaires, et de communiquer
au Comité toutes les informations dont il dispose. Le rejet sommaire des
allégations de l'auteur, en des termes généraux, ne répond pas aux exigences
du paragraphe 2 de l'article 4. Dans ces conditions, les allégations de
l'auteur doivent être dûment prises en considération, dans la mesure où
elles ont été étayées.
6.2 En ce qui concerne la violation des droits énoncés aux alinéas b)
et d) du paragraphe 3 de l'article 14, dont l'auteur affirme être victime,
le Comité note que le droit d'un accusé de disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation de sa défense constitue un élément important
de la garantie d'un procès équitable et est le corollaire du principe
de l'égalité des moyens (equality of arms). Déterminer le "temps
nécessaire" dépend de l'appréciation des circonstances particulières
dans chaque cas. Cependant, au vu des documents dont il a été saisi, le
Comité ne saurait conclure que les deux avocats de l'auteur n'ont pas
été en mesure de bien préparer la défense de leur client, ni qu'ils ont
fait montre d'un manque de jugement professionnel ou de négligence dans
la conduite de la défense. L'auteur prétend aussi qu'il n'était pas présent
lors du procès en appel devant la Cour d'appel. Cependant, il ressort
du texte de l'arrêt de la Cour d'appel que l'auteur était représenté devant
la Cour d'appel par trois avocats, et il n'existe aucun élément permettant
d'affirmer que les avocats de l'auteur ont fait preuve de négligence lors
du procès en appel. Le Comité conclut donc qu'il n'y a pas violation des
alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l'article 14.
6.3 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a pu obtenir
que des témoins à décharge comparaissent, bien qu'un témoin, le brigadier
Afflick, eût pu le faire, il est à noter que la Cour d'appel, ainsi qu'il
ressort du texte de son arrêt, a estimé que le juge du fond avait à bon
droit refusé d'admettre la déposition du brigadier car elle ne valait
pas res gestae. Le Comité observe que le paragraphe 3 e) de l'article
14 ne reconnaît pas à l'accusé ou à son conseil le droit illimité de faire
citer n'importe quel témoin. Les informations dont le Comité dispose ne
font pas apparaître que le refus du tribunal d'entendre le brigadier Afflick
était de nature à porter atteinte au principe de l'égalité des moyens
(equality of arms) entre l'accusation et la défense. Le Comité
ne peut donc conclure en l'occurrence qu'il y a eu violation du paragraphe
3 e) de l'article 14 du Pacte.
6.4 Il reste au Comité à déterminer si les instructions données au jury
par le juge étaient arbitraires ou manifestement iniques et constituaient
donc une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Le Comité
rappelle que le juge n'a pas laissé au jury la possibilité de rendre un
verdict d'homicide involontaire, en leur signalant que, du point de vue
du droit, la provocation ne s'appliquait pas en l'espèce, ne lui laissant
ainsi le choix qu'entre deux verdicts : "coupable de meurtre"
ou "non coupable de meurtre". Le Comité a aussi observé qu'en
général, il appartient aux tribunaux des Etats parties au Pacte d'évaluer
les faits et éléments de preuve concernant une affaire donnée et aux cours
d'appel d'apprécier l'évaluation de ces éléments de preuve par les juridictions
inférieures ainsi que les instructions données par le juge aux jurés.
En principe, il n'appartient pas au Comité d'examiner les éléments de
preuve et les instructions du juge, à moins qu'il soit clairement établi
que celles-ci sont manifestement arbitraires ou équivalent à un déni de
justice ou encore que le juge a violé son obligation d'impartialité.
6.5 Le Comité a soigneusement examiné si le juge avait agi arbitrairement
en ne laissant pas au jury la possibilité de rendre un verdict d'homicide
involontaire. Il note que cette question a été posée à la Cour d'appel
de la Jamaïque, qui y a répondu par la négative. La Cour d'appel n'a pas,
il est vrai, examiné la question de savoir si la possibilité de rendre
un verdict d'homicide involontaire aurait dû, du point de vue du droit
jamaïquain, être donnée au jury. Le Comité considère cependant qu'il
appartenait au conseil de l'auteur de soulever cette question en appel.
Etant donné ces circonstances, le Comité ne constate donc aucune violation
du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits tels
qu'ils lui ont été présentés ne font apparaître aucune violation de l'un
quelconque des articles du Pacte.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
français et russe.]
Notes
a Décision du 8 novembre 1989 (G.S. c. Jamaïque),
par. 3.2.
b Communication No 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque),
constatations adoptées le 1er novembre 1991.