University of Minnesota



Glenford Campbell c. Jamaïqu
e, Communication No. 248/1987, U.N. Doc. CCPR/C/44/D/248/1987 (1992).



Comité des droits de l'homme

Quarante-quatrième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
QUARANTE-QUATRIEME SESSION

concernant la

Communication No 248/1987



Présentée nar : Glenford Campbell (représenté par un conseil)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Jamaïque

Date de la communication : Juillet 1987 (date de la première lettre)

Date de la décision sur la recevabilité :
30 mars 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 1992,

Avant examiné la communication No 248/1987, qui lui a eté présentée Par Glenford Campbell, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Avant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte les constatations ci-après au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

1. La communication émane de Glenford Campbell, citoyen jamaïquain né le 27 octobre 1961 dans la commune de Manchester (Jamaïque), et actuellement détenu a la prison du district de St. Catherine (Jamaïque), oÙ il attend d'être exécuté. Il affirme être victime de violations par 1'Etat jamaïquain des articles 7, 9 (par. 1 à 3), 10 (par. 1)et 14 (par. 1 a 3 et 5)du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Les faits présentés par l'auteur de la communication

2.1 L'auteur de la communication a été arrêté le 12 décembre 1984 a minuit au domicile de sa fiancée dans le district de Copperwood, commune de Clarendon. Il a été informé qu'il était suspecté d'avoir tué Ferdinand Thompson, mais n'a fait officiellement l'objet d'aucune inculpation.

2.2 Le 26 janvier 1985, alors qu'il était toujours en détention, l'auteur de la communication a été inculpé du vol d'une vache appartenant a M. Thompson, dont le prix était évalué à 1 000 dollars, ainsi que du vol de deux cordes et d'une chaîne. Le 12 mars 1985, il a été officiellement inculpé du meurtre de M. Thompson au motif qu'il était la dernière personne à avoir été vue en sa compagnie, avant qu'il ne disparaisse. A l'issue d'une enquête préliminaire, il a été traduit devant la Court of Petty Sessions de la commune de Manchester le 4 juillet 1985; le juge résident ayant à connaître de l'affaire, M. Sang, a jugé qu'il y avait, prima facie, lieu d'inculper l'auteur de la communication du meurtre de M. Thompson, qui aurait été commis entre le 27 novembre et le 14 décembre 1984; l'auteur de la communication devait par conséquent être traduit en justice devant la Circuit Court de la commune de Manchester. Un avocat a été commis d'office à titre d'assistance judiciaire pour l'aider a préparer son procès.

2.3 Le procès de l'auteur de la communication s'est ouvert le 14 octobre 1985. M. Campbell a déposé sans prêter serment depuis le banc des accusés. Plusieurs témoins à charge ont été entendus, mais l'auteur de la communication affirme qu'il y a plusieurs divergences graves entre les minutes du procès, le résumé du juge et les faits tels qu'ils ont été établis par la cour d'appel. Le
16 octobre 1985, le jury a prononcé un verdict de culpabilité et M. Campbell a été condamné à mort.

2.4 Un autre avocat a été assigné à l'auteur de la communication, lorsque celui-ci s'est pourvu en appel, le 22 octobre 1985. Le 15 mai 1987, ledit avocat a présenté de nouveaux arguments, que la cour d'appel a examinés le 18 mai 1987. Le 19 mai 1987, l'appel a été rejeté. L'audience s'est déroulée en l'absence de l'auteur de la communication, qui avait précisé dans son pourvoi en appel qu'il souhaitait y assister: il signale que son avocat l'a simplement informé, par lettre datée du 19 mai 1987, que son appel avait ete rejeté. Son avocat lui avait ultérieurement signalé qu'il avait la possibilité de présenter une nouvelle requête devant la Section judiciaire du Conseil prive.
M. Campbell précise que l'occasion ne lui a pas été donnée de communiquer ses instructions à son avocat.

2.5 Le 27 octobre 1988, l'auteur de la communication a présenté à la Section judiciaire du Conseil privé une requête d'autorisation spéciale de recours. Cette autorisation lui ayant été refusée le 21 novembre 1988, l'auteur de la communication affirme avoir épuisé les recours internes dont il pouvait se prévaloir.

La plainte

3.1 L'auteur de la communication affirme qu'il y a eu, en l'espèce, violation des paragraphes 1 à 3 de l'article 9. Il précise que lorsqu'il a été arrêté le 12 décembre 1984, l'agent de police qui l'a amené au poste de police de Frankfield et l'a interrogé sans l'informer de ses droits lui a dit simplement que M. Thompson était porté disparu et qu'étant la dernière personne a avoir été vue en sa compagnie, il était suspecté de l'avoir assassine. L'auteur de la communication affirme avoir été détenu du 12 décembre 1984 au 12 mars 1985 sans avoir été inculpé officiellement de l'unique délit pour lequel il a été finalement poursuivi, à savoir le meurtre de
M. Thompson. Pendant cette période, il affirme n'avoir pas eu accès à un représentant légal. Il affirme aussi qu'en violation des paragraphes 2 et 3 de l'article 9, il n'a pas reçu notification, dans le plus bref délai, de l'accusation portée contre lui, pas plus qu'il n'a été traduit, entre le 12 décembre 1984 et le 26 janvier 1985, devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. A cet égard, il invoque la jurisprudence du Comité des droits de l'homme ainsi que l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire McGoff c. Suède, concernant l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3.2 L'auteur de la communication affirme en outre qu'il y a eu violation de l'article 14 [par. 3 d)] du Pacte, en ce sens qu'on ne lui a ni laissé le temps ni fourni les facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Ainsi, il n'a pas eu la possibilité de s'entretenir, avant l'audience préliminaire, avec l'avocat qui l'a représenté pendant le procès; celui-ci, selon l'auteur de la communication, lui aurait rendu visite trois jours avant l'ouverture du procès et lui aurait présenté une déclaration préparée a son intention. Bien qu'il apparaisse que la déposition qu'il a faite, sans prêter serment, depuis le banc des accusés, le 15 octobre 1985 l'a été sur la base de cette déclaration, l'auteur de la communication n'en a jamais reçu copie; il affirme que son avocat n'a pas examiné avec lui le dossier d'accusation.

3.3 L'auteur de la communication affirme en outre que nombre de ses instructions n'ont pas été suivies par son avocat, en violation du paragraphe 3 e)de l'article 14. Ainsi, il avait demandé que l'on cite a comparaître des témoins à décharge: son avocat, dans une lettre datée du 19 avril 1990, déclare qu'il n'a pu retrouver la trace des témoins éventuels dont le nom lui avait été communiqué et qu'aucun des parents de l'auteur de la communication n'est venu le voir. Vers la fin du procès, une personne qui prétendait connaître l'intéressé s'était entretenue avec l'avocat, auquel elle avait dit qu'elle n'avait pas témoigné car elle ne voulait pas "être impliquée". De l'avis de l'auteur de la communication, l'unique raison pour laquelle il n'avait pas été possible à son avocat d'entrer en contact avec les
témoins tenait au fait que les honoraires versés au titre de l'assistance judiciaire étaient si faibles que l'avocat n'avait pas été en mesure de faire les recherches nécessaires ni d'entreprendre les démarches indispensables à la préparation de sa défense.

3.4 L'auteur de la communication a expressément fait savoir a son avocat que les éléments de preuve fournis par la police judiciaire n'étaient pas exacts. Il lui a été répondu qu'il fallait attendre que le procès soit plus
avancé pour soulever la question: celle-ci n'avait finalement jamais été abordée. L'auteur a également informé son conseil que les deux policiers qui avaient enquêté sur l'affaire l'avaient battu au cours de l'interrogatoire, puis l'avaient forcé a signer un document dont il ignorait la teneur. Mais le conseil ne s'était pas conformé à ses instructions. Ni les minutes officielles du procès, ni le procès-verbal des témoignages recueillis au cours de l'audition préliminaire n'indiquaient que les dépositions faites par les policiers aient été contestées ou récusées, alors que l'intéressé avait donné des instructions en ce sens. D'après le conseil, le juge aurait dû examiner la recevabilité d'aveux non écrits. Il fait état, à ce sujet, des règles dites Judges Rules, auxquelles sont tenus de se conformer les fonctionnaires de la police. En vertu de la règle 2, un agent de police est tenu, avant d'interroger une personne qu'il soupçonne d'avoir commis un délit, de l'avertir de ses droits. L'auteur de la communication affirme ne pas l'avoir été. En vertu de la règle 9, les déclarations faites conformément aux règles susmentionnées doivent, lorsque cela est possible, être consignées par écrit et signées par le déclarant, qui aura au préalable été invité à porter toutes les corrections qu'il souhaite faire. L'auteur n'a pas été consulté par les fonctionnaires de la police pour savoir s'il souhaitait écrire lui-méme sa déclaration et il n'a pas é'té invité non plus à apporter des corrections.

3.5 Le Conseil fait observer que les Judges Rules ont été adoptées dans plusieurs juridictions du Commonwealth, y compris en Jamaïque. Lorsqu'il est demandé qu'une déclaration non conforme à ces règles soit déclarée recevable, la décision appartient au juge de première instance usant de son pouvoir d'appréciation. Lorsque celui-ci décide que la déclaration est admissible, il est tenu de donner aux jurés des instructions strictes et précises sur les conditions dans lesquelles ils peuvent en tenir compte; l'auteur de la communication affirme que le juge de première instance ne s'est pas comporté a cet égard comme il le devait. Il conclut que, n'ayant jamais été avisé qu'il avait le droit de garder le silence, il a été, en fait, obligé de faire une déclaration, cela en violation du paragraphe 3 g) de l'article 14.

3.6 L'auteur de la communication reconnaît qu'en principe il appartient aux tribunaux nationaux et non au Comité d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, mais il soutient que les instructions données au jury en ce
qui concerne sa bonne foi étaient si empreintes de l'opinion personnelle du juge que cela revenait a un déni de justice, surtout si on les rapproche des instructions que ce dernier avait données au sujet des présomptions et des mobiles et si l'on considère le fait que son avocat n'a
pas contesté les aveux. Le conseil de l'intéressé signale la remarque faite par le juge au moment où celui-ci avait résumé la déclaration que l'inculpe avait faite sans avoir prêté serment, à savoir : "I1 vous appartiendra en tant que juges des faits de prêter attention au comportement qu'a eu l'accusé pendant qu'il faisait sa déclaration sans serment."

3.7 L'intéressé affirme en outre que le juge n'a pas respecté les directives données par Lord Norman dans l'affaire Teoer c. Reuina (Act 480, p. 489)selon lesquelles les présomptions doivent toujours être minutieusement examinées. Dans l'affaire en question, le jury a, en fait, été prié par le juge de poser Comme hypothèse que le vol de la vache était le mobile du meurtre de M. Thompson, c'est-à-dire que M. Campbell avait commis ce meurtre pour faciliter ou dissimuler ce vol. Le juge, dans une affaire qui reposait essentiellement sur l'évaluation de présomption, avait indûment privilégié une hypothèse parmi toutes celles qu'il était possible de formuler a partir d'une constatation générale de mauvaise foi.

3.8 Quant à la procédure d'appel, l'auteur de la communication affirme qu'il y a eu violation des paragraphes 3 b), d)et 5 de l'article 14 du Pacte. L'avocat commis d'office pour conduire la procédure d'appel reconnaît qu'il n'a pas demandé d'instructions à l'intéressé; celui-ci soutient que, dans la mesure où il n'a pas eu l'occasion de consulter son avocat, il s'est vu dénier le droit de préparer convenablement sa défense. Il affirme en outre que n'ayant été informé à aucun moment que la procédure d'appel était en cours et ayant été représenté par un avocat qu'il n'avait pas choisi, il y a eu également violation des droits que lui reconnaissent les paragraphes 3 d)et 5 de l'article 14 : la manière dont la procédure d'appel se serait déroulée aurait ainsi compromis la possibilité de former utilement un recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé.

3.9 L'auteur de la communication note que plus de 18 mois se sont écoulés entre la date de la condamnation et le rejet de l'appel. Une transcription de la décision de la Cour d'appel a été demandée le 7 août 1987, puis le 6 avril 1988. L'avocat a reçu copie de la transcription début juillet 1988. Il a notifié son intention de présenter au Conseil privé une requête d'autorisation spéciale de recours le 25 août 1988, et la requête a été déposée le 27 octobre 1988. Ces délais, ajoutés a la période où l'auteur de la communication est resté en détention sans inculpation, constitueraient une violation du paragraphe 3 c)de l'article 14.

3.10 L'auteur de la communication affirme qu'à la lumière des allégations exposées plus haut en détail aux paragraphes 3.2 à 3.7, il apparaît qu'il y a eu violation du droit que lui reconnaît le paragraphe 2 de l'article 14 d'être présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été légalement établie. Il renvoie à cet égard aux précédentes décisions du Comité.

3.11 Enfin, l'auteur de la communication affirme avoir été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes, en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Ainsi, il affirme avoir fait l'objet de menaces physiques de la part des gardiens: il mentionne le manque d'hygiène et d'installations sanitaires dans le quartier des condamnés à mort où les conditions de vie sont tout a fait insalubres, précisant que ces conditions de détention sont gravement préjudiciables à sa santé. A l'appui de ses dires, il communique copie d'un rapport sur les conditions de détention à la prison du district de Sainte-Catherine, établi par une organisation non gouvernementale américaine. En outre, la tension et l'angoisse permanentes dans lesquelles le font vivre sa détention prolongée dans le quartier des condamnés a mort Constituent, selon lui, une autre violation de ses droits au regard de l'article 7 du Pacte.

3.12 Pour ce qui est de l'exigence d'épuisement des recours internes, l'auteur de la communication affirme qu'en appeler à la Cour suprême (constitutionnelle) ne saurait constituer pour lui, en l'espèce, un recours utile et efficace. Il souligne qu'il n'est pas prévu d'assistance judiciaire à cette fin, ni en vertu de la loi relative à la défense des détenus nécessiteux de 1961, ni en vertu de la loi relative aux personnes nécessiteuses (actions en justice)de 1941, et qu'à la Jamaïque il n'est pas possible de s'assurer gracieusement les services d'un avocat pour présenter une motion constitutionnelle.

3.13 L'auteur de la communication fait observer ensuite que la section judiciaire du Conseil privé a expressément signifié qu'elle ne reconnaissait pas qu'il avait été jugé inéquitablement, comme il le soutenait. Il ne devrait, par conséquent, pas être tenu d'arguer devant un tribunal d'une juridiction inférieure de points de droit qu'il avait déjà soutenus devant le Conseil privé. Ce dernier, s'il était saisi d'un appel, par suite d'une décision sur une motion constitutionnelle prise conformément à l'article 25 de la Constitution, confirmerait selon toute probabilité sa précédente décision. Enfin, un tribunal d'une juridiction inférieure serait lié par la précédente décision de la section judiciaire du Conseil privé.

Observations et renseignements communiqués par 1'Etat Partie

4.1 L'Etat partie a fait transmettre au Comité des observations en date du 20 juillet 1990, soutenant que l'auteur de la communication conservait le droit, en vertu de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, d'adresser a la section judiciaire du Conseil privé une requête d'autorisation spéciale de recours, et précisant que l'intéressé pourrait bénéficier d'une assistance judiciaire à cet effet. La requête présentée ultérieurement par l'auteur de la communication à la section judiciaire a été rejetée le 21 novembre 1988.

4.2 Dans d'autres observations, transmises en date du 4 avril 1990, ultérieurement à la décision de la section judiciaire quant à la recevabilité de la requête, 1'Etat partie soutient que, bien que la requête d'autorisation spéciale de recours présentée à la section judiciaire du Conseil prive ait ete rejetée, l'auteur de la communication conserve le droit, en vertu des articles 20 et 25 de la Constitution, d'en appeler à la Cour suprême (constitutionnelle)en vue d'obtenir réparation. Il signale qu'il est possible de former un recours contre la décision de la Cour suprême devant la cour d'appel et contre la décision de cette dernière, devant la section judiciaire du Conseil privé.

4.3 Pour ce qui est des allégations de l'auteur selon lesquelles le juge du fond aurait mal instruit les membres du jury quant à l'évaluation des présomptions et les témoins à charge auraient fait de fausses déclarations, 1'Etat partie soutient que ces allégations soulèvent des problèmes concernant les faits et éléments de preuve que le Comité n'a pas compétence pour apprécier. L'Etat partie renvoie à ce sujet aux précédentes décisions du Comité.

4.4 Pour ce qui est du délai dans lequel copie de la transcription du jugement de la cour d'appel de la Jamaïque a été communiquée à l'auteur de la communication et à son représentant légal, 1'Etat partie note qu" une transcription du jugement aurait pu leur être communiquée au moment où le jugement a été prononcé par la cour d'appel".

Considérations du Comité et procédure à suivre

5.1 Lors de sa trente-cinquième session, en mars 1989, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, il a conclu que la requête d'autorisation spéciale de recours présentée par l'auteur de la communication à la section judiciaire ayant été rejetée, celui-ci avait épuisé tous les recours dont il pouvait se prévaloir.

5.2 Le 30 mars 1989, le Comité a déclaré la communication recevable.

5.3 Le Comité a pris note des observations transmises par 1'Etat partie, en date du 4 avril 1990, ultérieurement à sa décision quant à la recevabilité, et dans lesquelles celui-ci réaffirme sa position, à savoir que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Le Comité va donc élaborer plus avant ses conclusions quant à la recevabilité, a la lumière des dernières observations de 1'Etat partie.

5.4 Le Comité fait observer que les recours internes, au sens où les entend le Protocole facultatif, doivent être à la fois utiles et efficaces. Il rappelle que dans des observations en date du 10 octobre 1991, concernant une autre affaire, 1'Etat partie signalait qu'il n'était pas prévu d'assistance judiciaire pour ce qui concerne la présentation de motions constitutionnelles. Nul ne conteste, d'autre
part, qu'aucun avocat a la Jamaïque n'acceptera de représenter gracieusement l'auteur de la communication à cette fin.

5.5 L'Etat partie a affirmé, à l'occasion d'autres affaires où la peine capitale avait été prononcée, qu'il n'était pas tenu en vertu du Pacte de fournir une aide judiciaire, ainsi qu'il est prévu au paragraphe 3 d)de l'article 14 du Pacte, aux fins de motions constitutionnelles, ces motions n'impliquant pas que l'on se prononce sur une accusation pénale. Le Comité n'a toutefois pas considéré cette question dans le contexte du paragraphe 3 d) de l'article 14, mais s'agissant de savoir si les recours internes avaient été épuisés.

5.6 En vertu de ce qui précède, le Comité affirme qu'une motion constitutionnelle ne constitue par pour l'auteur de la communication un recours utile et efficace au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Il ne voit donc, en conséquence, pas de raison de revenir sur la décision, qu'il a prise le 30 mars 1989, concernant la recevabilité.

5.7 En ce qui concerne les allégations de l'auteur de la communication concernant les conditions de sa détention dans le quartier des condamnés a mort au regard de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, le Comité note qu'il n'a été fait état de ces conditions par le conseil qu'après l'adoption de la décision de recevabilité. De plus, il constate que la question des conditions de détention de M. Campbell dans le quartier des condamnés à mort et du traitement inhumain et dégradant que représenterait une détention prolongée n'a pas été soumise aux tribunaux jamaïquains et n'a pas non plus, apparemment, été portée à l'attention d'aucune autre autorité compétente à la Jamaïque. Etant donné qu'à cet égard, les recours internes n'ont pas été épuisés, le Comité ne saurait examiner ces allégations quant au fond.

6.1 Pour ce qui est des allégations recevables de M. Campbell quant au fond, le Comité déplore qu'en dépit de plusieurs demandes d'éclaircissement, 1'Etat partie se soit borné à faire observer que l'auteur s'efforçait de soulever des questions relatives aux faits et aux éléments de preuve que le Comité n'avait pas compétence pour évaluer. Le Comité est donc contraint d'interpréter cette attitude comme un refus de 1'Etat partie de coopérer de la manière prévue au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, qui enjoint 1'Etat partie d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte et de lui communiquer tous les renseignements dont il dispose. En rejetant sommairement les allégations de l'auteur de la communication, comme il le fait en l'espèce, il contrevient aux obligations auxquelles il est tenu en vertu du paragraphe 2 de l'article 4. Les allégations de l'auteur de la communication doivent, dans ces conditions, être dûment prises en considération, dans la mesure oÙ elles ont été établies de façon crédible.

6.2 Le Comité rejette l'argument de 1'Etat partie, à savoir que la communication ne vise qu'à soulever des questions ayant trait aux faits et aux éléments de preuve que le Comité n'a pas compétence pour évaluer. Il ressort de la jurisprudence du Comité que c'est aux cours d'appel des Etats parties au Pacte qu'il appartient, en principe, d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée ou d'examiner les instructions que le juge a données au jury, à moins qu'il ne soit avéré que ces instructions étaient de toute évidence arbitraires ou équivalaient à un déni de justice, ou que le juge a manifestement contrevenu à son obligation d'impartialité. Le Comité a été prié, en l'espèce, d'examiner des questions appartenant a cette dernière catégorie. Apres avoir attentivement examiné la documentation dont il est saisi, le Comité conclut que les remarques du juge T. sur le "comportement" de l'auteur, lors du résumé qu'il a fait à l'intention du jury, n'étaient pas arbitraires et ne peuvent pas non plus être considérées comme une violation manifeste de son obligation d'impartialité. Le Comité ne peut pas davantage conclure que les directives du juge ont inéquitablement contribué à renforcer le point de vue de l'accusation. Il estime par conséquent qu'il n'y a pas, en l'occurrence, violation du paragraphe 1 de l'article 14. Il s'ensuit que la manière dont le juge a conduit le procès n'a eu aucune influence en ce qui concerne le droit reconnu à l'auteur de la communication,
en vertu du paragraphe 2 de l'article 14, d'étre présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été reconnu coupable conformément à la loi.

6.3 En ce qui concerne les allégations relatives aux paragraphes 1 a 3 de l'article 9, 1'Etat partie n'a pas contesté que l'auteur de la communication a 6th maintenu en détention pendant trois mois avant d'être officiellement inculpé de meurtre ni que, pendant toute la période du 12 décembre 1984 au 12 mars 1985, il n'a pas eu la possibilité de consulter un représentant légal. Le Comité n'estime pas que l'arrestation de l'auteur ait été arbitraire au sens du paragraphe 1 de l'article 9, l'intéressé ayant été appréhendé parce qu'il était suspecté d'avoir commis un délit criminel spécifié. Toutefois, il estime que l'auteur de la communication n'a pas été informé "sans délai" des accusations dont il faisait l'objet : une des raisons les plus importantes qui fondent l'exigence de promptitude est de permettre a la personne détenue de demander qu'une décision quant à la légalité de sa détention soit rendue rapidement par une autorité judiciaire compétente. Un délai s'étendant du 12 décembre 1984 au 26 janvier 1985 contrevient donc aux exigences du paragraphe 2 de l'article 9.

6.4 Le Comité estime en outre que le délai qui s'est écoulé entre l'arrestation de M. Campbell et sa comparution devant un juge (du
12 décembre 1984 au 26 janvier 1985)constitue une violation du principe établi au paragraphe 3 de l'article 9 selon lequel tout individu arrêté du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Le Comité considère que le fait que l'auteur de la communication n'a pas eu la possibilité de se faire représenter par un avocat de décembre 1984 à mars 1985 constitue un facteur aggravant. Pour l'auteur, cela signifie que le droit qui lui est reconnu au paragraphe 4 de l'article 9 a également été violé, dans la mesure où il n'a pas eu, en temps utile, la possibilité de demander, de sa propre initiative, aux tribunaux de se prononcer sur la légalité de sa détention.

6.5 Le droit pour un accusé de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est un élément important de la garantie d'un procès équitable et un corollaire du principe de l'élagité des moyens. Dans les cas où l'accusé est passible de la peine capitale, il va de soi qu'il faut lui accorder ainsi qu'à son conseil suffisamment de temps pour préparer sa défense. La définition de ce qu'il faut entendre par "suffisamment de temps" exige une évaluation des circonstances propres à chaque cas. L'auteur de la communication soutient également qu'il ne lui a pas été possible de s'assurer la présence de témoins à décharge. Le Comité note, toutefois, que la documentation dont il est saisi n'indique pas que l'auteur de la communication ou son avocat se soient plaints au juge pendant le procès de n'avoir pas bénéficié du temps ou des facilités nécessaires. Le Comité conclut par conséquent qu'il n'y a pas eu violation des alinéas b)et e)du paragraphe 3 de l'article 14.

6.6 Pour ce qui est de la manière dont a été assurée la défense de l'auteur de la communication, tant au procès qu'en appel, le Comité rappelle qu'il va de soi que les individus passibles de la peine de mort doivent bénéficier d'une assistance judiciaire et, cela, à tous les stades de la procédure judiciaire. En l'occurrence, il est inconstestable que l'auteur a donné des instructions à son avocat aux fins de contester la valeur probante d'aveux dont il a prétendu qu'ils lui avaient été extorqués à la suite de mauvais traitements. L'avocat ne s'est pas conformé à ces instructions. Cela a sans nul doute eu une influence sur le déroulement de la procédure d'appel; la transcription du jugement de la cour d'appel du 19 juin 1987 souligne bien que la défense n'a rien objecté en ce qui concerne les aveux. En outre, bien que l'auteur de la communication ait expressément spécifié qu'il souhaitait être présent lors de l'audience d'appel, non seulement celle-ci s'est déroulée en son absence, mais encore la possibilité de donner des instructions à son avocat à ce moment-là, comme il le souhaitait, ne lui a pas été donnée. Considérant l'effet qu'ont pu avoir l'ensemble des circonstances susmentionnées et qu'il s'agit là d'une affaire entraînant la peine de mort, le Comité estime que 1'Etat partie aurait dû fournir à l'auteur de la communication la possibilité de donner des instructions à son avocat au moment de l'appel, ou de se défendre lui-même lors de l'audience d'appel. Dans la mesure où la possibilité de se faire représenter effectivement lors de la procédure judiciaire, en particulier lors de la procédure d'appel, lui a 4th déniée, le Comité considère qu'il a été contrevenu aux exigences du paragraphe 3 d) de l'article 14.

6.7 Pour ce qui est de la plainte au regard du paragraphe 3 g) de l'article 14, le Comité note que le libellé de cette disposition -à savoir
que nul ne peut "être forcé de témoigner contre soi-même ou de s'avouer coupable" - signifie que l'accusé ne doit être soumis à aucune pression physique ou psychologique par les autorités qui enquêtent, afin d'en obtenir des aveux. Dans l'affaire considérée, le fait que l'auteur a été battu pendant l'interrogatoire et forcé de signer une confession en blanc -comme il l'a déclaré -n'a pas été contesté par 1'Etat partie. Le Comité se doit de vérifier que l'auteur a suffisamment étayé ses allégations, nonobstant le fait que 1'Etat partie a jugé bon de n'y pas prêter attention. Après avoir examine attentivement la documentation dont il est saisi, le Comité estime ne pas être en mesure de déterminer s'il a été fait usage de la force pour amener l'auteur à avouer sa culpabilité, en violation du paragraphe 3 g)de l'article 14, ou si le juge a eu tort d'admettre les aveux présentes par l'accusation.

6.8 En ce qui concerne la lenteur "excessive" de la procédure, le Comité n'estime pas qu'un délai de 10 mois entre la condamnation et le rejet de l'appel constitue un "retard excessif" au sens du paragraphe 3 c)de l'article 14 du Pacte. Le Comité n'est pas non plus en mesure de conclure que la manière dont s'est déroulée la procédure d'appel a compromis les chances qu'aurait pu avoir l'auteur d'en appeler effectivement à la section judiciaire du Conseil privé, ce qui aurait constitué une violation du paragraphe 5 de l'article 14. Le Comité note, a cet égard, que la cour d'appel a produit une transcription de son jugement dans le mois qui a suivi le rejet de l'appel; il
n'a pas non plus de preuve que le retard avec lequel l'avocat a obtenu copie de la transcription soit imputable à 1'Etat partie.

6.9 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès dans lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme il l'a noté dans son observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minimales de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". Dans le cas considéré, si la possibilité d'introduire une motion constitutionnelle auprès de la Cour suprême (constitutionnelle)existe encore en théorie, il apparaît, pour les raisons exposées plus haut aux paragraphes 5.4 à 5.7, que ce recours ne serait pas un recours efficace au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. On peut donc conclure que la condamnation a mort définitive a été prononcée sans que les garanties prévues à l'article 14 aient été respectées et que, de ce fait, il y a eu violation du droit consacré a l'article 6 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits tels qu'ils ont été présentés font apparaître une violation de l'article 6, des paragraphes 2 à 4 de l'article 9, et du paragraphe 3 d)de l'article 14 du Pacte.

8. Dans les procès pouvant entraîner la peine de mort, le devoir qu'ont les Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées a l'article 14 du Pacte n'admet aucune exception. Le Comité est d'avis que M.
Glenford Campbell doit, conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte pouvoir disposer d'un recours utile, ce qui, dans le cas considéré, implique qu'il soit remis en liberté. L'Etat partie est tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent
pas à l'avenir.

9. Le Comité souhaiterait recevoir des informations sur toutes mesures pertinentes que 1'Etat partie aura prises en rapport avec ces constatations.



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