University of Minnesota



Carlton Reid c. Jamaïqu
e, Communication No. 250/1987, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/250/1987 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No. 250/1987


Présentée par : Carlton Reid (représenté par un avocat)

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé: Jamaïque


Date de la communication : 7 août 1987 (date de la première lettre)

Date de la decision sur la recevabilité : 30 mars 1989

Le Comité des droits de 1'
homme , institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 1990,

Ayant achevé l'examen de la communication No 250/1987, présentée au Comité par M. Carlton Reid en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte ce qui suit :


Constatations au titre du paragraphe 4 de 1'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 7 août 1987 et correspondance ultérieure) est Carlton Reid, citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime d'une violation, par le Gouvernement jamaïquain, des articles 6, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat.

2.1 L'auteur a été arrêté le 2 décembre 1983 et inculpé de l'assassinat de Mme Miriam Henry, commis le 10 juin 1983 dans l'enceinte de la Water Commission (Commission des eaux) à Langley, Mount James. Son procès a eu lieu devant la Home Circuit Court de Kingston, les 25 et 26 mars 1985. L'auteur a été déclaré coupable et condamné à mort. Le 6 octobre 1986, la cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté de son appel.

2.2 L'auteur était accusé d'être l'un des trois cambrioleurs responsables d'une attaque à main armée commise le 10 juin 1983 dans le but de s'emparer de l'argent de la paye, à la station de pompage de la Commission des eaux. Les cambrioleurs se seraient d'abord rendus à la cuisine, où l'auteur aurait blessé une femme d'un coup de feu au bras. La blessure n'était pas grave, et la femme, avec d'autres personnes, s'est sauvée en courant pour se réfugier dans un autre bâtiment, où le groupe s'est enfermé à clef dans une pièce au ler étage. Des témoins ont reconnu en l'auteur l'un des cambrioleurs qui se trouvaient dans la cuisine, mais le meurtre aurait été commis dans la pièce du ler étage où le groupe s'était réfugié. Pendant le procès, l'auteur a été accusé de s'être rendu dans cette pièce; de toutes les personnes qui s'y trouvaient, le seul témoin invité à comparaître, M. P. Josephs, a témoigné que, une fois la porte ouverte, l'auteur était entré dans la pièce une arme à la main et avait tiré sur la femme blessée , qui avait reçu une balle dans la tête.

2.3 Selon l'auteur, le témoignage de M. Josephs n'était pas digne de foi. En premier lieu, le témoin avait déclaré que l'auteur ne portait pas de masque, ce qui contredisait complètement le témoignage des autres personnes, qui avaient déclaré qu'il en portait un. En second lieu, M. Josephs a déclaré que l'auteur l'avait traîné dans l'escalier jusqu'au rez-de-chaussée; or, les personnes se trouvant au rez-de-chaussée n'avaient rien vu de semblable, et aucune d'entre elles n'avait déclaré avoir vu l'auteur monter ni descendre l'escalier à quelque moment que ce fût. Un autre témoin qui se trouvait dans la salle du rez-de-chaussée, Mlle Hermione Henry, a déclaré au cours de l'enquête préliminaire que deux hommes, dont l'un avait un fusil, étaient montés en courant au ler étage. Il était admis que l'auteur n'était pas l'homme au fusil, et Mlle Henry n'a jamais déclaré que l'un ou l'autre de ces deux hommes fût l'auteur. Au cours du procès, Mlle Henry s'est rétractée et a affirmé que l'homme au fusil était resté tout le temps avec elle au rez-de-chaussée.

2.4 A la fin du procès, selon l'auteur, le juge n'aurait pas, comme il en avait le devoir, informé le jury des différents aspects juridiques de l'affaire, ni récapitulé à l'intention des jurés les témoignages pertinents. Il aurait négligé de faire mention des dépositions ayant trait à ce qui s'était passé dans la salle du ler étage, où le meurtre avait eu lieu, et aurait même oublié de dire au jury que le meurtre avait été commis dans cette pièce. En bref, selon l'auteur, le juge n'aurait fait mention d'aucun élément des dépositions se rapportant à l'accusation de meurtre sur laquelle le jury devait se prononcer. A son avis, cela équivalait à récapituler une affaire entièrement différente, puisque le juge n'avait retenu que les dépositions en rapport avec le cambriolage , qui étaient relativement concluantes pour ce qui était d'identifier l'intéressé, mais qu'aucun élément de ces dépositions ne se rapportait au crime commis.

2.5 A la suite de sa condamnation, l'auteur a formé un recours devant la cour d'appel de la Jamaïque. Il affirme qu'en appel les avocats acceptent rarement d'être commis d'office au titre de l'aide judiciaire. L'avocat qui avait été désigné lorsqu'il avait interjeté appel lui avait déclaré qu'il était inutile de faire appel. L'auteur a demandé qu'un autre avocat fût commis d'office; néanmoins, et contre sa volonté, c'est le premier avocat désigné qui s'est présenté à la cour d'appel et a informé celle-ci qu'il ne voyait pas sur quoi fonder un appel. De ce fait. la cour d'appel n'était plus tenue, semble-t-il, d'examiner l'affaire d'office, comme cela aurait été le cas si aucun avocat ne s'était présenté pour défendre l'auteur. L'avocat ayant ainsi décidé qu'un appel ne se justifiait pas, la cour d'appel a débouté l'auteur le 6 octobre 1986.

3. Par une décision en date du 12 novembre 1987, le Comité des droits de l'homme, en application de l'article 91 de son règlement intérieur provisoire, a transmis la communication à 1'Etat partie , en le priant de fournir des renseignements et des observations sur la question de la recevabilité de la communication. Le Comité priait en outre 1'Etat partie, en vertu de l'article 86 de son règlement intérieur provisoire, de ne pas exécuter la peine capitale prononcée contre l'auteur avant que le Comité pût se prononcer sur la recevabilité de la communication. Enfin, le Comité demandait un certain nombre d'éclaircissements sur l'affaire, tant à 1'Etat partie qu'à l'auteur.

4. Par une lettre en date du 29 décembre 1987, l'auteur a apporté certains éclaircissements. Il a indiqué qu'il avait vu pour la première fois l'avocat commis d'office au moment où le procès devait s'ouvrir; l'avocat avait demandé un peu de temps pour discuter l'affaire avec l'accusé, mais le juge avait refusé d'accorder un délai. L'avocat, semble-t-il, n'avait rien préparé du tout, et aurait dit à l'auteur qu'il ne savait pas quelles questions il devait poser aux témoins. S'agissant de l'appel, l'auteur déclare dans une autre lettre, en date du 11 mars 1988, qu'avant l'audience de la cour d'appel, il avait reçu une lettre, datée du ler septembre 1986, de l'avocat commis d'office, lequel s'exprimait en ces termes : "Je suis au regret de devoir vous décevoir, mais, après avoir vu la transcription de votre procès, je ne vois pas sur quoi fonder votre appel. Quatre témoins ont reconnu en vous le meurtrier. De telles preuves ne peuvent être récusées en appel. Je ne pourrai malheureusement pas vous aider davantage." L'auteur réaffirme que, bien qu'il eût demandé les services d'un autre avocat , c'est celui-ci qui l'a représenté à la cour d'appel. En fait cet avocat a déclaré qu" 'après avoir attentivement lu le dossier et examiné le résumé de l'affaire fait par le juge, il ne voyait pas sur quoi fonder valablement sa demande".

5. Dans les observations en date du 26 mai 1988 qu'il a présentées en application de l'article 91, 1'Etat partie affirme que la communication est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes, comme l'exigent les dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il signale que l'auteur a toujours la possibilité, au titre de la section 110 de la Constitution, de demander à la section judiciaire du Conseil privé l'autorisation spéciale de former un recours, et qu'il aurait droit à une aide judiciaire à cette fin. L'Etat partie confirme que la cour d'appel a débouté l'auteur pour les motifs indiqués au paragraphe 4 ci-dessus.

6.1 A propos des observations formulées par 1'Etat partie, l'avocat de l'auteur indique, dans une lettre en date du 10 février 1989, que la section judiciaire du Conseil privé a rejeté le 29 novembre 1988 la demande d'autorisation spéciale de recours présentée par l'auteur, ce qui signifie que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. L'avocat explique à ce propos que le seul moyen pour l'auteur de soumettre une demande d'autorisation spéciale de former un recours consistait à obtenir l'assistance d'un avocat ou d'un conseil de nationalité anglaise disposé à intervenir gracieusement, l'aide judiciaire prévue pour les accusés désireux de former un recours devant le Conseil privé n'étant pas suffisante.


6.2 L'avocat de l'auteur ajoute que les cas où le Conseil privé accepte d'entendre des appels en matière pénale émanant des pays du Commonwealth sont très limités. Le Conseil privé considère qu'il n'est pas une cour d'appel en matière pénale, et n'accepte d'entendre un appel que lorsque, selon lui, certaines questions importantes se posent du point de vue constitutionnel ou lorsqu'une "injustice notable" a été commise. Le domaine de compétence du Conseil privé est par conséquent très restreint, et c'est pourquoi il a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours présentée par l'auteur.

6.3 Pour ce qui est de la violation de l'article 14 du Pacte qui aurait été commise, l'avocat estime que la cause de l'auteur n'a pas été entendue équitablement, au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, du fait que le juge n'a communiqué au jury aucun élément des dépositions ayant trait au meurtre, mais uniquement ceux qui avaient trait au cambriolage. S'agissant de l'appel formé ultérieurement par l'auteur auprès de la cour d'appel de la Jamaïque, l'affaire, selon l'avocat, n'a jamais été examinée au fond, son avocat au moment du procès ayant déclaré que l'appel était inutile. Cette situation, selon l'avocat, constitue également une violation de la garantie No 4 énoncée dans la résolution 1984/50, du Conseil économique et social en date du 25 mai 1984 intitulée "Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort" qui dispose que : "La peine capitale ne peut être exécutée que lorsque la culpabilité de la personne accusée d'un crime repose sur des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits."

6.4 L'avocat considère que 1'Etat partie a également violé les dispositions du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte, du fait que l'auteur n'était pas présent à l'audience de la cour d'appel et n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat de son choix. L'avocat qui représentait l'auteur devant la cour d'appel n'avait pas été mandaté à cette fin, et n'avait pas non plus demandé à l'auteur l'autorisation expresse de le représenter devant la cour d'appel et de déclarer qu'il ne voyait pas sur quoi il pouvait fonder un appel; dans ces circonstances, l'auteur aurait dû se voir offrir la possibilité d'obtenir les services d'un autre avocat. L'avocat de l'auteur considère que le droit d'un individu à être représenté par un défenseur de son choix ne s'applique pas seulement au procès, mais aussi à toutes les procédures de recours ultérieures. Qui plus est, du fait que l'avocat de l'auteur s'était abstenu de le représenter, l'auteur aurait dû être autorisé à être présent lors de l'audience de la cour d'appel et à se défendre lui-même si le défenseur commis d'office n'était pas disposé à le faire. Enfin, du fait que l'auteur s'est vu refuser l'assistance d'un défenseur de son choix et n'était pas présent à l'audience de la cour d'appel, il n'a pu exercer son droit de faire dûment examiner par la cour d'appel de la Jamaïque la déclaration de culpabilité et la condamnation , ce qui constitue une violation des disposition6 du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

6.5. S'agissant de l'affirmation selon laquelle 1'Etat partie aurait violé les dispositions des articles 6 et 7 du Pacte, l'avocat rappelle que l'auteur attend son exécution depuis sa condamnation, c'est-à-dire depuis le 26 mars 1985. Il affirme que la décision d'exécuter la sentence d'un prisonnier condamné à mort n'est pas liée à des raisons juridiques, mais à des décisions politiques, et qu'en conséquence l'incertitude dans laquelle demeure l'auteur sur le point de savoir si l'ordre d'exécution sera ou ne sera pas donné, et l'anxiété ainsi causée sur le plan psychologique, constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant, et par conséquent une violation de l'article 7. Il ajoute qu'un ordre d'exécution survenant après un long délai, non lié à l'examen de questions juridiques ou au déroulement d'une procédure judiciaire, représenterait une violation de l'article 6.

7.1 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. En ce qui concerne l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité a conclu, au vu des renseignements que lui ont communiqués les parties, que les recours internes disponibles ont été épuisés.

7.2 Le 30 mars 1989, le Comité des droits de l'homme a donc déclaré la communication recevable.

8.1 Dans ses observations faites en vertu du paragraphe 2 de l'article 4, datées du 15 juin 1989, 1'Etat partie fait valoir que, si le Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours en matière pénale, cela ne signifie pas nécessairement que tous les recours internes disponibles en l'espèce aient été épuisés. Il souligne que les droits visés par le Pacte, qui d'après l'auteur auraient été violés, sont garantis à tout citoyen jamaïquain par le chapitre III de la Constitution jamaïquaine. Ainsi, le paragraphe 1 de l'article 20 dispose ce qui suit
:

"Lorsqu'une personne sera accusée d'un acte délictueux, elle aura droit, à moins que l'accusation ne soit retirée, à ce que sa cause soit entendue équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi."

En vertu du paragraphe 6 :


"Toute personne accusée d'un acte délictueux

a) Sera informée dès que faire se pourra, dans une langue qu'elle comprend, de la nature du délit dont elle est accusée;

b) Disposera du temps et des facilités nécessaires pour la préparation de sa défense;

c) Aura la faculté d'assurer sa défense personnellement ou par l'intermédiaire d'un représentant légal de son choix; .

d) Aura la possibilité d'interroger, en personne ou par l'intermédiaire de son représentant légal, les témoins cités par l'accusation devant le tribunal, et de citer et interroger des témoins à sa décharge devant le tribunal dans les mêmes conditions que celles s'appliquant aux témoins à charge, sous réserve du paiement des frais raisonnablement encourus par eux; et

e) Pourra disposer gratuitement de l'assistance d'un interprète, si elle ne comprend pas l'anglais."

8.2 L'Etat partie ajoute que le droit à la vie est protégé par l'article 14 de la Constitution, et que l'article 17 offre une protection contre les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Conformément à l'article 25, quiconque estime qu'il a été ou qu'il risque d'être contrevenu, en ce qui le concerne, à l'une des dispositions du chapitre III, peut demander réparation devant la Cour suprême (constitutionnelle). Il peut être fait appel des décisions de la Cour suprême devant la Cour d'appel , et des décisions de la Cour d'appel devant la section judiciaire du Conseil privé.

8.3 L'Etat partie conclut que l'exercice du droit constitutionnel à la réparation et la demande d'autorisation de recours en matière pénale devant le Conseil privé sont deux choses tout à fait distinctes. L'auteur ne s'étant pas prévalu des recours constitutionnels disponibles, 1'Etat partie estime que sa plainte est irrecevable pour cause de non-épuisement des recours internes.

9.1 Dans ses commentaires datés du 19 novembre 1989, l'avocat estime que 1'Etat partie n'a pas fait droit à la demande d'explications ou de déclarations écrites, en date du 30 mars 1989, qu'a faite le Comité conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif. En lieu et place, il a tenté de revenir sur la décision du Comité en prétendant que M. Reid n'avait pas épuisé les recours internes. D'après l'avocat, 1'Etat partie a eu l'occasion d'avancer cet argument dans sa réponse au titre de l'article 91 et, à ce stade, n'a plus la possibilité d'invoquer de nouveaux arguments contre la recevabilité, tout au moins avant d'avoir donné les renseignements demandés par le Comité dans sa décision sur la recevabilité. A son avis, un point de vue différent serait contraire au paragraphe 4 de l'article 93 du règlement intérieur du Comité.

9.2 L'avocat ajoute que les derniers arguments de 1'Etat partie sur la recevabilité passent à côté de l'essentiel, puisqu'en vertu de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, un particulier n'a pas à apporter la preuve qu'il s'est prévalu de toutes les voies internes qui pourraient éventuellement constituer un moyen de recours : seuls les recours utiles autant que disponibles doivent être épuisés. Il faut donc en l'espèce que l'on puisse raisonnablement escompter que le recours que 1'Etat partie considère ouvert à l'auteur aboutira à la réparation de la violation alléguée. Ce ne serait pas le cas si dans la jurisprudence figuraient des décisions allant à l'encontre de ce que recherche l'auteur, comme c'est effectivement le cas en l'occurrence. L'avocat suggère que 1'Etat partie soit prié de fournir à l'appui de ses arguments des précisions sur toute affaire antérieure qui puisse l'aider à défendre son client, étant donné que 1'Etat partie demande maintenant à M. Reid de présenter certains arguments, dont il a déjà saisi la section judiciaire du Conseil privé, devant une instance inférieure de la Jamaïque. L'avocat soutient que, selon toute probabilité, la section judiciaire, saisie d'un cas constitutionnel, confirmerait sa décision précédente en l'espèce. Par ailleurs, une juridiction inférieure du pays serait en tout cas liée par la décision antérieure de la section judiciaire. Enfin, l'avocat ne considère pas le recours constitutionnel comme un recours utile autant que disponible, vu qu'il est pratiquement impossible à la Jamaïque d'obtenir l'assistance d'un représentant légal disposé à plaider gracieusement dans une affaire constitutionnelle.

10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en cause en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

10.2 Le Comité a pris note du fait que, s'agissant des prétendues violations des articles 6, 7 et 14 du Pacte, 1'Etat partie soutient que les recours internes ont été épuisés par M. Reid. Il estime opportun de développer ses conclusions quant à la recevabilité.

10.3 Le Comité a pris note du fait que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles en vertu de la Constitution Jamaïquaine. A cet égard, le Comité observe qu'au paragraphe 1 de son article 20, la Constitution jamaïquaine garantit le droit à un procès équitable et, en son article 25, prévoit l'application des dispositions garantissant les droits de l'individu. Le paragraphe 2 de l'article 25 dispose que la Cour suprême (constitutionnelle)a compétence pour "connaître et décider" des requêtes, mais limite sa juridiction aux cas où les plaignants n'ont pas déjà disposé de "moyens adéquats de réparation pour les violations alléguées" (par. 2, art. 2, infine). Le Comité note que, dans un certain nombre de décisions de caractère interlocutoire, 1'Etat partie a été prié de préciser si la Cour suprême (constitutionnelle)avait eu l'occasion de décider, conformément au paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine, si des recours devant la Cour d'appel et la section judiciaire du Conseil privé constituent "des moyens adéquats de réparation" au sens du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine. L'Etat partie a répondu que la Cour suprême n'avait pas eu jusque-là cette possibilité. Eu égard aux éclaircissements donnés par 1'Etat partie, à l'absence d'assistance judiciaire pour intenter une action devant la Cour constitutionnelle et au fait que les avocats jamaïquains ne sont pas disposés à fournir leurs services à cet effet sans rémunération, le Comité estime qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle au titre de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine n'est pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif.

10.4 Enfin, l'affirmation de l'auteur selon laquelle aucune aide judiciaire n'est offerte aux accusés désireux de former un recours constitutionnel qui n'ont pas les moyens de rémunérer un défenseur n'est pas contestée par 1'Etat partie. M. Reid se trouvant dans cette situation, il s'ensuit que, même si un recours constitutionnel était considéré comme un recours efficace, en fait sinon en droit, l'auteur ne pourrait pas s'en prévaloir.

10.5 Le Comité a également pris note de l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle le principe établi de la jurisprudence du Comité relatif au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole , à savoir que les recours internes doivent être à la fois disponibles et efficaces, n'est qu'une simple interprétation de cette disposition, et il rappelle à cet égard que la règle relative aux recours internes ne s'applique pas aux recours qui n'ont objectivement aucune chance d'aboutir, principe établi du droit international et de la jurisprudence du Comité.

10.6 Pour les raisons indiquées ci-dessus, le Comité estime qu'un recours constitutionnel ne constitue pas dans le cas de l'auteur une voie de recours à épuiser aux fins du Protocole facultatif. Il conclut en conséquence qu'il n'a pas de raison de réviser sa décision du 30 mars 1989 sur la recevabilité.


11.1 S'agissant de la question de la violation de l'article 14, le Comité est saisi de trois questions principales : a) savoir si la négligence dont aurait fait preuve le juge dans la récapitulation de l'affaire pour le jury lors du procès devant la Home Circuit Court équivaut à une violation des garanties d'un procès équitable; b) savoir si l'auteur disposait de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense; c) savoir si la représentation de l'auteur devant la cour d'appel par un avocat qu'il n'aurait pas choisi constitue une violation de l'alinéa d) du paragraphe 3 de l'article 14.

11.2 En ce qui concerne la première de ces questions, le Comité réaffirme que, généralement, il appartient aux tribunaux d'appel des Etats parties d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans chaque cas. En principe, il n'appartient pas au Comité de remettre en question les instructions données au jury par le juge, sauf s'il peut être établi que lesdites instructions étaient incontestablement tendancieuses et équivalant à un déni de justice. Le Comité ne dispose pas de preuves suffisantes que tel a été le cas.

11.3 Le Comité note que 1'Etat partie n'a pas infirmé l'assertion de l'auteur selon laquelle le tribunal n'a pas accordé suffisamment de temps à son avocat pour se préparer à interroger les témoins. Cela constitue une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte.

11.4 En ce qui concerne la question de la représentation de l'auteur devant la cour d'appel, le Comité réaffirme qu'il va de soi que l'assistance d'un défenseur doit être assurée lorsque l'accusé risque la peine capitale 2/. Cela vaut pour le procès en première instance et pour la procédure d'appel. Dans le cas de l'auteur, il n'est pas contesté qu'un défenseur ait été commis d'office pour la procédure d'appel, mais la question est de savoir si l'auteur avait le droit de contester le choix de l'avocat commis d'office et si la possibilité aurait dû lui être donnée d'assister à l'audience d'appel. La demande d'autorisation de saisir la cour d'appel faite le 6 avril 1985 par l'auteur indique qu'il souhaitait assister à l'audience. L'Etat partie ne lui a pas donné cette possibilité, étant donné qu'un défenseur avait été commis d'office. Or ce défenseur, considérant que l'appel ne se justifiait pas, avait décidé de l'abandonner, laissant ainsi l'auteur sans représentation judiciaire effective. Dans ces conditions , et compte dûment tenu du fait qu'il s'agit d'une condamnation à la peine capitale, le Comité estime que 1'Etat partie aurait dû commettre un autre défenseur, ou permettre à l'auteur de se défendre lui-même pendant la procédure d'appel. Dans la mesure où l'auteur n'a pas été effectivement représenté pendant cette procédure, les garanties prévues à l'alinéa d)du paragraphe 3 de l'article 14 n'ont pas été respectées.

11.5 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible , une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a noté dans son observation générale 6 (a), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, des garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". Dans l'affaire présente, étant donné que la sentence de mort a été finalement prononcée sans satisfaire aux exigences d'un procès équitable énoncées à l'article 14, il faut conclure que le droit protégé par l'article 6 du Pacte a été violé.

11.6 En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle les retards intervenus dans l'exécution de la sentence constituent une violation de l'article 7 du Pacte et celle faisant équivaloir l'exécution de l'auteur après ces retards à une privation arbitraire de la vie, le Comité réaffirme un point de vue déjà exprimé à d'autres occasions , à savoir qu'une procédure judiciaire prolongée ne constitue pas en soi un traitement. cruel, inhumain ou dégradant, même si elle peut être une source d'angoisse pour le condamné. Toutefois, la situation peut être différente dans les affaires de peine capitale, bien qu'il soit nécessaire d'évaluer les circonstances propres à chaque affaire. Le Comité estime qu'en l'espèce, l'auteur n'a pas produit d'éléments suffisants pour ' prouver son assertion selon laquelle les retards de la procédure judiciaire avaient constitué pour lui un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 7.

12.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits constatés par le Comité révèlent une violation de l'article 6 et des alinéas b)et d) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte.

12.2 Le Comité est d'avis que, dans le cas d'un procès pouvant entraîner la peine capitale, le devoir qu'ont les Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte est encore plus impératif. Le Comité est d'avis que M. Carlton Reid, victime d'une violation des dispositions de l'article 6 et des alinéas b)et d) du paragraphe 3 de l'article 14 , a droit à un recours pouvant aboutir à sa libération.

13. Le Comité saisit cette occasion pour exprimer son inquiétude . sur le fonctionnement du système d'aide juridique prévu dans le Poor Prisoners' Defence Act (loi sur la défense des prisonniers nécessiteux). D'après les informations dont il dispose, le Comité estime que ce système, tel qu'actuellement appliqué, ne semble pas fonctionner de manière à permettre aux représentants commis au titre de l'aide judiciaire de s'acquitter de leur tâche et de leurs responsabilités aussi efficacement que l'exigerait l'intérêt de la justice. Le Comité considère que, lorsqu'il s'agit en particulier de :Procès pouvant entraîner la peine capitale, l'assistance judiciaire devrait permettre à l'avocat de préparer la défense de son client dans des conditions propres à assurer que justice sera faite, et devrait comprendre notamment une rémunération adéquate de ses services. Tout en admettant que les autorités de 1'Etat partie sont en principe compétentes pour interpréter la loi sur la défense des prisonniers nécessiteux et en se félicitant des améliorations récemment introduites dans les conditions d'octroi de l'aide judiciaire, le Comité invite instamment 1'Etat partie à revoir son système d'aide judiciaire.

14. Le Comité souhaite être informé de toute mesure pertinente prise par 1'Etat partie eu égard à ses constatations.



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