concernant la
Communication No. 250/1987
Présentée par : Carlton Reid (représenté par un avocat) Au nom de : L'auteur Etat partie intéressé: Jamaïque Date de la communication : 7 août 1987 (date de la première lettre) Date de la decision sur la recevabilité : 30 mars 1989 Le Comité des droits de 1' homme , institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Réuni le 20 juillet 1990, Ayant achevé l'examen de la communication No 250/1987, présentée au Comité par M. Carlton Reid en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,
Adopte ce qui suit :
7.1 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. En ce qui concerne l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité a conclu, au vu des renseignements que lui ont communiqués les parties, que les recours internes disponibles ont été épuisés. 7.2 Le 30 mars 1989, le Comité des droits de l'homme a donc déclaré la communication recevable. 8.1 Dans ses observations faites en vertu du paragraphe 2 de l'article 4, datées du 15 juin 1989, 1'Etat partie fait valoir que, si le Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours en matière pénale, cela ne signifie pas nécessairement que tous les recours internes disponibles en l'espèce aient été épuisés. Il souligne que les droits visés par le Pacte, qui d'après l'auteur auraient été violés, sont garantis à tout citoyen jamaïquain par le chapitre III de la Constitution jamaïquaine. Ainsi, le paragraphe 1 de l'article 20 dispose ce qui suit :
"Lorsqu'une personne sera accusée d'un acte délictueux, elle aura droit, à moins que l'accusation ne soit retirée, à ce que sa cause soit entendue équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi." En vertu du paragraphe 6 : "Toute personne accusée d'un acte délictueux a) Sera informée dès que faire se pourra, dans une langue qu'elle comprend, de la nature du délit dont elle est accusée; b) Disposera du temps et des facilités nécessaires pour la préparation de sa défense; c) Aura la faculté d'assurer sa défense personnellement ou par l'intermédiaire d'un représentant légal de son choix; . d) Aura la possibilité d'interroger, en personne ou par l'intermédiaire de son représentant légal, les témoins cités par l'accusation devant le tribunal, et de citer et interroger des témoins à sa décharge devant le tribunal dans les mêmes conditions que celles s'appliquant aux témoins à charge, sous réserve du paiement des frais raisonnablement encourus par eux; et e) Pourra disposer gratuitement de l'assistance d'un interprète, si elle ne comprend pas l'anglais." 8.2 L'Etat partie ajoute que le droit à la vie est protégé par l'article 14 de la Constitution, et que l'article 17 offre une protection contre les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Conformément à l'article 25, quiconque estime qu'il a été ou qu'il risque d'être contrevenu, en ce qui le concerne, à l'une des dispositions du chapitre III, peut demander réparation devant la Cour suprême (constitutionnelle). Il peut être fait appel des décisions de la Cour suprême devant la Cour d'appel , et des décisions de la Cour d'appel devant la section judiciaire du Conseil privé. 8.3 L'Etat partie conclut que l'exercice du droit constitutionnel à la réparation et la demande d'autorisation de recours en matière pénale devant le Conseil privé sont deux choses tout à fait distinctes. L'auteur ne s'étant pas prévalu des recours constitutionnels disponibles, 1'Etat partie estime que sa plainte est irrecevable pour cause de non-épuisement des recours internes. 9.1 Dans ses commentaires datés du 19 novembre 1989, l'avocat estime que 1'Etat partie n'a pas fait droit à la demande d'explications ou de déclarations écrites, en date du 30 mars 1989, qu'a faite le Comité conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif. En lieu et place, il a tenté de revenir sur la décision du Comité en prétendant que M. Reid n'avait pas épuisé les recours internes. D'après l'avocat, 1'Etat partie a eu l'occasion d'avancer cet argument dans sa réponse au titre de l'article 91 et, à ce stade, n'a plus la possibilité d'invoquer de nouveaux arguments contre la recevabilité, tout au moins avant d'avoir donné les renseignements demandés par le Comité dans sa décision sur la recevabilité. A son avis, un point de vue différent serait contraire au paragraphe 4 de l'article 93 du règlement intérieur du Comité. 9.2 L'avocat ajoute que les derniers arguments de 1'Etat partie sur la recevabilité passent à côté de l'essentiel, puisqu'en vertu de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, un particulier n'a pas à apporter la preuve qu'il s'est prévalu de toutes les voies internes qui pourraient éventuellement constituer un moyen de recours : seuls les recours utiles autant que disponibles doivent être épuisés. Il faut donc en l'espèce que l'on puisse raisonnablement escompter que le recours que 1'Etat partie considère ouvert à l'auteur aboutira à la réparation de la violation alléguée. Ce ne serait pas le cas si dans la jurisprudence figuraient des décisions allant à l'encontre de ce que recherche l'auteur, comme c'est effectivement le cas en l'occurrence. L'avocat suggère que 1'Etat partie soit prié de fournir à l'appui de ses arguments des précisions sur toute affaire antérieure qui puisse l'aider à défendre son client, étant donné que 1'Etat partie demande maintenant à M. Reid de présenter certains arguments, dont il a déjà saisi la section judiciaire du Conseil privé, devant une instance inférieure de la Jamaïque. L'avocat soutient que, selon toute probabilité, la section judiciaire, saisie d'un cas constitutionnel, confirmerait sa décision précédente en l'espèce. Par ailleurs, une juridiction inférieure du pays serait en tout cas liée par la décision antérieure de la section judiciaire. Enfin, l'avocat ne considère pas le recours constitutionnel comme un recours utile autant que disponible, vu qu'il est pratiquement impossible à la Jamaïque d'obtenir l'assistance d'un représentant légal disposé à plaider gracieusement dans une affaire constitutionnelle. 10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en cause en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. 10.2 Le Comité a pris note du fait que, s'agissant des prétendues violations des articles 6, 7 et 14 du Pacte, 1'Etat partie soutient que les recours internes ont été épuisés par M. Reid. Il estime opportun de développer ses conclusions quant à la recevabilité. 10.3 Le Comité a pris note du fait que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles en vertu de la Constitution Jamaïquaine. A cet égard, le Comité observe qu'au paragraphe 1 de son article 20, la Constitution jamaïquaine garantit le droit à un procès équitable et, en son article 25, prévoit l'application des dispositions garantissant les droits de l'individu. Le paragraphe 2 de l'article 25 dispose que la Cour suprême (constitutionnelle)a compétence pour "connaître et décider" des requêtes, mais limite sa juridiction aux cas où les plaignants n'ont pas déjà disposé de "moyens adéquats de réparation pour les violations alléguées" (par. 2, art. 2, infine). Le Comité note que, dans un certain nombre de décisions de caractère interlocutoire, 1'Etat partie a été prié de préciser si la Cour suprême (constitutionnelle)avait eu l'occasion de décider, conformément au paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine, si des recours devant la Cour d'appel et la section judiciaire du Conseil privé constituent "des moyens adéquats de réparation" au sens du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine. L'Etat partie a répondu que la Cour suprême n'avait pas eu jusque-là cette possibilité. Eu égard aux éclaircissements donnés par 1'Etat partie, à l'absence d'assistance judiciaire pour intenter une action devant la Cour constitutionnelle et au fait que les avocats jamaïquains ne sont pas disposés à fournir leurs services à cet effet sans rémunération, le Comité estime qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle au titre de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine n'est pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. 10.4 Enfin, l'affirmation de l'auteur selon laquelle aucune aide judiciaire n'est offerte aux accusés désireux de former un recours constitutionnel qui n'ont pas les moyens de rémunérer un défenseur n'est pas contestée par 1'Etat partie. M. Reid se trouvant dans cette situation, il s'ensuit que, même si un recours constitutionnel était considéré comme un recours efficace, en fait sinon en droit, l'auteur ne pourrait pas s'en prévaloir. 10.5 Le Comité a également pris note de l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle le principe établi de la jurisprudence du Comité relatif au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole , à savoir que les recours internes doivent être à la fois disponibles et efficaces, n'est qu'une simple interprétation de cette disposition, et il rappelle à cet égard que la règle relative aux recours internes ne s'applique pas aux recours qui n'ont objectivement aucune chance d'aboutir, principe établi du droit international et de la jurisprudence du Comité. 10.6 Pour les raisons indiquées ci-dessus, le Comité estime qu'un recours constitutionnel ne constitue pas dans le cas de l'auteur une voie de recours à épuiser aux fins du Protocole facultatif. Il conclut en conséquence qu'il n'a pas de raison de réviser sa décision du 30 mars 1989 sur la recevabilité. 11.1 S'agissant de la question de la violation de l'article 14, le Comité est saisi de trois questions principales : a) savoir si la négligence dont aurait fait preuve le juge dans la récapitulation de l'affaire pour le jury lors du procès devant la Home Circuit Court équivaut à une violation des garanties d'un procès équitable; b) savoir si l'auteur disposait de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense; c) savoir si la représentation de l'auteur devant la cour d'appel par un avocat qu'il n'aurait pas choisi constitue une violation de l'alinéa d) du paragraphe 3 de l'article 14. 11.2 En ce qui concerne la première de ces questions, le Comité réaffirme que, généralement, il appartient aux tribunaux d'appel des Etats parties d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans chaque cas. En principe, il n'appartient pas au Comité de remettre en question les instructions données au jury par le juge, sauf s'il peut être établi que lesdites instructions étaient incontestablement tendancieuses et équivalant à un déni de justice. Le Comité ne dispose pas de preuves suffisantes que tel a été le cas. 11.3 Le Comité note que 1'Etat partie n'a pas infirmé l'assertion de l'auteur selon laquelle le tribunal n'a pas accordé suffisamment de temps à son avocat pour se préparer à interroger les témoins. Cela constitue une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte. 11.4 En ce qui concerne la question de la représentation de l'auteur devant la cour d'appel, le Comité réaffirme qu'il va de soi que l'assistance d'un défenseur doit être assurée lorsque l'accusé risque la peine capitale 2/. Cela vaut pour le procès en première instance et pour la procédure d'appel. Dans le cas de l'auteur, il n'est pas contesté qu'un défenseur ait été commis d'office pour la procédure d'appel, mais la question est de savoir si l'auteur avait le droit de contester le choix de l'avocat commis d'office et si la possibilité aurait dû lui être donnée d'assister à l'audience d'appel. La demande d'autorisation de saisir la cour d'appel faite le 6 avril 1985 par l'auteur indique qu'il souhaitait assister à l'audience. L'Etat partie ne lui a pas donné cette possibilité, étant donné qu'un défenseur avait été commis d'office. Or ce défenseur, considérant que l'appel ne se justifiait pas, avait décidé de l'abandonner, laissant ainsi l'auteur sans représentation judiciaire effective. Dans ces conditions , et compte dûment tenu du fait qu'il s'agit d'une condamnation à la peine capitale, le Comité estime que 1'Etat partie aurait dû commettre un autre défenseur, ou permettre à l'auteur de se défendre lui-même pendant la procédure d'appel. Dans la mesure où l'auteur n'a pas été effectivement représenté pendant cette procédure, les garanties prévues à l'alinéa d)du paragraphe 3 de l'article 14 n'ont pas été respectées. 11.5 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible , une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a noté dans son observation générale 6 (a), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, des garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". Dans l'affaire présente, étant donné que la sentence de mort a été finalement prononcée sans satisfaire aux exigences d'un procès équitable énoncées à l'article 14, il faut conclure que le droit protégé par l'article 6 du Pacte a été violé.
11.6 En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle les retards intervenus dans l'exécution de la sentence constituent une violation de l'article 7 du Pacte et celle faisant équivaloir l'exécution de l'auteur après ces retards à une privation arbitraire de la vie, le Comité réaffirme un point de vue déjà exprimé à d'autres occasions , à savoir qu'une procédure judiciaire prolongée ne constitue pas en soi un traitement. cruel, inhumain ou dégradant, même si elle peut être une source d'angoisse pour le condamné. Toutefois, la situation peut être différente dans les affaires de peine capitale, bien qu'il soit nécessaire d'évaluer les circonstances propres à chaque affaire. Le Comité estime qu'en l'espèce, l'auteur n'a pas produit d'éléments suffisants pour ' prouver son assertion selon laquelle les retards de la procédure judiciaire avaient constitué pour lui un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 7. 12.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits constatés par le Comité révèlent une violation de l'article 6 et des alinéas b)et d) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. 12.2 Le Comité est d'avis que, dans le cas d'un procès pouvant entraîner la peine capitale, le devoir qu'ont les Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte est encore plus impératif. Le Comité est d'avis que M. Carlton Reid, victime d'une violation des dispositions de l'article 6 et des alinéas b)et d) du paragraphe 3 de l'article 14 , a droit à un recours pouvant aboutir à sa libération. 13. Le Comité saisit cette occasion pour exprimer son inquiétude . sur le fonctionnement du système d'aide juridique prévu dans le Poor Prisoners' Defence Act (loi sur la défense des prisonniers nécessiteux). D'après les informations dont il dispose, le Comité estime que ce système, tel qu'actuellement appliqué, ne semble pas fonctionner de manière à permettre aux représentants commis au titre de l'aide judiciaire de s'acquitter de leur tâche et de leurs responsabilités aussi efficacement que l'exigerait l'intérêt de la justice. Le Comité considère que, lorsqu'il s'agit en particulier de :Procès pouvant entraîner la peine capitale, l'assistance judiciaire devrait permettre à l'avocat de préparer la défense de son client dans des conditions propres à assurer que justice sera faite, et devrait comprendre notamment une rémunération adéquate de ses services. Tout en admettant que les autorités de 1'Etat partie sont en principe compétentes pour interpréter la loi sur la défense des prisonniers nécessiteux et en se félicitant des améliorations récemment introduites dans les conditions d'octroi de l'aide judiciaire, le Comité invite instamment 1'Etat partie à revoir son système d'aide judiciaire. 14. Le Comité souhaite être informé de toute mesure pertinente prise par 1'Etat partie eu égard à ses constatations.