D. B. [nom supprimé] c. Jamaïqu
e,
Communication No. 259/1987, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/259/1987 (1990).
Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session
DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF
AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES -TRENTE-NEUVIEME SESSION
concernant la
Comunication
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No 259/1982
Présentée par: D. B. [nom supprimé]
Au nom de: L'auteur
Etat partie intéressé: Jamaïque
Date de la communication
: 19 novembre 1987 (date de la première lettre)
Le Comité des droits de 1'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 13 juillet 1990,
Adopte la décision ci-après :
Décision concemnt la recevabilité
1. L'auteur de la communication (première lettre datée du 19 novembre 1987, suivie de plusieurs autres lettres)est D. B., citoyen jamaïquain détenu à la prison du district de Ste Catherine (Jamaïque) où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime de violations des droits de l'homme par le Gouvernement jamaïquain.
2.1 L'auteur déclare qu'il a été accusé du meurtre, le 24 novembre 1980, d'un certain H. P., jugé coupable et condamné à mort le 13 juillet 1983. Il clame son innocence et déclare que bien qu'il ait été présent sur les lieux du crime,
.
il n'a pas participé au meurtre; il aurait en fait risqué sa propre vie en suppliant les meurtriers d'épargner M. Patton : des témoins pourraient d'ailleurs le confirmer. Aucune précision n'est fournie sur les conditions dans lesquelle le procès s'est déroulé , l'auteur se contentant d'indiquer qu'il a bénéficié de l'assistance d'un avocat désigné d'office.
2.2 La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté l'appel de l'auteur le 9 décembre 1985. Pour son recours, l'auteur était également représenté par un avocat commis d'office. Il avait demandé l'autorisation d'assister à l'audience, mais elle lui aurait été refusée.
2.3 L'auteur affirme en outre que depuis le rejet de son appel, il n'a pas pu poursuivre l'affaire. Il a écrit à la Cour suprême en octobre 1986 pour lui demander la transcription des dépositions qui avaient été faites aux procès en première instance et en appel, mais il n'a rien reçu. En septembre 1987 il a adressé une deuxième lettre à la Cour suprême, à la suite de laquelle il a reçu copie de la transcription des déposition faites au cours du procès en première instance. Il a également été informé que la cour d'appel n'avait pas encore rendu d'arrêt par écrit, ce qui, d'après l'auteur, est loin d'être inhabituel pour les arrêts rendus par cette instance dans des cas de condamnation à mort.
2.4 En ce qui concerne le dépôt d'une demande d'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé, l'auteur affirme que le Gouvernement jamaïquain n'offre aucune assistance aux condamnés à mort qui souhaitent saisir cette instance. II, fait valoir que, n'ayant pas les moyens de s'assurer les services d'un avocat, il ne peut pas porter son affaire devant le Conseil privé et que s'il ne peut le faire, le gouvernement n'usera pas de sa prérogative du droit de grâce. L'auteur évoque ensuite le cas de N. C., détenu exécuté le 19 novembre 1987, qui n'aurait pas pu épuiser toutes les voies de recours internes, faute de pouvoir rétribuer les services d'un avocat pour qu'il le représente devant la section judiciaire du Conseil privé.
2.5 L'auteur déclare enfin que sa longue détention (depuis juillet 1983) dans une cellule de condamnés à mort équivaut à un traitement dégradant et inhumain, sans cependant apporter d'élément supplémentaire à l'appui de cette affirmation.
3. Par décision du 9 février 1988, le Rapporteur spécial du Comité des droits de l'homme chargé des communications relatives à la peine de mort a transmis la communication à 1'Etat partie pour information, lui demandant, conformément à l'article 86 du règlement intérieur, de ne pas appliquer la peine capitale à l'auteur avant que le Comité ait eu la possibilité d'examiner plus avant la question de la recevabilité de la communication. L'auteur a été prié, conformément à l'article 91 du règlement intérieur, de fournir au Comité certaines précisions quant au dérdulement des procès en première instance et en appel et de lui faire parvenir copie des dépositions. Par une décision du 22 mars 1988, le Groupe de travail du Comité des droit6 de l'homme a réitéré la demande formulée par le Rapporteur spécial conformément à l'article 86 du règlement intérieur et a prié 1'Etat partie de fournir des renseignements et observations concernant la question de la recevabilité de la communication. L'Etat partie a en outre été prié de communiquer au Comité le texte des décisions écrites rendues dans l'affaire et de préciser si l'auteur avait toujours la possibilité de déposer une demande d'autorisation spéciale de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé.
4.1 Dans trois lettres datée6 des 19 et 26 février et du 18 avril 1988, l'auteur répond à la demande de précisions formulée par le Rapporteur spécial. I1 déclare que le 24 novembre: 1980, dans le district de Douce Pass, plusieurs hommes l'ont contraint à les conduire jusqu'à une maison isolée à James Hill. Après avoir fait irruption dans la maison , ces hommes ont réclamé de l'argent
au propriétaire, Hedley Patton, en le menaçant de mort. Les supplications de l'auteur en faveur de la victime sont restées vaines. Finalement, les hommes ont abattu H. P. et sont repartis, emportant ce qu'ils avaient pu trouver. Le lendemain matin, l'auteur a quitté provisoirement son lieu de résidence. A son retour, il a été informé que la police le recherchait. Le soir même , c'est-à-dire le 29 novembre 1980, la police est venue l'arrêter chez lui. Il a I fait une déclaration écrite le 29 décembre 1980, mais ne sachant pas bien lire
ni écrire à l 'époque, il a demandé, le ler janvier 1981, que sa déclaration soit: réécrite. L'auteur affirme qu 'il a dû participer à une séance d'identification sans être assisté d 'un avocat. L 'un des témoin6 l 'aurait reconnu, tandis que son codéfendeur, A. H., a été reconnu par deux témoins. L'auteur indique qu 'il a été informé de6 chef6 d 'inculpation retenus contre lui le 8 janvier 1981, et qu 'il a comparu pour la première fois devant un magistrat le 14 janvier 1981. Au cours de l 'instruction, du procès et de l'appel, il a été représenté par un avocat commis d 'office.
4.2 Le procès ne s 'est ouvert que le 5 juillet 1983. L 'auteur affirme que les témoins à charge auraient simplement déclaré qu 'il faisait partie du groupe qui se trouvait dans la maison au moment du meurtre. Il ne croit pas avoir entendu aucun d 'entre eux affirmer l'avoir réellement vu commettre un crime. Selon lui, ils auraient surtout incriminé son codéfendeur. Deux témoins ont déclaré avoir entendu quelqu 'un supplier qu 'on épargne la vie de la victime. L'auteur réaffirme que c 'est lui qui a supplié qu'on laisse la vie sauve à la victime et indique que les témoins n 'ont pas pu exprimer des vues concordantes sur ce point particulier. Le 12 juillet 1983, l 'avocat de l 'auteur a demandé un non-lieu, mais le juge a rejeté sa demande. L 'auteur a donc été amené à faire une déposition sous serment. Selon lui, son avocat aurait également demandé au juge d 'assigner le père de l 'auteur à comparaître et aurait demandé qu'un inspecteur de police aide ce dernier à se présenter devant le tribunal. L'auteur explique qu 'étant pauvres
ses parents ne pouvaient payer les frais de déplacement jusqu 'au tribunal , ce qui a empêché son père, qui aurait voulu comparaître, d 'assister au procès.
4.3 L 'auteur affirme qu 'il a pu s 'entretenir avec son avocat durant son procès, mais qu 'il ne l 'a vu qu 'une seule fois entre le jugement et le rejet de son recours par la cour d 'appel. Il indique que les témoins à charge ont été soumis à un contre-interrogatoire, mais il ne croit pas que celui-ci ait été mené de façon suffisamment approfondie. Il affirme en outre que son père, qui était le seul témoin cité pour déposer en sa faveur, n 'ayant pas pu se présenter devant le tribunal, il n 'y a eu aucun témoin à décharge.
4.4 Aux dires de l 'auteur, il a perdu tout contact avec son avocat depuis le rejet de son recours par la cour d 'appel et n 'est plus assisté par aucun avocat . Il a écrit à l'Association des avocats de la Jamaïque pour demander une assistance juridique et l 'ouverture d 'une enquête. Il a reçu une réponse le 11 mars 1987, l 'informant que l 'Association avait envoyé une lettre le 5 mars 1987 à M. F. P. Le 10 février 1988, l 'auteur a également reçu une lettre émanant d 'un cabinet
d'avocats qui demandait au gouvernement de surseoir à l 'exécution de l 'auteur , ce dernier ayant demandé que la section judiciaire du Conseil privé soit saisie de son affaire.
4.5 En ce qui concerne la
possibilité de déposer une demande d 'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé, l 'auteur signale que, si son affaire est portée devant le Conseil privé sans que la cour d 'appel ait rendu 6on arrêt par écrit, le recours sera tout simplement déclaré irrecevable et l 'affaire renvoyée en Jamaïque. Il indique en outre qu'il n 'a pas les moyens de s 'assurer les services d 'un avocat pour porter Son affaire devant le Conseil privé, ce qui a été, selon lui, le cas de nombreux détenus de la section des condamnés à mort qui auraient voulu déposer une demande d 'autorisation de former un recours devant le Conseil privé, mais qui n'ont pas eu les moyens de le faire et qui ont, en conséquence, été exécutés.
4.6 Selon l 'auteur, les faits exposés ci-dessus constituent une violation, par la Jamaïque, de6 dispositions de6 paragraphes 3 d)et e)et 5 de l'article 14 du Pacte.
5. Dans ses observations présentées en application de l 'article 91 du règlement intérieur et datées du 23 janvier 1989, 1'Etat partie affirme que la cofmnunication est irrecevable car l 'auteur n 'a pas épuisé tous les recours internes, la section judiciaire du Conseil privé, instance suprême de la Jamaïque, n'ayant pas statué sur son cas.
6.1 Dans sa réponse datée du 25 février 1989, l 'auteur affirme une fois de plus qu 'il n 'a pas les moyens de s 'assurer les services juridiques dont il aurait besoin pour saisir le Conseil privé. Il évoque de nouveau le cas de N. C., ainsi que celui de deux autres détenus, qui auraient dû payer 40 000 dollars jamaïquains pour que leur pourvoi puisse être déposé dans les formes devant le Conseil privé. Il affirme enfin que son codéfendeur, A. H., a été informé par le Conseil jamaïquain pour les droits de l 'homme que le dépôt d'un recours devant le Conseil privé n 'était pas justifié dans leur cas. Dans une autre lettre datée du 18 mai 1989, l 'auteur indique qu 'il s 'est assuré à présent les services d 'un cabinet d 'avocats londonien pour porter son affaire devant le Conseil privé et demande au Comité de suspendre l 'examen de sa communication jusqu 'à ce que le Conseil privé ait pris connaissance de sa
demande d 'autorisation spéciale de former un recours.
6.2 Dans une autre lettre datée du 12 août 1989, l 'auteur déclare que le Conseil jamaïquain pour les droit6 de l 'homme l 'a informé, le 20 avril 1989, que son dossier avait été communiqué à ses avocats à Londres. Il signale que depuis lors, il n 'a reçu aucune autre information concernant l 'état de sa demande et prie le Comité de suspendre l 'examen de sa communication.
7.1 Avant d 'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l 'homme doit, conformément à l 'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n 'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité s 'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l 'article 5
du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours d 'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
7.3 En ce qui concerne la règle de l 'épuisement des recours internes, le Comité a noté que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable, l'auteur n 'ayant pas adressé à la section judiciaire du Conseil privé une demande d 'autorisation spéciale de recours conformément à l 'article 110 de la Constitution jamaïquaine. Il constate que, tout en affirmant qu 'une telle demande n 'avait aucune chance d 'aboutir, l 'auteur s 'était assuré, à cette fin, après avoir soumis sa communication au Comité des droits de l 'homme les services pro bono d 'un cabinet d 'avocats londonien. Bien que profondément préoccupé par l 'absence apparente d 'arrêt motivé de la cour d 'appel de la Jamaïque dans cette affaire, le Comité ne peut pas conclure qu 'une demande spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil si elle n 'est pas accompagnée du texte de l 'arrêt rendu par la Cour d'Appel doive être considérée comme a priori inutile. Il estime donc que les conditions prévues au paragraphe 2 b)de l 'article 5 du Protocole facultatif n 'ont pas été remplies. En conséquence, le Comité des droits de l 'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l 'article 5 du Protocole facultatif;
b)Que 1'Etat partie sera prié de mettre, sans plus tarder, le texte de l 'arrêt rendu par la cour d 'appel à la disposition de l 'auteur afin qu'il puisse porter l 'affaire devant la section judiciaire du Conseil privé, et de veiller à ce qu 'il bénéficie de l 'assistance judiciaire dont il a besoin;
c) Qu'étant donné qu 'il peut, conformément au paragraphe 2 de l'article 92 de son règlement intérieur, reconsidérer cette décision s'il
est saisi par l 'auteur ou en son nom d 'une demande écrite contenant des renseignements d 'où il ressortirait que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister , 1'Etat partie sera prié, compte tenu de l 'esprit et de l 'objet de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à la peine capitale prononcée contre l 'auteur tant que ce dernier n 'aura pas eu raisonnablement le temps, après avoir épuisé les recours internes utiles qui lui sont ouverts, de demander au Comité de reconsidérer la présente décision;
d) Que la présente décision sera coxnnuniquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.