University of Minnesota



Miguel González del Río c. Pérou, Communication No. 263/1987, U.N. Doc. CCPR/C/46/D/263/1987 (1992).



de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quarante-sixième session -

Communication No 263/1987

Présentée par : Miguel González del Río

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Pérou

Date de la communication : 19 octobre 1987

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 1992,

Ayant achevé l'examen de la communication No 263/1987, qui lui a été présentée par M. Miguel González del Río en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant pris note de tous les renseignements qui lui ont été communiqués par écrit par l'auteur de la communication et notant avec préoccupation qu'aucune information d'aucune sorte n'a été reçue de l'Etat partie,

Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

1. L'auteur de la communication est Miguel González del Río, citoyen péruvien naturalisé, d'origine espagnole, résidant actuellement à Lima (Pérou). Il déclare être victime de violations par le Gouvernement péruvien des articles 9 (par. 1 et 4), 12, 14 (par. 1 et 2), 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les faits présentés

2.1 Du 10 février 1982 au 28 décembre 1984, l'auteur a exercé les fonctions de Directeur général de l'administration pénitentiaire du Gouvernement péruvien. Par sa décision No 072-85/CG, du 20 mars 1985, le Contr_leur général du Pérou a accusé l'auteur et plusieurs autres hauts fonctionnaires d'avoir détourné des fonds publics à l'occasion de l'achat de biens et de l'octroi de contrats de construction de nouveaux établissements pénitentiaires. La démission de M. González, que celui-ci a présentée le 28 décembre 1984, a été convertie en licenciement avec effet rétroactif.

2.2 L'auteur affirme que, lors des élections présidentielles de 1986, une campagne de presse diffamatoire a été menée contre lui-même et les autres personnes mises en cause, dont l'ancien ministre de la justice, Enrique Elías Laroza. En dépit de cette campagne dirigée par des journaux fidèles au gouvernement, M. Elías Laroza a été élu député. Grâce à son immunité parlementaire, M. Elías Laroza, qui était principalement visé dans le rapport du Contr_leur général, n'a été ni arrêté ni détenu, alors qu'une enquête parlementaire avait été entreprise sur les chefs d'accusation qui pouvaient être retenus contre lui. L'auteur fait observer que des fonctionnaires de rang moins élevé, dont lui-même, ont été emprisonnés ou menacés d'emprisonnement.

2.3 L'auteur a formé un recours en amparo devant le vingtième tribunal civil de Lima (Vigésimo Juzgado Civil de Lima) pour demander la suspension de l'application de la décision du Contr_leur général. Le tribunal ayant fait droit à la demande de l'auteur, le Contr_leur général a interjeté appel, affirmant qu'un recours en amparo était prématuré et que l'auteur devait tout d'abord épuiser les recours administratifs disponibles. Mais le tribunal a jugé qu'en l'espèce, il n'était pas nécessaire de porter l'affaire devant les tribunaux administratifs et que, par ailleurs, sur le fond, les droits de la défense de l'auteur et de l'autre accusé avaient été violés puisque le Contr_leur général leur avait donné l'ordre de faire des versements sans en fixer le montant ou sans leur donner la possibilité d'étudier les livres et de comparer les chiffres. Le tribunal a décidé en outre que le Contr_leur général n'était pas habilité à licencier l'auteur ni à donner un caractère rétroactif à ses décisions. Toutefois, le Tribunal supérieur de Lima a infirmé ce jugement en appel et la Cour suprême a confirmé sa décision. L'auteur a alors formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal de Garantías Constitucionales) pour abus de pouvoir du Contr_leur général, violation des droits constitutionnels de la défense et refus d'accès à la documentation nécessaire à la défense. Le 15 septembre 1986, le Tribunal constitutionnel a rendu une décision en faveur de l'auteur, par laquelle il a ordonné la suspension de l'application de la décision du Contr_leur et déclaré le licenciement inconstitutionnel. L'auteur se plaint qu'en dépit du renvoi par le Tribunal constitutionnel de son affaire devant la Cour suprême pour action, celle-ci n'avait encore pris aucune décision en mars 1992, soit cinq ans et demi plus tard, malgré ses demandes répétées.

2.4 En dépit de la décision du Tribunal constitutionnel, les services du Contr_leur ont intenté contre l'auteur une action en justice pour fraude; le 20 novembre 1986, M. González a introduit devant le tribunal pénal de Lima un recours en habeas corpus contre le juge d'instruction No 43; son recours a été rejeté le 27 novembre 1986. L'auteur a fait appel le lendemain; le dixième tribunal pénal de Lima (Décimo Tribunal Correccional de Lima) a rejeté l'appel le 5 décembre 1986.

2.5 L'auteur, n'abandonnant pas l'affaire, a formé un recours en nullité contre l'acte d'accusation (recurso de nulidad); le 12 décembre 1986, le tribunal a renvoyé l'affaire devant la Cour suprême. Le 23 décembre 1986, la deuxième chambre criminelle de la Cour suprême a confirmé la validité de l'acte d'accusation. L'auteur a alors formé un "pourvoi extraordinaire en cassation" (recurso extraordinario de casación) devant le Tribunal constitutionnel. Le 20 mars 1987, le Tribunal constitutionnel a décidé, par quatre voix contre deux, qu'il ne pouvait contraindre la Cour suprême à faire appliquer sa décision du 15 septembre 1986 puisque l'auteur n'avait pas été détenu et que sa décision antérieure ne pouvait pas être invoquée dans le contexte du recours formé contre le juge d'instruction No 43.

2.6 En ce qui concerne l'action en justice pour fraude et détournement de fonds publics intentée contre l'auteur, le douzième tribunal pénal de Lima (Duodécimo Tribunal Correccional de Lima) a décidé, le 9 décembre 1988, sur avis du Directeur des poursuites pénales du Pérou, de classer l'affaire et de lever le mandat d'arrêt dont l'auteur faisait l'objet car l'enquête préliminaire n'avait permis d'apporter aucune preuve de fraude de la part de l'auteur.

2.7 L'auteur affirme qu'indépendamment de cette décision, une autre action pénale engagée parallèlement est toujours pendante depuis 1985 et que, bien que l'enquête n'ait pas abouti à une inculpation, il est toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt, ce qui l'empêche de quitter le territoire péruvien. Tel est, selon l'auteur, l'état d'avancement de l'affaire. Dans une lettre datée du 20 septembre 1990, l'auteur déclare que la Cour suprême a "enterré" son dossier pendant des années et qu'après avoir interrogé le Président de la Cour suprême, il aurait été informé que la procédure serait retardée au maximum tant qu'il [le Président de la Cour] serait en fonctions car il s'agissait d'une affaire politique et il ne souhaitait pas que la presse émette des doutes quant à la décision finale qui serait adoptée de toute évidence en faveur de l'auteur (" ... que el caso iba a ser retardado al máximo mientras él estuviera a cargo, puesto que tratándose de un asunto político no quería que la prensa cuestionara el fallo final, obviamente a mi favor."). L'auteur affirme que la Cour suprême se garde bien de reconnaître que sa position est juridiquement indéfendable et que, pour cette raison, elle ne prend aucune décision.

La plainte

3.1 L'auteur se plaint de n'avoir pas été réintégré dans ses fonctions, alors que les accusations portées contre lui ont été levées par décision du Tribunal constitutionnel, ainsi que par la décision du douzième tribunal pénal suspendant toute action contre lui. Il affirme en outre qu'il continuera d'être victime d'atteinte à sa réputation et à son honneur tant que la Cour suprême n'aura pas donné effet à la décision du Tribunal constitutionnel du 15 septembre 1986.

3.2 Il se plaint en outre qu'étant donné qu'il fait toujours l'objet d'un mandat d'arrêt, sa liberté de mouvement est restreinte dans la mesure où il ne peut pas quitter le territoire péruvien.

3.3 L'auteur affirme aussi que l'action intentée contre lui n'a été ni juste ni impartiale, comme il ressort des déclarations à tendance politique faites par les magistrats et les juges qui se sont occupés de l'affaire (voir la déclaration mentionnée au paragraphe 2.7 ci-dessus), ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 14.

3.4 Enfin, l'auteur affirme qu'il est victime de discrimination et d'une inégalité de traitement, parce que, dans un cas très semblable au sien, concernant un ancien ministre, le Procureur général aurait déclaré qu'il n'était pas possible de mettre en accusation des fonctionnaires de rang inférieur tant que les questions juridiques se rapportant à cet ancien ministre n'avaient pas été résolues. Il affirme être victime d'un traitement discriminatoire en raison de ses origines et de ses opinions politiques.

Délibérations du Comité

4.1 Par sa décision du 15 mars 1988, le Groupe de travail du Comité a transmis la communication à l'Etat partie, en le priant, conformément à l'article 91 du règlement intérieur, de soumettre des renseignements et observations sur la recevabilité de la communication. Le 19 juillet 1988, l'Etat partie a demandé une prolongation du délai dans lequel il devait fournir sa réponse, mais, en dépit des deux rappels qui lui ont été adressés, il n'a fourni aucun renseignement.

4.2 A sa quarantième session, en novembre 1990, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. S'agissant de la règle de l'épuisement des recours internes, il a conclu qu'il n'existait pas de recours utiles que l'auteur, dans sa situation, aurait dû exercer. Il a noté en outre que l'application de la décision du Tribunal constitutionnel du 15 septembre 1986 avait excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

4.3 Le 6 novembre 1990, le Comité a déclaré la communication recevable. Il a prié l'Etat partie de préciser les accusations portées contre l'auteur et de lui faire parvenir des copies de toutes les ordonnances ou décisions pertinentes rendues par les tribunaux dans cette affaire. Il a prié en outre l'Etat partie de préciser les attributions du Tribunal constitutionnel et d'indiquer si la décision rendue par celui-ci le 15 septembre 1986 avait été exécutée et de quelle façon. A la suite d'un rappel qui lui a été adressé le 29 juillet 1991, l'Etat partie, par une note datée du 1er octobre 1991, a demandé une prolongation jusqu'au 29 janvier 1992 du délai dans lequel il devait fournir des explications conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif. Aucune observation n'est parvenue au Comité.

4.4 Le Comité note avec préoccupation le manque total de coopération de la part de l'Etat partie tant au stade de la recevabilité qu'en ce qui concerne la vérification des allégations de l'auteur. Il ressort implicitement de l'article 91 du règlement intérieur et du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que les Etats parties doivent enquêter en toute bonne foi sur toutes les allégations de violation des dispositions du Pacte formulées à leur encontre et en particulier à l'égard de leurs autorités judiciaires et doivent fournir au Comité des renseignements détaillés sur les mesures prises, le cas échéant, pour remédier à la situation. En l'espèce, toute l'importance voulue doit être accordée aux allégations de l'auteur, dans la mesure où celles-ci ont été suffisamment étayées.

5.1 Pour ce qui est de l'allégation de violation des paragraphes 1 et 4 de l'article 9, le Comité note que les renseignements dont il dispose ne lui permettent pas de conclure que M. González del Río ait été concrètement arrêté ou détenu, bien qu'un mandat d'arrêt ait été effectivement délivré contre lui, ni qu'il ait été, à un moment quelconque, retenu en un lieu précisément circonscrit ou que sa liberté de mouvement ait été restreinte sur le territoire de l'Etat partie. En conséquence, le Comité est d'avis que l'allégation avancée au titre de l'article 9 n'est pas suffisamment étayée.

5.2 Le Comité a noté que l'auteur affirmait ne pas avoir été traité équitablement par les tribunaux péruviens et que l'Etat partie n'avait pas contesté l'allégation de l'auteur selon laquelle certains des magistrats chargés de l'affaire avaient invoqué ses activités politiques (voir par. 2.7 ci-dessus) pour justifier l'absence de décision de la part des tribunaux ou les retards dans la procédure. Le Comité rappelle que le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial est un droit absolu qui ne souffre aucune exception. Il estime que l'attitude des tribunaux dans l'affaire concernant M. González a été et reste incompatible avec le respect de ce droit. Il estime en outre que les retards observés depuis 1985 dans le fonctionnement du système judiciaire en ce qui concerne l'auteur constituent une violation de son droit à un jugement équitable conformément au paragraphe 1 de l'article 14. Le Comité observe à cet égard qu'à l'automne de 1992, aucune décision n'avait encore été rendue en première instance dans cette affaire.

5.3 Le paragraphe 2 de l'article 12 consacre le droit de toute personne de quitter tout pays, y compris le sien. L'auteur affirme que le fait d'être toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt l'empêche de quitter le territoire péruvien. Selon le paragraphe 3 de l'article 12, le droit de quitter tout pays peut être restreint essentiellement pour des motifs de sécurité nationale et d'ordre public. Le Comité considère que le fait qu'une action judiciaire soit pendante peut justifier l'imposition de restrictions au droit d'un individu de quitter son pays. Mais lorsque l'action judiciaire est indûment retardée, une restriction au droit de quitter le pays ne se justifie pas. Au cas présent, la restriction mise à la liberté de M. González de quitter le Pérou est en vigueur depuis sept ans et son échéance demeure incertaine. Le Comité estime que cette situation constitue une violation des droits qui sont ceux de l'auteur en vertu du paragraphe 2 de l'article 12; à cet égard, il observe que la violation des droits reconnus à l'auteur en vertu de l'article 12 peut être liée à la violation du droit qu'il a d'être jugé équitablement en vertu de l'article 14.

5.4 Par ailleurs, le Comité n'estime pas qu'il y a eu violation du droit de l'auteur, en vertu du paragraphe 2 de l'article 14, d'être présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Les observations attribuées aux juges chargés de l'affaire ont pu être à l'origine des retards ou de l'absence de décision au cours de la procédure judiciaire, mais elles ne peuvent pas être interprétées comme signifiant que les juges s'étaient fait une opinion à l'avance sur l'innocence ou la culpabilité de l'auteur.

5.5 Enfin, le Comité estime que ce que l'auteur considère comme une campagne de presse diffamatoire menée contre lui et qui constituerait une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation, ne soulève pas de questions au titre de l'article 17 du Pacte. On ne peut, sur la base des renseignements dont le Comité est saisi, attribuer aux autorités de l'Etat partie les articles publiés en 1986 et 1987 dans divers journaux locaux et nationaux sur la prétendue participation de l'auteur à des pratiques d'achats frauduleux; il en est ainsi même si les journaux cités par l'auteur étaient favorables au gouvernement alors en place. Le Comité note en outre qu'apparemment, l'auteur n'a pas engagé de poursuites contre ceux qu'il considérait comme responsables de diffamation.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui lui ont été présentés font apparaître des violations des articles 12 (par. 2) et 14 (par. 1) du Pacte.

7. Le Comité est d'avis que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, M. González del Río doit disposer d'un recours utile, y compris l'exécution de la décision rendue en sa faveur le 15 septembre 1986 par le tribunal constitutionnel. L'Etat partie est dans l'obligation de prendre des mesures pour veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent plus à l'avenir.

8. Le Comité souhaiterait recevoir, dans les 90 jours, des informations sur toutes mesures pertinentes que l'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.

[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol, français et russe.]



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