Concernant la
Communication No 272/1988
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif. Faits présentés par l'auteur 1. L'auteur de la communication est Alrick Thomas, citoyen jamaïquain actuellement incarcéré au pénitencier général de Kingston. Il prétend être victime d'une violation de ses droits de l'homme par la Jamaïque. 11 est représenté par un conseil. 2.1 L'auteur, ancien agent de police de Manchester, déclare qu'il a été .arrêté le 25 octobre 1984 et accusé, le 29 octobre de la même annee, du meurtre d'un certain Leroy Virtue. Il soutient que c'est par accident que la victime a été tuée par balle, au cours d'une courte rixe devant un bar, après qu'un homme qui était en compagnie de la victime eut résisté à l'auteur qui essayait de l'arrêter. 2.2 L'auteur a bénéficié d'une mise en liberté sous caution, d'abord pendant l'enquête préalable, puis jusqu'au début de son procès, le 27 janvier 1985. A cette date, l'auteur n'avait toujours pas d'avocat, faute de ressources financières. Le tribunal en a été informé et, sur les instructions du juge d'instance, le greffier a invité M. Alonzo Manning à se présenter a l'audience le 29 janvier 1905. L'auteur a rencontré M. Manning pour la première fois au tribunal, le jour même de l'audience. Le tribunal a autorisé M. Manning a s'entretenir avec son client en privé. L'auteur affirme qu'il a exposé son affaire en détail à M. Manning, mais que ce dernier n'a pas pris de notes. Au début de l'audience, le même jour, M. Manning n'aurait pas présenté tous les faits au juge et au jury. En outre, il n'a pas récusé le jury, bien qu'il y ait eu selon lui parmi ses membres des parents par alliance et des proches connaissances du défunt. L'auteur prétend donc que le jury était prévenu contre lui. 2.3 Le ler février 1985, l'auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort. La Cour d'appel de la Jamaïque a rejeté son appel le 14 octobre 1985. Le 6 mai 1991, 1'Etat partie a commué la peine de mort de l'auteur en peine de prison à vie. 2.4 En ce qui concerne l'appel, l'auteur affirme qu'il n'a pas été dûment informé de la date de l'audience. Le 14 octobre 1985, son avocat lui a rendu visite et lui a annoncé qu'il avait été débouté le même jour. Le jour suivant, l'auteur a reçu du greffe de la Cour d'appel une lettre l'informant que son affaire devait être examinée pendant la semaine commençant le 14 octobre 1985. Selon lui, cela signifiait qu'il n'avait pas la possibilité de donner des instructions à son avocat et d'assister en personne à l'audience. Bien que l'auteur ait fait appel au motif qu'il n'avait pas bénéficié d'un procès équitable, son avocat avait retiré ce motif sans le consulter. Plainte
3. Bien que l'auteur n'invoque aucun article du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il ressort de sa communication qu'il prétend être victime d'une violation par la Jamaïque de l'article 14 du Pacte.
Observations de 1'Etat nartie et commentaires de l'auteur 4. Dans sa réplique datée du 20 juillet 1988, 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable parce que les recours internes n'ont pas été épuisés, l'auteur ayant la faculté de demander une autorisation de recours à la Chambre judiciaire du Conseil privé. L'Etat partie ajoute qu'une aide judiciaire serait fournie à cette fin en vertu de l'article 3 du Poor Prisoners' Defence Act (loi relative à la défense des indigents). 5. Dans une lettre datée du 30 janvier 1989, l'avocat de l'auteur explique qu'en fait une demande d'autorisation de faire appel a été adressée, au nom de l'auteur à la Chambre judiciaire du Conseil privé au début de 1987. Cette demande visait à obtenir une décision ayant dire droit tendant à ce que la Cour d'appel de la Jamaïque soit tenue d'émettre un jugement motivé par écrit. Nonobstant son caractère préjudiciel, le Conseil privé a traité la requête comme une demande d'autorisation de faire appel et l'a rejetée le 19 février 1987, bien qu'aucune représentation n'ait été faite au nom de l'auteur sur le fond de l'affaire. L'avocat soutient donc que tous les recours internes ont été épuisés.
6. Dans une nouvelle lettre datée du 14 avril 1989, 1'Etat partie reconnaît que l'auteur a 6th débouté de sa demande d'autorisation spéciale de faire appel au Conseil privé. Il n'en réaffirme pas moins que la communication est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés, l'auteur n'ayant rien fait pour faire valoir ses droits constitutionnels devant la Cour suprême (chambre constitutionnelle) de la Jamaïque conformément à l'article 25 de la Constitution jamaïquaine.
Décision du Comité concernant la recevabilité 7.1 A sa trente-sixième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a noté que 1'Etat partie faisait valoir que la communication était irrecevable parce que l'auteur n'avait pas introduit de motion constitutionnelle. Le Comité a estimé qu'en l'espèce, le recours à la Cour suprême (constitutionnelle) en vertu de l'article 25 de la Constitution n'était pas pour l'auteur un recours disponible au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. 7.2 En conséquence, le 24 juillet 1989, le Comité a déclaré la communication recevable en ce qui concernait l'article 14 du Pacte. Réexamen de la décision concernant la recevabilité a. L'Etat partie, dans ses observations du 10 janvier 1990, maintient que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas épuisé les recours constitutionnels prévus a l'article 25 de la Constitution jamaïquaine. 9. Dans sa réplique aux observations de 1'Etat partie, le conseil de l'auteur de la communication fait valoir que, dans la pratique, l'auteur ne disposait pas du recours constitutionnel en question parce qu'il ne disposait pas des fonds et de l'assistance judiciaire nécessaires pour l'exercer. 10.1 Le Comité note qu'il a déjà examiné les mêmes questions relatives à la recevabilité dans ses constatations concernant les communications Nos 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque)et 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque). Dans ces affaires, le Comité a conclu qu'une motion constitutionnelle n'était pas un recours disponible et efficace au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif et que, par conséquent, rien ne l'empéchait d'examiner la communication quant au fond.
10.2 Dans la présente affaire, étant donné que 1'Etat partie ne fournit pas d'assistance judiciaire pour les motions constitutionnelles, le Comité estime qu'une motion constitutionnelle ne constituerait pas un recours disponible et efficace au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, et il Confirme, par conséquent, sa décision sur la recevabilité. Examen de la communication auant au fond 11.1 En ce qui concerne le fond de l'allégation de l'auteur selon laquelle ses droits de l'homme auraient été violés, le Comité note avec préoccupation que 1'Etat partie s'est borné à affirmer que le Comité n'était pas compétent pour apprécier des questions de fait et de preuves; il n'a pas répondu aux allégations précises de l'auteur selon lesquelles son droit à un procès équitable aurait été violé. Le Comité estime qu'en se contentant de rejeter d'emblée et en bloc les allégations de l'auteur, 1'Etat partie ne s'est pas conformé à la disposition du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif. 11.2 En ce qui concerne la prétendue violation de l'article 14 du Pacte, trois questions se posent au Comité : a) La composition du jury constituait-elle une violation du droit de l'auteur à un procès équitable ? b) L'auteur disposait-il du temps et des facilités nécessaires a la préparation de sa défense ? c) L'auteur a-t-il été privé de la possibilité d'être effectivement représenté durant son appel ? 11.3 Le Comité note que si l'auteur allègue que le jury aurait été prévenu contre lui parce qu'il comptait parmi ses membres des parents par alliance du défunt, son conseil n'a pas émis d'objection. Le Comité constate donc que cette allégation n'est pas étayée. 11.4 En ce qui concerne la deuxième allégation, le Comité rappelle que le droit pour un accusé de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est un élément important de la garantie d'un procès équitable et un corollaire du principe de l'égalité des parties. L'accusé et son conseil doivent disposer du temps et des facilites nécessaires à la préparation de la défense pour le procès: cette règle s'applique à tous les stades de la procédure judiciaire. Pour déterminer ce qu'il faut entendre exactement par "le temps et les facilités nécessaires", il faudrait évaluer les circonstances propres à chaque cas. En l'espèce, il est incontestable que la défense de l'auteur a été préparée le premier jour du procès. Le Comité ne peut pas toutefois vérifier si la Cour a effectivement refusé à l'avocat le temps nécessaire à la préparation de la défense. De même, les documents dont il est saisi n'indiquent pas si l'auteur ou son avocat se sont plaints au juge d'instance de ne pas disposer du temps ou des facilites nécessaires. Le Comité ne constate donc pas de violation du paragraphe 3 b)de l'article 14 du Pacte au cours du procès en première instance. 11.5 S'agissant de la troisième allégation concernant la représentation de l'auteur devant la Cour d'appel, il est incontesté que l'auteur n'a été informé de la date de l'audience qu'après coup. Il n'a donc pas pu s'entretenir avec son représentant au sujet de l'appel. Tenant compte de l'ensemble des aspects de la présente affaire, le Comitéque estime la procédure d'appel n'a pas été conforme aux conditions d'un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. 12 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de L'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits connus de lui font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. 13. Le Comité est d'avis que, dans les cas où la peine capitale peut être prononcée, l'obligation où se trouvent les Etats parties de respecter strictement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte ne saurait souffrir aucune exception. Le Comité estime que M. Alrick Thomas a droit à une réparation idoine. 14. Le Comité souhaiterait recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur toutes mesures pertinentes que 1'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.