Comité des droits de l'homme
Quarante-sixième session
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques
- Quarante-sixième session -
Communication No 292/1988
Présentée par : Delroy Quelch [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 24 février 1988
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 1992,
Ayant achevé l'examen de la communication No 292/1988, présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de Delroy Quelch en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Delroy Quelch, citoyen jamaïquain
qui attend d'être exécuté à la prison du district de Sainte-Catherine
(Jamaïque). Il affirme être victime d'une violation, par la Jamaïque,
des articles 6 (par. 1), 7, 14 (par. 1 et 3 d)), ainsi que de l'article
2 (par. 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur déclare avoir été arrêté le 10 juillet 1984 parce que soupçonné
de complicité dans le meurtre d'un agent de police, V. W., le 3 juillet
1984. L'auteur et ses coaccusés, Errol Reece et Robert Taylor, ont été
jugés par le Tribunal de district de Portland et condamnés à mort le 21
juin 1985. Leur appel a été rejeté par la Cour d'appel de la Jamaïque
le 15 décembre 1986. Les trois accusés ont par la suite demandé l'autorisation
de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé. Par
décision du 27 juillet 1989, le Conseil privé a annulé la décision de
la Cour d'appel de la Jamaïque en ce qui concerne les deux coaccusés tout
en rejetant la demande de recours présentée par l'auteur.
2.2 L'auteur déclare que le 3 juillet 1984, il a été abordé par un homme
qu'il connaissait sous le nom de "Chappel" et par cinq autres
individus. Chappel lui a demandé de les accompagner étant donné qu'il
connaissait mieux qu'eux la zone où ils se rendaient. En chemin, ils se
sont arrêtés pour acheter à boire et l'auteur et Chappel ont reçu l'ordre
d'attendre, tandis que les autres se dirigeaient vers le bureau de poste
de Moore, quelques rues plus loin. A leur retour, une demi-heure plus
tard, ces hommes étaient armés de fusils et ont ordonné à l'auteur de
les emmener jusqu'au district de Millbank, où ils ont agressé le chauffeur
d'une camionnette en stationnement sur le c_té de la route et ont pris
la camionnette pour se rendre jusqu'à une colline voisine; là, ces individus
ont échangé des coups de feu avec trois policiers en civil, dont l'un
a été mortellement blessé. L'auteur déclare que les hommes ont ensuite
menacé de le tuer s'il informait la police. Il soutient aussi que c'est
uniquement un peu plus tard dans la journée qu'il a appris que le bureau
de poste de Moore avait été dévalisé.
2.3 Après son arrestation, l'auteur a été soumis à une séance d'identification
au cours de laquelle il affirme avoir été victime d'une grave erreur,
car il avait été désigné comme le suspect numéro un alors qu'il était
le suspect numéro 9. Au cours du procès, cette erreur aurait été relevée
par le juge. L'auteur ajoute que le principal témoin à charge, un policier
qui avait survécu à la fusillade, a affirmé l'avoir vu à deux reprises
: la première fois devant un portail et la deuxième en train de courir
à proximité du lieu du crime. L'auteur affirme que la description donnée
de lui par le témoin ne correspond pas du tout à la réalité, notamment
en ce qui concerne sa barbe et la longueur de ses cheveux à l'époque.
2.4 L'auteur déclare qu'on lui a assigné d'office un avocat inexpérimenté
qui, en outre, a constamment été gêné dans l'exercice de ses fonctions
par le juge. Il reconnaît que les témoins à charge ont effectivement fait
l'objet d'un contre-interrogatoire, mais affirme que les témoins à décharge
dont il avait demandé la comparution n'ont pas été appelés à la barre
par l'avocat commis d'office à sa défense. En ce qui concerne son appel,
l'auteur soutient que l'avocat n'est même pas venu à l'audience.
2.5 Dans ses observations soumises le 30 novembre 1989, le conseil soutient
que le problème central de l'affaire concerne les témoignages relatifs
à l'identification. Il soutient que l'identification de l'auteur par le
principal témoin à charge reposait entièrement sur un "coup d'oeil
extrêmement rapide" et souligne que le témoin l'a lui-même admis
lors de son contre-interrogatoire. Le conseil soutient également que l'auteur
n'a pas eu droit à une aide judiciaire adéquate et efficace, que ce soit
durant son procès ou lors de son appel; en particulier, son représentant
n'aurait pas appelé à la barre d'autres témoins susceptibles de confirmer
que la confrontation d'identification de l'auteur n'avait pas été conduite
selon les règles et de témoigner de l'aspect physique de l'auteur au moment
du délit, en vue d'éclaircir les anomalies alléguées dans la déposition
du témoin à charge.
La plainte
3. L'auteur affirme qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable, en
violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, que le droit à être
dûment et effectivement représenté lui a été refusé, en violation du paragraphe
3 d) de l'article 14 du Pacte, que la peine de mort à laquelle il a été
condamné est sans proportion avec les faits reprochés et constitue une
peine cruelle et inhumaine, contraire à l'article 7 du Pacte, que l'exécution
de la sentence constituerait pour lui une privation arbitraire de la vie,
contraire à l'article 6 du Pacte. L'auteur affirme en outre que le droit
à un recours interne utile lui a été refusé, en violation des dispositions
du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
Observations de l'Etat partie et réponse de l'auteur à leur sujet
4. Dans des observations présentées le 28 septembre 1989, l'Etat partie
soutient qu'en dépit du rejet du recours par la section judiciaire du
Conseil privé, la communication reste irrecevable pour non-épuisement
des recours internes, étant donné que l'auteur n'a pas épuisé tous les
recours internes disponibles en vertu de la Constitution jamaïquaine.
Dans ce contexte, l'Etat partie fait valoir que les dispositions du Pacte
invoquées par l'auteur (art. 6, 7 et 14) couvrent, quant aux droits protégés,
le même domaine que les articles 14, 17 et 20 de la Constitution jamaïquaine,
qui garantissent à chacun, respectivement, le droit à la vie, à la protection
contre la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants et
à une procédure judiciaire régulière. En vertu de la Constitution, quiconque
allègue que l'un de ces droits fondamentaux a été, est ou risque d'être
violé à son endroit peut, sans préjudice d'aucune autre action susceptible
d'être légalement intentée à propos de la même affaire, adresser une demande
de réparation à la Cour suprême.
5. Dans ses observations au sujet de la réponse de l'Etat partie, le
conseil conteste l'affirmation selon laquelle l'auteur peut encore se
prévaloir de recours constitutionnels et soutient que l'auteur ne peut
les utiliser, faute de ressources financières et de l'aide judiciaire
nécessaire à cette fin, en dépit des garanties de l'article 25 1) de la
Constitution jamaïquaine.
Considérations et décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa trente-huitième session, en mars 1990, le Comité a examiné la
recevabilité de la communication. Il a fait observer que le recours devant
la Cour constitutionnelle prévu par l'article 25 de la Constitution jamaïquaine
ne constituait pas un recours ouvert à l'auteur, au sens des dispositions
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle le magistrat
qui a jugé l'auteur a mal instruit le jury sur la question des éléments
de preuve relatifs à l'identification, le Comité a considéré que si l'article
14 du Pacte garantit le droit de toute personne à ce que sa cause soit
entendue équitablement, c'est en principe aux cours d'appel des Etats
parties au Pacte et non au Comité qu'il appartient d'apprécier les faits
et les preuves dans une affaire particulière et d'examiner les instructions
expresses données au jury. En conséquence, conformément à l'article 3
du Protocole facultatif, cette partie de la communication devait être
déclarée irrecevable.
6.3 Le Comité a en outre considéré que la plainte du conseil de l'auteur
selon laquelle ce dernier avait subi des traitements inhumains et dégradants
en violation de l'article 7 du Pacte n'était pas fondée et donc pas recevable.
6.4 Le Comité des droits de l'homme a déclaré en conséquence que la communication
était recevable dans la mesure où elle mettait en jeu le paragraphe 3
d) de l'article 14 du Pacte, eu égard à l'affirmation de l'auteur selon
laquelle aucun avocat n'était présent lors de la procédure d'appel.
Examen concernant la recevabilité
7. L'Etat partie, dans ses observations présentées le 6 février 1991,
affirme que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas
adressé de requête à la Cour constitutionnelle.
8.1 Le Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie selon lequel
l'auteur dispose encore de recours constitutionnels. Il rappelle que la
Cour suprême de la Jamaïque a, dans des affaires récentes, autorisé l'introduction
de recours constitutionnels portant sur la violation de droits fondamentaux
après le rejet des appels interjetés dans ces affaires.
8.2 Toutefois, le Comité rappelle également que dans une communication
du 10 octobre 1991 concernant une autre affairea, l'Etat partie
a indiqué qu'il n'accorde pas d'assistance judiciaire pour les recours
constitutionnels et qu'il n'y est pas obligé en vertu du Pacte, car ces
recours ne portent pas sur l'établissement de la culpabilité, comme l'exige
le paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte. Selon le Comité, cette indication
confirme la conclusion à laquelle il est parvenu dans sa décision concernant
la recevabilité, à savoir qu'un recours devant la Cour constitutionnelle
ne constitue pas un recours disponible pour une personne qui n'a pas les
moyens de l'exercer. A cet égard, le Comité constate que l'auteur ne dit
pas qu'il est dispensé de former des recours constitutionnels en raison
de son indigence; c'est parce que l'Etat ne peut pas ou ne veut pas lui
fournir une assistance judiciaire à cette fin que l'auteur est dispensé
d'épuiser ces recours aux fins du Protocole facultatif.
8.3 Le Comité note également que l'auteur a été arrêté en 1984, jugé
et condamné en 1985, et que ses appels ont été rejetés en décembre 1986
par la Cour d'appel de la Jamaïque et en juillet 1989 par la Section judiciaire
du Conseil privé. Le Comité estime qu'aux fins du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif, l'épuisement des recours constitutionnels entraînerait,
en l'espèce, une prolongation déraisonnable de la procédure de recours
internes. Il ne voit, par conséquent, aucune raison de réviser sa décision
du 15 mars 1990 sur la recevabilité.
Examen du bien-fondé de la demande
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière des informations qui lui ont été soumises par les parties,
conformément au paragraphe premier de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 Le Comité relève avec inquiétude que, dans ses observations, l'Etat
partie s'est limité à la question de la recevabilité. Le paragraphe 2
de l'article 4 du Protocole facultatif fait obligation aux Etats parties
d'examiner de bonne foi toutes les accusations formulées à leur encontre
et de communiquer au Comité tous les renseignements à leur disposition.
Le Comité note que l'Etat partie, en ne se conformant pas aux obligations
du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, a compliqué outre
mesure l'examen de la communication considérée.
9.3 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle celui-ci
n'a pas été représenté à la procédure d'appel, le Comité note qu'il ressort
du texte de l'arrêt de la Cour d'appel que le conseil de l'auteur était
présent pendant l'audience d'appel et qu'il a fait valoir que les éléments
de preuve réunis contre l'auteur, fondés uniquement sur son identification
par un témoin oculaire et sur sa propre déposition à la police, étaient
insuffisants. En conséquence, le Comité ne constate pas à cet égard de
violations des dispositions du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, constate qu'en l'espèce, les
faits ne font apparaître aucune violation de l'article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
français et russe.]
Note
a Communication No 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque),
constatations adoptées le 1er novembre 1991.