University of Minnesota



Aapo Järvinen c. Finland
e, Communication No. 295/1988, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/295/1988 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No 295/1988


Présentée par : Aapo Järvinen (représenté par un avocat)

Au nom de: L'auteur

Etat partie intéressé : Finlande

Date de la communication : 16 mars 1988 (date de la lettre initiale)

Date de la decision concernant la recevabilité : 23 mars 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 1990,

Ayant achevé l'examen de la communication No 295/1988 présentée au Comité par M. Aapo Järvinen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte ce qui suit :


Constatations au titre du paragraphe 4 de 1'article 5 du Protocole facultatif


l . L'auteur de la communication qui est datée du 16 mars 1988 est Aapo Järvinen, ressortissant finlandais né en février 1965, qui prétend être victime d'une violation par le Gouvernement finlandais de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par son avocat.

Exposé des faits

2.1 En Finlande, jusqu'à la fin de 1986, les demandes d'exemption de service militaire ressortissaient à la loi sur le service militaire non armé et le service civil de substitution, suivant laquelle les recrues dont les convictions religieuses ou éthiques ne leur permettaient pas d'effectuer le service militaire obligatoire dans les forces armées conformément a la loi sur la conscription, pouvaient être exemptées du service armé en temps de paix et affectées à un service non anné ou à un service civil. La durée du service militaire était de huit mois. Le service non armé, d'une durée de 11 mois, devait être effectué dans les forces de défense où les recrues devaient s'acquitter de tâches n'impliquant pas l'emploi des
armes. Le service civil, d'une durée de 12 mois, devait être effectué dans l'administration publique, dans les services municipaux ou dans les hôpitaux.

2.2 D'après cette loi en vigueur jusqu'à la fin de 1986, une commission spéciale d'enquête était chargée d'examiner les demandes écrites ainsi que la sincérité des convictions des intéressés. A la fin de 1986, cette procédure a été rapportée par la loi portant provisoirement amendement à la loi sur le service militaire non armé et le service civil de substitution (loi No 647/85), et il suffit maintenant de le demander pour être affecté à un service civil. L'amendement en question a été adopté à l'époque pour les raisons suivantes :

"Attendu que l'on ne se penchera plus sur les convictions des recrues qui demandent à effectuer un service civil, il faudra s'assurer de l'existence de leurs convictions d'une autre façon, pour que la nouvelle procédure n'encourage pas les recrues à être exemptées du service armé uniquement pour des raisons de commodité et d'intérêt personnels. C'est pourquoi on a jugé que, pour tester les convictions de l'intéressé, il faudrait prolonger suffisamment la durée du service."

2.3 Le 9 juin 1986, l'auteur à qui il avait été demandé de se présenter pour effectuer son service militaire a soumis aux autorités compétentes une déclaration écrite dans laquelle il indiquait que ses convictions morales ne lui permettaient pas d'accomplir un service armé ou non armé dans les forces de défense finlandaises. L'état-major du district militaire de Tampere a transmis la déclaration de l'auteur à la Commission d'enquête le 8 décembre 1986. Celle-ci ne s'est pas prononcée sur son cas avant que son mandat ne vienne à expiration le 31 décembre 1986 et le dossier a été renvoyé à l'état-major du district; le commandant du district militaire a alors été saisi de la question pour examen, conformément à la loi No 647/85.

2.4 En janvier 1987, l'auteur a déposé une nouvelle demande d'exemption du service militaire, qui a été agréée en février 1987. En vertu des nouvelles dispositions mentionnées plus haut, la durée du service civil est déterminée conformément aux dispositions en vigueur au moment de la décision. d'affectation. En conséquence, la durée du service de M. Järvinen était de 16 mois car il n'avait pas reçu la décision l'affectant à un service civil de substitution avant l'entrée en vigueur de l'amendement. En réponse à une plainte en discrimination déposée par l'auteur, le médiateur parlementaire de Finlande a, le 17 février 1988, conclu que rien ne prouvait que les autorités aient voulu prolonger la procédure en l'espèce; si l'affaire avait été examinée au cours de l'année 1986, les convictions éthiques de M. Järvinen auraient dû être soumises à examen et auraient pu éventuellement ne pas être retenues.

2.5 Certaines catégories de personnes sont exemptées du service militaire ou du service de substitution en Finlande : par exemple, la loi dispensant les Témoins de Jéhovah du service militaire est en vigueur depuis le début de 1987. En vertu de cette loi, une recrue qui adhère à la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah peut obtenir un sursis jusqu'à l'âge de 28 ans, puis être exemptée du service militaire en temps de paix. Dans la pratique, cela signifie que les Témoins de Jéhovah ne sont astreints à aucune forme de service militaire ou de service de substitution.

Allégations de l'auteur

3.1 L'auteur estime qu'il a été victime d'une discrimination car les personnes qui ont opté pour le service de substitution sont tenues de servir 16 mois, alors que la durée du service militaire est de huit mois seulement. S'il concède que l'ancienne période de 12 mois pour un service de substitution n'était pas nécessairement discriminatoire au sens de l'article 26 du Pacte, il soutient qu'une prolongation de 12 à 16 mois n'est pas justifiée et équivaut à un acte discriminatoire. Deux fois plus longue que la durée du service des recrues militaires, une période de 16 mois est disproportionnée. De l'avis de l'auteur, le Gouvernement finlandais n'a pas produit d'argument valable pour établir que la prolongation à 16 mois de la durée du service de substitution est une mesure raisonnable et non discriminatoire, proportionnée à la fin recherchée; de plus la détermination de la nouvelle durée du service de substitution n'était pas fondée sur une recherche empirique, mais a été choisie de façon arbitraire. Pour l'auteur, les raisons données à l'amendement apporté à la loi dénotent de la part du Gouvernement l'intention de pénaliser en quelque sorte le service de substitution en le prolongeant.

3.2 L'auteur a fait ressortir que l'ancienne durée du service civil de substitution -12 mois -reposait en fait sur un argument de proportionnalité. Il se réfère dans ce contexte à la proposition de loi gouvernementale No 136 sur le service non armé et le service civil, qui a été soumise au Parlement en 1967. Dans la proposition initiale, le service civil aurait duré six mois de plus que le service militaire, soit au total 14 mois. La Commission parlementaire des affaires de défense a réduit la durée du service civil à 12 mois, considérant que la durée proposée pour le service de substitution était exagérément longue et qu'il ne convenait pas d'imposer aux recrues ayant opté pour le service non armé ou le service civil des obligations beaucoup plus lourdes que celles qui étaient imposées aux autres. En conséquence, la Commission a proposé de fixer la durée du service non armé à 11 mois et celle du service civil de remplacement à 12 mois.

3.3 L'auteur ajoute que , si l'on devait comparer la situation des objecteurs de conscience en Finlande à celle des objecteurs de conscience dans d'autres pays d'Europe occidentale, il apparaîtrait qu'une durée du service civil double de celle du service militaire armé est disproportionnée par rapport au but recherché : dans tous ces pays sauf un, le service civil dure habituellement aussi longtemps que le service militaire ou un peu plus longtemps (jusqu'à la moitié plus). Cela est vrai non seulement de l'Europe occidentale mais également de la Pologne et de la Hongrie, qui ont récemment adopté une législation régissant le service civil.

3.4 Quant à l'argument de 1'Etat partie selon lequel la simple abolition de la procédure d'examen en ce qui concerne les objecteurs de conscience pourrait encourager les recrues à demander l'exemption du service armé pour des raisons de commodité ou d'intérêt personnels, l'auteur soutient que les critères d'une différence de traitement en ce qui concerne la durée du service ne sont ni raisonnables ni objectifs, car la prolongation du service civil s'applique à tous les groupes d'objecteurs de conscience, à l'exception d'un groupe particulier, les Témoins de Jéhovah, qui sont exempts de toute forme de service. Dans l'état actuel des choses, les personnes qui objectent au service militaire pour des raisons religieuses ou morales sérieuses sont pénalisées par une prolongation excessive de leur service, tandis que celles qui recherchent la commodité ou l'intérêt personnels optent pour la durée de service armé la plus courte, soit huit mois. De l'avis de l'auteur, les critères sur lesquels repose cette différence de traitement ne sauraient être considérés comme raisonnables et objectifs, car toute la charge repose sur les objecteurs ayant des convictions dont la sincérité n'a jamais été contestée et pour qui le problème ne se pose pas en termes de choix, mais bien de conception de l'existence.

Observations de l' Etat partie

4.1 Se référant à la décision prise par le Comité à propos de la communication No 185/1984, 1'Etat partie soutient que, dans la mesure où les Etats parties n'ont pas l'obligation de prévoir un service de substitution, ils peuvent, lorsqu'ils offrent effectivement cette possibilité, déterminer les conditions dans lesquelles ce service doit être accompli selon des critères dont ils sont seuls à juger, pourvu que ces conditions ne constituent pas en elles-mêmes une violation du Pacte.

4.2 Invoquant les attendus de la loi No 647/85, 1'Etat partie affirme que la durée du service civil, bien qu'elle soit plus longue que celle du service militaire, ne témoigne pas d'une intention discriminatoire ou d'une discrimination effective, au sens de l'article 26 du Pacte, à l'égard de ceux qui accomplissent un service civil. En ce qui concerne les circonstances propres à l'espèce et l'examen de la demande de l'auteur en juin 1986, 1'Etat partie estime que, sur la base des faits et compte tenu de l'opinion émise le 17 février 1988 par le médiateur parlementaire, la durée du service civil de l'auteur a été déterminée en accord avec la loi finlandaise et avec l'article 26 du Pacte.

4.3 En ce qui concerne l'exemption générale de toute forme de service pour les Témoins de Jéhovah, 1'Etat partie fait remarquer que la loi sur l'exemption de service militaire des Témoins de Jéhovah a été adoptée conformément à l'article 67 de la loi sur le Parlement qui stipule la procédure à respecter pour l'adoption de dispositions constitutionnelles, et affirme qu'elle ne peut être considérée comme discriminatoire au sens de l'article 26 du Pacte.

Questions et procédure devant le Comité

5.1 Sur la base des renseignements qui lui avaient été communiqués, le Comité a conclu que toutes les conditions nécessaires pour déclarer la communication recevable avaient été remplies et qu'en particulier il avait été admis entre les parties que les recours internes disponibles avaient été épuisés, conformément au paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif.

5.2 Le 23 mars 1989, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication recevable.

6.1 Il ressort clairement de l'article 8 du Pacte qu'un "service de caractère militaire" ou "service national exigé des objecteurs de conscience en vertu de la loi" ne doit pas être considéré comme un travail forcé ou obligatoire. Le Comité note que les nouvelles dispositions en vertu desquelles les demandeurs sont maintenant affectés au service civil uniquement sur la base de leurs propres déclarations offrent effectivement un choix quant au service à accomplir et s'écartent du système précédent qui prévoyait un service civil de substitution à l'intention des objecteurs de conscience dont les convictions étaient établies. En conséquence, toute affaire de prétendue discrimination relève de l'article 26 et non du paragraphe 1 de l'article 2 lu conjointement avec l'article 8.

6.2 Pour le Comité, il s'agit donc essentiellement de savoir si les conditions spécifiques qui mettent l'auteur dans l'obligation d'effectuer un service de substitution constituent une violation de l'article 26 du Pacte. Le fait que le Pacte lui-même ne prévoie pas le droit à l'objection de conscience ne modifie pas cette situation. L'interdiction de la discrimination énoncée à l'article 26 ne couvre pas uniquement les droits expressément garantis par le Pacte.

6.3 L'article 26 du Pacte, tout en interdisant la discrimination et en garantissant à toutes les personnes le droit à une égale protection de la loi, n'interdit pas les différences de traitement. Toute différence de traitement, ainsi que le Comité a eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, doit toutefois reposer sur des critères raisonnables et objectifs.

6.4 Pour déterminer si la prolongation de 12 à 16 mois par la loi 647/85 de la durée du service de substitution, qui a été appliquée à M. Järvinen, reposait sur des critères raisonnables et objectifs, le Comité a examiné en particulier les attendus de la loi (voir par. 2.2 ci-dessus) et constaté que les nouvelles dispositions visaient à faciliter l'administration d'un service de substitution. Cette législation se fondait sur des considérations pratiques et n'avait pas de but discriminatoire.

6.5 Le Comité était cependant conscient que l'effet de la différenciation introduite par la loi est au détriment des objecteurs de conscience sincères, dont la philosophie exige l'acceptation d'un service civil. Cependant, les nouvelles dispositions n'étaient pas conçues pour la seule commodité de 1'Etat. Elle libéraient les objecteurs de conscience de l'obligation souvent difficile de convaincre la commission spéciale d'enquête de la sincérité de leurs convictions; elles permettaient à un éventail plus large d'individus de bénéficier potentiellement de la possibilité d'un service de substitution.

6.6. Dans le cas d'espèce, la durée prolongée du service de substitution n'était ni déraisonnable ni répressive.

6.7 Bien que l'auteur ait fait certaines références à la dispense des Témoins de Jéhovah du service militaire ou du service de substitution, leur situation n'était pas en cause dans la présente communication.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux drois civils et politiques, a été d'avis que la durée du service de substitution imposée à M. Järvinen par la loi No 647/85 ne révélait pas une violation de l'article 26 du Pacte.



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