University of Minnesota



Hugo van
Alphen c. Pays-Bas, Communication No. 305/1988, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/305/1988 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No. 305/1988

Présentée par : Hugo van Alphen

Au nom de : L'auteur

Etar partie intéressé : Pays-Bas

Date de la communication : 12 avril 1988 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité : 29 mars 1989

Le Comité des droits .de .l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 1990,

Avant achevé l'examen de la conununication No 30511988, présentée au Comité par Hugo van Alphen en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu comte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie
intéressé,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole Facultatif

1. L'auteur de la communication en daté du 12 avril 1988 est Hugo van Alphen, avocat néerlandais né en 1924 et domicilié à La Haye (Pays-Bas). L'auteur prétend être victime de la violation, par les Pays-Ras, des droits garantir par les articles 9 (par. 1 à 5), 14 (par. 3)et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les faits tels qu'ils sont présentés

2.1 L'auteur a été arrêté à son domicile le 5 décembre 1963. Il était soupçonné de s'être rendu complice, à divers degrés, du délit de faux et usage de faux, ou d'avoir facilité la perpétratioa d'un tel délit et aidé à la présentation délibérée de fausses déclarations de revenu pour les années 1980 et 1981. I1 a été conduit au poste de police. Le même jour, des agents du service des enquêtes et contrôles fiscaux ont perquisitionné à son domicile, en application de l'article 97 du Code de procédure pénale, et saisi des documents lui appartenant. L'auteur s'est. plaint de cette saisie au juge d'instruction.

2.2 Après son arrivée au poste de police, l'auteur a été conduit à 20 h 10 devant le substitut du Procureur, qui a décidé de le placer en détention provisoire. L'auteur a été informé des motifs de cette décision. Le 7 décembre 1983, le Procureur a rendu une ordonnance de maintien'tn détention provisoire. La
veille, le 6 décembre 1983, le Procureur avait fait une demande d'instruction préliminaire, laquelle a été suivie d'une nouvelle demande le 16 décembre 1983. A la demande .du Procureur, le juge d'instruction du tribunal de district d'Amsterdam, compétent en matière pénale, après avoir entendu l'auteur, a rendu le 8 décembre une ordonnance de maintien de l'auteur en détention provisoire-pendant une période maximale de six jours, qui a ensuite été prolongée.

2.3 Le 15 décembre 1983, après avoir entendu une nouvelle fois l'auteur, le tribunal de district d'Amsterdam a ordonné son maintien en détention provisoire pendant Une durée maximale de 30 jours. Le 4 janvier 1984, l'avocat de l'auteur a demandé au tribunal de remettre son client en liberté. Après avoir entendu l'auteur, le tribun+a prolongé la détention à deux reprises, d'abord le 12 janvier puis de nouveau le 31 janvier 1984. Par une nouvelle décision, en date du 31 janvier 1984, le tribunal a mis
fin à la détention provisoire de l'auteur à compter du 9 février 1984, à sa demande; à cette date, l'auteur a été libéré.

2.4 Selon la législation néerlandaise, l'arrestation et la mise en détention provisoire de suspects pendant l'instruction sont régies par les artic1es 52 à 62 du Code de procédure pénale. Tout suspect appréhendé est immédiekement conduit devant le Procureur. Si l'individu appréhendé est soupçonné d'avoir commis Une infraction grave, le Procureur ou son substitut peut, après l'avoir interrogé, rendre une ordonnance de .mise en détention provisoire pour les nécessités de l'enquête. La durée de la détention provisoire ainsi ordonnée ne peut normalement dépasser deux jours; s'il le juge nécessaire, le Procureur peut prolonger la détention provisoire pour une nouvelle période de deux jours. En vertu de l'article 40 du Code de procédure pénale, le suspect doit bénéficier d'une assistance juridique pendant la période de sa détention. Si le Procureur estime que les circonstances exigent une prolongation de la détention, il peut faire comparaître le suspect devant un juge d'instruction, lequel décide s'il y a lieu de maintenir le suspect en détention, conformément à l'article 64 du Code de procédure pénale. La durée du maintien en détention provisoire ordonné par un juge d'instruction ne peut dépasser six jours: le même magistrat peut prolonger la détention une seule fois, pour une période de six jours au plus.

2.5 A la demande du Procureur, le tribunal peut décider qu'un suspect dont la détention provisoire a été prolongée par le juge d'instruction restera en détention pour les nécessités de l'enquête. Avant de prendre une telle décision, le tribunal doit entendre le suspect. La durée de la prolongation de la détention provisoire ne peut dépasser 30 jours; cette période peut être prolongée à deux reprises, sur la demande du Procureur. Le tribunal peut annuler l'ordonnance de sa propre initiative, à la demande du suspect, sur la recommandation du juge d'instruction ou à la demande du Procureur (art. 69 du Code de procédure pénale).

2.6 Aux Pays-aas, dans le cadre d'une procédure pénale, le juge d'instruction peut également prendre un certain nombre de mesures restreignant la liberté du suspect pendant l'instruction. Le fondement juridique de telles mesures se trouve d'une part à l'alinéa premier de l'article 225 de la loi portant établissement du Code de procédure pénale, et d'autre part a l'article 132 du règlement pénitentiaire qui habilite le juge d'instruction à limiter le droit, pour le suspect, de recevoir de la correspondance et des visites. Lorsqu'il examine la demande de mise en détention provisoire pour six jours, le juge d'instruction fait généralement savoir au suspect si des restrictions lui seront imposées, et en quoi elles consisteront. Aux termes de l'alinéa 3 de l'article 225 de la loi susmentionnée, le suspect peut faire appel de ces mesures auprès du tribunal de district.
.

2.7 Lorsque l'auteur a été entendu pour la première fois par le juge d'instruction, le 8 décembre 1983, à la suite de la demande de prolongation pour une durée de six jours de la détention provisoire présentée par le Procureur, le juge d'instruction à fait connaître à l'auteur que des restrictions lui seraient imposées pour les nécessités de l'enquête. A partir de cette date et jusqu'au 6 janvier 1984, l'auteur n'a pu prendre contact ni avec sa famille ni avec ses collaborateurs, et seul son avocat a été autorisé à lui rendre visite. L'auteur n'a pas formé de recours contre les restrictions imposées par le juge d'instruction: par une ordonnance en date du 6 janvier 1984, prenant immédiatement effet, ces restrictions ont été levées.

2.8 L'auteur s'étant plaint de la perquisition effectuée à son domicile et de la saisie de documents, le juge d'instruction a organisé le 16 décembre 1983 Une réunion à laquelle assistaient, outre l'auteur, son avocat, deux inspecteurs des services des enquêtes fiscales et le bâtonnier de La Haye. L'objet de cette réunion était d'examiner les raisons pour lesquelles des documents avaient été saisis le 5 décembre. Le 3 janvier 1984, le juge d'instruction, accompagné du substitut du Procureur, du greffier adjoint du tribunal, muni d'un mandat, a perquisitionné sur requête du Procureur au domicile et au cabinet de l'auteur. Le bâtonnier de La Haye assistait également à cette perquisition.


2.9 La durée de la détention de l'auteur - plus de neuf semaines - tenait au fait que l'auteur avait persisté à invoquer son obligation de
secret professionnel après même que la partie directement intéressée l'en avait délié. De 1984 à 1986, la complexe affaire de fraude fiscale, dont l'auteur était suspecté d'être complice à un degré ou a un autre, a donné lieu à une information judiciaire de grande envergure. A la demande du Procureur, il a été mis fin à cette enquête en décembre 1986. Le Procureur avait en effet estimé qu'il était impossible de clore l'instruction préliminaire et de mettre en route une procédure pénale dans un delai raisonnable, comme l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et le paragraphe 3, alinéa c), de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en font obligation aux Etats. Le 23 janvier 1987, l'auteur a été informé que le ministère public renonçait à toute poursuite à son endroit et que 1'affaire trouverait un règlement fiscal.

2.10 Le 2 avril 1987, l'auteur a saisi le tribunal de district d'Amsterdam de deux demandes en dommages et intérêts. L'article 89 du Code de procédure pénale dispose en effet que lorsqu'un individu a été soupçonné d'avoir commis une infraction pénale et que l'affaire est classée sans avoir été jugée, l'intéressé peut présenter au tribunal une demande en dommages et intérêts. Il s'agit essentiellement de permettre une indemnisation dans les cas où une détention provisoire se révèle par la suite injustifiée. La possibilité de réclamer des dommages et intérêts n'est pas limitée aux seuls cas où la détention provisoire était illégale
mais s'étend aussi aux cas où elle est considerée comme légale. La réparation pour une détention provisoire ne peut être accordée que dans les cas où l'affaire a été classée sans avoir été jugée, et où de l'avis du tribunal il y a lieu d'accorder des réparations. La première demande en dommages et htérêts présentée par l'auteur était fondée sur 1'article 89 du Code de procédure pénale; la seconde, fondée sur l'alinéa a)de l'article 591 du Code de procédure pénale. était une demande en réparation pour les dépenses engagées par l'auteur pour assurer sa défense entre 1983 et 1986.

2.11 Le Tribunal de district d'Amsterdam avait prévu de connaître de la requête de l'auteur le. 23 avril 1987 mais, en raison du grand nombre d'affaires inscrites au rôle, la date de l'audience a été reportée au 26 août 1987. Par un jugement écrit en date du 9 septembre 1988, le tribunal de district a accordé des dommages et intérêts à l'intéressé, à savoir la totalité de la somme demandée au titre des dépenses qu'il avait supportées pour assurer sa défense et une partit, estimée juste et raisonnable, de la somme demandée au titre des dommages matériels et du préjudice moral qui lui avaient été causés.

2.12 Le 6 octobre 1988, l'auteur a formé un recours contre cette décision auprès de la Cour d'appel d'Amsterdam. Le 24 février 1989, la Cour d'appel a infirmé le jugement du tribunal de district. Il n'existe pas de recours contre la décision de la Cour d'appel.

2.13 Dans son arrêt, la Cour d'appel a
conclu, à la lumière des déclarations faites par l'auteur et par d'autres témoins entendus lors de l'instruction de l'affaire de fraude fiscale, des rapports officiels du service des enquêtes et contrôles fiscaux ainsi que des motifs sur lesquels la demande d'instruction préliminaire était fondée, qu'il existait des raisons sérieuses de soupçonner l'auteur d'avoir commis une infraction pénale. La Cour d'appel a estimé que l'auteur était en partie responsable de la durée de sa détention, puisqu'il avait persisté à invoquer le secret professionnel même après que la partie directement intéressée l'avait déchargé de cette obligation et que, dans ces conditions, il n'était pas déraisonnable de considérer que c'était à l'auteur, en tant qu'ancien suspect, de supporter les pertes subies en raison des poursuites engagées contre lui et de sa détention provisoire. Compte tenu de tous ces éléments, la Cour d'appel a jugé qu'il n'y avait pas de raison sérieuse d'accorder réparation à l'auteur.

Les affirmations de 1 'auteur

3.1 L'auteur affirme que son arrestation et sa détention étaient arbitraires et, par conséquent, violaient les paragraphes 1 à 4 de l'article 9 du Pacte. A son avis, son arrestation et la détention de neuf semaines qui l'a suivie ont été délibérément utilisées comme moyen de pression contre lui pour l'obliger à violer le secret professionnel auquel il était tenu et à faire des déclarations ou à donner des preuves susceptibles d'être utilisées dans les enquêtes concernant ses clients. L'auteur soutient également que l'arrestation et la détention restent arbitraires et illégales même si ceux qui ont procédé à, l'arrtstation et appliqué les décisions relatives à sa détention ont agi conformément aux règlements en vigueur et aux instructions reçues. Il fait valoir qu'une détention motivée essentiellement par le fait qu'un avocat a tenu à respecter ses obligations professionnelles est en elle-même une violation des dispositions du Pacte, le refus d'accéder aux demandes d'enquêteurs n'étant pas une infraction pénale pour laquelle la loi autorise la détention. L'auteur affirme en outre qu'il a été délibérément laissé dans l'ignorance de la nature exacte des chefs d'accusation qui avaient motivé la perquisition effectuée à son domicile et à son cabinet. Enfin, il prétend être victime d'une violation de son droit à réparation pour détention illégale, garanti par le paragraphe 5 de l'article 9. Il affirme que les autorités néerlandaises répugnent généralement à tenir compte des demandes de dommages et intérêts émanant de victimes d'actes illégaux dans des cas semblables au sien et que lorsque de telles affaires parviennent jusqu'aux tribunaux, ceux-ci les traitent à la légère.

3.2 En ce qui concerne son droit à un procès équitable, l'auteur soutient que la Cour d'appel n'a pas respecté les garanties minimales énoncées au paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. Il fait valoir que la durée de la procédure devant le tribunal de district d'Amsterdam, qui a repoussé par deux fois la date des audiences qui devaient être consacrées à ses demandes d'indemnité et n'a rendu un jugement par écrit que le 9 septembre 1988, c'est-à-dire un an après l'audience du 26 août 1987, était incompatible avec son droit, garanti a l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 14, à être jugé sans retard excessif. Il affirme également que la Cour d'appel ne lui a pas donné l'occasion de connaître la teneur des diverses dépositions faites par des tiers qui l'incriminaient, et qu'il s'est vu refuser la possibilité, d'une part, d'interroger les témoins a charge entendus pendant l'instruction plus de cinq ans auparavant et, d'autre part, de faire citer des témoins à décharge.

3.3 L'auteur se plaint du fait que dans les affaires de fraude fiscale, les autorités néerlandaises chargées de l'enquête ont fréquemment recours a des mesures de coercition telles que l'arrestation, la détention, les perquisitions aux domiciles ou aux bureaux, enfin la publicité préjudiciable dont de telles affaires font l'objet, pour obliger les suspects soit à avouer, soit a faire des déclarations qui puissent être utilisées contre d'autres contribuables. A cet égard, l'auteur affirme que ces mesures de coercition ont gravement compromis sa réputation professionnelle et sa position sociale et soutient qu'elles constituaient une immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée, sa famille et sa correspondance et une atteinte illégale à son honneur et a sa réputation.

Commentaires et observations de 1'Etat partie

4.1 L'Etat partie affirme que l'auteur n'a invoqué en justice les droits fondamentaux énoncés dans le Pacte ni à l'occasion de ses demandes d'indemnisation régies par les articles 89 et 591 a) du Code de procédure pénale, ni au cours de sa détention, et qu'il ne peut donc être considéré comme ayant rempli la condition relative à l'épuisement des recours internes. L'Etat partie se réfère à cet égard à la décision adoptée par le Comité des droits de l'homme dans la communication No 273/1988, dans laquelle il a été estimé,
notamment, que "les auteurs doivent invoquer les droits fondamentaux énoncés dans le Pacte" durant la procédure interne. L'Etat partie ajoute que l'auteur aurait pu demander au tribunal compétent de rendre une ordonnance interlocutoire pour violation des dispositions du paragraphe 1 de l'article 9 ou de l'une quelconque des autres dispositions de l'article 9. Bien que lui-même avocat et représenté par un avocat de son choix pendant toute la période de sa détention provisoire, l'auteur n'a nullement utilisé cette possibilité. L'Etat partie fait observer que conformément aux principes universels du droit international, les individus
sont tenus d'invoquer devant les tribunaux nationaux les droits fondamentaux énoncés dans le Pacte avant de s'adresser à une instance internationale. L'auteur n'ayant pas respecté cette condition, 1'Etat partie conclut que sa communication est irrecevable en
application de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.

4.2 En ce qui concerne la prétendue violation du paragraphe 5 de l'article 9, 1'Etat partie estime
que la communication doit être déclarée irrecevable en raison de son incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément aux dispositions de l'article 3 du Protocole facultatif. Il affirme que le paragraphe 5 de l'article 9 n'est pas applicable en l'espèce parce qu'il existait des raisons sérieuses de soupçonner l'auteur d'avoir commis des infractions pénales, et que de ce fait sa détention provisoire n'était pas
illégale.

4.3 En ce
qui concerne le droit, garanti par l'alinéa c)du paragraphe 3 de l'article 14, à être jugé sans retard excessif, 1'Etat partie considère que cette disposition s'applique seulement lorsqu'il s'agit d'établir l'existence d'une infraction pénale et ne s'applique donc pas aux demandes en dommages et intérêts comme celles qui ont été présentées par l'auteur. En conséquence, 1'Etat partie considère que la communication, dans la mesure où elle se rapporte à la violation de l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 14, est incompatible avec les dispositions du Pacte. En outre, dans le recours qu'il a formé auprès de la cour d'appel d'Amsterdam, l'auteur ne s'est pas plaint de la durée excessive de l'examen de sa plainte par le tribunal de district. Là encore, il n'a donc pas épuisé les recours internes.

4.4 Quant au fond de l'affaire, 1'Etat partie estime qu'étant donné les fortes présomptions que l'on avait de croire que l'auteur avait participé à la perpétration d'une infraction pénale grave , et que les autorités judiciaires néerlandaises ont respecté les dispositions du Code de procédure pénale qui régissent l'arrestation et la mise en détation provisoire de suspects pendant une instruction pénale, on ne peut dire que l'auteur ait été arbitrairement arrêté ou détenu, ni que les dispositions du paragraphe 1 de l'article 9 aient été violées. Quant à la durée de la détention de l'auteur, l'État partie relève qu'elle est due au "fait que le requérant persistait à invoquer le secret professionnel alors que la partie intéressée l'avait délié de cette obligation"; par ailleurs, "l'importance de l'enquête exigeait la présence continue du requérant". De plus, il affirme que l'auteur a été informé des motifs de son arrestation et de sa détention conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte. Après son arrestation, l'auteur avait la possibilité de demander au tribunal compétent de rendre une décision interlocutoire pour violation des dispositions de l'article 9 du Pacte. Au cours de sa détention, l'auteur a été entendu à plusieurs reprises par le juge d'instruction et par le tribunal de district d'Amsterdam au sujet de la demande de prolongation de la détention préventive présentée par le Procureur. Ainsi, de l'avis de 1'Etat partie, l'allégation de violation des paragraphes 3 et 4 de l'article 9 n'est pas fondée.

4.5 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 17, 1'Etat partie fait observer que les perquisitions effectuées au domicile de l'auteur le 5 décembre 1983 et le 3 janvier 1984 l'ont été conformément aux règlements en vigueur et que l'on ne peut donc invoquer une immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée ou le domicile de l'auteur. L'Etat partie conclut que l'auteur n'a apporté , à l'appui de sa plainte, aucune preuve que les dispositions des articles
9 et 17 du Pacte aient été violées.

Procédures devant le Comité et questions dont il est saisi

5.1 Après avoir examiné la communication à sa trente-cinquième session, le Comité a conclu, en se fondant sur les informations disponibles, que les conditions exigées pour que la communication soit déclarée recevable étaient remplies, notamment la condition relative à l'épuisement des recours internes prévue par l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif. Le 29 mars 1989, le Comité a déclaré la communication recevable.

5.2 Dans sa décision concernant la recevabilité, le Comité a indiqué que, conformément au paragraphe 4 de l'article 93 de son règlement intérieur, la décision pourrait être revue à la lumière des informations pertinentes présentées par 1'Etat partie. Dans ses observations ultérieures du 26 octobre 1989 (voir les paragraphes 4.1 à 4.3 ci-dessus), 1'Etat partie a contesté la recevabilité de la communication sur la base des allégations de l'auteur concernant les violations des articles 9 et 14 du Pacte.

5.3 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements fournis par les parties. Il a pris note de l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle, pour ce qui est des prétendues violations des articles 9 et 14, l'auteur n'a pas épuisé les recours internes puisqu'il n'a pas invoqué devant les tribunaux les droits fondamentaux garantis par le Pacte.

5.4 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'alinéa c)du paragraphe 3 de l'article 14, l'auteur n'a pas contredit l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle, dans son appel interjeté auprès de la cour d'appel d'Amsterdam, l'auteur ne s'est pas plaint de la longueur de la procédure qui s'était déroulée devant le tribunal de district. En outre, il convient de noter que l'auteur a fait appel le 6 octobre 1988, près de six mois après avoir présenté sa communication au Comité pour examen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte (en raison du temps mis par le tribunal de district à rendre son jugement par écrit). Or, le Comité ne peut
examiner les plaintes qui n'avaient pas encore été portées devant les juridictions compétentes, ou à propos desquelles les recours internes n'avaient pas encore été épuisés au moment où il a été saisi de l'affaire. Par conséquent, la communication est irrecevable pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle il n'a pas été statué sans retard excessif sur sa demande en réparation.

5.5 En ce qui concerne les prétendues violations des articles 9 et 17, le Comité note tout d'abord que le jugement de la cour d'appel d'Amsterdam en date du 24 février 1989 n'est pas susceptible d'appel. L'Etat partie a affirmé que l'auteur n'a invoqué ni pendant sa détention ni pendant la procédure judiciaire les droits fondamentaux qui sont énoncés dans le Pacte, et que par conséquent, il ne lui est plus loisible de se plaindre d'une violation de l'article 9 devant le Comité. Le Comité réaffirme que les auteurs de communications ne sont pas tenus, aux fins du Protocole facultatif, d'invoquer devant les autorités judiciaires nationales des articles spécifiques du Pacte : ils doivent en revanche invoquer les droits fondamentaux qui y sont énoncés. Dès lors que le procureur avait décidé de
classer l'affaire et de laisser à l'administration fiscale le soin
de la régler -décision motivée par la crainte de voir la procédure pénale contrevenir aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte - l'auteur ne pouvait que saisir le tribunal d'une demande en dommages et intérêts. Il a déposé une telle demande en faisant valoir que sa détention de décembre 1983 à février 1984 était arbitraire. On ne peut donc pas dire que dans le cours de la procédure, l'auteur n'ait pas invoqué "les droits fondamentaux garantis par le Pacte". Le Comité conclut, en conséquence, qu'il n'a pas de raison de revoir sa décision du 29 mars 1989 en ce qui concerne la violation alléguée des articles 9 et 17.

5.6 La principale question dont le Comité soit saisi est celle de savoir si la détention de l'auteur de la communication, du 5 décembre 1983 au 9 février 1984, était arbitraire. Il est incontestable qu'à chaque fois que les autorités judiciaires néerlandaises ont déterminé s'il y avait lieu ou non de prolonger la détention de l'auteur , elles ont respecté les règles régissant la détention provisoire qui sont énoncées dans le Code de procédure pénale. Il reste à déterminer si d'autres facteurs peuvent rendre arbitraire une détention par ailleurs légale, et si l'auteur a un droit absolu de se prévaloir de l'obligation de secret professionnel , quelle que soit la nature
de 1 'enquête.

5.7 En l'espèce, le Comité a examiné les raisons invoquées par 1'Etat partie pour prolonger la détention de l'auteur pendant une période de neuf semaines. Le Comité fait observer que le secret professionnel qui protège la relation entre l'avocat et son client est l'un des principes fondamentaux de la plupart des systèmes juridiques. Mais il s'agit d'un privilège qui vise à protéger le client. En l'occurrence, le client avait renoncé à ce privilège. Le Comité ignore pour quelles raisons le client a décidé de délier l'auteur de
l'obligation de secret professionnel. Toutefois, de6 1OrS que l'auteur était suspect, et bien qu'il ait été dégagé du secret professionnel, il n'était pas obligé d'aider 1'Etat à réunir des preuves contre lui-même.

5.8 L'historique de la rédaction du paragraphe 1 de l'article 9 confirme qu'il ne faut pas donner au mot "arbitraire" le sens de "contraire à la loi", mais plutôt l'interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste et non prévisible. Partant, le maintien en détention provisoire après une arrestation légale doit non seulement être légal mais aussi être raisonnable à tous égards. La détention provisoire doit également être nécessaire à tous égards, par exemple pour éviter que l'intéressé prenne
la fuite, mette des obstacles à l'établissement des preuves ou commette un nouveau crime. Or, 1'Etat partie n'a pas démontré que ces facteurs existaient en 1 'espèce. Il a déclaré que la longueur de la période de détention effectuée par l'auteur s'expliquait par le fait que le requérant "persistait à invoquer le secret professionnel alors que la partie intéressée l'en avait déchargé" et que "l'importance de l'enquête exigeait la présence continue de l'auteur". Bien que l'auteur ait été dégagé de son obligation de respecter le secret professionnel, il n'était pas obligé de coopérer. Le Comité conclut donc que les faits présentés font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.

5.9 Pour ce qui est de la violation de l'article 17, dont l'auteur fait état, le Comité conclut que l'auteur n'a pas fourni de preuves suffisantes établissant une telle violation de la part de 1'Etat partie.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques , estime que les faits dénoncés dans la communication révèlent une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.

7. L'Etat partie est tenu de prendre des mesures effectives pour réparer la violation dont l'auteur a été victime et de faire en sorte que de semblables violations ne se reproduisent pas à l'avenir. Le Comité saisit cette occasion pour faire savoir à 1'Etat partie qu'il serait heureux de recevoir des informations sur toutes mesures pertinentes prises par 1'Etat partie en rapport avec les vues du Comité.



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