University of Minnesota



Carlos Orihuela Valenzuela et sa famille c. Pérou, Communication No. 309/1988, U.N. Doc. CCPR/C/48/D/309/1988 (1993).



de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quarante-huitième session -

Communication No 309/1988

Présentée par : Carlos Orihuela Valenzuela

Au nom de : L'auteur et sa famille

Etat partie : Pérou

Date de la communication : 29 juin 1988

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 1993,

Ayant achevé l'examen de la communication No 309/1988, qui lui a été présentée par M. Carlos Orihuela Valenzuela en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant pris note de tous les renseignements qui lui ont été communiqués par écrit par l'auteur de la communication et notant avec préoccupation qu'aucune information concernant le fond de l'affaire n'a été reçue de l'Etat partie,

Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

1. L'auteur de la communication (communication initiale datée du 29 juin 1988) est Carlos Orihuela Valenzuela, citoyen péruvien résidant à Lima (Pérou). Il affirme être victime d'une violation de ses droits par le Gouvernement péruvien, mais n'invoque aucun article particulier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les faits présentés

2.1 L'auteur, membre du barreau péruvien (Colegio de Abogados), qui a occupé un poste dans la fonction publique pendant 26 ans, a été nommé avocat de la Chambre des députés en 1982 et a siégé à la Commission péruvienne des droits de l'homme pendant cinq ans. A la suite du changement de gouvernement survenu au Pérou en 1985, il a été démis de ses fonctions à la Chambre des députés, sans que la procédure administrative ait été respectée. L'auteur déclare qu'il a six enfants d'âge scolaire et qu'il ne reçoit pas la pension de fonctionnaire à laquelle il prétend avoir droit.

2.2 En ce qui concerne la condition selon laquelle les recours internes doivent être épuisés, l'auteur déclare qu'il a saisi en vain toutes les instances administratives et judiciaires. Il estime que son action n'a pas abouti pour des raisons politiques et qu'elle a été indûment prolongée. Le 7 novembre 1985, il a demandé le réexamen de la décision par laquelle il avait été destitué (recurso de reconsideración), mais il n'aurait pas été donné suite à sa requête, selon lui sur l'ordre exprès d'un député important. Le 10 avril 1986, il a renouvelé sa requête en déposant une plante (queja) à laquelle les autorités n'ont pas davantage donné suite. Le 8 mai 1986, il a formé un recours devant le Président de la Chambre des députés, là encore sans effet. Le 11 juin 1986, il a présenté à la Chambre des députés une requête fondée sur la loi 25414 et le décret-loi No 276, sans obtenir davantage de résultat. Le 23 juin 1986, il a fait appel (recurso de apelación) devant le Président de la Chambre des députés, appel qui est, lui aussi, resté sans effet.

2.3 Le 2 juillet 1986, l'auteur a fait appel devant le Tribunal de la fonction publique (Tribunal del Servicio Civil en Apelación), mais trois mois plus tard la Chambre des députés a adressé à ce tribunal un mémorandum lui ordonnant de respecter sa décision de destituer l'auteur de la communication, en invoquant l'article 177 de la Constitution du Pérou. Cette dernière instance administrative aurait exécuté l'ordre de la Chambre des députés et clos la procédure.

2.4 Le 5 septembre 1986, l'auteur a déposé une demande de réintégration dans la fonction publique auprès du Tribunal de première instance de Lima, qui l'a débouté le 23 juillet 1987. Le 21 mars 1988, la deuxième chambre civile de la Cour supérieure de Lima (Segunda Sala Civil de la Corte Superior de Lima), devant laquelle il avait fait appel, a demandé au Tribunal de la fonction publique de lui transmettre le dossier de l'auteur. Le Tribunal n'a pas accédé à la demande de la Cour supérieure qui, par décision du 29 décembre 1988, a rejeté l'appel de l'auteur.

2.5 L'action que l'auteur a engagée devant la Cour suprême (Segunda Sala de la Corte Suprema) contre la Chambre des députés concernant ses droits à une indemnité de licenciement (pensión de cesantía) est pendante depuis le 1er février 1989. En octobre 1989, l'organe compétent de la Chambre des députés a décidé d'octroyer à l'auteur une indemnité de licenciement correspondant à ses 26 années de service dans la fonction publique. Le Président de la Chambre n'a toutefois jamais signé la décision et aucune pension n'a été versée à cette date.

2.6 L'auteur affirme en outre que des membres de sa famille ont été victimes de mauvais traitements et de tracasseries et, en particulier, qu'en 1989 son fils Carlos, âgé de 22 ans, a été arbitrairement détenu par la police et roué de coups et qu'on lui a fait prendre une douche tout habillé au poste de police de Lince, à la suite de quoi il est tombé malade et a dû être hospitalisé dans le service de pneumologie d'une clinique; il affirme également que son autre fils, Lorenzo, a été lui aussi arrêté et détenu arbitrairement à deux reprises; de plus, dans le cadre de la politique générale de tracasseries dont est l'objet la famille Orihuela, le fils de l'auteur, Carlos, s'est vu interdire l'accès aux examens d'entrée à l'université. L'auteur s'est plaint auprès des juridictions compétentes (Fiscalía Penal de Turno), sans obtenir réparation.

La plainte et les mesures demandées

3. L'auteur affirme que lui-même et sa famille ont été victimes de diffamation et de discrimination en raison de leur opposition politique au gouvernement du président de l'époque, Alan García, membre du Parti de l'Alliance populaire révolutionnaire américaine, et que toute les démarches qu'il a entreprises pour obtenir réparation se sont soldées par un déni de justice dû à des motifs politiques. Il affirme en particulier que ses fils ont été arrêtés arbitrairement et victimes de mauvais traitements, qu'il a été injustement destitué de son poste dans la fonction publique, que sa cause n'a pas été entendue équitablement par les tribunaux, qu'il a été systématiquement empêché de réintégrer la fonction publique, qu'il n'a reçu aucune indemnité de licenciement lors de sa destitution après 26 ans de service et qu'il a été injustement porté atteinte à son honneur et à sa réputation. Il demande notamment sa réintégration et une indemnité pour destitution injuste de ses fonctions.

Questions concernant la recevabilité

4.1 Le 21 novembre 1988, l'Etat partie a été prié de soumettre des informations concernant la question de la recevabilité de la communication et d'indiquer exactement quels étaient les recours internes effectivement disponibles. Il a également été prié de fournir au Comité copie du texte de toutes les injonctions et décisions administratives et judiciaires se rapportant à l'affaire, et que l'auteur n'avait pas déjà communiquées, et d'informer le Comité de l'état des poursuites devant la Cour supérieure de Lima (Segunda Sala de la Corte Superior de Lima). L'Etat partie n'a fait parvenir aucune observation sur la question de la recevabilité, bien qu'un rappel lui ait été adressé le 14 août 1989.

4.2 A sa quarante et unième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Pour ce qui est du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité n'a pu conclure, d'après les renseignements dont il disposait, qu'il existait encore des recours utiles que l'auteur devrait ou pourrait utiliser. En outre, les procédures de recours existantes avaient excédé les délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

4.3 S'agissant des allégations de l'auteur concernant le refus arbitraire auquel il s'était heurté lorsqu'il avait demandé réparation pour avoir été destitué de ses fonctions d'avocat de la Chambre des députés, ainsi que de ses déclarations selon lesquelles il avait été victime de procédures judiciaires inéquitables et de partialité, le Comité a estimé qu'elles n'étaient pas suffisamment étayées pour être recevables.

4.4 Le Comité a conclu que les autres allégations de l'auteur, notamment celles qui avaient trait au refus arbitraire de lui verser une indemnité de licenciement et aux tracasseries dont sa famille, en particulier ses deux fils, avait été victime, étaient suffisamment étayées pour être recevables et qu'elles devaient être examinées quant au fond.

5. Le 22 mars 1991, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication irrecevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles 10, 17 et 26 du Pacte. Il a de nouveau prié l'Etat partie de lui adresser copie de toutes les injonctions ou décisions se rapportant à l'affaire et de préciser les rapports existant entre, d'une part, la Chambre des députés et, d'autre part, le Tribunal de la fonction publique et les autres tribunaux.

Examen du bien-fondé de la demande

6.1 En dépit des rappels adressés à l'Etat partie les 9 janvier et 26 août 1992, le Comité n'a reçu que des observations concernant les recours internes mais aucune observation quant au fond de l'affaire. Le Comité note avec préoccupation l'absence de toute coopération de la part de l'Etat partie en ce qui concerne l'examen des allégations de l'auteur quant au fond. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif qu'un Etat partie au Pacte doit enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses autorités et qu'il doit fournir au Comité des informations détaillées sur toutes mesures qu'il aurait pu prendre pour remédier à la situation. Etant donné les circonstances, les allégations de l'auteur doivent être dûment prises en considération, dans la mesure où elles ont été étayées.

6.2 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte en ce qui concerne les enfants de l'auteur, le Comité note que les renseignements dont il dispose indiquent que les deux fils adultes de l'auteur ont été maltraités pendant leur détention et, notamment, qu'ils ont été roués de coups. Les fils adultes de l'auteur n'étant toutefois pas coauteurs de la présente communication, le Comité n'a pas de conclusions à présenter au sujet d'une violation de leurs droits.

6.3 Le Comité note que ces allégations de mauvais traitements contre des membres de la famille de l'auteur n'ont pas été contestées par l'Etat partie. Toutefois, les faits allégués par l'auteur ne lui permettent pas de conclure à une violation de l'article 17 du Pacte.

6.4 Le Comité a noté l'affirmation de l'auteur selon laquelle il n'a pas été traité avec équité par les tribunaux péruviens en ce qui concernait ses droits à pension. L'Etat partie n'a pas contesté l'allégation de l'auteur, à savoir que l'inaction des tribunaux, les retards intervenus dans la procédure et le fait qu'il n'a toujours pas été donné suite à la décision d'octobre 1989 concernant le versement de son indemnité de licenciement était dus à des raisons politiques. Le Comité conclut, sur la base des informations dont il dispose, que le refus de verser une indemnité de licenciement à un fonctionnaire qui a de longues années de service et qui a été renvoyé par le Gouvernement, constitue, vu les circonstances de l'affaire, une violation de l'article 26 du Pacte et que M. Orihuela Valenzuela n'a pas eu droit "sans discrimination à une égale protection de la loi". Le Comité conclut donc qu'il y a eu violation de l'article 26 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l'article 26 du Pacte.

8. Il est d'avis que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, M. Carlos Orihuela Valenzuela doit disposer d'un recours utile, et qu'il a notamment droit à un examen équitable et non discriminatoire de ses réclamations, à une indemnisation appropriée et au versement de l'indemnité de licenciement à laquelle il aurait droit en vertu de la loi péruvienne. L'Etat partie est dans l'obligation de prendre des mesures pour veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent plus à l'avenir.

9. Le Comité souhaiterait recevoir, dans les 90 jours, des informations sur toutes mesures pertinentes que l'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.

[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol, français et russe.]



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