D. D. [nom supprimé]
c. Jamaïque
, Communication No. 313/1988, U.N. Doc. CCPR/C/41/D/313/1988 (1991).
Comité des droits de l'homme
Quarante et unième session
DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES -QUARANTE ET UNIEME SESSION
concernant la
Communication No 313/1988
Présentée par : D. D. [nom supprimé]
Au nom de : L'auteur
Etat partie intéressé : Jamaïque
Date de la communication : Non datée (reçue le ler juin 1988)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 11 avril 1991,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication (lettre initiale reçue le ler juin 1988 et correspondance ultérieure)est D. D., citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. L'auteur affirme être victime de la part du Gouvernement jamaïquain d'une violation de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappels des faits tels qu'ils ont été présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare avoir été arrêté le 5 février 1983 à proximité de son domicile, à Port Antonio, et inculpé de meurtre en même temps que deux autres personnes. A l'issue du procès qui s'est déroulé devant la Home Circuit Court de Kingston, l'un des coaccusés a été acquitté et l'autre a été frappé d'une peine moins lourde que celle infligée à l'auteur, qui a été reconnu coupable et condamné à mort. L'auteur affirme qu'il est innocent et qu'il ignore tout des faits relatifs au meurtre pour lequel il a été condamné. Aucune information n'est donnée sur les dates du procès ou du jugement, ni sur les circonstances dans lesquelles le procès a eu lieu. L'auteur a formé un
recours devant la cour d'appel de la Jamaïque, qui l'a rejeté le 8 juin 1987. Après avoir soumis son cas au Comité des droits de l'homme, l'auteur s'est assuré les services pro bono d'un cabinet d'avocats londonien afin de déposer une demande d'autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé.
2.2 L'auteur déclare que, après son arrestation, l'un des agents de police qui l'ont arrêté, qui connaissait l'auteur depuis l'époque oÙ il vivait a Kingston, l'a amené au poste de police pour un contrôle d'identité. Rien qu'ayant persisté à nier toute participation au crime lorsqu'il a été interrogé par les agents qui l'ont arrêté, l'auteur a été inculpé de meurtre et conduit a la Gun Court le 10 février 1983 pour une audience préliminaire.
2.3 Au cours des audiences préliminaires, l'auteur a été assisté d'un avocat: deux témoins ont été cités par le ministère public. Le premier a affirmé qu'il ne connaissait pas l'auteur, tandis que le second a d'abord prétendu qu'il le connaissait depuis un an puis, étant interrogé par l'avocat de la défense, a admis qu'il le connaissait depuis beaucoup plus longtemps. Contrairement au second, le premier témoin n'a pas comparu devant la Home Circuit Court.
2.4 Par télécopie datée du 19 mars 1991, l'avocate de l'auteur confirme qu'elle est en train de déposer une demande d'autorisation de former un recours auprès de la Section judiciaire du Conseil privé, que les démarches nécessaires à cet effet sont en cours et qu'elle a obtenu des tribunaux jamaïquains la plupart des pièces concernant l'affaire.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se plaint d'avoir été battu à plusieurs reprises pendant qu'il était interrogé par les agents qui l'avaient arrêté; il aurait été soumis par deux fois a des décharges électriques au moyen d'un câble mis sous tension. En outre, il n'a pas fait l'objet d'une séance de confrontation pour identification, comme c'est l'habitude lorsqu'une personne est soupçonnée d'avoir commis un crime entraînant la peine capitale. Il déclare que, bien qu'un avocat ait été commis d'office pour s'occuper de son cas, les services de ce dernier se sont révélés totalement inadéquats. Le procès aurait été entaché d'autres irrégularités, du fait que le principal témoin de l'accusation, qui avait témoigné au cours de l'enquête préliminaire, n'a pas été interrogé par la défense, et que rien n'a été fait pour trouver des témoins susceptibles de déposer en faveur de l'auteur, ce qui constituerait une violation du paragraphe 3 e)de l'article 14 du Pacte.
3.2 En ce qui concerne le recours formé par l'auteur, celui-ci affirme qu'il n'a pas eu la possibilité de s'entretenir avec l'avocat commis d'office pour le représenter devant la cour d'appel. Il semble que plusieurs requêtes de l'auteur pour obtenir un tel entretien soient restées sans réponse.
Observations de 1'Etat partie
4. L'Etat partie soutient que la communication n'est pas recevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés, l'auteur n'ayant pas adressé à la Section judiciaire du Conseil privé une demande d'autorisation spéciale de recours.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou non recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 En ce qui concerne la règle de l'épuisement des recours internes, le Comité a noté que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable, l'auteur n'ayant pas adressé à la Section judiciaire du Conseil privé une demande d'autorisation spéciale de recours. Il constate que l'auteur s'est assuré, à cette fin, après avoir soumis son cas au Comité des droits de l'homme, les services pro bono d'un cabinet d'avocats londonien et que ses représentants tâchent d'obtenir du Conseil privé une autorisation spéciale de recours en son nom. Bien que préoccupé par le fait que, jusqu'à présent, les pièces relatives aux décisions judiciaires rendues dans cette affaire ne sont apparemment pas disponibles, et que l'auteur éprouve des difficultés a obtenir une aide judiciaire pour se faire représenter devant le Conseil privé, le Comité ne considère pas qu'une autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé serait nécessairement impossible a obtenir et donc que l'auteur ne serait pas tenu d'épuiser ce recours avant d'adresser une communication au Comité. Il estime donc que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'ont pas été remplies.
5.3 En ce qui concerne les allégations de violation des articles 7 et 10 du Pacte, à savoir les tortures et coups dont il aurait été victime durant sa détention, le Comité note que rien n'indique que l'auteur s'en soit plaint aux autorités compétentes, ni que les recours internes devant les tribunaux jamaïquains concernant ce grief aient été épuisés. Par conséquent, le Comité en conclut que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'ont pas été remplies.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif:
b) Que 1'Etat partie sera prié de mettre tous les textes des décisions judiciaires pertinentes a la disposition de l'auteur et de son représentant devant le Conseil privé sans autre retard, si cela n'a pas encore été fait, afin de permettre un recours utile devant la Section judiciaire du Conseil privé:
c) Qu'étant donné qu'il peut, conformément au paragraphe 2 de l'article 92 de son règlement intérieur, reconsidérer cette décision s'il est saisi par l'auteur ou en son nom d'une demande écrite contenant des renseignements d'où il ressortirait que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister, 1'Etat partie sera prié, conformément à l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à l'exécution de la peine capitale prononcée contre l'auteur tant que ce dernier n'aura pas eu raisonnablement le temps, après avoir épuisé les recours internes utiles qui lui sont ouverts, de demander au Comité de reconsidérer la présente décision;
d) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie, à l'auteur de la communication et à son conseil.