Comité des droits de l'homme
Quarante-huitième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-huitième session -
Communication No 314/1988
Présentée par : Peter Chiiko Bwalya
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Zambie
Date de la communication : 30 mars 1988 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 14 juillet 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 314/1988, présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Peter Chiiko Bwalya en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Peter Chiiko Bwalya, citoyen zambien
né en 1961 et actuellement Président d'un parti politique zambien, la
People's Redemption Organization (Organisation pour la délivrance du peuple).
Il affirme être victime d'une violation, par la Zambie, des droits énoncés
dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les faits présentés
2.1 En 1983, à l'âge de 22 ans, l'auteur a été candidat aux élections
parlementaires, dans la circonscription de Chifubu (Zambie). Il affirme
que les autorités l'ont empêché de bien préparer sa candidature et de
participer à la campagne électorale. Sa popularité auprès des couches
les plus pauvres de la population en est apparemment sortie grandie car
il s'est engagé à lutter contre la politique menée par le Gouvernement,
à l'égard en particulier des sans-abri et des ch_meurs. Il affirme qu'en
représailles des opinions qu'il propageait et de son militantisme, il
a reçu des menaces, subi des pressions des autorités et perdu son emploi,
en janvier 1986. Par la suite, le Conseil municipal de Ndola l'a expulsé
de sa maison avec sa famille et le versement de la pension de son père
a été suspendu sine die.
2.2 En butte à ces mesures vexatoires et durement éprouvés, l'auteur
et sa famille ont émigré en Namibie, où d'autres citoyens zambiens s'étaient
installés. Toutefois, à son retour en Zambie, il a été arrêté et emprisonné.
Les indications qu'il a fournies à ce sujet ne sont pas claires et la
date de son retour en Zambie n'a pas été précisée.
2.3 L'auteur indique qu'en septembre 1988, cela faisait 31 mois qu'il
était en prison en raison de son appartenance à la People's Redemption
Organization — jugée illégale en vertu de la Constitution zambienne
ayant institué un parti unique — et parce qu'il avait conspiré en
vue de renverser le gouvernement du Président Kenneth Kaunda. Il a ensuite
été remis en liberté à une date non précisée; là encore, les circonstances
de sa libération ne sont pas connues. M. Bwalya est ultérieurement rentré
en Zambie, à une date non précisée.
2.4 Le 25 mars 1990, au motif qu'il aurait été victime de discrimination
et se serait vu refuser un emploi et un passeport, l'auteur a demandé
au Comité d'intervenir directement. Par lettre du 5 juillet 1990, sa femme
a fait savoir que le 1er juillet 1990, il avait été de nouveau arrêté
et emmené au poste central de police de Ndola, où il aurait été gardé
pendant deux jours avant d'être transféré à la prison de Kansenshi; elle
précisait qu'elle n'avait pas été informée des raisons de l'arrestation
et de la détention de son mari.
2.5 Pour ce qui est de la question de l'épuisement des recours internes,
l'auteur déclare qu'après sa première arrestation il a intenté une action
contre les autorités, que le tribunal de district saisi de l'affaire a
confirmé le 17 août 1987 que l'auteur ne représentait aucun danger pour
la sécurité publique; malgré tout, l'intéressé est resté en prison. Il
a ensuite porté son affaire devant la Cour suprême, sans obtenir plus
de succès.
La plainte
3.1 Si dans ses premières lettres, l'auteur a évoqué de nombreuses dispositions
du Pacte sans prouver ses allégations, dans ses lettres ultérieures il
affirme que seuls les articles premier, 2, 3, 9, 10, 12, 25 et 26 du Pacte
ont été violés.
3.2 L'auteur affirme qu'il n'a jamais participé à une conspiration tendant
à renverser le gouvernement du Président Kaunda et que, par conséquent,
il a été arbitrairement arrêté et illégalement placé en détention et il
a droit, à ce titre, à une juste réparation de l'Etat partie. Il soutient
qu'après sa libération à l'issue de sa première incarcération, les autorités
ont continué de lui imposer des mesures vexatoires et de faire pression
sur lui, ce qu'il prétend avoir dénoncé.
3.3 L'auteur affirme que c'est parce qu'il milite pour un parti politique
et qu'il a déjà été emprisonné pour délit d'opinion qu'il a été placé
sous haute surveillance par les autorités et qu'il ne peut toujours pas
circuler librement. Il affirme qu'on lui a refusé un passeport ainsi que
tout moyen de gagner correctement sa vie.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une requête soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 A sa quarante et unième session, le Comité s'est penché sur la question
de la recevabilité de la communication. Il a noté avec préoccupation que
l'Etat partie ne s'était pas montré prêt à coopérer et que malgré les
quatre lettres de rappel qui lui avaient été adressées, il n'avait pas
donné son point de vue sur la question de la recevabilité de la communication.
Il a également noté que l'assertion de l'auteur selon laquelle la Cour
suprême avait rejeté son recours n'avait pas été contestée. Le Comité
a conclu, en l'espèce, que les conditions énoncées à l'alinéa b) du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif avaient été remplies.
4.3 S'agissant des allégations de l'auteur selon lesquelles il y avait
violation des articles 7 et 10 du Pacte du fait qu'il n'avait pas été
traité correctement, le Comité a estimé que l'auteur n'en avait pas prouvé
le bien-fondé aux fins de la recevabilité. Il a, en conséquence, jugé
cette partie de la communication irrecevable en vertu de l'article 2 du
Protocole facultatif.
4.4 Quant aux assertions de l'auteur selon lesquelles a) il avait été
arbitrairement arrêté et illégalement placé en détention; b) il s'était
vu dénier le droit de circuler librement et refusé arbitrairement le droit
à un passeport; c) il s'était vu refuser le droit de prendre part à la
direction des affaires publiques; et d) il avait été victime de discrimination
en raison de ses opinions politiques, le Comité a jugé qu'elles étaient
fondées aux fins de la recevabilité et a, en outre, estimé que les faits
pouvaient relever des articles 9 (par. 2) et 19 bien que ceux-ci n'aient
pas été invoqués.
4.5 Le 21 mars 1991, le Comité a déclaré la communication recevable dans
la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles
9, 12, 19, 25 et 26 du Pacte.
5.1 Dans une lettre datée du 28 janvier 1992, l'Etat partie a indiqué
que M. Peter Chiiko Bwalya avait été remis en liberté et était à présent
une personne libre. Il n'a rien dit des allégations de l'auteur ou de
leur bien-fondé, et n'a fourni de copie ni de l'acte d'accusation ni d'aucune
décision judiciaire concernant l'auteur, en dépit des rappels qui lui
ont été adressés le 9 janvier et le 21 mai 1992.
5.2 Dans une lettre du 3 mars 1992, l'auteur confirme qu'il a été libéré,
mais demande au Comité de poursuivre l'examen de son cas. Il ajoute que
le changement de gouvernement n'a pas modifié l'attitude des autorités
à son égard.
6.1 Le Comité a examiné la communication sur la base de toutes les informations
qui lui ont été fournies par les parties. Il constate avec préoccupation
qu'à l'exception d'une brève note l'informant de la libération de l'auteur,
l'Etat partie n'a dans cette affaire pas coopéré. Il rappelle qu'aux termes
du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, l'Etat partie
est implicitement supposé examiner de bonne foi toutes les allégations
portées contre lui et transmettre au Comité tous renseignements en sa
possession, y compris le texte de toutes les décisions judiciaires qui
ont été prises, ce que l'Etat partie n'a pas fait. Dans ces circonstances,
il convient d'accorder tout leur poids aux allégations de l'auteur, pour
autant qu'elles soient prouvées.
6.2 S'agissant des droits reconnus à l'article 19, le Comité estime que
l'accueil réservé par les autorités aux tentatives faites par l'auteur
pour exprimer librement ses opinions et pour faire connaître les idées
du parti politique auquel il appartenait, accueil qui n'a pas été contesté,
constitue une violation des droits énoncés à l'article 19.
6.3 Le Comité a noté que quand la communication a été soumise à son examen,
M. Bwalya était détenu depuis 31 mois, ce que l'Etat partie n'a pas contesté.
Il note que l'auteur était gardé en détention au seul motif de son appartenance
à un parti politique considéré comme illégal en vertu du régime du parti
unique appliqué par le pays à l'époque et que, d'après les renseignements
fournis, M. Bwalya n'a pas été traduit dans le plus court délai devant
un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, pour que la légalité de sa détention soit vérifiée. De l'avis
du Comité, cet élément constitue une violation du droit consacré au paragraphe
3 de l'article 9 du Pacte.
6.4 En ce qui concerne le droit à la sécurité de la personne, le Comité
note que M. Bwalya a, une fois libéré, été constamment en butte à des
mesures vexatoires et à des pressions. Or, aux termes du paragraphe 1
(première phrase) de l'article 9 du Pacte, tout individu a droit à la
liberté et à la sécurité de sa personne. Le Comité a déjà eu l'occasion
d'expliquer que la possibilité d'invoquer ce droit n'était pas limitée
aux cas d'arrestation et de détention et que toute interprétation de l'article
susmentionné qui autoriserait un Etat partie à ne faire aucun cas des
menaces pesant sur la sécurité des personnes non détenues relevant de
sa juridiction rendrait inopérantes les garanties conférées par le Pactea.
En l'occurrence, le Comité conclut que l'Etat partie a porté atteinte
au droit de M. Bwalya à la sécurité de sa personne au sens du paragraphe
1 de l'article 9.
6.5 L'auteur affirme — et l'Etat partie ne le dément pas —
qu'il n'est toujours pas libre de ses mouvements et que les autorités
refusent de lui délivrer un passeport ce qui, de l'avis du Comité, constitue
une violation du paragraphe 1 de l'article 12 du Pacte.
6.6 Quant à l'allégation de violation de l'article 25 du Pacte, le Comité
constate que l'auteur, dirigeant d'un parti politique hostile à l'ancien
Président, a été empêché de faire campagne lors des élections générales
et de solliciter un mandat au nom de ce parti, ce qui constitue une restriction
abusive de son droit "de prendre part à la direction des affaires
publiques", restriction que l'Etat partie n'a ni expliquée ni justifiée.
Il n'a pas précisé, notamment, quelles étaient les conditions à remplir
pour participer aux élections. Force est donc d'admettre que M. Bwalya
a été arrêté et s'est vu dénier le droit de solliciter un mandat parlementaire
dans la circonscription de Chifubu, pour la seule raison qu'il n'appartenait
pas au parti officiel; à cet égard, le Comité relève que les limitations
apportées à l'activité politique des personnes qui ne sont pas membres
du seul parti politique reconnu constituent une restriction abusive du
droit de participer à la direction des affaires publiques.
6.7 Enfin, au vu des informations qui lui ont été communiquées, le Comité
conclut qu'en raison de ses opinions politiques, l'auteur a été victime
de discrimination en matière d'emploi, ce qui constitue une violation
de l'article 26 du Pacte.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l'article
9, de l'article 12, du paragraphe 1 de l'article 19, de l'alinéa a) de
l'article 25 et de l'article 26 du Pacte.
8. Aux termes de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie est tenu de mettre
un recours utile à la disposition de M. Bwalya. Le Comité invite instamment
l'Etat partie à indemniser l'auteur comme il convient. L'Etat partie doit
veiller à ce que des violations semblables ne se reproduisent pas à l'avenir.
9. Le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des observations
de l'Etat partie se rapportant à ses constatations.
[Texte établi en anglais (version originale), et traduit en espagnol,
français et russe.]
Note
a Constatations relatives à la communication No 195/1985
(Delgado Páez c. Colombie), adoptées le 12 juillet 1992
(par. 5.5 et 5.6).