Comité des droits de l'homme
Quarante-septième session
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques
- Quarante-septième session -
Communication No 317/1988
Présentée par : Howard Martin
[représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 5 août 1988
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 mars 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 317/1988 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de M. Howard Martin en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication et son conseil et par
l'Etat partie intéressé,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article
5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication (lettre initiale du 5 août 1988 et communications
ultérieures) est Howard Martin, citoyen jamaïquain détenu à la prison
du district de Ste. Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté.
Il affirme être victime d'une violation par la Jamaïque des articles 6,
7, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur dit avoir été condamné à mort le 17 février 1981 par le
Home Circuit Court de Kingston pour le meurtre d'un certain Rupert
Wisdom, le 22 septembre 1979. La Cour d'appel de la Jamaïque a rejeté
son appel le 11 novembre 1981. L'ordre de l'exécuter a été donné en février
1988. Au bout de 17 jours, un sursis lui a été accordé à la dernière minute
parce qu'une demande d'autorisation spéciale de recours devant la section
judiciaire du Conseil privé allait être déposée en son nom. Le 11 juillet
1988, cette demande a été rejetée par la section judiciaire du Conseil
privé, lequel s'est toutefois déclaré extrêmement préoccupé par la lenteur
de la procédure en l'occurrence et a demandé "qu'on mette au point
des procédures permettant d'éviter d'aussi pénibles délais".
2.2 En ce qui concerne les faits, l'auteur affirme que, le soir du 22
septembre 1979, alors qu'il avait une discussion animée avec une femme
de sa connaissance devant le domicile de cette dernière, M. Wisdom, qui
vivait dans les mêmes locaux, s'est approché et lui a demandé de quitter
les lieux; il l'aurait ensuite frappé au front avec une bouteille. L'auteur
aurait alors ramassé par terre un objet en acier pour faire face à son
agresseur, qui le suivait. Il s'en est suivi une bagarre, au cours de
laquelle M. Wisdom aurait reçu un coup fatal.
2.3 En ce qui concerne le procès, l'auteur soutient que, lors de l'enquête
préliminaire, deux témoins oculaires ont fourni des témoignages contradictoires.
L'un d'entre eux seulement, une femme, a témoigné pendant le procès et,
selon l'auteur, sa déposition contredisait la déclaration qu'elle avait
faite antérieurement. Lorsque l'avocat de l'auteur l'a interrogée à ce
sujet, il a été interrompu par le juge, qui s'est opposé à la poursuite
du contre-interrogatoire sur cette question. L'auteur signale que le témoin
en question était une amie personnelle du policier chargé d'enquêter sur
l'affaire, qui l'accompagnait chaque jour à l'audience.
La plainte
3.1 L'auteur affirme que son procès n'a pas été équitable, et que le
juge a commis une faute en omettant de soulever devant le jury la possibilité
d'un homicide involontaire. Il fait valoir que l'exposé des faits montre
clairement qu'il est plus que douteux qu'il ait eu l'intention de tuer
ou de blesser grièvement la victime; et que, même si son avocat n'a pas
invoqué cet argument, il était du devoir du juge d'envisager la question.
Enfin, l'auteur prétend que le juge a commis une erreur de droit dans
le résumé des débats présenté au jury, notamment sur les questions de
légitime défense, de provocation et d'intention criminelle.
3.2 En ce qui concerne les retards apportés à l'exécution de la sentence,
l'auteur soutient que ces retards sont incompatibles avec les garanties
d'une procédure régulière et avec l'article 14 1) de la Constitution jamaïquaine,
dont il découle que le jugement d'une personne accusée et l'exécution
de la sentence prononcée doivent intervenir dans un délai raisonnable.
L'auteur affirme en outre que ces lenteurs contreviennent à l'article
17 1) de la Constitution jamaïquaine, qui dispose que nul ne sera soumis
à la torture ou à d'autres peines ou traitements dégradants, en faisant
valoir que la longue période passée dans le quartier des condamnés à mort
et l'angoisse dans laquelle il vit en permanence constituent un tel traitement.
3.3 L'auteur affirme en outre que les 17 jours qu'il a passés dans la
cellule des condamnés à mort entre le moment où son exécution a été ordonnée
et celui où il a bénéficié d'un sursis de dernière minute, ont été pour
lui une source de souffrances mentales et physiques indues, en violation
de l'article 7 du Pacte.
Observations de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4. Dans les observations datées du 1er décembre 1988, qu'il a présentées
conformément à l'article 91 du règlement intérieur, l'Etat partie soutient
que la communication est irrecevable aux termes du paragraphe 2 b) de
l'article 5 du Protocole facultatif, l'auteur n'ayant pas épuisé tous
les recours internes dont il dispose en vertu de l'article 25 de la Constitution.
5. Dans une lettre datée du 9 mai 1989, le conseil de l'auteur soutient
que la procédure mentionnée par l'Etat partie ne constitue pas un recours
interne utile au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif,
vu que l'Etat partie n'octroie pas d'aide judiciaire pour le dép_t d'une
requête constitutionnelle devant la Cour suprême de la Jamaïque. En conséquence,
l'auteur ne peut utiliser ce recours, car il n'a pas les moyens de charger
un avocat de s'en occuper. Le conseil fait observer en outre que le Conseil
jamaïquain des droits de l'homme a essayé en vain de s'assurer les services
d'un avocat, à titre gracieux, pour présenter une requête constitutionnelle
au nom de l'auteur.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa trente-huitième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication. Il a noté que l'Etat partie soutient que la communication
est irrecevable au motif que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours
internes prévus par la Constitution jamaïquaine. A cet égard, le Comité
a observé que dans la mesure où l'auteur n'avait pas bénéficié d'une aide
judiciaire pour présenter une requête constitutionnelle et qu'aucun avocat
jamaïquain n'était disposé à lui fournir ses services à cet effet, sans
rémunération, un pourvoi devant la Cour suprême en vertu de l'article
25 de la Constitution jamaïquaine n'était pas un moyen de recours, au
sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, dont l'auteur
aurait pu se prévaloir.
6.2 Le Comité a estimé en outre qu'une partie des plaintes exprimées
par l'auteur de la communication au sujet d'irrégularités qui auraient
entaché son procès, sont irrecevables en vertu de l'article 3 du Protocole
facultatif, étant donné qu'en principe, le Comité n'est pas compétent
pour se prononcer sur les instructions spécifiques données au jury au
cours d'un procès.
6.3 Le 15 mars 1990, le Comité a déclaré la communication recevable dans
la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles
7, 14, paragraphes 3 c) et 5 du Pacte.
Réexamen de la question de la recevabilité
7. Dans ses observations, en date des 11 février 1991 et 14 janvier 1992,
l'Etat partie conteste la décision de recevabilité du Comité et réaffirme
que la communication est irrecevable. Il soutient que l'auteur peut encore
exercer les recours prévus par la Constitution jamaïquaine. A son avis,
il ressort clairement des décisions rendues dans des affaires récentes
par la Cour suprême (constitutionnelle) que cette dernière est compétente
pour examiner des demandes de réparation présentées par des personnes
dont l'appel en droit pénal a été rejeté. Il soutient en outre que l'absence
d'aide judiciaire ne dispense pas une personne de l'obligation d'épuiser
les recours internes disponibles. Selon lui, aucune disposition du Pacte
n'impose à un Etat partie l'obligation de fournir à une personne une assistance
judiciaire sauf au stade de la détermination par un tribunal de première
instance du bien-fondé d'une accusation dirigée contre elle.
8. Dans ses observations sur la demande de révision de la décision de
recevabilité, adressée au Comité par l'Etat partie, le conseil de l'auteur
soutient que, s'il est théoriquement possible à l'auteur de déposer une
requête constitutionnelle, en réalité, cette possibilité n'est qu'illusoire,
eu égard au fait qu'aucune aide judiciaire n'est disponible et qu'aucun
avocat n'est disposé à lui fournir ses services à cet effet, sans rémunération.
9. Le Comité a pris note des arguments avancés par l'Etat partie et réaffirme
que les recours internes au sens du Protocole facultatif doivent être
à la fois disponibles et utiles. Il estime que, compte tenu de l'absence
d'aide judiciaire, une requête constitutionnelle ne constitue pas en l'occurrence
un recours disponible, au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif, dont l'auteur puisse encore se prévaloira. Le Comité
ne voit donc aucune raison de modifier la décision de recevabilité qu'il
a prise le 15 mars 1990.
Examen du bien-fondé de la demande
10. Dans ses observations en date du 14 janvier 1992, l'Etat partie rejette
l'idée que le Pacte a été violé dans le cas de l'auteur. Il soutient que
les retards dans l'exécution de la sentence prononcée contre lui s'expliquaient
par le fait que l'auteur exerçait son droit de recours contre sa condamnation
devant la section judiciaire du Conseil privé. En ce qui concerne la violation
présumée du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie soutient
que l'auteur a fait appel de sa condamnation devant la Cour d'appel et
la section judiciaire du Conseil privé et n'a donc pas été privé du droit
de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité
et la condamnation.
11. Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
de l'auteur soutient que les retards dans l'exécution de la sentence prononcée
contre l'auteur ne sauraient être imputés au fait que celui-ci a exercé
son droit de former un nouveau recours. Il signale que l'auteur a passé
plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort avant que l'ordre
de son exécution ne soit donné et qu'un recours a été introduit en son
nom devant le Conseil privé le 25 mai 1988, soit après qu'un sursis lui
eut été accordé en février 1988.
12.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes
les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
12.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle sa détention
prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue un traitement
cruel, inhumain ou dégradant, le Comité renvoie à ses constatations concernant
les communications Nos 270 et 271/1988b et réaffirme qu'une
procédure judiciaire prolongée ne constitue pas en soi un traitement cruel,
inhumain ou dégradant, même si cela peut être une source de souffrances
et de tensions psychiques pour le détenu. En l'occurrence, un trop long
délai s'est écoulé entre l'arrêt de la Cour d'appel et le rejet de la
demande d'autorisation de recours devant la section judiciaire du Conseil
privé. Il ressort toutefois des renseignements dont dispose le Comité
que la Cour d'appel a rendu rapidement un arrêt écrit et que les retards
pris dans l'introduction du recours devant la section judiciaire sont
imputables en grande partie à l'auteur. En l'espèce, le Comité réaffirme,
conformément à sa jurisprudence, que même une détention prolongée dans
des conditions sévères dans le quartier des condamnés à mort, ne peut
être considérée d'une façon générale comme un traitement cruel, inhumain
ou dégradant si elle est due au fait que le condamné se prévaut des recours
en appel dont il dispose.
12.3 L'auteur affirme en outre que sa détention pendant 17 jours dans
une cellule spéciale entre le moment où l'ordre de son exécution a été
donné et celui où il lui a été accordé un sursis constitue une violation
de l'article 7 du Pacte. Le Comité constate qu'une fois l'ordre d'exécution
donné, il a été demandé de surseoir à l'exécution au motif que l'avocat
de l'auteur allait présenter une demande d'autorisation de recours devant
la section judiciaire du Conseil privé. Ce sursis a été ultérieurement
accordé. Rien dans les renseignements dont le Comité dispose n'indique
que les procédures applicables n'ont pas été dûment suivies ou que l'auteur
a été maintenu en détention dans cette cellule spéciale après qu'il eut
bénéficié de ce sursis. Le Comité estime par conséquent que les faits
dont il est saisi ne révèlent pas de violation de l'article 7 du Pacte.
12.4 L'auteur affirme également qu'il n'a pas été jugé dans des délais
raisonnables et qu'il n'a pu exercer son droit de faire appel de sa condamnation
devant une juridiction supérieure. Le Comité observe que l'auteur a été
reconnu coupable et condamné par le Circuit Court de Kingston le
17 février 1981 et que la Cour d'appel de la Jamaïque a rejeté son appel
le 11 novembre 1981. Le Comité note que les retards intervenus par la
suite dans la procédure de saisine devant la section judiciaire du Conseil
privé, qui a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours présentée
par l'auteur le 11 juillet 1988, sont imputables essentiellement à l'auteur,
qui n'a présenté sa demande à la section judiciaire qu'après que l'ordre
de l'exécuter a été donné en 1988, six ans et demi après l'arrêt de la
Cour d'appel. Le Comité aboutit donc à la conclusion que les faits dont
il est saisi ne font pas apparaître une violation des paragraphes 3 c)
et 5 de l'article 14 du Pacte.
13. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi ne font pas apparaître une violation de l'une quelconque
des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
_______________
* Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Laurel
Francis, membre du Comité, n'a pas pris part à l'adoption des constatations
du Comité.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
français.]
Notes
a Voir aussi les constatations du Comité concernant les communications
Nos 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque) et 283/1988 (Aston
Little c. Jamaïque), adoptées le 1er novembre 1991, par. 7.1
et suivants.
b Randolph Barrett et Clyde Sutcliffe c. Jamaïque,
constatations adoptées le 30 mars 1992.