concernant la
Communication No. 318/1988
Au nom de: Les auteurs
Etat partie intéressé: Colombie
Date de la communication: 10 juin 1988 (date de la première lettre)
Le Comité des droits . de 1 homme, établi en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 1990;
Adopte la décision suivante :
2.1 Les auteurs font remarquer qu'en 1819, la Colombie a déclaré sa souveraineté sur l'archipel en vertu de la doctrine uti DOSsidetiS et a consolidé son administration par la force militaire contre la volonté des insulaires. Les auteurs soutiennent que la Colombie a violé leurs droits depuis cette époque.
2.2 Selon les auteurs, une loi colombienne adoptée técexmsent a eu pour effet de déposséder de nombreux insulaires de leurs terres. Dans le cadre d'un projet visant à "colombianiser" les îles, le gouvernement accorde des subventions et des aides aux Colombiens du continent, en particulier aux familles d'au moins quatre personnes , pour les inciter à s'installer dans l'archipel. Le processus d'enregistrement de la propriété foncière (Juicio de pertenencia) favorise les continentaux en leur permettant de faire valoir leurs revendications en espagnol devant les tribunaux ou même de les présenter dans des quotidiens de langue hispanique de villes lointaines, comme Bogota ou Barranquilla. Les propriétaires fonciers autochtones qui n'ont pas les moyens de s'assurer le concours d'un avocat, ne comprennent pas l'espagnol ou ne sont simplement pas au courant des revendications concernant leurs terres, sont en fait expropriés par des Colombiens du continent. Quelque 40 000 Colombiens du continent et d'autres étrangers se sont déjà installés sur les 44 km2 de l'île de San Andrés.
2.3 Les auteurs font valoir que la surpopulation due aux politiques appliquées par le gouvernement a causé de graves dommages à l'environnement. De nouveaux aménagements immobiliers, dont la construction de plus de 30 hôtels, de 10 banques et de 700 magasins de produits d'importation, ont mis à si rude épreuve la nappe phréatique qu'il s'en est suivi une sécheresse artificielle, ce qui a rendu impossible la culture et détruit ainsi un des moyens de subsistance traditionnels des insulaires. Le gouvernement a permis la destruction de marais de mangrove , qui étaient auparavant des sources abondantes de homards, de poissons, de crabes et d'écrevisses, en autorisant des centrales électriques à y déverser librement de l'eau chaude polluée. Les lois sur la protection de l'environnement seraient sélectivement appliquées aux insulaires.
2.4 Les auteurs soutiennent que le gouvernement a accordé au Honduras et à d'autres pays des droits de pêche et d'autres concessions portant atteinte aux intérêts des autochtones, ce qui a privé les insulaires d'un autre moyen traditionnel de subsistance.
2.5 L'espagnol est devenu la langue officielle. L'enseignement n'est dispensé qu'en espagnol et les enfants autochtones qui ne parviennent pas à apprendre l'espagnol sont exclus des écoles. Les bibliothèques publiques ne disposent que de livres en espagnol. Les autochtones sont censés connaître l'espagnol lorsqu'ils sont devant les tribunaux. Les insulaires subiraient souvent des brimades ou seraient même arrêtés par la police pour s'être exprimés en anglais en public. Les mesures disciplinaires susceptibles de mettre fin à ces abus sont rares et n'ont abouti jusqu'à présent qu'à la mutation des fonctionnaires responsables ; ces abus se poursuivent lorsque ces derniers sont remplacés. Tous les médias n'utilisent que l'espagnol. Les auteurs estiment que ces faits constituent des violations de l'article 27 du Pacte.
2.6 Ils soutiennent que les insulaires autochtones sont victimes d'une discrimination généralisée en matière d'emploi. Seuls 15 % des travailleurs du sectuer privé sont des autochtones. La plupart des entreprises, et au moins un organisme public, La Registraduría de Instrementos Públicos, n'engagent pas d'autochtones. Les autochtones ne reçoivent que 5 % du revenu total des îles. On leur refuse l'accès dans des conditions d'égalité avec les autres membres de la population aux services publics tels que l'eau, l'électricité et les télécommunications. De l'avis des auteurs, les faits qui viennent d'être exposés constituent des violations de l'article 26 du Pacte.
2.7 S'agissant de l'article 25 du Pacte, les auteurs notent que le gouverneur de l'archipel n'est pas élu par les insulaires mais nommé à Bogota par le Président de la Colombie. Seuls 11 des 90 gouverneurs nommés par le gouvernement central étaient des insulaires. Les élections du conseil local n'ont pas lieu au scrutin secret, ce qui a engendré un favoritisme effréné et un chantage pour l'obtention d'emplois, de logements, de bourses et d'autres prestations de 1'Etat. En tout état de cause, le conseil local a été privé d'une grande partie de ses attributions par la loi No 1 de 1972. Ses pouvoirs ont été transférés au gouverneur. La loi No 1 a également privé San Andrés de son statut de municipalité. 2.8 Les auteurs sont opposés à la militarisation croissante de leurs îles, en particulier à l'agrandissement de la base navale de Cove-Seaside et a d'autres acquisitions foncières récentes par les forces armées colombiennes. Ils craignent que ces mesures ne les fassent intervenir militairement dans des conflits d'Amérique centrale auxquels ils ne veulent pas prendre part.
2.9 Les auteurs estiment qu'ils ont épuisé les recours internes dans la mesure où on peut les considérer comme disponibles et utiles au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Une série de lettres, télégrammes et pétitions adressée entre 1985 et 1987 à l'ancien président Betancur, au gouverneur et à d'autres ministres est restée sans réponse. Le Président Virgilio Barco a envoyé un télégramme pour répondre à une de ces lettres mais aucune des promesses qu'il a faites n'a été tenue. Le 4 janvier 1987, les auteurs ont soumis en vain un Proyecto de Aucerdo au gouverneur demandant que des restrictions soient imposées en matière d'aliénation de terres. Plusieurs réunions avec le gouverneur se sont terminées par des promesses verbales qui n'ont pas été respectées. En outre, la Constitution et la législation nationale colombiennes ne contiennent aucune disposition garantissant ou reconnaissant des minorités ou leurs droits, en violation de l'article 2 du Pacte.
3. Par sa décision du 21 octobre 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a prié les auteurs de préciser s'ils avaient été personnellement affectés par les activités en question des autorités colombiennes et de spécifier s'ils avaient rempli les conditions prévues au paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif s'agissant de l'épuisement des recours internes.
4. Dans leur réponse, datée du 21 décembre 1988, à la demande d'éclaircissements et de précisions formulée par le Groupe de travail, les auteurs ont décrit en détail les effets que les politiques du gouvernement auraient eu sur eux personnellement: - Un poste d'enseignant pour lequel elle était qualifiée aurait été refusé à O. B. parce qu'elle ne parlait pas espagnol. F. W., D. B., E. P., et L. G. n'auraient pas été autorisés à présenter leur candidature pour occuper un poste d'enseignant en anglais.
-Trois des auteurs ont des enfants qui n'auraient pas pu recevoir un enseignement dans leur langue maternelle.
- E. P. se serait vu refuser la possibilité de présenter une demande de bourse parce qu'il n'est pas catholique.
- Aucun des auteurs n'aurait pu voter librement car le scrutin n'était pas secret.
- Tous les auteurs affirment qu'ils sont tenus de s'exprimer en espagnol devant les tribunaux, les policiers et d'autres fonctionnaires. 5. Par sa décision du 4 avril 1989, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à 1'Etat partie et l'a prié, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur, de soumettre des renseignements et observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication. 6.1 Dans sa réponse, datée du 9 août 1989, qu'il a présentée en vertu de l'article 91, 1'Etat partie soutient que les auteurs n'ont pas épuisé les recours internes, comme l'exige le paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. 6.2 L'Etat partie décrit en termes généraux la compétence de la Cour suprême colombienne en matière de recours constitutionnel émanant de particuliers ou de groupes de particuliers, et la compétence des tribunaux administratifs à l'égard des plaintes collectives. L'Etat partie note en outre que des recours administratifs peuvent être exercés par l'intermédiaire du Consejo de Estado (Conseil d'Etat) ou des tribunaux administratifs qui sont pleinement compétents et ont toute latitude pour annuler les actes administratifs jugés arbitraires, illégaux ou constituant des abus de pouvoir. Ce n'est que lorsque ces recours ont été épuisés que l'autorisation de saisir la Cour suprême peut être examinée et accordée. 6.3 L'Etat partie soutient enfin que les auteurs n'ont pas identifié avec suffisamment de détails, dans leur plainte, les victimes présumées, les droits qu'ils considèrent comme ayant été volés ou les agents administratifs responsables de leur situation. 7.1 Dans leurs commentaires, datés du 30 août et du 2 septembre 1989 et du 17 avril 1990, les auteurs indiquent que les recours internes mentionnés par 1'Etat partie sont inefficaces. Ils citent à l'appui de leur argumentation la décision de 1968 du Consejo de Estado, qui a annulé la résolution 206 d'INCORA prévoyant d'attribuer des terres aux colons. Cette décision, qui apparemment était une victoire juridique, aurait été contournée par l'Etat partie par d'autres artifices de procédure et la dépossession des autochtones de leurs terres s'est poursuivie sans relâche. Le Président Barco a opposé son veto le 30 janvier 1990 à la loi qui aurait redonné à San Andrés le statut de municipalité pour des raisons de "sécurité nationale et de souveraineté".
7.2 En outre, les auteurs estiment que l'utilisation des recours judiciaires internes risque d'être trop longue et extrêmement coûteuse en raison du nombre important d'actes et de lois qu'ils estiment devoir contester. Ils citent l'exemple d'une pétition adressée au Procureur général en 1987 dans laquelle ils ont demandé l'autorisation d'engager une action collective concernant un grand nombre de leurs réclamations. Ils n'ont reçu aucune réponse à leur demande pendant plus de deux ans , et ils ont ensuite été simplement invités à se présenter en personne pour confirmer leurs plaintes. Dans l'intervalle, l'installation d'un nombre de plus en plus important de Colombiens sur les îles s'est poursuivie au rythme de quelque 8 000 personnes par an. Etant donné l'urgence de la situation, la poursuite de longs recours internes est donc jugée inefficace d'autant plus qu'il n'y a aucune perspective d'obtenir une réparation adéquate.
7.3 Enfin, déclarent les auteurs, nombre des lois et des actions en question ne sont même pas contraires à la Constitution. La Constitution ne prévoit pas le droit à l'autodétermination et son article 27 garantit en fait "la libre aliénation" des terres, qui est l'un de leurs principaux motifs de plainte. Contrairement aux affirmations gouvernementales, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne fait pas partie de la législation colombienne.