Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 321/1988
Présentée par : Maurice Thomas
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 10 juillet 1988
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 octobre 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 321/1988, présentée
au Comité par M. Maurice Thomas en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par l'auteur
1. L'auteur de la communication est Maurice Thomas, citoyen jamaïcain
actuellement détenu au quartier des condamnés à mort à la prison du district
de Sainte-Catherine. Il soutient être victime d'une violation par la Jamaïque
des articles 7 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiquea.
2. L'auteur affirme que, dans la soirée du 9 juillet 1988, un groupe
de soldats avait fouillé un bâtiment de la prison de Sainte-Catherine.
À la fin de la fouille, certains des soldats avaient reçu l'ordre de se
rendre au quartier des condamnés à mort, où l'auteur et 16 autres prisonniers
étaient détenus. Les soldats étaient accompagnés de plusieurs gardiens
— dont l'auteur donne le nom — et soldats et gardiens auraient
brutalisé les prisonniers dont l'auteur, qui aurait en particulier été
passé à tabac à coups de crosse de fusil et blessé à la poitrine, au dos,
à la hanche gauche et au bas-ventre. L'un des soldats lui aurait en outre
donné un coup de baïonnette au cou et aurait déchiré ses vêtements. Après
avoir été passé à tabac, l'auteur aurait été jeté dans sa cellule et laissé
sans soins.
Teneur de la plainte et épuisement des recours internes
3.1 L'auteur affirme être victime d'une violation des articles 7 et 10
du Pacte.
3.2 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur déclare
avoir écrit au Ministre jamaïcain de la justice et à l'Ombudsman parlementaire.
Le 6 septembre 1988, il recevait une lettre des services du Ministre l'informant
que sa plainte faisait l'objet d'une enquête et que l'on reprendrait ultérieurement
contact avec lui. Depuis lors, il n'avait pas eu d'autres informations
au sujet du résultat de cette enquête. L'Ombudsman parlementaire avait,
quant à lui, répondu à l'auteur que sa plainte serait "examinée le
plus rapidement possible". Malgré les demandes d'informations qu'il
lui avait par la suite adressées, l'auteur n'avait plus reçu de nouvelles
de l'Ombudsman après cette réponse. L'auteur affirme qu'aucun fonctionnaire
ne lui a jamais rendu visite en prison pour se renseigner sur l'incident
dénoncé.
3.3 L'auteur affirme en outre que, comme il n'a pas les moyens d'engager
un avocat pour former un recours constitutionnel devant la Cour suprême
(constitutionnelle) de la Jamaïque, le recours prévu aux articles 17 et
25 de la Constitution jamaïcaine ne saurait dans son cas constituer un
recours disponible au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif.
Observations de l'État partie
4. Pour l'État partie, la communication est irrecevable au motif que
les recours internes n'ont pas été épuisés, l'auteur ne s'étant pas prévalu
des voies de recours constitutionnelles qui lui étaient ouvertes. L'État
partie affirme que l'article 17 de la Constitution jamaïcaine garantit
à tous la protection contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants
et qu'en application de l'article 25, toute personne qui estime qu'une
violation d'un droit constitutionnel a été commise à son encontre, ou
est en passe ou risque de l'être, peut former un recours devant la Cour
(constitutionnelle) suprême.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 À sa quarante-deuxième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a noté que l'auteur avait saisi
la Commission interaméricaine des droits de l'homme mais que celle-ci
avait arrêté l'examen de son affaire le 27 mars 1990. Le Comité a donc
conclu que le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif ne
lui interdisait pas d'examiner la communication de l'auteur.
5.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel
la communication était irrecevable au motif que l'auteur ne s'était pas
prévalu des voies de recours constitutionnelles qui lui étaient ouvertes.
Le Comité a également pris note de l'argument de l'auteur selon lequel
la voie de recours invoquée par l'État partie ne lui était en fait pas
ouverte car il n'avait pas les moyens d'engager un avocat et il n'était
pas possible de bénéficier de l'aide judiciaire pour former un recours
constitutionnel devant la Cour suprême (constitutionnelle) de la Jamaïque.
Le Comité a en outre noté que l'auteur s'était raisonnablement employé
à obtenir, par la voie administrative, réparation pour les mauvais traitements
qu'il affirmait avoir subis pendant sa détention. Le Comité a donc estimé
que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif étaient remplies.
5.3 Le 4 juillet 1991, le Comité a donc déclaré la communication recevable
dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles
7 et 10 du Pacte.
Réexamen de la recevabilité
6. Dans ses observations datées du 16 février 1993, l'État partie soutient
que la communication est irrecevable parce que les recours internes n'ont
pas été épuisés. Il affirme que le Pacte n'impose pas à un État partie
l'obligation absolue de fournir une assistance judiciaire. Il fait valoir
à ce propos que l'indigence de l'auteur ne peut être attribuée à l'État
partie et ne peut justifier le non-épuisement des recours internes.
7. Le Comité a pris note des arguments invoqués par l'État partie et
affirme à nouveau qu'au sens du Protocole facultatif, les recours internes
doivent à la fois exister et être effectifs. Le Comité estime qu'en l'absence
d'une assistance judiciaire, un recours constitutionnel ne constitue pas,
en l'espèce, un recours disponible au sens de l'article 5, paragraphe
2 b) du Protocole facultatif. Le Comité n'a donc aucune raison de réviser
sa décision précédente du 4 juillet 1991 concernant la recevabilité.
Examen quant au fond
8. Dans ses observations du 16 février 1993, l'État partie informe le
Comité qu'il a ordonné une enquête au sujet des allégations de l'auteur
et qu'il en communiquera les résultats au Comité dès qu'il en sera informé.
Le Comité note que l'État partie a été informé des allégations de l'auteur
le 17 novembre 1988 et que, 60 mois environ après les faits incriminés,
il n'a pas terminé son enquête.
9.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements
fournis par les parties, comme l'exige l'article 5, paragraphe 1, du Protocole
facultatif. Le Comité note que l'État partie s'est limité aux questions
relatives à la recevabilité. L'article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif
enjoint à l'État partie de faire de bonne foi une enquête sur toutes les
allégations faites à son encontre et de communiquer au Comité tous les
renseignements dont il dispose. En l'espèce, les allégations de l'auteur
doivent être dûment prises en considération dans la mesure où elles ont
été étayées.
9.2 Il n'est pas contesté que, le 9 juillet 1988, l'auteur a été assailli
par des soldats et des gardiens qui l'ont battu à coups de crosse de fusil
et qu'en conséquence il a subi des blessures à la poitrine, au dos, à
la hanche gauche et au bas de l'abdomen, blessures pour lesquelles il
n'a pas reçu de traitement médical. Le Comité estime que le bien-fondé
des allégations a été établi et que les faits dont il est saisi équivalent
à un traitement dégradant au sens de l'article 7 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et constituent aussi une violation
de l'article 10, paragraphe 1 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits qui lui
ont été exposés font apparaître une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
11. Le Comité est d'avis que M. Maurice Thomas, victime d'une violation
des articles 7 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du
Pacte, à une mesure de réparation effective, y compris un dédommagement
approprié. L'État partie est tenu de procéder à enquête sur les allégations
de l'auteur afin d'engager une action pénale ou autre, selon qu'il conviendra,
à l'encontre des responsables, et de prendre toutes les mesures qui pourraient
s'avérer nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent
pas à l'avenir.
12. Le Comité souhaiterait recevoir des informations, dans les 90 jours,
sur toutes mesures que l'État partie aura prises comme suite à ses constations.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français.]
Note
a Les allégations par l'auteur de violation des articles
7 et 10 concernent des faits analogues à ceux qui ont fait l'objet de
la communication No 320/1988, Victor Francis c. Jamaïque,
à propos de laquelle le Comité a adopté ses constatations le 24 mars 1993
(voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-huitième
session, Supplément No 40 (A/48/40), annexe XII.K).