Comité des droits de l'homme
Quarante-huitième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-huitième session -
Communication No 326/1988
Présentée par : Henry Kalenga
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Zambie
Date de la communication : 18 novembre 1988 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 juillet 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 326/1988, présentée
par M. Henry Kalenga au titre du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant pris en considération tous les renseignements qui lui ont
été communiqués par écrit par l'auteur de la communication et par l'Etat
partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article
5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Henry Kalenga, citoyen zambien, résidant
actuellement à Kitwe (Zambie). Il affirme être victime de violations,
par la Zambie, des articles 9, 14 et 19 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
Les faits présentés
2.1 Le 11 février 1986, l'auteur a été arrêté par la police de la ville
de Masala et a dû passer la nuit dans une cellule de garde à vue. Le 12
février 1986, sa déposition a été recueillie. Le lendemain, les services
de police ont délivré à son encontre une ordonnance de mise en détention
en application de l'article 33 6) de la loi sur le maintien de la sécurité
publique. Cette ordonnance a été révoquée le 27 février 1986, mais a été
immédiatement remplacée par une ordonnance présidentielle de mise en détention,
prise en application de l'article 33 1) de la même loi.
2.2 L'auteur note que le règlement sur le maintien de la sécurité publique
habilite le chef de l'Etat à autoriser l'internement administratif de
personnes accusées de délits politiques pendant une période illimitée
"aux fins de maintenir la sécurité publique". L'auteur a été
informé des accusations portées contre lui le 13 mars 1986, soit plus
d'un mois après son arrestation. Il a été ensuite maintenu en détention
aux motifs a) qu'il était l'un des membres fondateurs d'une organisation
politique, la "People's Redemption Organization" (Organisation
de rédemption du peuple) — organisation considérée comme illégale
en vertu de la Constitution zambienne (d'alors) prévoyant un parti unique
— et avait cherché à en propager les idées, et b) qu'il préparait
des activités subversives visant à renverser le régime du président (de
l'époque), Kenneth Kaunda. Il a été libéré le 3 novembre 1989, sur ordonnance
présidentielle.
2.3 Après sa libération, l'auteur a été placé sous surveillance par les
autorités zambiennes. Celles-ci lui auraient retiré son passeport, le
privant ainsi de sa liberté de mouvement. En outre, l'auteur affirme qu'en
tant qu'ancien détenu politique, il a été victime de harcèlement et d'intimidation
de la part des autorités, qui lui auraient également refusé l'accès aux
établissements de financement publics et privés.
La plainte
3.1 M. Kalenga affirme qu'au moment de son arrestation, il ne se livrait
à aucune activité politique visant à renverser le Gouvernement. En réalité,
il appuyait des campagnes de protestation contre les politiques du Gouvernement
concernant l'éducation, l'armée et l'économie. Il ajoute que les activités
subversives dont il était accusé n'avaient guère consisté qu'à brûler
sa carte de membre de l'UNIP, parti du Président Kaunda. Il affirme qu'en
tant que prisonnier d'opinion, il a été détenu illégalement car il n'a
été informé officiellement des motifs de sa détention que plus d'un mois
après son arrestation, en violation des règlements mentionnés au paragraphe
2.1 ci-dessus et des dispositions du paragraphe 1 a) de l'article 27 de
la Constitution zambienne, qui stipule que les motifs de la détention
doivent être signifiés dans les 14 jours qui suivent l'arrestation. A
cet égard, l'auteur affirme que les accusations portées contre lui étaient
dénuées de fondement au moment de son arrestation et qu'elles ont été
par la suite forgées de toutes pièces par la police dans le but de justifier
sa détention.
3.2 L'auteur affirme en outre que jamais, pendant toute la durée de sa
détention, il n'a comparu devant un juge ou une autorité judiciaire pour
que sa culpabilité soit établie. La raison en serait que d'après la réglementation
zambienne relative à la sécurité publique, des personnes peuvent être
détenues indéfiniment sans être officiellement accusées ou jugées.
3.3 L'auteur soutient qu'au cours de sa détention il a été soumis à des
traitements inhumains et dégradants. Il affirme avoir été souvent privé
de nourriture, d'activités récréatives, ainsi que de soins médicaux, malgré
la détérioration constante de son état de santé. Il affirme en outre avoir
été soumis à diverses formes de "tortures psychologiques". Tous
ces traitements seraient interdits par les articles 17 et 25 2) et 3)
de la Constitution zambienne.
3.4 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur déclare
qu'il a engagé des poursuites contre l'Etat au cours de sa détention.
Il a tout d'abord introduit devant la Haute Cour de la Zambie un recours
en habeas corpus. Le 23 juin 1986, la Haute Cour a rejeté sa demande
au motif que sa détention n'était pas contraire à la législation interne.
L'auteur a alors introduit devant la Haute Cour de justice un autre recours
en habeas corpus, dans lequel il a) contestait la légalité de sa
détention, b) se plaignait des traitements inhumains et dégradants subis
pendant sa détention et c) réclamait une indemnisation et des dommages.
Le 14 avril 1989, la Cour a rejeté sa demande, en se déclarant incompétente,
la question soulevée étant chose jugée. L'auteur a alors adressé une requête
à un tribunal spécial créé en application du règlement sur le maintien
de la sécurité publique; ce tribunal est chargé d'examiner périodiquement
les cas des prisonniers politiques et est habilité à recommander leur
maintien en détention ou leur mise en liberté. Toutefois, ce tribunal
siège à huis clos et le Président n'est pas tenu de donner suite à ses
recommandations, qui sont confidentielles. L'auteur a comparu devant ce
tribunal les 29 et 30 décembre 1988. Le Procureur de l'Etat n'ayant pas
pu fournir de preuves à l'appui des accusations portées contre l'auteur,
le tribunal a recommandé la mise en liberté immédiate de M. Kalenga. Toutefois,
l'auteur n'a été libéré que 10 mois plus tard, le Président Kaunda n'ayant
pas donné suite à la recommandation du tribunal.
Décision du Comité concernant la recevabilité et observations des
parties quant au fond
4.1 Au cours de sa quarante-troisième session, en octobre 1991, le Comité
a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a noté
avec inquiétude l'absence de toute coopération de la part de l'Etat partie
dans la question à l'étude, celui-ci n'ayant adressé aucune observation
concernant la recevabilité de la communication, malgré les deux rappels
qui lui avaient été envoyés. En se fondant sur les renseignements dont
il disposait, il a conclu que l'auteur avait rempli les conditions énoncées
au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif et qu'il avait
suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité.
4.2 Le 15 octobre 1991, le Comité a déclaré la communication recevable
en ce qu'elle pouvait soulever des questions au regard des articles 7,
9, 10, 12 et 19 du Pacte.
5.1 Dans une communication datée du 28 janvier 1992, l'Etat partie indique
que "M. Henry Kalenga n'est plus détenu et qu'il est désormais libre".
L'Etat partie n'a fourni ni renseignements sur le fond des allégations
de l'auteur, ni copies de l'acte d'accusation ou des ordonnances judiciaires
concernant sa détention et la prétendue légalité de celle-ci. L'Etat partie
n'a pas répondu au rappel qui lui a été envoyé en février 1993.
5.2 Dans une lettre non datée reçue le 24 mars 1992, l'auteur demande
au Comité de poursuivre l'examen de l'affaire le concernant. Il ajoute
qu'en raison de sa détention, il continue de souffrir d'ulcères à l'estomac
et sa situation financière est déplorable; il affirme en outre que le
changement de régime au printemps 1992 n'a pas suscité de changement d'attitude
des autorités à son égard.
Examen du bien-fondé de la demande
6.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements
fournis par les parties. Il note avec préoccupation qu'à l'exception d'une
brève note l'informant de la libération de l'auteur, fait qu'il connaissait
lorsqu'il a adopté sa décision concernant la recevabilité, l'Etat partie
n'a pas coopéré dans l'examen de la communication. Les dispositions du
paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif signifient implicitement
que l'Etat partie enquête en toute bonne foi sur les allégations formulées
contre lui et fournit au Comité tous les renseignements dont il dispose,
notamment tous les documents de justice. L'Etat partie n'a fourni aucun
renseignement de ce type au Comité. Dans ces conditions, toute l'importance
voulue doit être accordée aux allégations de l'auteur, dans la mesure
où elles ont été étayées.
6.2 Pour ce qui est des questions soulevées au regard de l'article 19,
le Comité estime que les sanctions prises par les autorités zambiennes,
et qu'elles n'ont pas nié avoir prises, comme suite à la volonté manifestée
par l'auteur d'exprimer librement ses opinions et de faire connaître les
principes de l'Organisation pour la rédemption du peuple constituent une
violation des droits énoncés à l'article 19 du Pacte.
6.3 Le Comité est d'avis qu'il y a eu violation du droit de l'auteur,
énoncé au paragraphe 2 de l'article 9, d'être informé sans retard des
raisons de son arrestation et des accusations portées contre lui, car
les autorités de l'Etat partie ont attendu près d'un mois avant de lui
fournir toute information. De même, le Comité constate qu'il y a eu violation
du paragraphe 3 de l'article 9 car les renseignements dont il dispose
indiquent que l'auteur n'a pas été traduit rapidement devant un juge ou
une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires.
Par ailleurs, se fondant sur la chronologie des faits de procédure indiquée
par l'auteur lui-même, le Comité ne peut pas conclure que ce dernier a
été privé du droit énoncé au paragraphe 4 de l'article 9 d'introduire
un recours devant un tribunal.
6.4 L'auteur a affirmé qu'il continuait d'être soumis à des restrictions
dans sa liberté de mouvement, ce que l'Etat partie n'a pas démenti, et
que les autorités zambiennes lui avaient retiré son passeport. De l'avis
du Comité, il s'agit là d'une violation du paragraphe 1 de l'article 12
du Pacte.
6.5 Pour ce qui est de l'affirmation de M. Kalenga, selon laquelle il
aurait été soumis à des traitements inhumains et dégradants au cours de
sa détention, le Comité note que l'auteur a fourni des renseignements
à l'appui de son allégation concernant en particulier la privation d'activités
récréatives et, occasionnellement, de nourriture, ainsi que le refus des
soins médicaux nécessaires. Bien que l'auteur n'ait pas montré que ce
traitement était cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 7 du
Pacte, le Comité considère que l'Etat partie a violé le droit de l'auteur,
conformément au paragraphe 1 de l'article 10, d'être traité avec humanité
et avec le respect de la dignité inhérente à sa personne.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qu'il
a constatés font apparaître des violations des paragraphes 2 et 3 de l'article
9, du paragraphe 1 de l'article 10, du paragraphe 1 de l'article 12 et
de l'article 19 du Pacte.
8. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'Etat partie a l'obligation
de fournir à M. Kalenga un recours approprié. Le Comité prie l'Etat partie
d'accorder à l'auteur une indemnisation appropriée; l'Etat partie est
tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas
à l'avenir.
9. Le Comité souhaiterait être informé dans les 90 jours, de toutes mesures
prises par l'Etat partie comme suite à ses constatations.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français.]