Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No 328/1988
Présentée par : Myriam Zelaya Dunaway et Juan Zelaya auxquels
s'est joint ultérieurement leur frère, la victime présumée
Au nom de Roberto Zelaya Blanco
État partie : Nicaragua
Date de la communication : 20 juillet 1988 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 328/1988 qui lui
a été présentée par Mme Myriam Zelaya Dunaway et M. Juan Zelaya en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. Les auteurs de la communication initiale sont Myriam Zelaya Dunaway
et Juan Zelaya, citoyens des États-Unis d'Amérique d'origine nicaraguayenne
résidant actuellement aux États-Unis. Ils présentent la communication
au nom et à la demande de leur frère, Roberto Zelaya Blanco, citoyen nicaraguayen
né en 1935, qui se trouvait détenu à la prison de Tipitapa (Nicaragua)
au moment où elle a été soumise. Les auteurs affirment que leur frère
a été victime de violations, par le Nicaragua, des articles 7, 9, 10,
14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En mars 1989, M. Zelaya Blanco a été remis en liberté en application d'un
décret d'amnistie pris par le gouvernement et, le 19 juin 1992, il a confirmé
la teneur de la communication, s'associant à sa soeur et son frère pour
en devenir coauteur. Il réside actuellement aux États-Unis avec sa femme
et son fils.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Roberto Zelaya Blanco, ingénieur et professeur d'université, a été
arrêté sans mandat le 20 juillet 1979, le lendemain de l'accession au
pouvoir du gouvernement sandiniste. Il a été jugé par un tribunal populaire
(Tribunal Especial Primero), au motif de la franchise avec laquelle il
avait critiqué l'orientation marxiste des sandinistes. Le 23 février 1980,
il a été condamné à 30 ans de prison, peine confirmée le 14 mars suivant
par le Tribunal Especial Primero de Apelación, sans que l'affaire soit
entendue en appel.
2.2 En ce qui concerne la question de l'épuisement des recours internes,
les auteurs indiquent qu'en raison de la situation politique au Nicaragua,
ils ont longtemps été dans l'impossibilité de trouver des avocats qui
acceptent de s'occuper de l'affaire de leur frère. Ce n'est qu'au début
de 1989 que Roberto Zelaya a informé sa famille qu'un avocat, J. E. P.
B., avait fait savoir qu'il était disposé à le faire.
2.3 Il est indiqué que plusieurs organisations, dont la Commission interaméricaine
des droits de l'homme, Amnesty International, la Commission internationale
de juristes et le Comité international de la Croix-Rouge (section nicaraguayenne),
ont été informées du sort de M. Zelaya et lui ont dépêché des représentants
dans sa prison. Les auteurs ajoutent qu'ils ont adressé un grand nombre
de plaintes écrites au sujet du sort de leur frère aux autorités nicaraguayennes,
dont le président Daniel Ortega et le directeur de la prison, sans jamais
recevoir de réponse.
2.4 Lors de sa remise en liberté, en mars 1989, M. Zelaya aurait fait
l'objet de menaces de la part d'un gardien de prison, le commandant "Pedro",
qui lui aurait dit "Faites très attention. Si vous osez dire ou écrire
quoi que ce soit contre les sandinistes, vous le regretterez".
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs estiment que leur frère n'a commis aucun méfait ni infraction
pénale et que les accusations que les sandinistes ont lancées contre lui
("apologie du délit", "incitation à la délinquance")
sont d'ordre purement politique. Selon les auteurs, Roberto Zelaya a fait
l'objet d'une détention arbitraire entre juillet 1979 et mars 1989, il
n'a pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un
tribunal indépendant et impartial, il a été torturé et soumis à des expériences
pseudo-médicales et pharmaceutiques, à un traitement inhumain et à des
menaces de mort pendant sa détention et la correspondance entre Roberto
Zelaya et sa famille a été l'objet d'immixtions systématiques de la part
de l'administration pénitentiaire.
3.2 De l'avis des auteurs, la santé de leur frère, déjà précaire, s'est
encore dégradée du fait de sa détention. Ils allèguent que ses crises
d'asthme ont été traitées expérimentalement à la cortisone et à l'aide
d'autres produits. Enfin, d'autres détenus et un gardien [A.V.C.] auraient
à maintes reprises proféré des menaces de mort contre M. Zelaya.
Renseignements soumis par l'État partie et commentaires des auteurs
4.1 L'État partie indique que Roberto Zelaya Blanco a été remis en liberté
en application du décret d'amnistie présidentielle du 17 mars 1990 (Decreto
de Indulto No. 044).
4.2 Les auteurs indiquent que leur frère se fait actuellement soigner
pour les maladies qu'il a contractées au cours de ses 10 années de détention
ou dont il souffrait déjà mais qui se sont aggravées pendant sa détention,
asthme et hépatite chronique notamment. Ils ajoutent que le traitement
de ces maladies nécessite des séjours fréquents et prolongés à l'h_pital.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 Le Comité s'est assuré, comme il y est tenu aux termes du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que l'affaire n'était pas
déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement. L'enquête de caractère général à laquelle se livrent
des organisations régionales et intergouvernementales au sujet de situations
préjudiciables à certains particuliers, notamment l'auteur d'une communication
soumise en vertu du Protocole facultatif, ne constitue pas "la même
affaire" au sens où l'entend le paragraphe 2 a) de l'article 5.
5.2 Le Comité a interprété le fait que l'État partie indique en termes
généraux que M. Zelaya Blanco avait été remis en liberté comme laissant
entendre qu'il avait eu la possibilité d'introduire un recours approprié.
Il a réaffirmé sa position, à savoir que l'on peut déduire des dispositions
de l'article 91 de son règlement intérieur et du paragraphe 2 de l'article
4 du Protocole facultatif qu'un État partie au Pacte doit lui communiquer
toutes les informations dont il dispose; il s'agit, au moment où le Comité
s'attache à établir la recevabilité d'une communication, de présenter
des informations suffisamment détaillées concernant les recours déjà introduits
ou pouvant encore l'être par les personnes qui prétendent être victimes
d'une violation de leurs droits. Or, l'État partie n'a pas soumis lesdites
informations. Sur la base des renseignements qui lui ont été communiqués,
le Comité a conclu que Roberto Zelaya n'avait pas la possibilité d'introduire
de recours efficaces dans le cadre de son affaire.
5.3 Le Comité a noté que les autorités de tout État partie au Pacte sont
tenues d'enquêter sur les plaintes de violations des droits de l'homme
et d'offrir aux victimes les recours judiciaires et indemnités appropriés,
même si les violations peuvent être attribuées à une administration antérieure.
5.4 Le Comité a considéré que les allégations formulées par les auteurs
ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et qu'elles soulevaient
des questions au titre des articles 7, 9, 10, 14 et 17 du Pacte.
5.5 Le 20 mars 1992, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication
recevable dans la mesure où il apparaissait qu'elle soulevait des questions
au regard des articles 7, 9, 10, 14 et 17 du Pacte.
Les observations de l'État partie et les commentaires de l'auteur
6.1 Le 27 juillet 1992, l'État partie a envoyé une note dans laquelle
il indiquait que le nouveau gouvernement avait amorcé un processus de
réconciliation nationale, sans aucun esprit de revanche. Au Nicaragua,
le pouvoir judiciaire indépendant joue dorénavant un r_le éminent dans
la protection des droits de l'homme. Comme M. Zelaya jouissait au Nicaragua
de tous ses droits civils et politiques, il était entièrement libre de
demander à être indemnisé ou de présenter tout autre recours qu'il jugerait
approprié.
6.2 Le 5 octobre 1992, Roberto Zelaya Blanco a répondu qu'il ne pouvait
s'attendre à recevoir aucune indemnisation de tribunaux ad hoc au Nicaragua,
ces tribunaux étant les successeurs des tribunaux spéciaux de justice
qui l'avaient condamné, lui et d'autres, en toute inéquité. Il conteste
en particulier que le pouvoir judiciaire soit maintenant indépendant au
Nicaragua, comme le soutient l'État partie, car de nombreux juges, y compris
ceux qui siègent à la Cour suprême, y avaient été nommés pour des raisons
politiques par le précédent gouvernement sandiniste. En outre, il soutient
que si le nouveau gouvernement était vraiment attaché à rendre impartialement
la justice, il aurait lui-même poursuivi de son propre chef les responsables
de crimes, de corruption et autres abus, qui s'étaient produits des années
durant sous l'administration sandiniste. Il met également en cause l'engagement
à l'égard des droits de l'homme du gouvernement de Violeta Barrios de
Chamorro, dans la mesure où cette dernière, en tant que membre de ce qui
était alors le gouvernement sandiniste (Junta de Gobierno de Reconstrucción
Nacional), avait elle-même signé le décret No 185 du 29 novembre 1979,
qui instituait les tribunaux spéciaux de justice, dépendant directement
du pouvoir exécutif, qui ont poursuivi de nombreux anciens fonctionnaires
pour un prétendu délit de conspiration (delito de asociación para delinquir),
pour la seule raison qu'ils avaient servi dans la fonction publique sous
le gouvernement Somoza.
6.3 En ce qui concerne la confiscation de ses biens, l'auteur invoque
l'article 17 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui protège
le droit à la propriété et souligne que les décrets de confiscation du
gouvernement sandiniste ont été signés par un grand nombre des membres
actuels du gouvernement, y compris la nouvelle présidente, Mme Violeta
Barrios de Chamorro, en particulier le décret No 38 du 8 août 1979 qui
prévoit l'expropriation des précédents fonctionnaires de l'administration
Somoza, y compris les médecins et les dentistes qui soignaient la famille
Somoza. L'auteur mentionne trois biens immobiliers dont il était le propriétaire
et qui lui ont été confisqués par le gouvernement sandiniste pour être
ultérieurement vendus à des tiers. Il soutient que le nouveau gouvernement
recourt à des tactiques dilatoires pour empêcher que ses biens ne lui
soient restitués et s'efforce de compliquer à tel point les démarches
que les demandeurs finissent par abandonner leurs réclamations, effrayés
par l'ampleur des dépenses qu'implique leur tentative de recouvrer leurs
biens. L'auteur conclut que les biens confisqués par suite de mesures
administratives devraient être restitués à leur propriétaire légitime
également par décret administratif. Il soutient en outre qu'il y a discrimination
dans la mesure où les biens confisqués à des personnes qui étaient citoyens
des États-Unis avant le 19 juillet 1979 leur ont été restitués, alors
que les biens qui étaient précédemment la propriété de citoyens nicaraguayens
ne peuvent leur être restitués qu'à l'issue de procès onéreux.
6.4 En ce qui concerne sa détention, l'auteur soutient qu'il s'agissait
d'une détention illégale et arbitraire et que les tribunaux révolutionnaires
lui ont refusé les garanties d'une procédure régulière. Il joint des extraits
du rapport d'Amnesty International intitulé Nicaragua : Droits de l'homme
1986-1989, dans lequel Amnesty mentionne spécifiquement avoir enquêté
sur son cas. Le rapport conclut : "Après avoir pris connaissance
du jugement et parlé au prisonnier en novembre 1987, Amnesty International
est arrivée à la conclusion qu'il n'existait aucun élément de preuve avérant
les accusations pénales qui avaient été portées contre lui : aucune victime
n'avait été identifiée en ce qui concerne l'accusation de meurtre et pour
ce qui est des autres accusations, on mentionnait seulement comme victime
'le peuple nicaraguayen'. Il semblait que ce soit uniquement en raison
de l'attitude ouvertement anti-sandiniste de M. Zelaya Blanco pendant
la période prérévolutionnaire et de ses diverses publications journalistiques
que celui-ci avait été déclaré coupable..."a.
6.5 L'auteur décrit ensuite les tortures et mauvais traitements qui lui
auraient été infligés. Le 11 octobre 1979, lui et d'autres détenus ont
été extraits de leurs cellules par des mercenaires de nationalité argentine,
Che Walter et Che Manuel. À 9 heures du matin, on les a conduits dans
un bureau où on les a battus. L'auteur dit, en particulier, qu'après lui
avoir mis les menottes, on l'a suspendu par une chaîne au plafond du bureau.
On lui aurait demandé de signer des aveux concernant l'assassinat de Pedro
Joaquim Chamorro, mari de l'actuelle présidente du Nicaragua. Le texte
de ces aveux lui a été lu par D. M. R., le conseil juridique du commandant
de la police. Il a catégoriquement refusé de signer cette déclaration
en dépit des menaces. À une heure de l'après-midi, les policiers qui l'interrogeaient
sont revenus avec l'un des bourreaux les plus notoires de la Direction
générale de la sûreté de l'État (DGSE), mais il n'en a pas moins continué
de refuser à signer quelques aveux que ce soient, sur quoi Che Manuel,
J.M.S. et R.C.G. ont commencé à le rouer de coups jusqu'à 7 heures du
soir. À 11 heures, on lui a retiré ses chaînes, il s'est effondré par
terre et a été frappé à coups de pied par ceux qui l'avaient interrogé.
On l'a ensuite amené en voiture hors de la ville, dans un endroit où lui
et 15 autres prisonniers devaient être exécutés. Quelqu'un a donné lecture
des sentences de mort prononcées par la Junte de gouvernement de reconstruction
nationale. Ses 15 compagnons ont été abattus, mais pas lui. Bien qu'il
ne se rappelle pas clairement ce qui s'est passé, il semble qu'il ait
perdu connaissance et ne soit revenu à lui que quelque temps après la
fusillade, gisant sur le sol et toujours menottes aux poignets. À 2 heures
du matin, le 12 octobre 1979, on l'a emmené à Managua dans les bureaux
de la DGSE, où il a été accueilli par un certain "Compañero Ernesto"
qui lui a retiré les menottes. À 6 h 30, on l'a emmené dans une maison
qui avait servi de dortoir pour le personnel de ce qui était auparavant
le bureau de la sûreté nationale, où il a été interrogé par le "commandant
Pedro", dont le véritable nom était R.B., qui lui a pris également
la montre Bulova qu'il portait au poignet, son alliance et son portefeuille
qui renfermait 400 cordobas. Il mentionne le nom de cinq témoins qui l'ont
vu arriver dans les locaux de la DGSE. Aux environs de midi, le "commandant
Pedro" accompagné de J.R. (Compañero Patricio) et H.I. (capitaine
Santiago) sont venus le chercher, lui ont passé les menottes et l'ont
emmené dans une pièce où il a été à nouveau enchaîné, à moitié suspendu
depuis le plafond. On lui a dit que les cadres universitaires et administratifs
de l'Université du Nicaragua étaient abondamment infiltrés par des agents
de la CIA et qu'il devait avaliser une déclaration qui avait été préparée
pour qu'il y appose sa signature, dénonçant entre autres certains de ses
collègues de l'université, les professeurs E.A.C., F.C.G., J.C.V.R. et
A.F.V. Ayant refusé de signer la déclaration, car il n'avait jamais eu,
de près ni de loin, le moindre contact avec la CIA, il a été à nouveau
roué de coups par le commandant Pedro, le compañero Patricio et le capitaine
Santiago. On l'a ensuite laissé tranquille pendant quelques semaines,
mais le 7 novembre 1979, le commandant Pedro, après lui avoir à nouveau
fait passer les menottes et poser un bandeau sur les yeux, l'a emmené
dans un endroit où l'on était en train de rassembler des prisonniers pour
les charger dans deux camions. Il a été forcé de monter dans l'un de ces
camions que l'on a conduit en dehors de la ville. Après quoi on a fait
descendre les prisonniers et on les a fait marcher jusqu'à un endroit
où on les a obligés à s'agenouiller; une trentaine d'entre eux ont été
abattus d'une balle dans la nuque. Il en restait 10 qui ont été emmenés
ailleurs. On lui a dit alors de ne pas parler de ce qu'il avait vu, sinon
sa femme et son fils en subiraient les conséquences.
6.6 Le 26 novembre 1979, l'auteur et 23 autres prisonniers ont été transférés
dans une autre prison située près de l'aéroport international de Managua,
le Centre de réhabilitation sociale et politique, placé sous la direction
du commandant V.J.G., qui aurait lui-même assassiné plusieurs gardes du
précédent gouvernement Somoza.
6.7 Le 7 décembre, après deux mois de détention au secret, il a été autorisé
à recevoir la visite de sa femme. Elle lui a appris que leur maison avait
été mise à sac le 12 octobre par des membres de la DGSE, qui l'avaient
elle-même battue — alors qu'elle était enceinte — tant et
si bien qu'elle avait fait une fausse couche et qui avaient dérobé des
bijoux et d'autres biens personnels.
6.8 Le 26 mars 1980 à 11 heures du soir, il avait été transféré, en même
temps que 29 autres prisonniers politiques, à la prison modèle, qui ressemblait
plut_t à un camp de concentration où les détenus étaient si mal nourris,
précise-t-il, qu'ils ressemblaient à des déportés de Buchenwald. Les prisonniers
apparaissaient traumatisés du fait des tortures ou parce qu'ils craignaient
d'être sommairement exécutés. En outre, les familles n'étaient pas autorisées
à rendre visite aux détenus ni ne pouvaient envoyer de colis alimentaires.
Les responsables de ces mauvais traitements étaient F.F.A., F.L.A., S.A.G.
et J.I.G.C. Mais le principal responsable était en fait J.M.A., Directeur
du système pénitentiaire, sur l'ordre duquel plus d'une centaine de prisonniers
politiques auraient été exécutés.
6.9 L'auteur soutient que le nouveau Gouvernement du Nicaragua n'a fait
procéder à aucune enquête sur ces crimes et ces mauvais traitements.
6.10 Dans une autre lettre du 29 mars 1993, l'auteur mentionne un livre
du Dr Carlos Humberto Canales Altamirano, intitulé Injusticia Sandinista.
Carcel y Servicio, dans lequel son cas est fréquemment mentionné,
concernant en particulier les conditions inhumaines d'emprisonnement dans
lesquelles il a été détenu et qui ont entraîné la déclaration d'une hépatite
et l'aggravation de ses crises chroniques d'asthme, et où est mise en
cause la responsabilité du médecin de la prison J.A.B.
7. Les déclarations de l'auteur ont été communiquées à l'État partie
le 5 janvier et le 26 août 1993. Dans ses observations du 16 juillet 1993,
l'État partie, sans prendre en considération le fond de l'affaire, se
borne à invoquer le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif,
indiquant que l'auteur ne s'est pas prévalu des recours à sa disposition
au Nicaragua pour solliciter la restitution de ses biens et une indemnisation
pour son emprisonnement.
8.1 Dans une autre lettre, datée du 6 septembre 1993, l'auteur commente
les observations de l'État partie, se référant au décret No 185 du 29
novembre 1979 en vertu duquel les jugements rendus par les tribunaux spéciaux
de justice sont sans appel et ne peuvent faire l'objet d'un pourvoi en
cassation. Les recours disponibles étaient donc épuisés dès lors que le
tribunal révolutionnaire avait prononcé la sentence le condamnant à 30
ans d'emprisonnement. La libération de l'auteur, après 10 années de privations
et de mauvais traitements, ne mettait pas un point final à la violation
de ses droits au regard du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
8.2 En ce qui concerne la question de l'impunité, l'auteur fait observer
que l'État partie n'a engagé aucune poursuite contre les tortionnaires
connus de l'ancien régime et que les intéressés vivent au Nicaragua en
parfaite impunité, alors que leurs crimes ont été dénoncés et dûment établis.
L'auteur affirme en outre que l'État partie n'a pas ouvert d'enquête sur
ces affaires.
8.3 Le 16 juin 1994, l'État partie rappelle sa position, à savoir que
l'auteur n'a pas épuisé les recours internes comme l'exige le paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il ne se prononce pas sur
les allégations de l'auteur quant au fond.
8.4 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles les
tribunaux ad hoc du Nicaragua ne sont pas impartiaux, l'État partie déclare
que le gouvernement n'est nullement habilité à intervenir dans leurs délibérations
ou décisions.
8.5 L'État partie affirme qu'à l'heure actuelle, les droits de l'homme
sont respectés au Nicaragua et renvoie au fait que la session de 1993
de l'Organisation des États américains et le IXe Congrès autochtone interaméricain
se sont tenus au Nicaragua, preuve que la communauté internationale reconnaît
la légalité démocratique qui s'est instaurée au Nicaragua.
Constatations du Comité quant au fond
9.1 Le Comité a pris dûment note de ce que l'État partie estimait que
l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes, puisqu'il pouvait désormais
porter plainte auprès des tribunaux compétents du présent Gouvernement
nicaraguayen.
9.2 Bien que l'État partie n'ait pas invoqué précisément le paragraphe
4 de l'article 93 du règlement intérieur du Comité, ce dernier a d'office
revu sa décision du 20 mars 1992 à la lumière des arguments de l'État
partie. Il se félicite de ce que celui-ci se montre disposé à examiner
les plaintes de l'auteur et considère que cet examen peut être considéré
comme un recours au regard du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte. Toutefois,
aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, il
considère que l'on ne saurait exiger maintenant de l'auteur, qui a été
arrêté en 1979 et qui a passé 10 ans en détention, qu'il intente une action
devant les tribunaux nicaraguayens avant que son affaire puisse être examinée
par le Comité. Celui-ci rappelle à ce propos que la communication lui
a été soumise en 1988, à un moment où il ne s'offrait à l'auteur aucun
recours interne ou bien où ces recours étaient inopérants. Même s'il existait
maintenant des recours internes dont l'auteur pouvait se prévaloir, y
faire appel entraînerait une prolongation excessive des efforts qu'il
lui fallait faire pour obtenir réparation pour sa détention et les mauvais
traitements qui lui auraient été infligés; le Comité conclut que le Protocole
facultatif n'exige pas, en l'espèce, de l'auteur qu'il fasse de nouvelles
démarches auprès des tribunaux nicaraguayens. En outre, il réitère ses
conclusions, à savoir que les critères de recevabilité au regard du Protocole
facultatif étaient remplis au moment où la communication a été présentée,
et qu'il n'y a par conséquent pas de raison qu'il revienne sur sa décision
du 20 mars 1992.
9.3 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements
fournis par les parties, comme l'exige le paragraphe 1 de l'article 5
du Protocole facultatif. Il déplore que l'État partie n'ait pas jugé bon
de lui communiquer aucun commentaire concernant le fond de l'affaire.
Conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, les
États parties doivent faire de bonne foi une enquête sur toutes les allégations
faites à son encontre et communiquer au Comité tous les renseignements
dont ils disposent. En l'absence de toute observation de l'État partie
quant au fond de l'affaire, les allégations de l'auteur doivent être dûment
prises en considération dans la mesure où leur bien-fondé est établi.
10.1 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur concernant la confiscation
de ses biens, le Comité rappelle que le Pacte ne garantit pas le droit
de propriété, en tant que tel. Toutefois, il peut se poser une question
au regard du Pacte lorsqu'une confiscation ou une expropriation sont déterminées
sur des bases discriminatoires en contravention avec l'article 26 du Pacte.
L'auteur a déclaré que ses biens lui avaient été confisqués pour la simple
raison qu'il appartenait à une catégorie de personnes dont les vues politiques
étaient contraires à celles du gouvernement sandiniste, et d'une manière
qui pouvait être qualifiée de discriminatoire. Toutefois, le Comité n'a
pas suffisamment d'éléments à sa disposition pour être en mesure de se
prononcer sur ce point.
10.2 Il est arrivé dans le passé que le Comité estime que l'immixtion
dans la correspondance d'un détenu pouvait constituer une violation de
l'article 17 du Pacte. Toutefois, en l'espèce il manque de renseignements
pour constater une violation du droit de l'auteur au respect de sa vie
privée au titre de l'article 17 du Pacte. Il ne dispose pas non plus de
suffisamment de renseignements pour se prononcer quant à une violation
du droit de l'auteur au respect de sa vie privée et de sa vie familiale
au regard de l'article 17 du Pacte.
10.3 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles
il aurait été arbitrairement maintenu en détention, le Comité note que
l'État partie n'a pas contesté les raisons qui, selon l'auteur, ont motivé
la détention, à savoir le fait qu'il avait des opinions politiques contraires
à celles du gouvernement sandiniste. Le Comité a également pris note des
nombreuses annexes jointes aux lettres de l'auteur, y compris du rapport
pertinent du Département de la sûreté de l'État nicaraguayen et de l'analyse
de cette affaire par Amnesty International. À la lumière de tous les éléments
d'information dont il dispose, le Comité estime que l'arrestation et le
maintien en détention de l'auteur constituent une violation de l'article
9 du Pacte.
10.4 En ce qui concerne le déni allégué d'un procès équitable, le Comité
estime que la procédure suivie par les tribunaux spéciaux de justice n'offrait
pas les garanties d'un procès équitable que prévoit l'article 14 du Pacte.
Il note en particulier que l'État partie n'a pas contesté l'allégation
de l'auteur selon laquelle on aurait à maintes reprises exercé des pressions
sur lui pour l'amener à signer des aveux, en violation du paragraphe 3
g) de l'article 14.
10.5 Pour ce qui est des allégations de l'auteur selon lesquelles il
aurait été soumis à la torture et à des mauvais traitements, le Comité
note que ses déclarations sont extrêmement détaillées et qu'il mentionne
le nom des officiers qui avaient ordonné les mauvais traitements, y avaient
participé ou en étaient en fin de compte responsables. En outre, l'auteur
a nommé de nombreux témoins des mauvais traitements allégués. Dans ces
conditions, et compte tenu du fait que l'État partie n'a pas contesté
les allégations de l'auteur, le Comité estime qu'il est justifié, au vu
des renseignements dont il dispose, de dire que l'auteur a été victime
d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
10.6 Le Comité estime que les violations de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte ont un caractère extrêmement grave et requièrent
des États parties au Pacte qu'ils procèdent promptement à des enquêtes.
Dans ce contexte, le Comité se réfère à son observation générale No 20
(44) sur l'article 7b, qui se lit en partie comme suit :
"L'article 7 devrait être lu conjointement avec le paragraphe 3
de l'article 2 du Pacte ... Le droit de porter plainte contre des actes
prohibés par l'article 7 doit être reconnu dans le droit interne. Les
plaintes doivent faire l'objet d'enquêtes rapides et impartiales des
autorités compétentes pour rendre les recours efficaces...
Les États ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours utile,
y compris le droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus
complète possible."
À cet égard, l'État partie a fait savoir que l'auteur pouvait intenter
une action devant les tribunaux nicaraguayens. Indépendamment de l'éventuelle
efficacité de cette voie de recours, le Comité estime que la responsabilité
de l'enquête incombe à l'État partie du fait qu'il est tenu d'offrir un
recours efficace.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation de l'article 7 du paragraphe 1
de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe 3 g)
de l'article 14 du Pacte.
12. Le Comité est d'avis que M. Roberto Zelaya Blanco a droit, en vertu
du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, à un recours utile. Il demande
instamment à l'État partie de prendre des mesures efficaces a) pour octroyer
une indemnisation appropriée à M. Zelaya pour les violations de ses droits,
au sens également du paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte; b) pour faire
procéder officiellement à une enquête sur les allégations de torture et
de mauvais traitement en cours de détention présentées par l'auteur; et
c) pour veiller à ce que de semblables violations ne se reproduisent plus
à l'avenir.
13. Le Comité souhaiterait recevoir des informations, dans les 90 jours,
sur toutes mesures que l'État partie aura prises comme suite à ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a Amnesty International, Nicaragua : Droits de l'homme
1986-1989 (Londres, novembre 1989), p. 13 et 14.
b Adoptée en 1992 à la quarante-quatrième session du Comité;
voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième
session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe VI.A, par. 14 et 15.