Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquantième session -
Communication No 333/1988
Présentée par : Lenford Hamilton (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 7 novembre 1988 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 mars 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 333/1988 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de M. Lenford Hamilton en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été soumises par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Lenford Hamilton, citoyen jamaïcain
détenu à la prison du district de Sainte Catherine (Jamaïque) et condamné
à la peine capitale. Il affirme être victime d'une violation par la Jamaïque
des articles 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été déclaré coupable d'avoir abattu un policier, Caswell
Christian, le 27 février 1981, dans la commune de Sainte Catherine. La
victime procédait avec d'autres policiers à une perquisition domiciliaire
dans divers immeubles du ghetto de Tawes Pen lorsqu'elle a été abattue
par un tireur caché derrière un rideau dans la salle de séjour d'un appartement
en cours de perquisition. Au moins deux policiers auraient vu l'auteur
s'enfuir du groupe d'immeubles où l'incident avait eu lieu. L'auteur indique
qu'il n'a été arrêté que près de 17 mois plus tard, le 23 juillet 1982.
Il affirme avoir été le seul suspect présenté à la séance d'identification
et n'avoir été identifié que par confrontation avec les témoins.
2.2 Le procès de l'auteur s'est déroulé devant la Home Circuit Court
de Kingston du 15 au 17 novembre 1983. D'après le compte rendu d'audience,
il semble que les officiers de police qui ont arrêté l'auteur au commissariat
central n'étaient pas présents sur les lieux du crime au moment des faits,
mais s'étaient fiés simplement aux témoignages de deux autres policiers,
dont l'un a déclaré au procès qu'il n'avait pu voir le visage de l'accusé
qu'une "fraction de seconde".
2.3 L'auteur a été reconnu coupable et condamné à mort. Il s'est pourvu
devant la cour d'appel de la Jamaïque, qui l'a débouté le 14 janvier 1986.
L'auteur a depuis manifesté le désir de présenter une demande d'autorisation
spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil privé, mais
il n'a pu le faire, la cour d'appel n'ayant pas rendu d'arrêt écrit motivé.
2.4 Le 7 novembre 1988, une ordonnance d'exécution pour le 15 novembre
1988 a été rendue. Le 14 novembre, l'auteur a bénéficié d'un sursis d'exécution
en attendant le résultat des démarches engagées en son nom auprès de la
section judiciaire du Conseil privé.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme être victime d'une violation par la Jamaïque de l'article
7 du Pacte, du fait de la durée de sa détention dans le quartier des condamnés
à mort, et de l'article 14, du fait du manquement de la cour d'appel qui
n'a pas rendu de décision motivée.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie
4.1 Dans ses réponses des 3 mars et 7 juillet 1989 et du 21 février 1990,
l'État partie fait valoir que la communication est irrecevable au motif
du non-épuisement des recours internes, car l'auteur n'a pas encore sollicité
de la section judiciaire du Conseil privé l'autorisation spéciale de former
recours.
4.2 À l'argument de l'auteur qui affirme n'avoir pas pu déposer une demande
d'autorisation spéciale de recours à ladite section judiciaire parce que
la cour d'appel n'a pas rendu d'arrêt écrit, l'État partie oppose que
cette affirmation n'a aucun fondement ni en droit, ni en pratique. Il
fait remarquer à ce sujet que l'ordonnance de 1982 contenant le règlement
intérieur de la section judiciaire (instance générale d'appel) ne prévoit
nullement pareille condition et que le Conseil privé a déjà été saisi
de plusieurs requêtes en l'absence d'arrêt écrit.
4.3 L'État partie indique en outre que si, dans le cas de l'auteur, la
cour d'appel n'a pas rendu sa décision par écrit, c'est parce qu'elle
n'avait pas à l'époque l'habitude de procéder ainsi s'agissant de recours
qu'elle jugeait sans fondement.
Décision concernant la recevabilité du Comité
5.1 À sa quarante-quatrième session, en mars 1992, le Comité a examiné
la question de la recevabilité de la communication. Il a noté que la cour
d'appel de la Jamaïque n'avait toujours pas rendu de jugement écrit dans
l'affaire à l'examen, alors qu'elle avait débouté l'auteur plus de six
ans auparavant. Il a conclu que dans ces conditions, les procédures de
recours avaient excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2
b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7 du Pacte,
le Comité a estimé que l'auteur ne l'avait pas étayée, aux fins de la
recevabilité de la communication, et a conclu que M. Hamilton n'était
pas fondé à se déclarer victime d'une violation de cet article, au sens
de l'article 2 du Protocole facultatif.
5.3 Pour ce qui est des allégations de l'auteur qui mettaient en cause
l'appréciation par la Home Circuit Court de Kingston des éléments de preuve
produits contre lui, invoquant sa jurisprudence constantea,
a considéré que cette partie de la communication était irrecevable en
vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5.4 Enfin, le Comité a estimé que l'absence d'arrêt écrit de la cour
d'appel pouvait soulever au titre des paragraphes 3 c) et 5 de l'article
14 des questions qui devaient être examinées quant au fond; par conséquent,
le 20 mars 1992, il a déclaré la communication recevable en ce qu'elle
concernait les paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte.
Demande de révision de la décision concernant la recevabilité présentée
par l'État partie et observations du conseil à ce sujet
6.1 Dans une réponse datée du 11 février 1993, l'État partie réaffirme
qu'il tient la communication pour irrecevable au motif du non-épuisement
des recours internes. Il signale que le conseil de M. Hamilton a entrepris
de former deux recours internes qui restent ouverts à son client : premièrement
un appel pénal auprès de la section judiciaire du Conseil privé, et deuxièmement
une requête auprès du Gouverneur général en vertu du paragraphe 1 de l'article
29 de la loi sur l'organisation judiciaire (juridiction d'appel) pour
solliciter une révision de l'affaire par la cour d'appel. D'après l'État
partie, "il ne fait aucun doute que des recours internes restent
ouverts, que l'auteur doit épuiser avant que le Comité ne puisse se déclarer
compétent pour examiner la communication".
6.2 L'État partie fait valoir en outre que l'auteur a toujours la possibilité
de demander réparation en application de l'article 25 de la Constitution
qui prévoit cette possibilité pour quiconque se déclare victime d'une
violation de ses droits constitutionnels : à cet égard, il note que le
droit consacré au paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte est analogue
à celui qui est protégé par le paragraphe 1 de l'article 20 de la Constitution
jamaïcaine.
7.1 Dans ses observations, le conseil regrette que l'État partie n'ait
pas traité sur le fond les allégations de violation des paragraphes 3
c) et 5 de l'article 14. Il fait remarquer que le Gouvernement jamaïcain
n'a pas offert à M. Hamilton l'aide judiciaire qui lui aurait permis de
présenter sa requête au Gouverneur général conformément au paragraphe
1 de l'article 29 de la loi sur l'organisation judiciaire (juridiction
d'appel); par conséquent, dans les faits, ce recours n'est pas disponible
pour lui. De même, il n'a pas bénéficié de l'aide judiciaire pour présenter
une requête en vertu de l'article 25 de la Constitution jamaïcaine et
par conséquent ce recours ne lui est pas davantage ouvert en pratique.
7.2 Le conseil note que la cour d'appel de la Jamaïque a examiné la requête
de M. Hamilton en vertu du paragraphe 1 de l'article 29 entre le 29 septembre
et le 1er octobre 1993 et a réservé son jugement. À ce jour, elle ne l'a
toujours pas rendu. Le conseil affirme toutefois que les questions examinées
par la cour d'appel de la Jamaïque en application du paragraphe 1 de l'article
29 étaient sans rapport avec celles qui ont été soumises à l'examen du
Comité des droits de l'homme.
7.3 Enfin, le conseil fait observer qu'il est certes possible de déposer
le pourvoi sollicitant une autorisation spéciale de recours (in forma
pauperis) auprès de la section judiciaire sans nécessairement l'accompagner
d'une copie du jugement motivé écrit de la cour d'appel, mais que dans
la pratique l'affaire ne serait jamais défendue devant la section judiciaire
si celle-ci n'avait pas connaissance des motifs du rejet. Dans ce contexte,
il rappelle que le pourvoi devant la section judiciaire est un recours
contre le "jugement" de la cour d'appel.
Réexamen de la recevabilité et examen quant au fond
8.1 Le Comité a pris note des arguments des deux parties au sujet de
la recevabilité. Il saisit cette occasion pour développer ses arguments
concernant cette question.
8.2 Au sujet d'une éventuelle révision de l'affaire en vertu du paragraphe
1 de l'article 29 de la loi sur l'organisation judiciaire (juridiction
d'appel), le Comité note que l'auteur n'était pas au bénéfice de l'aide
judiciaire à cette fin mais qu'il avait malgré tout pu s'assurer une représentation
en justice, comme il est attesté par la propre réponse de l'État partie
en date du 11 février 1993 et comme le reconnaît le conseil, qui signale
que la cour d'appel a bien réexaminé l'affaire entre le 29 septembre et
le 1er octobre 1993. Toutefois, comme l'indique le conseil, les questions
dont la cour d'appel était saisie n'étaient pas les mêmes que celles dont
le Comité était saisi, puisqu'il s'agissait de procéder à une nouvelle
appréciation des éléments de preuve, aspect pour lequel la communication
a été déclarée irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
Par conséquent, la requête en application du paragraphe 1 de l'article
29 de la loi sur l'organisation judiciaire (juridiction d'appel) n'est
pas un recours que l'auteur est tenu d'avoir épuisé aux fins de l'application
du Protocole facultatif à la communication considérée.
8.3 Les mêmes considérations valent pour la possibilité de solliciter
une autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire
du Conseil privé. D'après les renseignements dont le Comité dispose, il
semblerait que l'affaire de l'auteur tombe dans la catégorie des problèmes
d'"identification éclair" pour lesquels la section judiciaire
a établi des règles et des directives précises dans une décision de juillet
1989b. Toutefois, même si l'on peut objecter que les instructions
des tribunaux jamaïcains sur l'"identification éclair" de M.
Hamilton ne répondaient pas aux critères établis par la section judiciaire,
il reste que ce n'est pas de cette question que le Comité des droits de
l'homme est saisi; de plus, il est probable que l'absence de jugement
motivé de la cour d'appel empêche l'auteur de présenter des arguments
solides à l'appui de sa requête devant la section judiciaire même s'il
n'est pas obligatoire de produire un jugement pour déposer une requête
d'autorisation spéciale de recours. Le Comité est conscient du fait que
la section judiciaire a indiqué qu'elle peut examiner un recours même
en l'absence d'un arrêt écrit. Mais, comme la section judiciaire l'a noté
elle-même dans un jugement récent (affaire Earl Pratt et Ivan Morgan
c. Procureur généralc), dans la pratique, il est "nécessaire
de disposer des motifs de la cour d'appel à l'audience où la requête est
examinée, car faute de connaître ces motifs, il n'est généralement pas
possible de déterminer le point de droit ou l'erreur judiciaire grave
que l'appelant invoque". D'après la jurisprudence du Comité, un recours
doit être utile et effectivement disponible. Un appel quant au fond exigerait
donc nécessairement un arrêt écrit. Le Comité estime donc qu'il n'est
pas nécessaire, pour épuiser les recours internes de demander une autorisation
spéciale de recours auprès de la section judiciaire en l'absence d'un
arrêt écrit motivé.
8.4 Pour ce qui est de la possibilité de présenter une requête constitutionnelle
en vertu de l'article 25 de la Constitution jamaïcaine, il est avéré que
l'aide judiciaire n'est pas disponible à cette fin. Étant donné que l'auteur
ne pourrait pas se pourvoir s'il n'en bénéficiait pas, le Comité estime
qu'en l'absence de cette aide, la requête constitutionnelle ne constitue
pas, dans les circonstances de l'affaire, un recours utile et efficace
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Par
conséquent, le Comité n'a pas de raison de revenir sur sa décision concernant
la recevabilité, en date du 20 mars 1992.
9.1 Il reste au Comité à déterminer si, en ne produisant pas un arrêt
écrit motivé, la cour d'appel de la Jamaïque a violé les droits de l'auteur
en vertu des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte. Le paragraphe
5 de l'article 14 garantit le droit de toute personne déclarée coupable
d'une infraction de faire examiner la déclaration de culpabilité et la
condamnation "par une juridiction supérieure, conformément à la loi".
Le Comité, ayant noté que le fait de n'avoir pas rendu de jugement écrit
motivé empêchait qu'un recours supplémentaire soit effectivement disponible,
est également d'avis qu'il y a eu violation du droit de l'auteur, en vertu
des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14, à faire appel de sa condamnation
devant une juridiction supérieure conformément à la loi.
9.2 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'une
procédure judiciaire où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible, une violation de l'article
6 du Pacte. Comme il l'a noté dans son observation générale 6 (16), la
disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que
selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec
les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural
prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à
un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant et impartial,
la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit
de recourir à une instance supérieure"d. Dans le cas présent,
étant donné que la condamnation à mort définitive a été prononcée sans
que les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 aient
été observées, il faut conclure que le droit consacré à l'article 6 du
Pacte a été violé.
9.3 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui
ont été présentés font apparaître une violation des paragraphes 3 c) et
5 de l'article 14 du Pacte, et par voie de conséquence de l'article 6.
10. Dans les cas où l'accusé encourt la peine capitale, l'obligation
faite aux États parties au Pacte de respecter rigoureusement toutes les
garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte ne peut
souffrir aucune exception. Le Comité est d'avis que M. Lenford Hamilton,
victime d'une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 et par
voie de conséquence de l'article 6, a droit, conformément au paragraphe
3 a) de l'article 2 du Pacte, à un recours utile entraînant sa mise en
liberté; l'État partie est tenu de veiller à ce que de telles violations
ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. Le Comité souhaiterait recevoir, dans les 90 jours, des renseignements
sur toutes mesures que l'État partie aura prises pour donner suite à ses
constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a Voir, par exemple, Documents officiels de l'Assemblée
générale, quarante-sixième session, Supplément No 40 (A/46/40), annexe
XII.E, communication No 304/1988 (D. S. c. Jamaïque), déclarée
irrecevable le 11 avril 1991, par. 5.2.
b Oliver Whylie et consorts c. Procureur général
de Jamaïque.
c Section judiciaire du Conseil privé, jugement du 2 novembre
1993, p. 8.
d Documents officiels de l'Assemblée générale, trente-septième
session, Supplément No 40 (A/37/40), annexe V, observation générale
No 6 (16), par. 7.