Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 352/1989
Présentée par : Dennis Douglas, Errol Gentles et Lorenzo Kerr
(représentés par un conseil)
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 9 mars 1989 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 octobre 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 352/1989, présentée
au Comité par MM. Dennis Douglas, Errol Gentles et Lorenzo Kerr en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par les auteurs de la communication, par leur conseil
et par l'État partie intéressé,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par les auteurs
1. Les auteurs de la communication sont Errol Gentles, Lorenzo Kerr et
Dennis Douglas, citoyens jamaïcains détenus à la prison du district de
Sainte-Catherine (Jamaïque), où ils attendent d'être exécutés. Ils affirment
être victimes d'une violation de leurs droits par le Gouvernement jamaïcain.
Ils sont représentés par un conseil.
2.1 Les auteurs ont été accusés du meurtre, le 30 août 1980, d'un certain
Howard Campbell, dans la paroisse de Clarendon. Ils ont été jugés par
le tribunal de district de Clarendon, reconnus coupables et condamnés
à mort le 10 avril 1981. Le 14 avril 1983, la cour d'appel de la Jamaïque
a rejeté leur recours. Une demande d'autorisation spéciale de faire recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 6 octobre
1988.
2.2 D'après les auteurs, Howard Campbell se trouvait assis sur un banc
au bord d'une route du village de Woodside (Clarendon) lorsqu'une camionnette
transportant des hommes armés a traversé le village. Ces hommes, ainsi
que deux motocyclistes, ont commencé à molester et à attaquer les habitants
du village. Le ministère public a affirmé que les attaquants étaient venus
dans l'intention de tuer et, en particulier, qu'ils avaient saisi la victime,
l'avaient battue et poignardée à mort. En outre, l'attaque ayant eu lieu
au cours d'une campagne pour les élections générales, elle aurait pu avoir
des origines politiques.
2.3 Les auteurs ont nié avoir pris part à l'attaque et ont déclaré qu'ils
étaient ailleurs lorsque le crime a été commis. L'oncle de M. Gentles,
en particulier, a confirmé l'alibi de son neveu en déclarant que celui-ci
était chez lui en sa compagnie au moment des faits. Les auteurs affirment
en outre qu'aucune confrontation de suspects aux fins d'identification
n'a eu lieu après leur arrestation. À cet égard, Lorenzo Kerr et Errol
Gentles ont affirmé, dans leur demande d'autorisation spéciale de faire
recours auprès du Conseil privé, que l'identification était cruciale dans
leur affaire : ils ont affirmé que trois agents de police qui avaient
témoigné au cours du procès avaient été invités par le ministère public
à les identifier alors qu'ils se trouvaient au banc des accusés, soit
sept mois après le meurtre. Ainsi, le motif principal du recours en appel
était que le juge, dans sa récapitulation des faits, avait mis le jury
sur la mauvaise voie en autorisant l'identification des auteurs alors
qu'ils se trouvaient au banc des accusés et qu'il avait eu tort de ne
pas souligner les dangers d'une telle procédure. De plus, les auteurs
ont affirmé qu'au cours de l'examen des preuves résultant de l'identification,
le juge avait négligé de rappeler au jury que lors de l'enquête préliminaire
l'un des agents de police qui avait témoigné contre les auteurs n'avait
aucunement déclaré avoir vu les auteurs poignarder la victime.
2.4 Après avoir examiné la question de l'identification, la cour d'appel
a rejeté l'argumentation des auteurs et a déclaré : "À notre avis,
le juge d'instance, en avertissant le jury du danger de l'identification
visuelle, s'est référé à l'affaire R. c. Whylie (27 W. G.
I. R.). Les mêmes directives ont été données dans les deux affaires".
Les auteurs contestent le bien-fondé de ce raisonnement et font valoir
que le danger de l'identification visuelle est reconnu par les tribunaux
de la plupart des pays du Commonwealth.
2.5 Dans le cas de M. Dennis Douglas, le juge aurait commis une erreur
en ne mentionnant pas au jury la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire.
Le jury aurait ainsi été contraint de prononcer un verdict de meurtre
une fois l'alibi de l'auteur rejeté.
2.6 Dans une autre communication des auteurs datée du 11 août 1989, il
est déclaré que les auteurs ont été victimes d'un déni de justice car
la police ne les a convoqués à aucune confrontation de suspects aux fins
d'identification. Il est affirmé en outre qu'ils n'ont jamais eu aucune
possibilité de s'entretenir avec les avocats désignés par le tribunal.
Teneur de la plainte
3. Bien que les auteurs n'invoquent pas les dispositions du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, on peut conclure d'après leurs
communications qu'ils prétendent être victimes d'une violation de l'article
14 du Pacte par la Jamaïque.
4.1 La communication datée du 10 février 1993, adressée par le conseil,
contient plusieurs allégations nouvelles. Le Comité des droits de l'homme
n'est pas en mesure de les examiner car elles ont été formulées après
que le Comité a déclaré, le 15 mars 1990, que la communication était recevable
dans la mesure où elle soulevait peut-être des questions relevant de l'article
14, paragraphes 3 b) et d) et 5 du Pacte.
4.2 En ce qui concerne une éventuelle violation des alinéas b) et d)
du paragraphe 3 de l'article 14, le conseil affirme que les auteurs n'ont
pas bénéficié d'une représentation juridique satisfaisante durant leur
procès pour les raisons suivantes :
a) Ils étaient tous les trois représentés par le même avocat adjoint,
Me J. H., et par le même avocat principal, Me N. E. (Conseiller de la
Reine);
b) L'avocat adjoint représentait également le quatrième coaccusé au
même procès;
c) Jusqu'au premier jour du procès, N. E. et J. H. représentaient également
le cinquième coaccusé, avec un autre avocat. Ce n'est que lorsque le jury
a été constitué que cet accusé a demandé à être représenté seulement par
l'autre avocat.
4.3 De plus, il est allégué que le temps accordé à chacun des auteurs
pour la préparation du procès était insuffisant pour qu'ils puissent élaborer
une défense efficace avec leurs représentants. Il était particulièrement
important de pouvoir disposer d'un laps de temps suffisant car il fallait
préparer un contre-interrogatoire complexe sur la question de l'identification.
En outre, la défense aurait été lésée par le fait que l'État partie n'a
pas communiqué les conclusions de l'accusation aux auteurs ou à leurs
représentants juridiques suffisamment t_t avant le procès ou qu'il ne
les a pas communiquées du tout.
Ainsi, dans le cas de Dennis Douglas, il est allégué que l'auteur ne
s'est entretenu que deux fois avec l'avocat adjoint avant le procès. Lors
du premier entretien, qui s'est déroulé dans la prison, l'auteur n'aurait
pas eu la possibilité de s'isoler et, partant, n'aurait pas pu fournir
toutes les informations voulues à son avocat. L'avocat principal n'a participé
qu'au deuxième entretien qui a eu lieu immédiatement avant l'audition
préliminaire le 16 octobre 1989, et qui a duré 20 minutes. Hormis ces
entretiens, l'auteur n'a pu donner des instructions à ses représentants
juridiques et s'entretenir de son affaire avec eux qu'au tribunal, cinq
minutes chaque jour, avant le début des audiences. Il est allégué en outre
que, au cours de l'enquête préliminaire, M. Douglas a été informé des
charges retenues contre lui cinq mois seulement après son arrestation
et qu'on ne sait pas très bien s'il a eu accès aux conclusions de l'accusation
ou la possibilité de les commenter avant l'ouverture du procès.
Lorenzo Kerr fait valoir que, bien que le Conseil ait promis de faire
tout son possible pour obtenir les conclusions de l'accusation, il ne
les a pas vues et n'a pas eu la possibilité de les commenter avec le procès.
Dans le cas d'Errol Gentles, on indique qu'il a rencontré son avocat
une première fois lors de l'enquête préliminaire, pour un bref entretien,
et que c'est alors qu'il a été informé des charges retenues contre lui.
Il n'y a pas eu d'autres rencontres, ni avec l'avocat principal, ni avec
l'avocat adjoint, avant l'ouverture du procès. On affirme en outre qu'on
ne sait pas très bien s'il a eu accès aux conclusions de l'accusation
ou la possibilité de les commenter avant le procès.
4.4 Le conseil conclut que le fait d'avoir désigné un avocat principal
et un avocat adjoint (qui représentaient initialement cinq coaccusés)
pour représenter les trois auteurs a porté préjudice à la défense puisque
ceux-ci n'ont pas pu donner les instructions appropriées avant et pendant
le procès, et que, partant, leur cause ne pouvait pas être défendue de
manière équitable.
4.5 En ce qui concerne la préparation du recours formé devant la cour
d'appel de la Jamaïque, on fait valoir que les auteurs n'ont pas eu la
possibilité de s'isoler lorsqu'ils ont consulté leurs représentants juridiques
et que la durée des consultations a été limitée à 20 minutes.
4.6 Enfin, le conseil soutient que le refus de l'État partie de fournir
une aide judiciaire aux auteurs pour leur permettre de saisir la Cour
suprême (constitutionnelle) conformément aux articles 20 et 25 de la Constitution
jamaïcaine constitue une violation du paragraphe 5 de l'article 14 du
Pacte. À ce propos, il fait référence au paragraphe 8.4 des constatations
du Comité relatives à la communication 230/1987 (Raphael Henry
c.Jamaïque)a, dans lequel le Comité déclare que l'expression
"conformément à la loi" figurant au paragraphe 5 de l'article
14 signifie que, si le droit interne prévoit d'autres instances d'appel,
la personne condamnée doit avoir effectivement accès à chacune de ces
instances.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et commentaires
de l'auteur
5.1 Dans ses observations datées du 20 juillet 1989, l'État partie affirme
que la communication est irrecevable en raison du non-épuisement des recours
internes, suivant la règle énoncée à l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article
5 du Protocole facultatif. Les demandes d'autorisation de faire recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé ont été rejetées mais
les auteurs avaient encore la possibilité d'exercer un recours en vertu
de la Constitution.
5.2 Dans ses commentaires, le conseil rejette l'affirmation selon laquelle
les auteurs pourraient encore former un recours en vertu de la Constitution
et affirme que ces derniers n'ont pas les moyens de s'assurer les services
d'un avocat pour saisir la Cour suprême. En outre, la loi sur la défense
des détenus nécessiteux ne prévoit pas l'octroi d'une aide judiciaire
à cette fin; le Conseil jamaïcain des droits de l'homme a déployé des
efforts considérables pour obtenir les services d'un avocat à titre gratuit,
mais ses efforts sont restés vains. Le conseil affirme que si les auteurs
peuvent théoriquement former un recours en vertu de la Constitution, dans
la pratique ils n'en ont pas la possibilité.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa trente-huitième session, en mars 1990, le Comité a statué sur
la recevabilité de la communication. Il a pris note du fait que l'État
partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l'auteur
n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Au vu des informations
dont il disposait, le Comité a estimé qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle
au titre de l'article 25 de la Constitution jamaïcaine n'était pas un
moyen de recours dont les auteurs auraient pu se prévaloir au sens du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.2 Le Comité a constaté en outre que certaines des allégations formulées
par les auteurs mettaient en cause la validité des instructions données
au jury par le juge, et que, plus précisément, elles contestaient la procédure
d'identification et mentionnaient la possibilité d'un verdict d'homicide
involontaire. Le Comité a réaffirmé qu'en principe, il ne lui appartient
pas d'examiner les instructions expresses données au jury par le juge,
à moins qu'il ne lui soit possible de vérifier que les instructions au
jury étaient de toute évidence arbitraires ou équivalaient à un déni de
justice, ou encore que le juge avait manifestement manqué à son devoir
d'impartialité. En l'espèce, le Comité a conclu que les instructions du
juge n'étaient pas entachées de tels vices.
6.3 Le 15 mars 1990, le Comité a déclaré que la communication était recevable
en vertu des paragraphes 3 b) et d) et 5 de l'article 14 du Pacte.
Les objections de l'État partie à la décision concernant la recevabilité
et commentaires du conseil
7.1 Dans une lettre datée du 6 février 1991, l'État partie a demandé
au Comité de revoir sa décision concernant la recevabilité.
7.2 L'État partie argue que rien dans le Protocole facultatif ni dans
le droit international coutumier ne vient appuyer l'affirmation selon
laquelle un individu est exempté de l'obligation d'épuiser les recours
internes simplement du fait qu'aucune aide judiciaire n'est prévue et
que son indigence l'a empêché d'utiliser un recours dont il aurait pu
se prévaloir. Il avance que le Pacte n'impose l'obligation de fournir
une aide judiciaire qu'en cas d'infraction pénale [art. 14, par. 3 d)].
En outre, les conventions internationales relatives aux droits économiques,
sociaux et culturels n'imposent pas aux États l'obligation absolue d'assurer
l'exercice de ces droits : l'article 2 du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit que les États parties
doivent assurer progressivement l'exercice des droits économiques "au
maximum de leurs ressources disponibles" et tient compte de la capacité
d'application des États. Cela étant, l'État partie argue que l'on ne peut
pas nécessairement déduire de l'indigence des auteurs et de l'absence
d'aide judiciaire en cas de recours en vertu de la Constitution, que le
recours n'existe pas ou que l'on ne peut pas s'en prévaloir.
8.1 Dans sa communication du 10 février 1993, le conseil présente ses
commentaires sur la requête de l'État partie demandant la révision de
la décision concernant la recevabilité, et fait observer que les auteurs
ont été arrêtés en 1980, jugés et condamnés en 1981, et que la cour d'appel
jamaïcaine a rejeté leur appel en 1983. Il fait valoir qu'un nouvel appel
devant la Cour suprême (constitutionnelle), dans leur cas, entraînerait
une prolongation de l'application des recours internes qui excéderait
les délais raisonnables.
8.2 Le conseil soutient en outre qu'un pourvoi devant la Cour suprême
(constitutionnelle) de la Jamaïque n'aboutirait pas, étant donné le précédent
établi par les décisions de la section judiciaire dans les cas DPP
c. Nasarallab, et Riley et autres c. Ministre
jamaïcain de la justicec, où il a été soutenu que la Constitution
jamaïcaine était censée prévenir l'adoption de lois injustes et pas simplement
le traitement injuste dans le cadre de la loi.
8.3 Quant à l'argument de l'État partie selon lequel aucune disposition
du Protocole facultatif ou du droit international coutumier ne vient appuyer
l'affirmation selon laquelle une personne est exemptée de l'obligation
d'épuiser les recours locaux du fait qu'il n'existe pas de disposition
prévoyant l'octroi d'une aide judiciaire et que son indigence l'a empêchée
d'utiliser un recours dont elle aurait pu se prévaloir, le conseil argue
qu'une telle condition doit être réputée exister, en particulier dans
les pays où l'indigence et la pauvreté sont répandues et où les personnes
qui peuvent se permettre de se faire représenter en justice sont extrêmement
rares. Tirer une autre conclusion rendrait les dispositions touchant l'épuisement
des recours internes vides de sens. Il ne peut pas avoir été dans l'intention
des auteurs du Protocole facultatif de dire qu'un État partie peut arguer
du non-épuisement des recours lorsque cette situation est essentiellement
attribuable au fait que l'État partie en question n'a pas donné à l'auteur
les moyens financiers d'exercer ces recours. En décider autrement viderait
l'article 2 du Pacte de tout sens. Aux termes de cet article, les États
s'engagent à garantir les droits reconnus dans le Pacte "sans distinction
aucune, notamment ... de fortune ... ou de toute autre situation".
Limiter effectivement les recours en vertu de la Constitution à ceux qui
ont les moyens de payer les frais juridiques serait incompatible avec
le libellé de cette disposition et les droits que le Pacte vise à assurer
"sans distinction aucune".
Réexamen des questions concernant la recevabilité et examen quant
au fond
9.1 Le Comité a pris note de la requête de l'État partie lui demandant
de revoir sa décision concernant la recevabilité, ainsi que de sa critique
du raisonnement qui a abouti à la décision du 15 mars 1990. Il saisit
cette occasion d'expliquer ses conclusions sur la recevabilité.
9.2 Le Comité note que la Cour suprême de la Jamaïque a, dans des affaires
récentes, autorisé des demandes de recours en vertu de la Constitution
concernant des violations de droits fondamentaux après que les appels
dans ces affaires aient été rejetés au pénal. Néanmoins, il note également
que, dans le cas considéré comme dans d'autres casd, l'État
partie indique que l'aide judiciaire n'est pas fournie pour les recours
en vertu de la Constitution et qu'il n'est pas tenu, en vertu du Pacte,
de fournir une aide judiciaire pour ces recours dans la mesure où ils
ne portent pas sur l'arrêt concernant une inculpation au pénal, comme
l'exige l'article 14, paragraphe 3, alinéa d) du Pacte. De l'avis du Comité,
ceci vient appuyer la conclusion, figurant dans sa décision sur la recevabilité,
selon laquelle un recours en vertu de la Constitution n'est pas un recours
disponible à une personne qui ne possède pas les moyens de s'en prévaloir.
Le Comité fait observer ici que les auteurs ne prétendent pas être exemptés
de l'obligation d'intenter une action en vertu de la Constitution du fait
de leur indigence; c'est plut_t le manque de bonne volonté ou l'incapacité
de l'État partie de fournir une aide judiciaire à cette fin qui fait que
ce recours n'est pas un recours qu'il faut nécessairement épuiser aux
fins du Protocole facultatif. En ce qui concerne l'argument de l'État
partie selon lequel les instruments internationaux relatifs aux droits
économiques, sociaux et culturels n'imposent pas aux États l'obligation
absolue de procéder à la mise en oeuvre de ces droits, le Comité fait
observer que la question de savoir si l'auteur dispose encore de recours
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'a
aucun rapport avec la réalisation progressive des droits économiques,
sociaux et culturels et n'a aucune incidence sur cette réalisation.
9.3 Le Comité fait observer en outre que les auteurs ont été arrêtés
en 1980, jugés et condamnés en 1981, et que leur appel a été rejeté en
1983. Le Comité estime qu'aux fins de l'article 5, paragraphe 2 b) du
Protocole facultatif, intenter un recours en vertu de la Constitution,
dans ce cas, entraînerait une prolongation de l'application des recours
internes qui excéderait les délais raisonnables. Cela étant, il n'y a
pas de raison de revoir la décision concernant la recevabilité prise le
15 mars 1990.
10.1 Le Comité note avec regret le manque de coopération de l'État partie,
qui n'a envoyé aucun document sur le fond des questions à l'examen. Il
ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif
qu'un État partie doit mettre à la disposition du Comité toutes les informations
qu'il possède; tel est le cas même si l'État partie fait objection à la
recevabilité de la communication et demande au Comité de revoir sa décision
sur la recevabilité, dans la mesure où les demandes de révision sont examinées
par le Comité dans le contexte de l'examen du bien-fondé d'une affaire,
en application du paragraphe 4 de l'article 93 du règlement intérieur.
10.2 Le Comité saisit également cette occasion d'exprimer sa préoccupation
devant le fait que le conseil, malgré deux rappels, a présenté ses commentaires
sur la communication de l'État partie deux ans après sa réception et n'a
étayé ses conclusions que près de trois ans après l'adoption de la décision
sur la recevabilité. Le paragraphe 8 d) de la décision du Comité concernant
la recevabilité de l'affaire stipule que seraient transmises "à l'auteur
et à son conseil toutes les explications ou déclarations reçues de l'État
partie, en les priant de faire parvenir au Comité des droits de l'homme
[...] dans les six semaines qui suivront la date de ladite transmission,
toutes les observations qu'ils souhaiteraient présenter à leur sujet".
Si la présentation de toute observation est laissée à la discrétion des
auteurs et de leur conseil, le Comité estime que tout auteur ou conseil
qui souhaite étayer ses arguments ou souhaite présenter des observations
sur la communication d'un État partie, doit le faire en temps utile de
façon à permettre au Comité de terminer son examen aussi rapidement que
possible.
11.1 En ce qui concerne les réclamations des auteurs sur la base de l'article
14, paragraphe 3, alinéas b) et d), le Comité réitère que le droit d'une
personne accusée de disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense est un élément important de la garantie d'un
procès équitable et un corollaire du principe de l'égalité devant la loi.
La détermination de ce qui constitue le temps nécessaire dépend d'une
évaluation des circonstances particulières de chaque cas. Les documents
dont est saisi le Comité révèlent que ni le conseil principal, ni le conseil
adjoint, ni les auteurs ne se sont plaints au juge d'instruction que le
temps ou les facilités dont ils ont disposé pour préparer la défense n'avaient
pas été suffisants. Le Comité note que si les auteurs ou leurs conseils
avaient estimé ne pas être bien préparés, c'était à eux qu'il revenait
de demander le renvoi du procès à une date ultérieure. Par ailleurs, le
Comité ne saurait conclure, sur la base des documents dont il dispose,
que les représentants des auteurs n'ont pas été en mesure de les représenter
convenablement, ni qu'ils aient fait montre d'une absence de jugement
professionnel dans la défense de leurs clients. Cela est également vrai
pour l'appel. La sentence écrite de la cour d'appel révèle que chacun
des auteurs était représenté devant la cour par un conseil différent et
que rien ne laisse entendre que les avocats n'aient pas été en mesure
de bien préparer les cas pour l'appel. Le Comité estime donc qu'il n'y
a pas eu violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l'article 14.
11.2 Il reste au Comité à décider si le fait que l'État partie n'a pas
fourni d'aide judiciaire aux auteurs aux fins d'un recours en vertu de
la Constitution représentait une violation de leurs droits au titre du
paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Ce paragraphe garantit que toute
personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner
par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation.
Dans ce contexte, les auteurs prétendent que, du fait qu'ils ne disposaient
pas d'aide judiciaire, on leur avait en fait refusé l'accès à la Cour
suprême (constitutionnelle) de la Jamaïque. Dans sa jurisprudencee,
le Comité a examiné la question de savoir si le paragraphe 5 de l'article
14 garantit le droit à un seul appel devant une instance supérieure ou
s'il garantit la possibilité d'autres appels lorsque ceux-ci sont prévus
par la législation de l'État concerné. Il a fait observer que le Pacte
n'exigeait pas des États parties de fournir plusieurs instances d'appel.
Il a toutefois conclu que les mots "conformément à la loi" au
paragraphe 5 de l'article 14 devaient être réputés signifier que, si la
législation nationale prévoyait d'autres instances d'appel, le condamné
devrait avoir un accès effectif à chacune de ces instances. Le Comité
fait observer que, dans ce cas-ci, l'État partie a donné aux auteurs les
éléments juridiques nécessaires à un appel de la sentence et de la condamnation
pénales devant la cour d'appel et la section judiciaire du Conseil privé.
Il fait observer en outre que la législation jamaïcaine prévoit également
la possibilité d'un recours devant la Cour constitutionnelle, qui n'est
pas, en tant que telle, un élément du système d'appel pénal. Le Comité
estime donc que le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte n'impose pas
d'obligation d'octroyer une aide judiciaire pour exercer un recours en
vertu de la Constitution. En conséquence, le Comité conclut que les droits
des auteurs au titre de cette disposition n'ont pas été violés.
12. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi ne révèlent pas de violation des dispositions du Pacte.
[Fait en anglais, espagnol et français, le texte anglais faisant foi.]
Notes
a Voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième
session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.B.
b [1967] 2 ALL ER 161.
c [1982] 3 AL ER 469.
d Voir par exemple Documents officiels de l'Assemblée
générale, quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe
IX.J., communication No 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque),
constatations adoptées le 1er novembre 1991, à sa quarante-troisième session.
e Ibid., annexe IX.B., communication No 230/1987 (Raphael
Henry c. Jamaïque), par.8.4.