Comité des droits de l'homme
Cinquante-et-unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-et-unième session -
Communication No 355/1989
Présentée par : George Winston Reid
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 23 février 1989 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 355/1989, présentée
au Comité des droits de l'homme par M. George Winston Reid en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article
5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par l'auteur
1. L'auteur de la communication est George Winston Reid, citoyen jamaïcain
actuellement détenu au pénitencier général de Kingston (Jamaïque). Il
affirme être victime d'une violation, par l'État jamaïcain, de ses droits
de l'homme.
2.1 L'auteur a été arrêté pour le meurtre de son amie qui est décédée
à l'h_pital régional de Cornwall le 9 janvier 1980 des suites de blessures
occasionnées par des coups de couteau. Il affirme être innocent et soutient
que son amie a été poignardée par un homme non identifié au cours d'une
altercation survenue à son domicile. L'auteur a été arrêté et détenu pendant
trois mois et demi à Montego Bay. Son avocat commis d'office, Me E. Alcott,
s'est entretenu avec lui pour la première fois une dizaine de minutes
environ avant le début de son procès le 22 avril 1980. Sans donner de
détails, l'auteur dit avoir été mal défendu. Le 23 avril 1980, il a été
condamné à mort. Le 16 mars 1981, le greffier de la cour d'appel lui a
signifié que son recours avait été rejeté le 27 février 1981. Aucune décision
motivée n'a été rendue, et les efforts de l'auteur pour obtenir copie
des pièces du procès sont restés vains.
2.2 Depuis 1981, l'auteur essaie sans succès d'obtenir l'aide judiciaire
afin de pouvoir déposer une demande d'autorisation de recourir auprès
de la section judiciaire du Conseil privé. Son premier avocat, Me Alcott
a quitté le pays, et la fille de celui-ci, également avocate, a refusé
de reprendre l'affaire car elle l'a jugée infondée. L'auteur affirme que
les notes d'audience prouveraient manifestement le contraire. Il fait
valoir qu'il est dans l'incapacité de former un recours sans bénéficier
de l'aide judiciaire, qui ne lui a jamais été accordée.
2.3 Le 19 septembre 1990, la peine de mort à laquelle l'auteur était
condamné a été commuée en une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Teneur de la plainte
3. Bien que l'auteur n'invoque aucun article du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, il ressort de sa communication qu'il
s'estime victime d'une violation, par l'État jamaïcain, de l'article 14
dudit Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans une lettre datée du 7 juillet 1989, l'État partie a fait valoir
que la communication était irrecevable au motif que les recours internes
n'avaient pas été épuisés, l'auteur étant toujours en mesure de demander
à la section judiciaire du Conseil privé une autorisation de recourir.
4.2 Dans une autre lettre datée du 16 janvier 1992, l'État partie a confirmé
que la demande de l'auteur d'être autorisé à recourir avait été rejetée
par la cour d'appel le 27 février 1981. La cour s'était prononcée oralement
mais n'avait pas consigné sa décision par écrit.
4.3 L'État partie a expliqué que le Président ou le membre d'un tribunal
appelé à se prononcer oralement sur une demande d'autorisation de recourir
ne pouvait légalement statuer sur la même espèce par voie de décision
écrite à moins qu'il ne s'y soit engagé au moment de la présentation de
la demande, la raison en étant que, une fois la cause entendue, les juges
étaient dessaisis et ne pouvaient rendre après coup une décision écrite
et la verser au dossier.
5. Dans sa réponse à la communication de l'État partie, l'avocat de l'auteur
qui avait accepté de le représenter gratuitement pour présenter une demande
d'autorisation de recourir devant la section judiciaire du Conseil privé,
a déclaré avoir été informé par l'avocat principal qu'il n'y avait aucun
motif sur la base duquel le Conseil privé pourrait être saisi d'une telle
demande. En conséquence, il considérait que l'auteur ne disposait plus
d'aucun recours interne utile.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6. À sa quarante-quatrième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a pris note de l'argument de l'État
partie selon lequel la communication était irrecevable du fait que l'auteur
ne s'était pas adressé à la section judiciaire du Conseil privé pour obtenir
une autorisation spéciale de former un recours. Il a noté aussi qu'il
n'était pas contesté que la cour d'appel n'avait rendu aucune décision
motivée en l'espèce. Considérant que la section judiciaire ne peut pas
se prononcer sur une demande qui n'est pas corroborée par une décision
écrite de la cour d'appel et tenant compte de l'avis donné par l'avocat
principal, le Comité a conclu que la possibilité de déposer une demande
d'autorisation spéciale de recourir auprès de la section judiciaire du
Conseil privé ne constituait pas, en l'occurrence, un recours disponible
et utile au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
7. Le 25 mars 1992, le Comité a donc déclaré la communication recevable
en ce qu'elle pouvait soulever des questions se rapportant aux paragraphes
3 et 5 de l'article 14 du Pacte.
Réexamen de la recevabilité
8. Dans une communication en date du 26 octobre 1992, l'État partie a
de nouveau fait valoir que la communication était irrecevable au motif
que tous les recours internes n'avaient pas été épuisés puisque l'auteur
était toujours en mesure d'adresser une requête à la section judiciaire
du Conseil privé.
9. Dans ses observations en date du 17 janvier 1993 sur la communication
de l'État partie, l'auteur a argué qu'en l'absence d'un arrêt écrit de
la cour d'appel, une requête devant le Conseil privé ne constituait qu'un
recours théorique impossible à mettre en oeuvre pratiquement.
10. Le Comité a pris note des arguments présentés par l'État partie et
par l'auteur et réaffirme que les recours internes au sens du Protocole
facultatif doivent être à la fois disponibles et utiles. Le Comité note
qu'en l'absence d'un arrêt écrit de la cour d'appel, la section judiciaire
du Conseil privé rejette systématiquement toutes les demandes d'autorisation
spéciale de recourira b. Il réaffirme donc aussi qu'en l'absence
d'une décision écrite de la cour d'appel, la possibilité de déposer une
demande d'autorisation spéciale de recourir auprès de la section judiciaire
du Conseil privé ne constitue pas, en l'espèce, un recours disponible
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Le
Comité n'a donc aucune raison de revenir sur sa décision du 25 mars 1992
concernant la recevabilité.
Examen quant au fond
11.1 Pour ce qui est du fond de la communication, l'État partie argue,
dans sa lettre du 26 octobre 1992, qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte dans le cas à l'examen. À cet égard, l'État
partie fait remarquer que la condamnation et la peine prononcée en première
instance ont été réexaminées par la cour d'appel et que l'auteur a toujours
la possibilité de demander au Conseil privé l'autorisation de former un
recours contre la décision rendue en appel.
11.2 S'agissant des droits du requérant au titre du paragraphe 3 de l'article
14, l'État partie fait valoir, dans une autre lettre du 12 mai 1993, qu'il
ne peut pas formuler d'observation à ce sujet, étant donné que l'auteur
ne s'est pas spécifiquement plaint d'une violation des dispositions en
question et que le Comité, dans sa décision concernant la recevabilité,
n'a pas non plus fait nommément allusion à ce paragraphe. L'État partie
argue qu'en vertu du Protocole facultatif, les particuliers doivent invoquer
des dispositions spécifiques du Pacte pour que l'État partie puisse répondre
à la communication de manière appropriée : on ne peut demander à un État
partie de répondre à des allégations dont il ne connaît pas le contenu.
12. Le Comité a examiné la communication à sa quarante-neuvième session
et a décidé, le 22 octobre 1993, de prier l'État partie de lui présenter
ses observations sur l'allégation de l'auteur selon laquelle celui-ci
ne se serait entretenu avec son avocat commis d'office que pendant 10
minutes avant le début de son procès et de préciser comment le droit à
disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa
défense avait été garanti à l'auteur conformément à l'alinéa b) du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte. À ce propos, le Comité a demandé en outre
quand l'avocat commis d'office avait été désigné, si celui-ci était présent
lors de l'enquête préliminaire, si les dépositions pertinentes lui avaient
été communiquées et, dans l'affirmative, à quelle date. Il a également
prié l'État partie de fournir des renseignements concernant l'appel de
M. Reid et d'indiquer en particulier si ce dernier avait pu faire appel
de sa condamnation et de sa peine sans conditions ou s'il avait fallu
qu'il obtienne au préalable l'autorisation de former un recours.
13.1 Dans deux autres lettres datées des 21 novembre 1993 et 25 février
1994, l'auteur indique qu'il a été représenté au cours de l'enquête préliminaire
par un avocat commis d'office, lequel ne l'a pas représenté par la suite
au cours du procès. Il affirme de plus que l'avocat commis d'office n'était
présent que le premier jour des audiences tenues dans le cadre de l'enquête
préliminaire et qu'il n'a pas été représenté le deuxième jour lorsqu'un
médecin est venu déposer. Il affirme que le médecin ne parlait pas l'anglais,
mais s'exprimait en espagnol, qu'il n'y avait pas d'interprète et que,
lorsqu'il est apparu évident que le juge d'instruction et le témoin ne
pouvaient pas se comprendre, le médecin a fourni une déclaration par écrit
qui avait été préparée à l'avance. À l'ouverture du procès, le médecin
était retourné à Cuba, son pays d'origine, et la déclaration écrite a
été retenue comme élément de preuve. L'auteur déclare qu'il lui est difficile
d'étayer plus avant ses allégations car l'État partie ne lui a pas remis
de copie du compte rendu d'audience.
13.2 L'État partie n'a fait parvenir aucune information ou observation,
malgré le rappel qui lui a été adressé le 3 mai 1994. Le Comité note avec
regret l'absence de coopération de la part de l'État partie, qui n'a pas
répondu à sa demande d'informations complémentaires, et rappelle qu'il
ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif
qu'un État partie doit transmettre au Comité tous les renseignements dont
il dispose. En l'espèce, toute l'importance voulue doit être accordée
aux allégations de l'auteur dans la mesure où elles ont été étayées.
14.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par
les parties, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe
1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
14.2 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de
sa défense, le Comité note que le fait que l'avocat commis d'office ayant
représenté l'auteur lors de l'enquête préliminaire n'ait pas été présent
à toutes les audiences et le fait que l'auteur n'ait rencontré que 10
minutes avant le début du procès l'avocat commis d'office pour le représenter
au procès n'ont pas été contestés. En l'absence d'éléments qui pourraient
prouver le contraire, le Comité considère que le temps et les facilités
accordés à la préparation de la défense de l'auteur n'ont pas été suffisants,
ce que le juge d'instruction et le juge du fond n'ignoraient sans doute
pas. Il conclut en conséquence que les faits dont il est saisi font apparaître
une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte.
14.3 Pour ce qui est de la procédure engagée devant la cour d'appel,
le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe 5 de l'article 14, toute
personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner
par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation,
conformément à la loi. Le Comité considère que les procédures d'appel
peuvent certes varier selon les systèmes juridiques internes des États
parties, mais que, conformément au paragraphe 5 de l'article 14, tout
État partie est tenu de faire examiner quant au fond la déclaration de
culpabilité et la condamnation. Le Comité considère qu'en l'espèce les
conditions dans lesquelles la demande d'autorisation d'appel présentée
par M. Reid a été rejetée sans motivation en l'absence de toute décision
écrite constituent une violation du droit garanti par le paragraphe 5
de l'article 14 du Pacte.
14.4 S'agissant du droit de l'auteur de demander à la section judiciaire
du Conseil privé une autorisation spéciale de faire appel, le Comité note
que la cour d'appel n'a pas rendu de décision par écrit. Ainsi, l'auteur
a été empêché de demander une telle autorisation à la section judiciaire
du Conseil privé. Le Comité rappelle que l'expression "conformément
à la loi", au paragraphe 5 de l'article 14, doit être interprétée
comme signifiant que si le droit interne prévoit d'autres instances d'appel
toute personne déclarée coupable d'une infraction doit avoir effectivement
accès à chacune. De plus afin de jouir effectivement de ce droit, toute
personne déclarée coupable doit également avoir accès, dans des délais
raisonnables, aux décisions écrites et dûment motivées de toutes les juridictions
d'appelc. À cet égard, le Comité se réfère à ses décisions
antérieures et réaffirme que le paragraphe 3 c) et le paragraphe 5 de
l'article 14 doivent être lus conjointement, du fait que le droit de faire
réexaminer sans retard excessif la condamnation et la sentence par une
juridiction supérieure doit être assuré à tous les stades de la procédure
judiciaired. Le Comité conclut qu'à cet égard, il y a eu en
l'espèce violation des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte.
15. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 3 b), 3 c)
et 5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
16. Le Comité considère que M. Reid a le droit de disposer d'un recours
utile conformément au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte. Dans cette
affaire, étant donné qu'il apparaît que M. Reid n'a pas bénéficié d'un
jugement équitable au sens du Pacte, le Comité estime qu'il a droit à
une mesure de réparation impliquant sa libération. L'État partie doit
veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
17. Le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations
sur toutes mesures pertinentes que l'État partie aura prises en rapport
avec ses constatations.
[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
a Voir notamment Documents officiels de l'Assemblée générale,
quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.B,
communication No 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque), constatations
adoptées le 1er novembre 1991; et ibid., quarante-sixième session,
Supplément No 40 (A/46/40), annexe XI.D, communication No 253/1987
(Paul Kelly c. Jamaïque), constatations adoptées le 8 avril
1991.
b Les articles 3 et 4 des règles de procédure de la section
judiciaire du Conseil privé (juridiction générale d'appel) disposent que
:
"3.1) Les demandes d'autorisation spéciale de recourir doivent
:
a) décrire succinctement tous les faits qu'il peut être nécessaire de
préciser pour permettre à la section judiciaire de conseiller Sa Majesté
sur l'opportunité d'accorder l'autorisation demandée;
b) ne traiter du fond de l'affaire que dans la mesure où cela est nécessaire
pour expliquer les motifs pour lesquels l'autorisation spéciale de recourir
est demandée;
4. Toute personne demandant une autorisation spéciale de recourir doit
fournir :
a) six exemplaires de sa demande et du jugement contre lequel elle demande
l'autorisation spéciale de former un recours;
c Voir documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième
session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.B, communication No
230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque), constatations adoptées
le 1er novembre 1991, par. 8.4; et ibid., quarante-huitième session,
Supplément No 40 (A/48/40), annexe XII.K, communication No 320/1988
(Victor Francis c. Jamaïque), constatations adoptées le
24 mars 1993.
d Ibid., quarante-quatrième session, Supplément No 40
(A/44/40), annexe X.F, communications Nos 210/1986 et 225/1987 (Earl
Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque), constatations adoptées le
6 avril 1989, par. 13.3 à 13.5.