Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 366/1989
Présentée par : Isidore Kanana Tshiongo a Minanga
Au nom de : L'auteur
État partie : Zaïre
Date de la communication : 2 mai 1989 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 366/1989 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Isidore Kanana Tshiongo a Minanga
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Isidore Kanana Tshiongo a Minanga,
citoyen zaïrois résidant à Kinshasa, au Zaïre. L'auteur affirme être victime
de violations de ses droits par le Zaïre.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est membre fondateur de l'Union pour la démocratie et le
progrès social — UDPS — parti politique qui était opposé au
régime du Président Mobutua. Aux environs de 13 heures, le
1er mai 1989, des membres des forces de défense zaïroises auraient conduit
l'auteur au siège de l'Agence nationale de documentation (AND), organe
spécial de la police politique zaïroise. On lui aurait d'abord dit qu'il
devait rencontrer le directeur de l'agence, mais, à son arrivée, il a
été emmené dans ce qu'il appelle une chambre de torture. Il y serait resté
seul jusqu'aux environs de 20 heures, heure à laquelle plusieurs personnes
seraient entrées dans la cellule. L'auteur aurait été déshabillé et attaché
au sol en ciment; aux environs de minuit, cinq hommes seraient entrés
dans la cellule et auraient commencé à le torturer. Un sixième homme les
aurait rejoints vers 2 heures du matin. Entre autres tortures, l'auteur
aurait reçu des décharges électriques sur les organes génitaux et aurait
été violemment frappé avec des barres de métal dont les extrémités avaient
été entourées de fil de fer barbelé. Selon l'auteur, ce traitement se
serait poursuivi jusqu'à ce qu'il perde conscience au petit matin le 2
mai 1989.
2.2 L'auteur a été laissé pour mort dans des buissons au bord de la route,
à proximité du siège de l'AND. Il déclare qu'il a repris conscience vers
7 heures du matin le 2 mai et qu'il a réussi à attirer l'attention d'ouvriers
qui l'ont transporté au bureau de la Croix-Rouge le plus proche d'où il
a été emmené à l'hôpital américain pour y recevoir des soins d'urgence.
Il a été hospitalisé pendant plusieurs jours.
2.3 L'auteur déclare que le pouvoir exécutif contrôlant en partie le
pouvoir judiciaire au Zaïre, il serait naïf d'espérer obtenir réparation
en utilisant les recours internes. Il a néanmoins porté plainte devant
la Cour suprême qui n'a, semble-t-il, rien fait jusqu'à présent. Il a
en outre écrit à deux reprises au Commissaire d'État à la défense et à
la sécurité nationales, sans résultat.
2.4 L'auteur affirme que sa santé est encore précaire et qu'il souffre
d'une paralysie du côté droit depuis la fin de 1990.
Teneur de la plainte
3. Bien que l'auteur n'invoque aucune des dispositions du Pacte, il ressort
de sa communication qu'il prétend être victime de détention arbitraire
et de tortures. Il note en particulier qu'il n'a jamais été informé des
raisons de son arrestation.
Décision de recevabilité du Comité
4.1 À sa quarante-quatrième session, en mars 1992, le Comité a examiné
la question de la recevabilité de la communication. Il a noté avec préoccupation
que, en dépit de quatre rappels adressés à l'État partie entre avril 1990
et novembre 1991, aucune information ni observation concernant la recevabilité
de la communication n'avait été reçue de lui et qu'il n'avait pas non
plus fourni les informations que lui avait demandées le Rapporteur spécial
pour les nouvelles communications concernant l'enquête menée sur les allégations
de M. Kanana. Étant donné que l'État partie n'a fourni aucune information
sur les recours internes existants, le Comité a conclu que la communication
était recevable.
4.2 Le 20 mars 1992, le Comité a donc déclaré la communication recevable.
Examen quant au fond
5.1 L'État partie n'a pas fourni d'informations concernant les allégations
de l'auteur quant au fond, en dépit du rappel qui lui a été adressé en
mai 1993. Le Comité note avec une profonde préoccupation l'absence totale
de coopération de la part de l'État partie, en ce qui concerne et la recevabilité
et les allégations de l'auteur quant au fond. Il ressort implicitement
du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif et de l'article
91 du règlement intérieur qu'un État partie au Pacte doit enquêter de
bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte formulées
contre lui et ses autorités et qu'il doit fournir au Comité des informations
détaillées sur toutes mesures qu'il aurait pu prendre pour remédier à
la situation. Étant donné les circonstances, les allégations de l'auteur
doivent être dûment prises en considération, dans la mesure où elles ont
été étayées.
5.2 Le Comité note que l'auteur affirme avoir été détenu au siège de
l'Agence nationale de documentation entre le début de l'après-midi du
1er mai 1989 et le petit matin du jour suivant. Il affirme qu'il n'a pas
été informé des raisons de son arrestation et de sa détention; ceci n'a
pas été contesté. De plus, il n'est pas contesté qu'il n'a pas fait l'objet
d'un mandat d'arrestation et qu'il a été emmené au siège de l'AND sous
un prétexte fallacieux. Le Comité estime que ces affirmations, qui n'ont
pas été contestées et dont l'auteur a prouvé le bien-fondé, justifient
la conclusion selon laquelle la détention de M. Kanana les 1er et 2 mai
1989 était arbitraire et contraire au paragraphe 1 de l'article 9. Le
Comité exprime aussi sa grave préoccupation quant aux circonstances de
l'arrestation de M. Kanana et devant le fait que les forces de défense
zaïroises ne sont apparemment pas responsables de leurs actes devant le
judiciaire.
5.3 S'agissant du traitement dont l'auteur a été victime entre 20 heures
le 1er mai 1989 et les premières heures du 2 mai 1989, il n'a pas été
contesté que M. Kanana soit resté attaché au sol en ciment de sa cellule
pendant près de quatre heures et qu'il ait été ensuite soumis à des tortures
pendant plusieurs heures. Le Comité fait observer à ce propos que M. Kanana
a fourni des preuves photographiques des conséquences de ce traitement.
Dans ces conditions, le Comité conclut que l'auteur a prouvé le bien-fondé
de son allégation selon laquelle il a été victime de tortures et de traitements
cruels et inhumains, en violation de l'article 7, du Pacte et qu'il n'a
pas été traité avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine,
en violation du paragraphe 1 de l'article 10.
6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui
lui ont été présentés font apparaître des violations de l'article 7, du
paragraphe 1 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
7. Il est d'avis que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 a)
de l'article 2 du Pacte, M. Isidore Kanana doit disposer d'un recours
utile, et qu'il a notamment droit à réparation appropriée pour les traitements
subis. L'État partie devrait procéder à une enquête et traduire en justice
les personnes responsables du traitement infligé à l'auteur; il est en
outre dans l'obligation de prendre des mesures efficaces pour veiller
à ce que des faits tels que ceux dont se plaint l'auteur cessent et à
ce que de telles violations ne se reproduisent plus à l'avenir.
8. Le Comité souhaiterait recevoir, dans les 90 jours, des informations
sur toutes mesures pertinentes que l'État partie aura prises en rapport
avec ses constatations.
[Fait en anglais, espagnol et français, le texte anglais faisant foi.]
Note
a En août 1992, la Conférence nationale du Zaïre a nommé
le chef de l'UDPS, Ètienne Tshisekedi, Premier Ministre du Zaïre; ce dernier
est entré en fonctions à la fin d'août 1992. Son mandat n'a pas été reconnu
par le Président Mobutu Sese Seko.