Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 375/1989
Présentée par : Glenmore Compass (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 22 août 1989 (date de la première lettre)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 octobre 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 375/1989, présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Glenmore Compass en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de tous les renseignements qui lui ont été
communiqués par écrit par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par l'auteur
1. L'auteur de la communication est Glenmore Compass, citoyen jamaïcain,
détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque) où il attend
d'être exécuté. Il prétend être victime d'une violation par la Jamaïque
des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
2.1 Le 4 septembre 1984, l'auteur a été accusé, ainsi qu'un certain Vernon
Pinnock, d'avoir assassiné, le 25 juillet 1984, un certain Sidney Steele.
Le 17 janvier 1986, il a été jugé par la Home Circuit Court de Kingston,
reconnu coupable et condamné à mort, tandis que son coaccusé était reconnu
coupable d'homicide involontaire et condamné à 15 ans d'emprisonnement.
2.2 Le ministère public a soutenu que M. Steele et sa compagne, Mme Novelette
Proverbs, avaient été attaqués par M. Compass et deux autres individus,
Vernon Pinnock et un certain Barrington Shaw, alors qu'ils rentraient
chez eux le 25 juillet 1984 au soir, et que M. Steele avait été tué d'un
coup de feu par ses assaillants. Il a également été précisé que les trois
hommes avaient été arrêtés quelques heures plus tard par deux agents de
police qui effectuaient un contr_le de routine; au cours de l'échauffourée
qui avait suivi, les agents avaient arrêté M. Shaw et saisi un revolver
qui s'était avéré, d'après l'expert légiste, être l'arme du crime.
2.3 L'auteur avait été arrêté un mois plus tard, après avoir été reconnu
par l'un des agents de police présents au moment de l'incident du 25 juillet
1984. Il avait été soumis à une séance d'identification; Mme Proverbs,
le principal témoin à charge, se serait, semble-t-il, déclarée incapable
d'identifier l'auteur avec précision en raison de l'éclairage insuffisant
de la pièce. Au cours du procès, cependant, elle avait formellement reconnu
sur le banc des accusés l'auteur, qu'elle disait ne connaître que de vue
et par son surnom de "Brown Man"; elle avait également identifié
les deux autres assaillants et affirmé avoir vu l'auteur tirer sur la
victime. Selon le témoignage d'un inspecteur de police, l'auteur, après
avoir été dûment mis en garde lors de son arrestation, avait reconnu avoir
été présent sur les lieux du meurtre, et ajouté qu'il ignorait que ses
amis eussent l'intention de tuer M. Steele. Il n'avait cependant fait
aucune déposition écrite.
2.4 L'auteur nie toute participation à ce crime. Au cours du procès,
il a déclaré sur le banc des accusés, alors qu'il ne parlait pas sous
serment, que le soir du meurtre, il se trouvait à son domicile à regarder
la télévision en compagnie de sa femme et de sa fille. Il affirme qu'il
ne connaissait pas son coaccusé avant le procès et qu'il n'a pas fait
de déclaration, concernant le meurtre, lors de son arrestation.
2.5 L'auteur ajoute que la cour d'appel de la Jamaïque a rejeté son appel
le 10 février 1988. Il indique à ce propos qu'il s'est efforcé d'apporter
des éléments nouveaux, et notamment les dépositions de deux témoins appelés
à la barre, qui ont fait apparaître des invraisemblances dans les témoignages
enregistrés lors de la séance d'identification. La cour d'appel n'a cependant
pas reconnu ces témoignages. L'auteur fait aussi observer qu'il a fait
appel au motif que, dans son résumé de l'affaire, le juge de première
instance aurait induit le jury en erreur en ce qui concerne le témoignage
de Mme Proverbs, lors de la séance d'identification, et celui des agents
qui avait procédé à l'arrestation.
2.6 Après avoir été débouté en appel, l'auteur a demandé l'autorisation
de se pourvoir devant la section judiciaire du Conseil privé pour les
motifs suivants : a) la cour d'appel avait commis une erreur en négligeant
de se demander s'il avait été justifié d'autoriser l'identification de
l'intéressé alors qu'il se trouvait sur le banc des accusés; b) elle avait
commis une erreur en supposant que l'identification indécise de l'auteur
par Mme Proverbs ne portait pas à conséquence; et c) elle avait mal évalué
la déposition d'un autre témoin à charge sur les raisons pour lesquelles
il n'avait pas assisté à la séance d'identification. Le 19 décembre 1988,
le Conseil privé a rejeté sa requête.
2.7 S'agissant de la règle de l'épuisement des recours internes, l'auteur
déclare que, la section judiciaire du Conseil privé ayant rejeté sa pétition,
il a épuisé les recours internes disponibles au sens du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que son procès n'a pas été équitable et qu'il a
été entaché de plusieurs irrégularités. Il affirme notamment que le juge
n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire pour interdire l'identification,
sur le banc des accusés, d'une personne que les témoins n'avaient pas
reconnue auparavant. Il affirme en outre que le juge n'a pas abordé devant
le jury la question de savoir si la lumière était suffisante, lors de
la séance d'identification, pour permettre à Mme Proverbs de le reconnaître,
et n'a pas mis en garde le jury contre les risques inhérents à l'identification
sur le banc des accusés, contre le fait que la police n'avait pas organisé
de nouvelle séance d'identification dans de meilleures conditions d'éclairage,
ni contre le danger d'accorder crédit à de prétendus aveux qui n'avaient
pas fait l'objet d'une déclaration écrite.
3.2 L'auteur prétend en outre être victime d'une violation du droit que
lui confère le paragraphe 3 e) de l'article 14, du fait qu'il n'a pas
pu faire procéder au contre-interrogatoire de l'un des témoins à charge,
le détective McNab, qui, au moment du procès, avait quitté la police et
émigré, mais dont les déclarations ont été admises en application de l'article
34 de la loi intitulée Justices of the Peace Act. Ces déclarations
auraient été extrêmement préjudiciables à l'auteur du fait qu'elles contenaient
des preuves d'identification et des témoignages en contradiction avec
les preuves balistiques. À cet égard, le conseil soutient que l'audition
de témoins dans les jugements par jury revêt une importance fondamentale
pour la notion de procès équitable. Il affirme que le fait qu'un accusé
ait pu faire interroger un témoin à charge lors d'une audition préliminaire
ne devrait pas porter atteinte à son droit de faire interroger ce témoin
devant un jury. Sur ce point, le conseil affirme que des éléments de preuve
découverts après l'audition préliminaire peuvent susciter des questions
qu'un accusé souhaitera que l'on pose aux témoins à charge.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 L'État partie a soutenu que, bien que la section judiciaire du Conseil
privé ait rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours présentée
par l'auteur, la communication était irrecevable du fait que les recours
internes n'avaient pas été épuisés, puisque l'auteur ne s'était pas prévalu
des voies de recours qui lui étaient offertes par la Constitution jamaïcaine.
Cela étant, l'article 14 du Pacte invoqué par l'auteur va de pair avec
le droit protégé par l'article 20 de la Constitution jamaïcaine, qui garantit
à chacun le droit à un procès équitable. En vertu de l'article 25 de la
Constitution, quiconque estime qu'il a été, qu'il est ou qu'il risque
d'être contrevenu à l'un de ses droits fondamentaux peut introduire un
recours devant la Cour suprême, sans préjudice de toute autre action concernant
la même affaire légalement applicable.
4.2 L'État partie a récusé aussi la compétence du Comité pour examiner
la communication, dans la mesure où les questions soulevées en l'espèce
concernent l'appréciation des faits et des éléments de preuve. À cet égard,
il évoque la jurisprudence du Comité, dont il ressort que "l'article
14 du Pacte garantit le droit à un procès équitable, mais c'est aux cours
d'appel des États parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits
et les preuves dans une affaire particulière" et que "l'examen
par le Comité d'instructions précises données par le juge à un jury de
jugement n'entre pas dans le champ d'application de l'article 14, sauf
lorsqu'il peut être établi que lesdites instructions étaient à l'évidence
arbitraires ou qu'elles équivalaient à un déni de justicea".
5. Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil
a récusé l'affirmation de l'État partie selon laquelle l'auteur pouvait
encore se prévaloir des voies de recours constitutionnelles en déclarant
que l'auteur ne disposait pas des moyens financiers nécessaires et ne
pouvait bénéficier d'aucune aide judiciaire à cet effet. À cet égard,
le conseil a renvoyé à la jurisprudence constante du Comité en vertu de
laquelle l'auteur de la communication ne peut être tenu d'épuiser les
recours internes que pour autant qu'ils soient à la fois utiles et disponibles
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Délibérations et décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Au cours de sa quarantième session, en octobre 1990, le Comité a
examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a fait
observer qu'un pourvoi devant la Cour suprême (constitutionnelle) en vertu
de l'article 25 de la Constitution jamaïcaine n'était pas un moyen de
recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.2 S'agissant des allégations de l'auteur relatives à la question de
la pertinence des instructions données au jury par le juge, le Comité
a considéré que l'examen par lui d'instructions précises données à un
jury de jugement n'entrait pas dans le champ d'application de l'article
14, sauf lorsqu'il pouvait être établi que lesdites instructions étaient
à l'évidence arbitraires ou qu'elles équivalaient à un déni de justice.
Ne disposant en l'espèce d'aucun élément qui laisserait supposer que les
instructions données par le juge présentaient de tels vices, le Comité
a conclu que cet aspect de la communication était irrecevable aux termes
de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.3 En conséquence, le Comité des droits de l'homme a, le 18 octobre
1990, déclaré que la communication était recevable dans la mesure où elle
pouvait soulever des questions relevant du paragraphe 3 e) de l'article
14 du Pacte, eu égard à l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'aurait
pas pu faire procéder au contre-interrogatoire de l'un des témoins à charge
dont le témoignage lui aurait été extrêmement préjudiciable.
Réexamen des questions concernant la recevabilité
7. L'État partie, par une lettre datée du 12 juin 1991, maintient que
la communication est irrecevable du fait que l'auteur ne s'est pas prévalu
des voies de recours constitutionnelles. Il affirme que le raisonnement
suivi par le Comité dans sa décision concernant la recevabilité dénote
un malentendu dans son interprétation du droit jamaïcain; selon lui, l'auteur
dispose encore de voies de recours constitutionnelles puisque le Conseil
privé n'a pas rendu de décision judiciaire quant à l'existence d'une violation
du droit à un procès équitable. L'État partie fait observer qu'il existe
des précédents judiciaires montrant que la formation d'un recours au pénal
n'entraîne pas incompétence de la Cour suprême (constitutionnelle) pour
autoriser l'exercice de recours constitutionnels.
8.1 Par une communication datée du 9 août 1991, le conseil conteste que
l'auteur ait la faculté d'engager une procédure de recours constitutionnel
au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il
affirme que la question d'un procès équitable était bien l'objet de l'appel
interjeté devant le Conseil privé et conclut que la Cour suprême (constitutionnelle)
ne peut donc exercer les pouvoirs que lui donne l'article 25 de la Constitution.
8.2 Le conseil affirme en outre que même si le principe d'un recours
constitutionnel était jugé adéquat et efficace, ce n'est pas un moyen
dont l'auteur peut se prévaloir car il ne dispose pas des ressources financières
nécessaires et ne peut bénéficier d'aucune aide judiciaire à cet effet.
Le conseil souligne qu'il ne nie pas l'existence de cette voie de recours
mais qu'en l'espèce, l'octroi d'une aide judiciaire serait nécessaire
pour permettre l'introduction efficace d'un pourvoi en vertu de la Constitution.
9.1 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel
l'auteur dispose encore de voies de recours constitutionnelles. Il rappelle
que la Cour suprême de la Jamaïque a, dans des affaires récentes, fait
droit à des demandes de recours en vertu de la Constitution concernant
des violations de droits fondamentaux après que des appels au pénal eurent
été rejetés dans les affaires en question.
9.2 Cependant, le Comité rappelle aussi que par sa communication du 10
octobre 1991, concernant une autre affaireb, l'État partie
a indiqué qu'une aide judiciaire n'est pas accordée en cas de recours
constitutionnel, et qu'il n'est nullement tenu par le paragraphe 3 d)
de l'article 14 du Pacte d'octroyer une telle aide judiciaire en ce qui
concerne ce type de recours, puisqu'il ne fait pas intervenir de décision
sur un chef d'accusation. De l'avis du Comité, cela va dans le sens de
la conclusion, à laquelle il est parvenu dans sa décision concernant la
recevabilité, selon laquelle une action devant la Cour suprême (constitutionnelle)
ne constitue pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir
car celui-ci ne possède pas les moyens de l'intenter. Cela étant, le Comité
fait observer que l'auteur ne prétend pas être dispensé de l'obligation
de poursuivre des voies de recours constitutionnelles en raison de son
indigence; c'est plut_t le refus de l'État partie - ou son incapacité
- de fournir une aide judiciaire à cet effet qui fait qu'il n'est pas
besoin de poursuivre cette voie de recours aux fins du Protocole facultatif.
9.3 En conséquence, le Comité considère qu'il n'y a pas lieu de réviser
la décision concernant la recevabilité prise le 19 octobre 1990.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la
lumière de tous les renseignements que lui ont communiqués les parties,
ainsi que le stipule le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 Le Comité note avec préoccupation que l'État partie n'a abordé dans
ses communications que les questions concernant la recevabilité. Le paragraphe
2 de l'article 4 du Protocole facultatif fait obligation à l'État partie
d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations émises à son endroit
et de communiquer au Comité tous les renseignements dont il dispose.
10.3 S'agissant de l'affirmation de l'auteur selon laquelle le paragraphe
3 de l'article 14 a été violé en ce qui le concerne, du fait qu'on ne
lui a pas donné la possibilité de faire procéder à un contre-interrogatoire
de l'un des principaux témoins à charge, le détective McNab, le Comité
note qu'il n'est pas nié que ce témoin n'a pu venir à la barre au cours
du procès parce qu'il avait quitté la Jamaïque. Le Comité note toutefois
qu'il semble, d'après la transcription du procès, que l'auteur était présent
au cours de l'audition préliminaire, lorsque le détective McNab a témoigné
sous serment, et que le conseil de l'auteur a procédé à un contre-interrogatoire
du témoin à cette occasion. La déclaration faite par le témoin ainsi que
les réponses aux questions posées pendant le contre-interrogatoire ont
été présentées à la Cour au cours du procès comme éléments de preuve;
la présentation de ces éléments de preuve n'a soulevé aucune objection
de la part de l'auteur ou de son conseil, que ce soit au procès ou en
appel. Le Comité fait observer que le paragraphe 3 e) de l'article 14
protège l'égalité des moyens dont disposent le ministère public et la
défense d'interroger les témoins, mais n'empêche pas la défense de renoncer
à son droit de procéder au contre-interrogatoire d'un témoin à charge
au cours des débats, ou de ne pas exercer ce droit. En tout état de cause,
le Comité relève que la défense a interrogé le détective McNab dans les
mêmes conditions que le ministère public à l'audition préliminaire. En
l'espèce, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas
apparaître une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi ne font pas apparaître de violation de l'une quelconque des
dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Fait en anglais, espagnol et français, le texte anglais faisant foi.]
Notes
a Voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-cinquième
session, Supplément No 40 (A/45/40), annexe X.Q, communication No
329/1988 (D. F. c. Jamaïque), décision adoptée le 26 mars
1990, par. 5.2 et ibid., annexe X.S, communication No 369/1989 (G.
S. c. Jamaïque), décision adoptée le 8 novembre 1989, par.
3.2.
b Ibid., quarante-septième session, Supplément No 40
(A/47/40), annexe IX.J, communication No 283/1988 (Aston Little
c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er novembre 1991.