Comité des droits de l'homme
Quarante-huitième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-huitième session -
Communication No 380/1989
Présentée par : R. L. M. (nom supprimé)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 17 juin 1989 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, créé en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est R. L. M., avocat à la Trinité-et-Tobago,
résidant à San Fernando, à Trinidad. Il affirme être victime de violations,
par la Trinité-et-Tobago, du paragraphe 3 de l'article 2 et de l'article
17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les faits présentés
2.1 L'auteur affirme qu'un juge, L. D., qui siège à la Cour d'assises
de Port of Spain, a fait part à son égard d'animosité et d'une conduite
"injuste et inacceptable". Lors de plusieurs affaires criminelles
présidées par le juge en question, à l'issue desquelles la peine capitale
pouvait être prononcée et dans lesquelles l'auteur représentait l'inculpé,
ce juge aurait proféré des remarques injustifiées mettant en cause l'éthique
professionnelle de l'auteur. Ainsi, lors d'un procès pour meurtre qui
se déroulait devant la Cour d'assises de Port of Spain en juillet 1987,
le juge L. D. aurait reproché à l'auteur d'avoir insinué qu'un officier
de police supérieur mentait au cours du contre-interrogatoire et d'avoir
accusé le ministère public de forger et de fabriquer des preuves. Par
contre, le juge n'aurait pas jugé utile de critiquer de la même façon
le Procureur de la République, qui, à cette même occasion, avait accusé
l'auteur de malhonnêteté.
2.2 L'auteur fait mention de quatre autres affaires criminelles présidées
par le juge L. D., où ce dernier aurait également fait des "remarques
péjoratives
ou critiqué sans raison" le comportement professionnel de l'auteur.
Ainsi, lors d'une affaire criminelle, le juge a fait les observations
suivantes :
"Je tiens à dire quelques mots du devoir qui incombe aux avocats.
Ils ne sont pas appelés à défendre une cause dans le seul intérêt de
la défense ou simplement sur les instructions de leurs clients ... Sans
vouloir
critiquer la conduite de l'avocat en l'occurrence, je voudrais ajouter
que, lorsqu'il n'y a aucune chance de réussite, les avocats devraient
le faire savoir clairement à leurs clients."
L'auteur soupçonne le juge de nourrir "une haine ou une rancune
personnelle" à son égard et qualifie sa conduite d'injuste et d'inacceptable.
2.3 S'agissant de l'exigence d'épuisement des voies de recours internes,
l'auteur indique que les articles 137 et 138 de la Constitution de la
Trinité-et-Tobago s'appliquent à toute mesure disciplinaire qui pourrait
être prise contre un juge ou un officier de justice. Il a adressé, sans
succès, une requête au Président de la Cour suprême de la Trinité-et-Tobago,
au Premier Ministre et au Président de la Trinité-et-Tobago, demandant
que des mesures disciplinaires soient prises à l'encontre du juge en question.
2.4 L'auteur fait valoir que le paragraphe 3 de l'article 129 de la Constitution
de la Trinité-et-Tobago, en vertu duquel une instance judiciaire ne peut
se pencher sur la question de savoir si une commission de la fonction
publique s'est acquittée correctement d'une fonction quelconque dont elle
a été investie par la Constitution exclut par ailleurs la possibilité
de prendre quelque mesure que ce soit en ce qui concerne le comportement
du juge. La Haute Cour et la cour d'appel de la Trinité-et-Tobago ont
interprété cette disposition comme les empêchant d'enquêter sur l'action
ou l'inaction, par exemple, de la Commission des services judiciaires
et juridiques. De l'avis de l'auteur, le mécanisme d'examen des plaintes
mis en place par cette dernière s'est avéré "inopérant, dans la mesure
où il n'a pas même été accusé réception de [ma] plainte". Il ne serait
pas possible non plus d'utiliser la procédure de Mandamus, ni d'autres
voies de recours.
La plainte
3. L'auteur fait valoir que les observations formulées à son sujet par
le juge L. D. constituent une atteinte illégale à son honneur et à sa
réputation, pour laquelle il n'existe pas de recours, en violation du
paragraphe 3 de l'article 2 et de l'article 17 du Pacte.
Renseignements et observations de l'Etat partie
4.1 L'Etat partie fait savoir que la communication est irrecevable, d'une
part, parce qu'elle est incompatible avec les dispositions du Pacte, en
particulier avec l'article 17, et, d'autre part, parce qu'elle constitue
un abus du droit de présenter des communications, aux termes de l'article
3 du Protocole facultatif.
4.2 A cet égard, l'Etat partie relève que les observations que le juge
L. D. aurait prononcées ne font apparaître aucune animosité particulière
à l'encontre de l'auteur, mais lui rappellent simplement ses devoirs professionnels
vis-à-vis du tribunal et de ses clients. Il note par ailleurs que les
observations faites par un juge dans le cadre de l'exercice de ses fonctions
"relèvent entièrement de son pouvoir discrétionnaire" et que
les tribunaux ne sauraient être saisis en pareil cas. Aussi ces observations
ne peuvent-elles être, de l'avis de l'Etat partie, considérées comme "illégales"
au sens de l'article 17 du Pacte.
4.3 L'Etat partie explique la raison d'être du caractère discrétionnaire
des observations faites par les juges dans l'exercice de leurs fonctions
:
"Dans l'intérêt public, il est souhaitable que des personnes qui
occupent certaines fonctions, comme les juges ..., puissent s'exprimer
en toute liberté; elles jouissent donc, dans leurs actes et leurs paroles,
d'un pouvoir discrétionnaire qui garantit leur indépendance" (tiré
de Halsbury's Laws of England, 4e édition, vol. 28, par. 96).
Cette règle vaut même si les actes ou observations imputés à un juge
sont malveillants, qualification qui, selon l'Etat partie, ne s'applique
pas en l'espèce.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité a examiné les informations soumises par les parties, y
compris la pétition adressée par l'auteur au Président de la Cour suprême
de la Trinité-et-Tobago. Il note que l'auteur n'a pu démontrer, pour établir
la recevabilité de sa communication, que les observations attribuées au
juge L. D. constituaient une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation.
En conséquence, l'auteur ne peut se prévaloir du Pacte, au sens de l'article
2 du Protocole facultatif.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur
de la communication.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
en français et en russe.]