Présentée par : R. M. [nom supprimé]
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 16 juillet 1989 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 octobre 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est R.M., citoyen de la Trinité-et-Tobago
actuellement détenu à la prison d'État de Port-of-Spain (Trinité-et-Tobago),
où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime de violations, par
la Trinité-et-Tobago, du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, soupçonné d'avoir assassiné, la nuit du 6 au 7 septembre
1978, un certain H. H., a été arrêté au début de septembre 1978. Le 11
septembre 1978 la Magistrate's Court de Chaguanas l'a renvoyé ainsi que
son coaccuséa devant la cour d'assises afin d'y être jugé pour
meurtre. Le 6 novembre 1980, l'auteur et son coaccusé ont été reconnus
coupables de meurtre par la Haute Cour de justice de Port of Spain et
condamnés à mort. Le 6 novembre 1983 la cour d'appel de la Trinité a cassé
ce jugement et a ordonné un nouveau procès à l'issue duquel les deux coaccusés
ont à nouveau été déclarés coupables de meurtre par la Haute Cour le 29
juin 1984. Les deux défendeurs ont une nouvelle fois fait appel mais ont
été déboutés par la Cour d'appel le 9 juillet 1985; la demande qu'ils
ont adressée à la section judiciaire du Conseil privé en vue d'obtenir
une autorisation spéciale de recourir a été rejetée le 22 mai 1986.
2.2 En juillet 1986, un recours constitutionnel a été déposé, au nom
de l'auteur, auprès de la Haute Cour de la Trinité-et-Tobago. L'affaire
est toujours pendante, et il semble que l'examen de ce recours constitutionnel
ait été reporté sine die.
2.3 La condamnation de l'auteur, comme celle de son coaccusé, s'appuyait
essentiellement sur le témoignage du principal témoin à charge L. S. Celle-ci
a déclaré que, le 6 septembre 1978 dans la matinée, elle s'était rendue
au tribunal de Couva pour assister à une audience. L'audience ayant été
ajournée, elle avait quitté le tribunal en compagnie du coaccusé de l'auteur
et d'un autre homme. Tous trois s'étaient rendus dans divers débits de
boissons où ils avaient pris des consommations. Plus tard dans l'après-midi,
ils s'étaient séparés de cette troisième personne, et s'étaient rendus
en voiture au domicile de l'auteur, qui s'était alors joint à eux. Dans
la soirée, ils étaient allés jusqu'à un snack-bar de San Juan où l'auteur
et son coaccusé avaient à nouveau acheté des boissons. Puis, ils avaient
repris leur voiture et s'étaient rendus au domicile de H. H.
2.4 L. S. a ensuite déclaré que les deux hommes avaient invité H. H.
à se joindre à eux pour s'amuser avec elle. Elle a affirmé que, tout en
étant consciente des intentions des trois hommes, elle était trop effrayée
pour réagir. Ils l'avaient emmenée en voiture jusqu'à un champ de canne
à sucre où ils avaient essayé d'abuser d'elle. L. S. a déclaré que le
coaccusé de l'auteur avait frappé la victime sur la nuque ou sur la tête
avec un coutelas. Pendant que l'auteur tenait la victime pour l'empêcher
de s'enfuir, elle avait entendu le coaccusé tirer trois coups de feu.
La police n'a cependant retrouvé aucune balle ni aucune douille sur les
lieux du crime lorsqu'elle a fouillé le champ où H. H. avait été tué.
2.5 L. S. a déclaré que tous trois s'étaient ensuite rendus en voiture
sur la plage, où le coaccusé de l'auteur avait jeté l'arme du crime dans
la mer et avait caché un pantalon appartenant au défunt dans des buissons
avoisinants. Après une fouille de la plage, le pantalon a été retrouvé
mais pas le coutelas. L. S. a ajouté que les deux accusés l'avaient menacée
de mort si elle racontait ce qui s'était passé à la police. Lors de son
contre-interrogatoire, elle a admis ne s'être décidée à témoigner qu'après
que son père l'eut avertie que la police la recherchait.
2.6 L'auteur nie toute participation à ce crime. Il soutient qu'il ne
connaissait ni L. S. ni son coaccusé avant son arrestation et affirme
qu'il était chez lui la nuit du crime. Il soutient en outre que les déclarations
faites par deux témoins lors du procès confirmeraient ses propres affirmations
selon lesquelles il se trouvait dans un restaurant à l'heure où le meurtre
a été commis. Au cours du procès, le policier qui avait procédé à l'arrestation
a été entendu comme témoin et a indiqué que l'auteur, au moment où il
avait été appréhendé, lui avait fait une déclaration orale dont on pouvait
déduire qu'il n'était pas étranger à la mort de H. H.b. L'auteur
fait toutefois remarquer que lorsqu'on lui avait demandé, au tribunal,
de montrer la déposition faite par l'auteur au poste de police, le policier
avait été incapable de produire le registre dans lequel cette déposition
aurait dû être consignée.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que L. S. était en réalité complice et que le juge
n'a pas donné au jury les instructions voulues concernant la valeur de
son témoignage et la nécessité de le corroborer. A cet égard, il ajoute
qu'il était d'autant plus important que des instructions appropriées soient
données aux jurés qu'il semble y avoir eu des contradictions dans les
déclarations des témoins à charge lors du deuxième procès.
3.2 L'auteur soutient en outre qu'il n'a pas eu suffisamment de temps
pour préparer sa défense. Ainsi, il déclare qu'avant le premier procès,
il n'a pas eu la possibilité de s'entretenir avec l'avocat que sa famille
avait retenu pour lui et qu'au cours du procès, l'associé de cet avocat
n'est pas venu le voir pour discuter avec lui des arguments de la défense
alors que, selon l'auteur, il le lui avait promis. De même, lors du second
procès, l'avocat qui avait été commis d'office pour le défendre ne s'est
entretenu avec lui que pendant un temps très bref le jour même de l'ouverture
du procès. Il ajoute que cet avocat ne lui a jamais rendu visite dans
sa prison avant le procès.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie
4. L'État partie ne soulève aucune objection concernant la recevabilité
de la communication. Il concède que l'auteur a épuisé tous les recours
possibles en matière criminelle. En ce qui concerne le recours constitutionnel
déposé par l'auteur en juillet 1986, il fait remarquer qu'étant donné
que ledit recours vise simplement à obtenir une déclaration aux termes
de laquelle si l'ordre était donné d'exécuter l'auteur, celui-ci
devrait en être informé cinq jours à l'avance - question qui a déjà été
tranchée par l'affirmative dans un autre cas... - "cette action est
inutile". L'État partie ajoute que ce recours constitutionnel est
la seule question qui reste pendante devant un tribunal, et que des assurances
ont été données que l'auteur ne serait pas exécuté tant qu'elle n'aurait
pas été tranchée. Enfin, l'État partie note que l'auteur bénéficie actuellement
de l'assistance d'un représentant légal.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou non recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles il
n'aurait pas bénéficié d'un jugement équitable, compte tenu de la manière
dont le tribunal aurait évalué les témoignages et, en particulier celui
du principal témoin à charge, et de l'insuffisance des instructions que
le juge aurait données aux jurés, le Comité réaffirme qu'il appartient
généralement aux cours d'appel des États parties au Pacte d'évaluer les
faits de la cause et la valeur des preuves dans une affaire judiciaire.
Le Comité n'a pas, en principe, vocation à examiner les instructions spécifiques
données aux jurés par le juge du fond, à moins que l'on ne puisse prouver
que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou équivalaient
à un déni de justice, ou que le juge du fond avait manqué de manière évidente
à son devoir d'impartialité. Après avoir examiné soigneusement les informations
dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure que le déroulement du
procès ou les instructions données par le juge du fond auraient été entachés
de pareilles irrégularités. En conséquence, en vertu de l'article 3 du
Protocole facultatif, cette partie de la communication doit être déclarée
irrecevable, car incompatible avec les dispositions du Pacte.
5.3 Quant aux affirmations de l'auteur selon lesquelles il n'aurait pas
eu suffisamment de temps pour préparer sa défense, ni lors de son premier
procès, ni lors du second, le Comité fait observer que seul le deuxième
procès l'intéresse car le jugement rendu dans le premier a été cassé.
Or, en ce qui concerne ce deuxième procès, l'auteur n'a fourni aucun élément
prouvant que le temps dont il a disposé pour s'entretenir avec son avocat
était insuffisant pour permettre à ce dernier ou à lui-même d'assurer
sa défense de manière adéquate. Enfin, d'après les éléments d'information
dont dispose le Comité, il ne semble pas qu'un ajournement du second procès
ait été demandé au motif que l'accusé n'aurait pas eu suffisamment de
temps pour préparer sa défense. Dans ces conditions, le Comité conclut
que l'auteur ne peut se prévaloir des dispositions du Pacte en vertu de
l'article 2 du Protocole facultatif.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État et à l'auteur
de la communication.
[Texte établi en anglais (version originale), et traduit en espagnol
et en français.]
Notes
a Le 8 avril 1993, le Comité des droits de l'homme a adopté
ses constatations concernant la communication de ce coaccusé pour lequel
il a conclu à l'existence de violations de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte (voir Documents officiels de l'Assemblée
générale, quarante-huitième session, Supplément No 40 (A/48/40), annexe
XII.Q).
b L'auteur aurait déclaré au policier qui l'avait arrêté,
en parlant de la victime : "Celui-là, il s'est mis en travers de
mon chemin, il a eu ce qu'il méritait".