Comité des droits de l'homme
Cinquante-deuxième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Cinquante-deuxième session -
Communication No 386/1989
Présentée par : Famara Koné
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Sénégal
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 octobre 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 386/1989 présentée
au Comité par M. Famara Koné en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication et par l'Etat partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article
5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Famara Koné, citoyen sénégalais né
en 1952, résidant officiellement à Dakar et actuellement domicilié à Ouagadougou
(Burkina Faso). Il affirme être victime de violations de ses droits par
le Sénégal mais n'invoque pas spécifiquement les droits énoncés dans le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare qu'en 1978 il a adhéré au Mouvement pour la justice
en Afrique qui a pour but d'aider les opprimés en Afrique. Le 15 janvier
1982, des militaires sénégalais l'ont arrêté en Gambie, la raison alléguée
étant qu'il avait protesté contre l'intervention des troupes sénégalaises
en Gambie après la tentative de coup d'Etat du 30 juillet 1981. Il a été
transféré au Sénégal où il a été détenu pendant plus de quatre ans, en
attendant d'être jugé jusqu'à sa mise en liberté provisoire le 9 mai 1986.
2.2 M. Koné affirme, sans donner de détails, avoir été torturé par les
enquêteurs lors des interrogatoires auxquels il fut soumis pendant une
semaine. Il ajoute qu'à cause de cela, il a eu besoin de soins médicaux
depuis sa libération. Il note en outre qu'en dépit de ses instances auprès
du représentant régional ou des représentants régionaux du Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés, il s'est vu refuser le statut de
réfugié en Gambie et au Bénin (en 1988) ainsi qu'en C_te d'Ivoire (en
1989), et maintenant apparemment, au Burkina Faso (en 1992).
2.3 L'auteur affirme qu'après les élections présidentielles qui se sont
déroulées au Sénégal le 28 février 1988, il a été de nouveau arrêté et
détenu pendant plusieurs semaines sans être inculpé. Il a été mis en liberté
le 18 avril 1988 par décision du tribunal régional de Dakar. Il affirme
qu'après avoir participé en Guinée-Bissau à une campagne politique dirigée
contre le Sénégal, il a été de nouveau arrêté lorsqu'il a voulu rentrer
dans son pays le 6 juillet 1990. Il a alors été détenu pendant six jours
pendant lesquels il affirme avoir été de nouveau torturé par la police
de sécurité, qui a essayé de l'obliger à signer une déclaration reconnaissant
qu'il avait voulu porter atteinte à la sûreté de l'Etat et qu'il avait
coopéré avec les services de renseignements d'un autre Etat.
2.4 D'après l'auteur, sa famille à Dakar est persécutée par les autorités
sénégalaises. Le 6 juin 1990, le tribunal régional de Dakar a confirmé
une ordonnance d'expulsion qui avait été prise par le tribunal départemental
de Dakar le 12 février 1990. L'auteur et sa famille ont dû, de ce fait,
quitter la maison qu'ils habitaient depuis 40 ans. Cette décision a été
prise à la demande du nouveau propriétaire, qui avait acheté ce bien aux
héritiers du grand-père de l'auteur en 1986. L'auteur et son père ont
contesté la validité de l'acte de vente et réaffirmé leurs droits sur
ce bien. Les autorités municipales de Dakar ont toutefois accordé au nouveau
propriétaire un contrat de location sur la base de l'acte de vente, confirmant
ainsi - sans motif valable selon l'auteur - les droits de celui-ci sur
ce bien.
2.5 En ce qui concerne la condition d'épuisement des recours internes,
l'auteur affirme, sans donner de détails, qu'en tant qu'opposant au gouvernement,
il ne lui est pas possible de déposer une plainte contre les autorités
de l'Etat partie. A ce propos, il affirme avoir été menacé par la police
de sécurité en plusieurs occasions.
Teneur de la plainte
3. Bien que l'auteur n'invoque aucun des articles du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, il ressort de ses communications
qu'il invoque des violations des articles 7, 9 et 19 du Pacte.
Renseignements et observations communiqués par l'Etat partie
4.1 L'Etat partie soutient que l'auteur n'est aucunement victime de persécutions
politiques et qu'il n'a pas été empêché d'exprimer ses opinions, qu'il
s'agit simplement d'une personne rebelle à toute autorité quelle qu'elle
soit.
4.2 En ce qui concerne les griefs de torture et de mauvais traitements,
l'Etat partie indique que la torture constitue une infraction punissable
en vertu du Code pénal sénégalais, qui prévoit pour les actes de torture
et les mauvais traitements diverses sanctions d'une sévérité proportionnelle
à la gravité des conséquences physiques de la torture. D'autres dispositions
du Code pénal prévoient une aggravation de la peine si l'infraction est
imputable à un fonctionnaire ou à un agent de l'Etat dans l'exercice de
ses fonctions. Conformément à l'article 76 du Code de procédure pénale,
l'auteur aurait pu et aurait dû déposer devant les autorités judiciaires
compétentes une plainte contre les officiers de police responsables. L'Etat
partie souligne en outre que M. Koné, 48 heures après avoir été appréhendé,
avait la possibilité d'être examiné par un médecin, à sa demande ou à
celle de sa famille, conformément au paragraphe 2 de l'article 56 du Code
de procédure pénale.
4.3 En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle l'auteur aurait été
arbitrairement détenu en 1982, l'Etat partie fait observer que M. Koné
a été envoyé en détention par décision d'un juge d'instruction. Cette
décision ayant été prise par un fonctionnaire habilité par la loi à exercer
un pouvoir judiciaire, la détention provisoire de l'auteur ne peut être
qualifiée d'illégale ou d'arbitraire. De plus, les articles 334 et 337
du Code pénal sanctionnent les actes d'arrestation et de détention arbitraire.
Après son élargissement le 9 mai 1986, M. Koné aurait pu saisir les autorités
judiciaires compétentes conformément à l'article 76 du Code de procédure
pénale.
4.4 En ce qui concerne les griefs afférents à l'ordonnance d'expulsion,
l'Etat partie fait observer que le jugement qui a confirmé l'ordonnance
(c'est-à-dire le jugement du tribunal régional) aurait pu faire l'objet
d'un recours devant la Cour suprême conformément à l'article 3 du décret
No 60-17 du 3 septembre 1960 (concernant la procédure applicable devant
la Cour suprême) et à l'article 324 du Code de procédure civile. De plus,
les tribunaux sénégalais ne s'étant pas prononcés quant au fond - c'est-à-dire
au sujet du titre de propriété -, l'auteur aurait pu demander au tribunal
civil une décision de fond.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 A sa quarante-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication. Il a noté que la plainte de l'auteur concernant son
expulsion se rattachait essentiellement à de prétendues violations de
son droit à la propriété, droit qui n'est pas protégé par le Pacte. Le
Comité n'étant compétent que pour examiner les allégations de violation
de l'un des droits protégés en vertu du Pacte, la plainte de l'auteur
sur ce point a été jugée irrecevable, conformément à l'article 3 du Protocole
facultatif.
5.2 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur selon laquelle il aurait
été torturé et maltraité par la police de sécurité, le Comité a noté que
l'auteur n'avait pas pris de mesures pour épuiser les recours internes,
sous prétexte qu'en tant qu'opposant politique, il ne pouvait porter plainte
contre les autorités sénégalaises. Il a estimé, toutefois, que les recours
internes contre les actes de torture ne pouvaient être considérés a
priori comme inefficaces et que l'auteur n'était pas, par conséquent,
dispensé de tenter dans une mesure raisonnable de les épuiser. Cette partie
de la communication a donc été déclarée irrecevable conformément au paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.3 Pour ce qui est des plaintes fondées sur les articles 9 et 19 du
Pacte, le Comité a noté que l'Etat partie n'avait pas fourni de renseignements
quant aux accusations portées contre M. Koné, ni à propos des lois en
vertu desquelles il avait été détenu de 1982 à 1986, de février à avril
1988 et en juillet 1990, et qu'il n'avait pas non plus fourni de renseignements
suffisants quant aux recours utiles à la disposition de l'auteur. Il a
en outre fait observer que l'explication de l'Etat partie, selon laquelle
la détention de l'auteur de 1982 à 1986 ne pouvait être qualifiée d'arbitraire
dès lors que la décision de mise en détention avait été prise par une
autorité judiciaire, ne répondait pas à la question de savoir si la détention
violait ou non l'article 9 du Pacte. Dans ces conditions, le Comité ne
pouvait conclure que des recours utiles étaient à la disposition de l'auteur
et il a estimé que les conditions spécifiées au paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif avaient été remplies à cet égard.
5.4 En conséquence, le Comité a déclaré, le 5 novembre 1991, que la communication
était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions
relevant des articles 9 et 19 du Pacte. L'Etat partie a été prié notamment
d'expliquer les circonstances dans lesquelles l'auteur avait été maintenu
en détention de 1982 à 1986, en 1988 et en 1990, en indiquant les accusations
portées contre lui et la législation applicable, et de faire parvenir
au Comité copie des ordonnances de mise en détention prises par les magistrats
qui avaient eu à connaître de cette affaire ainsi que de la décision du
tribunal régional de Dakar en date du 18 avril 1988.
Renseignements de l'Etat partie concernant la communication quant
au fond
6.1 Dans ses observations quant au fond, l'Etat partie donne les renseignements
demandés par le Comité. Au sujet du maintien en détention de l'auteur
entre 1982 et 1986, il fait observer que l'auteur, après avoir été officiellement
inculpé d'actes de nature à porter atteinte à la sûreté de l'Etat, a été
mis en détention en vertu d'un mandat de dép_t délivré par le doyen des
juges d'instruction de Dakar, ce qui a été dûment enregistré sous le numéro
de dossier 406/82 dans le registre des plaintes du Cabinet du procureur
de Dakar ainsi que sous le numéro de dossier 7/82 au Cabinet du juge d'instruction.
Les actes imputés à l'auteur constituent une infraction au regard de l'article
80 (chap. I) du Code pénal sénégalais.
6.2 La procédure de mise en détention provisoire est régie par l'article
139 du Code de procédure pénale, qui prévoit la délivrance d'un mandat
de dép_t sur demande du ministère public. Il est stipulé au paragraphe
2 dudit article qu'une demande de libération sous caution est rejetée
si le Procureur général y fait objection par écrit. Cependant, une demande
de libération sous caution peut à tout moment être formulée par l'accusé
ou par son représentant. Le magistrat est obligé de statuer par ordonnance
spécialement motivée dans les cinq jours qui suivent la réception de la
demande. S'il ne prend pas de décision dans ce délai, l'accusé peut faire
directement appel à la chambre compétente du tribunal correctionnel (par.
5 de l'article 29); si la demande de libération sous caution est rejetée,
l'accusé peut faire appel conformément aux dispositions de l'article 180
du Code de procédure pénale.
6.3 Après enquête, le juge d'instruction a conclu que les accusations
portées contre M. Koné étaient fondées, et il a renvoyé l'inculpé devant
la Cour pénale de Dakar pour être jugé. Toutefois, compte tenu du caractère
de l'auteur et de son comportement antérieur attesté par écrit, le magistrat
a jugé approprié de demander qu'il subisse un examen psychiatrique. Le
9 mai 1986, par le jugement No 1898, il a ordonné que l'auteur soit mis
en liberté provisoire en attendant les résultats dudit examen. La procédure
judiciaire n'a jamais abouti à un jugement quant au fond, l'auteur ayant
bénéficié de la loi d'amnistie No 88-01 du 4 juin 1988.
6.4 Dans des observations supplémentaires quant au fond datées du 25
février 1994, le Gouvernement sénégalais précise les circonstances du
maintien de l'auteur en détention entre 1982 et 1986. Il fait valoir qu'après
son arrestation, M. Koné avait été traduit devant un juge d'instruction
qui, en application des dispositions de l'article 101 du Code de procédure
pénale, lui avait signifié, par la voie d'inculpation, les faits pour
lesquels il était poursuivi, l'avait avisé de son droit de choisir un
conseil parmi les avocats inscrits au tableau, avant de le placer sous
mandat de dép_t le 28 janvier 1982. Au terme d'une information judiciaire
régulière, il avait été renvoyé par le juge d'instruction devant la juridiction
de jugement, suivant ordonnance de renvoi datée du 10 septembre 1983.
L'Etat partie précise que l'auteur "n'a jamais formulé, tout au long
de la procédure d'instruction de son dossier, une demande de mise en liberté",
comme l'y autorisent les articles 129 et 130 du Code de procédure pénale.
L'Etat partie conclut qu'il "ne peut être relevé, dans cette procédure,
l'expression d'une quelconque volonté de s'opposer à sa mise en liberté
provisoire".
6.5 L'Etat partie souligne qu'une fois renvoyé devant le tribunal compétent,
l'auteur avait reçu un avertissement à comparaître à l'audience du 10
décembre 1983, date à laquelle l'affaire n'avait pas été retenue; plusieurs
renvois consécutifs suivirent. L'Etat partie ajoute que l'auteur "n'introduira
une demande de mise en liberté provisoire que courant mai 1986, demande
qui a été satisfaite suivant jugement avant dire droit du 9 mai 1986".
6.6 Quant à l'objet de la loi d'amnistie No 88-01 du 4 juin 1988 dont
a bénéficié l'auteur, l'Etat partie relève que cette loi ne s'applique
pas aux seuls événements de la Casamance, même si elle avait été votée
dans le cadre de leur apaisement. Il ajoute qu'en effet, "la période
de détention de l'intéressé a coïncidé avec une période de troubles graves
de l'ordre public national du fait [des] événements de Casamance, et la
Cour de sûreté de l'Etat, juridiction d'exception unique au Sénégal...,
a eu à traiter de décembre 1982 à l'année 1986, du cas de 286 personnes
détenues", alors que cette cour ne comprenait qu'un président, deux
assesseurs, un commissaire du gouvernement et un juge d'instruction.
6.7 L'Etat partie fait remarquer qu'en outre, même si aux termes du paragraphe
3 de l'article 9 du Pacte, la détention provisoire ne doit pas être la
règle, elle peut néanmoins être l'exception, surtout en période de troubles
graves, et notamment lorsque l'accusé, renvoyé devant le tribunal et cité
à comparaître à une date fixe, n'a jamais manifesté un quelconque désir
de bénéficier d'une mesure de liberté provisoire. Il conclut que l'information
judiciaire et l'instruction de l'affaire ont été conduites de manière
tout à fait régulière, conformément aux dispositions légales applicables
et aux dispositions de l'article 9 du Pacte.
6.8 Dans des observations supplémentaires datées des 4 et 11 juillet
1994, l'Etat partie justifie la durée de la détention provisoire de l'auteur
entre 1982 et mai 1986 en invoquant la complexité de la situation concrète
et juridique. Il relève que l'auteur était membre de plusieurs groupes
révolutionnaires d'obédience marxiste et maoïste, qui avaient comploté
pour renverser plusieurs Gouvernements d'Afrique occidentale, dont ceux
de Guinée-Bissau, Gambie et Sénégal. A cet effet, l'auteur s'était souvent
rendu dans les pays limitrophes du Sénégal, où il avait rendu visite à
d'autres membres de ce réseau révolutionnaire ou à des représentants de
gouvernements étrangers. L'Etat partie fait aussi observer qu'il soupçonnait
l'auteur d'avoir participé à une tentative malheureuse de coup d'Etat
en Gambie en décembre 1981 et qu'à l'époque, il avait cherché à déstabiliser
le gouvernement de Sekou Touré en Guinée. L'Etat partie fait valoir qu'en
l'espèce, eu égard à ces ramifications internationales, les enquêtes judiciaires
en l'espèce étaient particulièrement complexes et longues, puisqu'il fallait
saisir officiellement d'autres Etats souverains de requêtes de coopération
judiciaire.
6.9 Dans ses dernières observations datées du 2 septembre 1994, l'Etat
partie affirme une fois de plus que la détention de M. Koné s'était avérée
nécessaire parce que l'on avait de bonnes raisons de penser que ses activités
menaçaient la sécurité intérieure de l'Etat. Après sa libération sous
caution, note l'Etat partie, M. Koné n'avait saisi aucune instance judiciaire
au Sénégal pour lui demander de statuer sur la légalité de sa détention
entre janvier 1982 et mai 1986. L'Etat partie tire du manque d'empressement
de l'auteur à poursuivre les voies de recours qui lui étaient ouvertes,
la conclusion que sa plainte est irrecevable au motif du non-épuisement
des recours internes.
6.10 En ce qui concerne la mise en détention de l'auteur en 1988, l'Etat
partie affirme que M. Koné n'a pas été détenu pendant deux mois mais pendant
six jours seulement. Il a été arrêté et placé en détention le 12 avril
1988, sur ordonnance du Procureur général de Dakar, pour atteinte à la
loi sur l'état d'urgence (loi 69-26 du 22 avril 1969, décrets No 69-667
du 10 juin 1969 et No 88-229 du 29 février 1988, décret ministériel No
33364/M.INT du 22 mars 1988). M. Koné a été jugé, ainsi que huit autres
personnes, par le tribunal des flagrants délits qui, par le jugement No
1891 du 18 avril 1988, a ordonné sa libération.
6.11 L'Etat partie fait observer que l'auteur n'a été ni à nouveau arrêté
ni à nouveau soumis à des enquêtes ou à des procédures judiciaires après
sa libération en avril 1988. S'il avait été de nouveau arrêté ou détenu,
il aurait fallu, en vertu des articles 55 et 69 du Code de procédure pénale,
que le ministère public en soit immédiatement avisé. Or aucune notification
de ce genre n'a jamais été reçue. En outre, si l'auteur avait été détenu
arbitrairement en 1990, il aurait pu, à sa libération, déposer plainte
immédiatement contre les responsables présumés de sa mise en détention;
aucune plainte n'a été reçue à cet égard.
6.12 L'Etat partie conclut qu'il n'existe aucune preuve que les autorités
judiciaires sénégalaises ont violé l'une quelconque des dispositions du
Pacte.
7.1 Dans ses observations, l'auteur conteste l'exactitude des renseignements
fournis par l'Etat partie et leur chronologie. Ainsi, il affirme avoir
tout d'abord été appelé, le 2 septembre 1983, à comparaître devant le
tribunal correctionnel le 1er décembre 1983. Le Président du tribunal
lui a alors demandé un complément d'information et a reporté le procès
à une date ultérieure non spécifiée. Le même jour, et non au printemps
1986 comme l'indique l'Etat partie, le tribunal a ordonné que l'auteur
subisse un examen psychiatrique. L'auteur fait parvenir la copie d'un
certificat médical signé par un médecin psychiatre de l'h_pital de Dakar,
qui confirme que l'auteur a subi un examen psychiatrique le 25 janvier
1985; le médecin a conclu que M. Koné souffrait de pathologie psychiatrique
à traiter sérieusement.
7.2 L'auteur insiste sur le fait qu'il avait été jugé le 1er décembre
1983 par le tribunal correctionnel, que le jugement avait été mis en délibéré
pour le 15 décembre 1983, et que sa famille était présente dans la salle
d'audience. Selon l'auteur, cette version pourrait être vérifiée dans
le registre de sorties et d'audiences de l'administration pénitentiaire.
7.3 Quant à l'argument de l'Etat partie selon lequel l'auteur n'aurait
jamais formulé de demande de mise en liberté provisoire, celui-ci note
simplement qu'il s'était plaint de sa détention arbitraire auprès de plusieurs
magistrats de passage dans la prison où il était incarcéré, et que c'est
seulement en 1986 qu'un collaborateur du Procureur de la République et
les services d'assistance sociale de l'administration pénitentiaire lui
avaient suggéré de formuler une demande de mise en liberté provisoire.
7.4 L'auteur affirme que son arrestation en janvier 1982 a été l'aboutissement
de manoeuvres orchestrées par l'Ambassadeur du Sénégal en Gambie, irrité
par le r_le de leader joué par l'auteur, entre 1978 et 1981, dans plusieurs
manifestations, lors desquelles notamment le bâtiment de l'Ambassade du
Sénégal à Banjul avait été endommagé / Dans une lettre datée
du 10 août 1992, l'auteur reconnaît avoir brisé des vitres du bâtiment
de l'Ambassade du Sénégal à Banjul..
7.5 En ce qui concerne sa détention en 1988, l'auteur rappelle qu'il
a été arrêté "aux alentours du 2 mars 1988" en même temps que
plusieurs autres personnes et interrogé au sujet des incidents violents
qui avaient eu lieu lors des élections générales de février 1988. Il a
été relâché "autour du 20 mars 1988" après avoir adressé une
lettre au président A. Diouf au sujet de sa détention qu'il jugeait arbitraire.
Le 6 avril 1988, il a été de nouveau arrêté puis, le 12 avril 1988, mis
en accusation après six jours passés dans un poste de police. Le 18 avril
1988, il a été relâché par une décision du tribunal régional de Dakar
/En vertu de cette décision, l'ordre a simplement été donné,
sans plus d'explication, de relâcher l'auteur et ses huit coïnculpés..
7.6 L'auteur réaffirme qu'il a été de nouveau placé en détention provisoire
en 1990; il prétend avoir été arrêté à la frontière et transféré à Dakar,
où il a été détenu par des agents du Ministère de l'intérieur. On lui
a dressé un procès-verbal qu'il a été obligé de signer le 12 juillet 1990
et qui l'accusait, entre autres, d'atteintes à la sécurité de l'Etat.
Il ignore pourquoi il a été relâché le jour même.
7.7 Enfin, l'auteur affirme qu'il a été à nouveau appréhendé le 20 juillet
1992 et détenu pendant plusieurs heures. Il aurait été interrogé à propos
d'une manifestation qui avait eu lieu dans un quartier populaire de Dakar.
Le gouvernement le soupçonne apparemment d'être un sympathisant du Mouvement
séparatiste des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) dans le sud
du pays, où des affrontements violents ont eu lieu entre séparatistes
et forces gouvernementales. L'auteur nie avoir un lien quelconque avec
le MFDC et prétend souffrir de troubles nerveux dus à la surveillance
constante exercée sur lui par la police et les services de sécurité de
l'Etat partie.
7.8 L'auteur conclut que les observations de l'Etat partie sont fallacieuses
et tendancieuses et affirme qu'elles visent à couvrir les violations graves
et persistantes des droits de l'homme actuellement perpétrées au Sénégal.
Examen de l'affaire quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière
de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme
l'exigent les dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
8.2 Le Comité note que l'auteur ne conteste pas la nature juridique des
accusations portées contre lui, telles qu'elles sont décrites par l'Etat
partie dans les observations qu'il a présentées conformément au paragraphe
2 de l'article 4 du Protocole facultatif, mais nie, en termes généraux,
l'exactitude d'une partie des observations de l'Etat partie tandis que,
par certaines de ses déclarations, il l'accuse à mots couverts de mauvaise
foi. L'Etat partie, quant à lui, n'aborde les questions ayant trait à
l'article 19 qu'en affirmant que l'auteur est rebelle à toute autorité
quelle qu'elle soit et se borne à faire la chronologie des procédures
administratives et judiciaires suivies dans cette affaire. Le Comité a
donc cherché à établir si les informations présentées étaient corroborées
par l'une ou l'autre partie dans leurs observations.
8.3 Pour ce qui est des allégations de violation de l'article 9, le Comité
note que, pour ce qui concerne la détention de l'auteur entre 1982 et
1986 et au printemps de 1988, l'Etat partie a fourni des renseignements
détaillés concernant les accusations portées contre l'auteur, leur fondement
juridique, les exigences en matière de procédure découlant du Code de
procédure pénale sénégalais et les recours juridiques dont disposait l'auteur
pour contester sa mise en détention. Il apparaît, à la lecture des dossiers,
que les charges portées contre l'auteur n'étaient pas fondées, contrairement
à ce qu'il affirme, sur ses activités politiques ou sur le fait qu'il
ait exprimé des opinions hostiles au Gouvernement sénégalais. Dans ces
conditions, on ne peut conclure que l'arrestation et la mise en détention
de l'auteur ont été arbitraires ni qu'elles étaient sans justification
légale ou qu'elles ne se sont pas déroulées selon la procédure fixée par
la loi. Toutefois, la durée de la détention de l'auteur pose certaines
questions, qui sont examinées plus loin (par. 8.6 à 8.8).
8.4 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il aurait
été détenu en 1990, le Comité a pris note de la déclaration de l'Etat
partie, comme quoi il n'apparaît nulle part dans ses dossiers que M. Koné
ait été de nouveau arrêté ou placé en détention après avril 1988. L'auteur
n'ayant pas étayé sa plainte par de nouveaux éléments d'information, et
les copies des rapports médicaux qu'il mentionne à l'appui de sa plainte
de mauvais traitements portant une date antérieure à la date supposée
de son arrestation (6 juillet 1990), le Comité conclut que les allégations
de violation de l'article 9 lors des événements de juillet 1990 n'ont
pas été suffisamment corroborées.
8.5 Par ailleurs, l'Etat partie a nié que l'auteur avait été arrêté pour
avoir exprimé des opinions politiques ou à cause de son affiliation politique
et l'auteur n'a pas apporté d'élément étayant ses griefs en la matière.
Aucun élément dans la documentation dont le Comité a été saisi ne vient
corroborer la plainte, selon laquelle l'auteur aurait été arrêté ou détenu
en raison de sa participation à des manifestations contre le régime du
président Diouf ou parce qu'il aurait soutenu le Mouvement des forces
démocratiques de la Casamance. Au vu des documents à sa disposition, le
Comité est d'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 19 du Pacte.
8.6 Le Comité note que l'auteur a été arrêté pour la première fois le
15 janvier 1982 puis relâché le 9 mai 1986; la durée de sa détention,
soit quatre ans et près de quatre mois, n'est pas contestée. Il ressort
des observations de l'Etat partie qu'aucune date de procès n'a été fixée
au cours de cette période et que l'auteur a été relâché provisoirement,
en attendant d'être jugé. Le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe
3 de l'article 9, tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction
pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ... et devra
être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Ce qui constitue un "délai
raisonnable" au sens du paragraphe 3 de l'article 9 doit être évalué
dans chaque cas.
8.7 On ne peut considérer un délai de quatre ans et quatre mois, au cours
desquels l'auteur a été maintenu en détention (beaucoup plus long en réalité
si l'on tient compte du fait que la culpabilité ou l'innocence de l'auteur
n'avait pas encore été établie lors de sa mise en liberté provisoire le
9 mai 1986) comme étant compatible avec le paragraphe 3 de l'article 9
du Pacte, en l'absence de circonstances spéciales le justifiant, comme
s'il existait ou avait existé des obstacles à l'enquête, imputables à
l'accusé ou à son représentant. Il ne semble pas qu'il y ait eu des circonstances
de ce genre dans l'affaire à l'examen. En conséquence, la détention de
l'auteur était incompatible avec le paragraphe 3 de l'article 9. Cette
conclusion est étayée par le fait que les accusations portées contre l'auteur
en 1982 et en 1988 sont identiques, alors que la durée de la procédure
judiciaire dans chaque cas diffère considérablement.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits qui lui
ont été exposés font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article
9 du Pacte.
10. Le Comité est d'avis que M. Famara Koné a droit, en vertu du paragraphe
3 a) de l'article 2 du Pacte, à réparation, y compris à un dédommagement
approprié. L'Etat partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. Attendu que, en devenant partie au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s'il y avait eu violation
du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'Etat partie s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à veiller
à ce que toute personne dont il est établi que les droits ont été violés
dispose d'un recours utile et qu'il y soit donné bonne suite, le Comité
souhaiterait recevoir des informations, dans les 90 jours, sur les mesures
que l'Etat partie aura prises pour donner effet à ses constatations.
_____________
* Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Birame
Ndiaye n'a pas participé à l'adoption des constatations du Comité.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]