Comité des droits de l'homme
Quarante-sixième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-sixième session -
Communication No 387/1989*
Présentée par : Arvo O. Karttunen [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Finlande
Date de la communication : 2 novembre 1989
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 1992,
Ayant achevé l'examen de la communication No 387/1989, présentée au Comité par Arvo O. Karttunen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant pris en considération toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif Le texte d'une opinion individuelle formulée par M. Bertil Wennergren est joint aux présentes consultations..
1. L'auteur de la communication est Arvo O. Karttunen, citoyen finlandais résidant à Helsinki (Finlande). Il affirme être victime de violations par la Finlande de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur était un client de la Banque coopérative de Rääkkyla, qui finançait ses activités commerciales en lui accordant régulièrement des prêts. En juillet 1983, il s'est déclaré en faillite et, le 23 juillet 1986, il a été reconnu coupable de faillite frauduleuse par le tribunal de district de Rääkkyla et condamné à 13 mois de prison. Le 31 mars 1988, la Cour d'appel de la Finlande orientale (Itä-Suomi) a confirmé le jugement rendu en première instance. Le 10 octobre 1988, la Cour suprême a refusé l'autorisation de recours.
2.2 Les tribunaux de district finlandais se composent d'un magistrat de carrière et de sept juges non professionnels qui servent en la même qualité que le juge professionnel. Ce dernier prépare normalement le texte de la décision du tribunal et le soumet à l'ensemble de ses membres, qui examinent ensuite l'affaire. Les décisions du tribunal sont généralement prises par consensus. En cas de partage égal des voix, la voix du juge de carrière est prépondérante.
2.3 Dans le cas de M. Karttunen, le tribunal se composait d'un juge de carrière et de cinq juges non professionnels, dont l'un, V. S., était l'oncle de E. M., l'un des associés de la Säkhöjohto Ltd. Partnership Company, qui avait porté plainte contre l'auteur. Alors qu'il interrogeait la femme de l'auteur, qui déposait en tant que témoin, V. S. l'aurait interrompue en disant : "Elle ment". Cette remarque ne figure pas, toutefois, dans les minutes du procès ou autres documents du tribunal. Un autre juge non professionnel, T. R., aurait été indirectement impliqué dans l'affaire avant le procès car son frère était membre du conseil d'administration de la Banque coopérative de Rääkkyla à l'époque où l'auteur était client de la banque; il avait démissionné du conseil d'administration avec effet au 1er janvier 1984. En juillet 1986, la Banque était également l'un des plaignants dans les poursuites engagées contre l'auteur.
2.4 L'auteur n'a pas récusé les deux juges en question au cours du procès devant le tribunal de district; mais il a soulevé la question devant la Cour d'appel. Il a aussi demandé que l'appel soit entendu en audience publique. Mais après avoir réévalué l'ensemble des preuves, la Cour d'appel a estimé qu'en vertu du paragraphe 1 de l'article 13 du Code de procédure judiciaire, V. S. n'aurait effectivement pas dû être admis à siéger en qualité de juge non professionnel dans l'affaire, mais que le jugement du tribunal de district n'en était pas pour autant vicié. Elle a estimé, par contre, que rien ne s'opposait à ce que T. R. participe à la procédure, étant donné que la démission de son frère du conseil d'administration de la Banque coopérative de Rääkkyla avait pris effet le 1er janvier 1984, c'est-à-dire bien avant l'ouverture du procès. Par conséquent, dans son jugement du 31 mars 1988, la Cour d'appel a confirmé la décision du tribunal du district et rejeté la demande de l'auteur tendant à ce que son appel soit examiné en audience publique.
La plainte
3.1 L'auteur affirme que le droit à un procès équitable lui a été dénié et par le tribunal de district de Rääkkyla et par la Cour d'appel, en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
3.2 L'auteur affirme que le procès devant le tribunal de district de Rääkkyla n'a pas été impartial car deux des juges non professionnels, V. S. et T. R., auraient dû être récusés. Il soutient, en particulier, que l'intervention de V. S. pendant la déposition de Mme Karttunen équivaut à une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Il fait valoir, à ce sujet, que le paragraphe 1 de l'article 13 du Code de procédure judiciaire prévoit qu'un juge ne peut pas siéger dans un tribunal s'il a été auparavant impliqué dans l'affaire dont le tribunal est saisi, sans faire de distinction entre les juges de carrière et les juges non professionnels. Si le tribunal ne compte que cinq juges non professionnels, comme dans son cas, deux de ces juges peuvent influencer considérablement la décision rendue puisque chaque juge non professionnel dispose d'une voix. L'auteur soutient en outre que la Cour d'appel a commis une erreur en concluant a) qu'il n'y avait pas de raison de récuser l'un des deux juges non professionnels en cause, T. R., et b) que le fait que le tribunal de district n'avait pas récusé l'autre, alors qu'il y avait conflit d'intérêts, n'avait eu aucune incidence sur l'issue du procès.
3.3 Enfin, l'auteur affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte parce que, malgré une demande en bonne et due forme, la Cour d'appel a refusé d'examiner son appel en audience publique, ce qui, selon lui, l'a empêché de présenter à la cour des éléments de preuve et de faire comparaître des témoins à décharge.
Informations et observations présentées par l'Etat partie
4.1 Tout en reconnaissant que l'auteur a épuisé les recours internes, l'Etat partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif. Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle le procès n'a pas été équitable du fait de la prétendue partialité de deux des juges non professionnels, il rappelle les conclusions de la Cour d'appel (voir par. 3.2) et conclut que, comme c'est l'avis du juge de carrière qui, dans la pratique, détermine le jugement du tribunal, l'issue du procès devant le tribunal de district de Rääkkyla n'a pas été affectée par la présence d'un juge qui aurait pu être récusé.
4.2 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle la Cour d'appel lui a refusé le droit d'être entendu en audience publique, l'Etat partie soutient que le droit à une procédure orale n'est pas prévu au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte et que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
Décision du Comité quant à la recevabilité
5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 A sa quarante-troisième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Tout en prenant note de la thèse de l'Etat partie selon laquelle la communication était irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif, il a constaté que les éléments d'information présentés par l'auteur au sujet des irrégularités qui, selon lui, auraient entaché la procédure judiciaire, soulevaient des questions qui devaient être examinées au fond et que l'auteur avait fait des efforts raisonnables pour étayer ses allégations afin que sa communication soit déclarée recevable.
5.3 Le 14 octobre 1991, le Comité a déclaré la communication recevable au titre de l'article 14 du Pacte. Il a demandé à l'Etat partie de préciser notamment : a) comment le droit finlandais garantit l'impartialité des tribunaux et comment ces garanties ont été appliquées dans la présente affaire, et b) comment le droit interne garantit la publicité de la procédure, et si l'on peut considérer que le procès devant la Cour d'appel a été public.
Observations de l'Etat partie quant au fond
6.1 Dans ses observations sur le fond, l'Etat partie déclare que l'impartialité des tribunaux finlandais est garantie, en particulier, par les règles régissant la récusation des juges (chap. 13, art. premier, du Code de procédure pénale). Ces dispositions, qui énumèrent les raisons pour lesquelles un juge peut être récusé, s'appliquent à toutes les instances judiciaires; en outre, l'article 9 de la loi No 322/69 prévoit que la récusation des juges non professionnels siégeant dans les tribunaux de district est régie par les règles relatives à la récusation des juges. Ces règles ne souffrent aucune exception : aucune personne remplissant une des conditions requises en matière de récusation ne peut siéger comme juge dans une affaire donnée. Le tribunal peut, en outre, prendre d'office en considération les motifs de récusation.
6.2 L'Etat partie reconnaît que la procédure devant le tribunal de district de Rääkkyla n'a pas été conforme au principe de l'impartialité judiciaire, comme la Cour d'appel l'a admis. Il incombait à la Cour d'appel de corriger l'erreur de procédure commise par le tribunal de district. La cour a estimé que le fait de n'avoir pas écarté le juge non professionnel V. S. n'avait pas influencé le jugement du tribunal, et qu'elle avait pu réexaminer complètement toute l'affaire à partir des minutes du procès et des comptes rendus des débats.
6.3 L'Etat partie admet que l'opinion de la Cour d'appel peut être contestée dans la mesure où les remarques déplacées de V. S. pourraient très bien avoir influencé la déposition du témoin et la teneur de la décision du tribunal. De même, comme la Cour d'appel a rejeté la demande d'audience publique pour l'examen du recours, on pourrait soutenir qu'aucune audience publique n'a été tenue dans l'affaire, puisque la procédure devant le tribunal de district était viciée et que la Cour d'appel n'a pas renvoyé l'affaire devant un tribunal de district compétent.
6.4 En ce qui concerne la publicité des débats, l'Etat partie affirme que, s'il s'agit d'une règle d'une grande importance pratique dans la procédure devant les tribunaux inférieurs (où la procédure est presque toujours orale), l'examen d'un recours devant la Cour d'appel se fait généralement sous forme de procédure écrite. Les débats proprement dits ne sont pas publics, mais les documents rassemblés au cours de la procédure sont accessibles au public. Chaque fois qu'elle le juge nécessaire, la Cour d'appel peut ouvrir une procédure orale, qui peut se limiter à une partie seulement des questions soulevées dans l'appel. Dans le cas de l'auteur, la Cour d'appel n'a pas jugé nécessaire d'ouvrir séparément une procédure orale pour examiner l'affaire.
6.5 L'Etat partie note que, ni l'Observation générale du Comité sur l'article 14, ni sa jurisprudence dans le cadre du Protocole facultatif ne donnent des indications claires sur la manière de régler la question; il pense que l'interprétation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme pourrait aider à interpréter l'article 14 du Pacte. Il fait observer à cet égard que pour déterminer si un procès a été équitable selon l'article 14 du Pacte, il faut se fonder sur une évaluation globale de l'affaire, car les vices qui ont entaché la procédure devant un tribunal inférieur peuvent être corrigés par une procédure devant la Cour d'appel. Il est absolument indispensable de respecter le principe de l'égalité des parties à tous les stades de la procédure, ce qui signifie que l'inculpé doit avoir la possibilité de défendre sa cause dans des conditions qui ne le placent pas dans une position désavantageuse par rapport aux autres parties à l'affaire.
6.6 L'Etat partie soutient que, bien que le Comité ait estimé à plusieurs reprises qu'il n'était pas, en principe, compétent pour se prononcer sur les faits et les preuves dans une affaire donnée, il est de son devoir de déterminer que la procédure judiciaire dans son ensemble, y compris la façon dont les preuves ont été obtenues, a été équitable. L'Etat partie fait observer que la question de savoir si les motifs personnels d'un juge ont influencé la décision du tribunal ne fait pas normalement l'objet d'un débat et que, par conséquent, ces motifs ne sont généralement pas mentionnés dans le jugement raisonné du tribunal.
6.7 L'Etat partie reconnaît que, si l'on tient compte du fait que le juge non professionnel V. S. ne remplissait manifestement pas les conditions requises pour siéger dans l'affaire, "on peut dire que le tribunal n'a pas satisfait aux critères d'impartialité, qu'ils soient subjectifs ou objectifs. On peut même se demander si un procès qui s'est déroulé dans ces circonstances ainsi que les preuves documentaires produites étaient suffisamment fiables pour que la Cour d'appel ait pu se contenter d'une procédure écrite pour statuer sur l'affaire".
6.8 L'Etat partie fait valoir, en revanche, que l'auteur avait la possibilité de récuser V. S. lors du procès devant le tribunal de district et qu'il a pu former un recours à la fois devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême, bien que sa demande d'autorisation de recours ait été rejetée. Comme le ministère public et l'auteur ont, l'un et l'autre, fait appel du jugement rendu par le tribunal de district, on peut soutenir que la Cour d'appel a été en mesure de réexaminer complètement l'affaire et que, par conséquent, l'auteur ne s'est pas trouvé dans une position susceptible de nuire sensiblement à sa défense ou d'influer sur le verdict d'une manière contraire à l'article 14.
6.9 L'Etat partie réaffirme que la publicité des audiences est un aspect important de l'article 14, non seulement pour la protection de l'inculpé, mais aussi pour maintenir la confiance du public dans le fonctionnement de l'administration de la justice. Si la Cour d'appel avait ouvert une procédure orale et tenu une audience publique dans l'affaire en question ou cassé le jugement du tribunal de district, on aurait pu considérer que le vice constaté dans la composition de ce tribunal avait été corrigé. Comme cela n'a pas été le cas, on peut considérer que la demande de procédure orale présentée par l'auteur était justifiée en fonction de l'article 14 du Pacte.
Examen du bien-fondé de la demande
7.1 Le Comité est appelé à déterminer si, du fait que le juge non professionnel V. S. n'était pas qualifié pour siéger au tribunal et qu'il a interrompu le témoignage de la femme de l'auteur, l'évaluation des preuves par le tribunal de district de Rääkkyla et son verdict ont été influencés dans un sens contraire à l'article 14, et si un procès équitable a été dénié à l'auteur du fait que la Cour d'appel a refusé de faire droit à sa demande de procédure orale. Comme les deux questions sont étroitement liées, le Comité les examinera conjointement. Le Comité rend hommage à l'Etat partie pour la franche coopération qu'il lui a accordée à l'occasion de l'examen de l'affaire de l'auteur.
7.2 L'impartialité du tribunal et la publicité de la procédure sont des aspects importants du droit à un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14. L'"impartialité" du tribunal exige que les juges n'aient pas d'idées préconçues au sujet de l'affaire dont ils sont saisis et qu'ils n'agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l'une des parties. Lorsque les motifs pour lesquels un juge peut être récusé sont déterminés par la loi, il incombe au tribunal de les examiner d'office et de remplacer ceux de ses membres qui tombent sous le coup de l'un des critères de récusation. Un procès vicié par la participation d'un juge qui, selon le droit interne, aurait dû être écarté, ne peut pas normalement être considéré comme un procès équitable ou impartial au sens de l'article 14.
7.3 Il est possible aux instances d'appel de corriger les irrégularités constatées dans la procédure des instances judiciaires inférieures. En l'espèce, la Cour d'appel a jugé, sur la base des preuves écrites dont elle disposait, que le verdict du tribunal de district n'avait pas été influencé par la présence du juge V. S., tout en reconnaissant que V. S. aurait manifestement dû être écarté; le Comité estime que l'auteur aurait dû bénéficier d'une procédure orale devant la Cour d'appel. En effet, de l'aveu même de l'Etat partie, seule cette procédure aurait permis d'évaluer de nouveau tous les éléments de preuve soumis par les parties et de déterminer si le vice avait effectivement influencé le verdict du tribunal de première instance. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l'article 14.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
9. En vertu des dispositions de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie est tenu de fournir à l'auteur un recours utile, compte tenu de la violation dont il a été victime.
10. Le Comité souhaiterait que l'Etat partie l'informe, dans un délai de 90 jours, de toutes mesures qu'il aura adoptées à la suite des constatations du Comité.
APPENDICE*
Opinion individuelle présentée par M. Bertil Wennergren, conformément
au paragraphe 3 de l'article 94 du règlement intérieur du Comité,
concernant les constatations du Comité
Mon opinion n'est pas une opinion dissidente; je voudrais simplement préciser mes vues quant au raisonnement suivi par le Comité dans cette affaire. L'affaire de M. Karttunen concerne les conditions de procédure imposées devant une cour d'appel dans une affaire pénale. Les dispositions pertinentes du Pacte se trouvent à l'article 14, qui énonce d'abord les conditions générales d'une procédure régulière au paragraphe 1, puis les garanties spéciales au paragraphe 3. Le paragraphe 1 est applicable à tous les stades de la procédure judiciaire, que celle-ci se déroule devant un tribunal de première instance, devant une cour d'appel, devant la Cour suprême, devant un tribunal général ou un tribunal spécial. Le paragraphe 3 s'applique seulement aux procédures pénales et surtout aux procédures de première instance. Toutefois, dans ses décisions antérieures, le Comité a estimé que les conditions énoncées au paragraphe 3 étaient également applicables aux procédures d'examen et d'appel dans les affaires pénales : il s'agit du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix [art. 14, par. 3 b)], d'être jugé sans retard excessif [art. 14, par. 3 c)], de se voir attribuer d'office un défenseur chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, sans frais pour l'inculpé si celui-ci n'a pas les moyens de le rémunérer [art. 14, par. 3 d)], de se faire assister gratuitement d'un interprète si l'inculpé ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience [art. 14, par. 3 f)], enfin du droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s'avouer coupable [art. 14, par. 3 g)]. Il n'est que normal que ces dispositions soient également applicables mutatis mutandis aux procédures d'appel, puisqu'elles sont caractéristiques d'un procès équitable, lequel est prévu en termes généraux par l'article 14, paragraphe 1.
En vertu de l'article 14, paragraphe 1, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue non seulement équitablement mais aussi publiquement; de plus, en vertu de l'article 14, paragraphe 3 d), toute personne accusée a le droit d'être présente au procès. Il ressort des travaux préparatoires consacrés à l'élaboration du Pacte que la notion d'"audience publique" doit être entendue compte tenu du fait que, dans le système juridique de nombreux pays, les procès se font sur la base de documents écrits, ce qui, estime-t-on, ne compromet pas les garanties de procédure des parties, puisque le contenu de tous ces documents peut être rendu public. A mon avis, la condition d'une "audience publique" énoncée au paragraphe 1 de l'article 14 doit être interprétée souplement et ne peut de prime abord être comprise comme exigeant une procédure publique orale. Je considère en outre que cela explique pourquoi, à un stade ultérieur des travaux préparatoires relatifs à l'article 14, paragraphe 3 d), on a ajouté le droit pour toute personne d'être présente au procès se déroulant en première instance.
D'après la jurisprudence du Comité, rien ne justifie un préjugé favorable à l'égard des procédures publiques orales dans les procédures d'appel. Il convient de noter que le droit pour une personne accusée d'être présente àson procès n'est pas explicitement énoncé dans la Convention européenne des droits de l'homme [art. 6, par. 3 c)]. C'est, à mon avis, ce qui explique que la Cour européenne des droits de l'homme, contrairement au Comité, se soit trouvée dans l'obligation d'interpréter la notion d'"audience publique" comme exigeant, de façon générale, une procédure "orale". Le libellé des paragraphes 1 et 3 d) de l'article 14 du Pacte est suffisamment souple pour qu'il soit loisible de déterminer, par cas d'espèce, si dans telle ou telle procédure d'appel il faut exiger que la procédure soit orale pour considérer qu'il y a eu "procès équitable". Dans l'affaire de M. Karttunen, mon avis est qu'une procédure orale était sans aucun doute requise pour que la cause soit "entendue équitablement" (au sens du paragraphe 3 d) de l'article 14), M. Karttunen ayant explicitement demandé une procédure orale qui ne pouvait être considérée à priori comme sans importance.