University of Minnesota



P. S. (nom supprimé) et son fils T. S. c. Danemark, Communication No. 397/1990, U.N. Doc. CCPR/C/45/D/397/1990 (1992).



Comité des droits de l'homme
Quarante-cinquième session

DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES -QUARANTE-CINQUIEME SESSION

concernant la

Communication No 397/1990



Présentée par : P. S. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur et son fils, T. S.

Etat partie : Danemark

Date de la communication :
15 février 1990 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 1992,

Adopte la décision ci-après
:

Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 15 février 1990 et correspondance ultérieure)est P. S., citoyen danois né en 1960. 11 présente la communication en son nom propre et au nom de son fils, T. S.. né en janvier 1984. L'auteur déclare que son fils et lui-méme sont victimes de violations, par le Danemark, des paragraphes 2 et 3 c)de l'article 14 ainsi que des articles 17, 18, 21, 22, 23, 24, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Exposé des faits, tels que présentés par l'auteur

2.1 L'auteur s'est marié en 1983. En 1986 il s'est séparé de sa femme en vertu d'une décision des autorités du comté du Jylland septentrional, qui ont également décidé que la garde de l'enfant serait assurée conjointement par les deux parents. En 1988, le tribunal municipal de Varde a prononcé le divorce et a confié la garde à la mere. L'auteur a formé un recours auprès de la cour d'appel et a demandé la garde de son fils. Le 10 mai 1988, la cour d'appel a confirmé le jugement du tribunal municipal en ce qui concerne la garde.

2.2 Pendant la procédure, l'auteur et son ancienne épouse ont conclu une convention provisoire sur le droit de visite: toutefois, ayant découvert que son époux s'était converti a la foi des Témoins de Jéhovah et qu'il avait emmené son fils à un rassemblement d'adeptes de cette religion, la mère a demandé aux autorités du comté à Odense d'assortir le droit de visite de conditions selon lesquelles l'auteur devait s'abstenir d'inculquer a son fils les préceptes des Témoins de Jéhovah. Il est à noter à cet égard qu'en vertu de la législation danoise, le parent qui a la garde de l'enfant peut décider de l'éducation religieuse qui lui sera donnée.

2.3 Le 13 octobre 1988, une réunion a été organisée avec l'auteur, son ancienne épouse et des spécialistes des questions relatives aux enfants et à la famille qui leur ont donné à tous deux des conseils, conformément a la législation danoise. Malgré ces conseils, l'auteur a refusé de s'abstenir d'enseigner à son fils les préceptes de sa religion. Il a également rejeté la proposition de la mere qui avait suggéré que le droit de visite soit exercé uniquement au domicile de la grand-mere paternelle de l'enfant. Par des lettres datées du 30 novembre et du 11 décembre 1988, l'auteur a demandé aux autorités du comté de Funen de régler le différend.

2.4 Par une décision du 13 décembre 1988, les autorités du comté de Funen ont fixé la durée et la fréquence des visites et les conditions dans lesquelles elles pourraient avoir lieu. Elles ont ainsi indiqué :

"Le droit de visite est accordé à la condition que, quand T. sera avec son père, il ne lui sera pas enseigné la religion des Témoins de Jéhovah et il ne participera pas à des rassemblements, réunions, missions ou activités analogues des Témoins de Jéhovah."

La loi danoise permet de fixer des conditions précises à l'exercice du droit de visite mais seulement si ces conditions sont jugées nécessaires dans l'intérêt de l'enfant. En l'espece, les autorités ont considéré que l'enfant etait confronté à une "crise de loyauté" à l'égard de ses parents et que si aucune limite n'était fixée à l'influence religieuse à laquelle il était soumis pendant les visites de son père, son développement normal pourrait s'en trouver menacé.

2.5 Le 17 décembre 1988, l'auteur a formé un recours auprès de la Direction des affaires familiales en faisant valoir que la décision des autorités du comté représentait une persécution illégale fondée sur des motifs religieux.

2.6 Par une lettre datée du 7 janvier 1989, l'auteur a informé les autorités du comté que son ancienne femme refusait de respecter les arrangements concernant le droit de visite fixés par les autorités. Pour obtenir l'application de ce droit, il a demandé au tribunal d'instance (Fogedretten) d'0dense de délivrer en ordre d'exécution. Le 3 février 1989, le tribunal a décidé de suspendre la procédure au motif que l'auteur n'était pas disposé 2 faire une déclaration claire et explicite s'engageant à respecter pleinement les conditions imposées à l'exercice de son droit de visite et que la Direction des affaires familiales était toujours saisie de la question.


2.7 Par un jugement interlocutoire du 29 juin 1989, la cour d'appel a rejeté le recours formé par l'auteur contre la décision du 3 février 1989 du tribunal d'instance, au motif que le délai avait expiré. Par la méme décision, la cour d'appel a rejeté un autre recours (interlocutoire)de l'auteur, qui visait à attaquer une décision concernant le droit de visite prise le 19 mai 1989 par le tribunal d'instance. La cour d'appel a fait valoir que la procédure utilisée par l'auteur n'était pas appropriée pour des griefs de cette nature.

2.8 Le 19 mars 1989, l'auteur a informé le Ministre danois de la justice de sa situation. Par une décision du 30 mars 1989, la Direction des affaires familiales a confirmé la décision prise le 13 décembre 1988 par les autorités du comté au sujet du droit de visite. L'auteur a alors déposé une requéte auprès du médiateur parlementaire.

2.9 Le 27 juin 1989, le tribunal d'instance d'odense a délivré une nouvelle ordonnance au sujet de l'application du droit de visite. Il a fait valoir que, d'après les déclarations de la mere, l'auteur n'avait pas tenu compte des conditions relatives à l'exercice de son droit de visite à l'égard de son fils T. S. Le tribunal a suspendu à nouveau la procédure au motif que la cour d'appel étudiait toujours la question de la validité desdites conditions.

2.10 Dans sa réponse du ler novembre 1989, le médiateur a reconnu que la liberté de religion des parents devait étre prise en considération, mais a ajouté qu'elle n'excluait pas la reconnaissance de circonstances exceptionnelles, en particulier quand les intéréts supérieurs de l'enfant étaient en jeu, auquel cas des limites à l'exercice de la liberté de religion pouvaient étre fixées durant les visites. Le médiateur a réaffirmé qu'en l'occurrence il fallait considérer que les conditions fixées à l'exercice du droit de visite visaient l'intérêt de l'enfant. Néanmoins, il a concédé que la liberté de religion de l'auteur devait également être prise en considération et que seules "des conditions strictement nécessaires" pouvaient étre imposées à cet égard. Le médiateur a constaté que les autorites n'avaient pas estimé que son appartenance aux Témoins de Jéhovah pouvait constituer un motif pour priver l'auteur de contact avec son fils, méme si chacun sait que la vie quotidienne des Témoins de Jéhovah est fortement influencée par leurs croyances. Le médiateur a donc demandé aux autorités de définir avec précision les circonstances dans lesquelles les visites du pere au fils pourraient avoir lieu.

2.11 Le 28 février 1990, après consultations avec l'auteur et avec la mere de l'enfant, les autorités du comté ont formulé les conditions suivantes :

"Le droit de visite continuera d'étre exercé uniquement à la condition que le fils, pendant qu'il sera avec son père, ne recevra pas l'enseignement de la religion des Témoins de Jéhovah. Cette condition signifie que le père accepte de ne pas aborder la question de la foi des Témoins de Jéhovah en présence de l'enfant ni méme d'engager des conversations sur ce sujet. De plus, le père s'engagera à s'abstenir de passer des bandes magnétiques, de projeter des films ou de lire des documents ayant trait à la foi des Témoins de Jéhovah, ou encare de lire la Bible ou de dire des prières selon sa religion en présence de l'enfant. Une autre condition pour continuer d'exercer le droit de visite est que l'enfant ne participera pas à des rassemblements, réunions, missions ou activités analogues des Témoins de Jéhovah. L'expression "ou activités analogues" signifie que l'enfant ne devra pas participer à toute autre réunion sociale . . . au cours de laquelle des textes de la Bible sont lus à voix haute ou interprétés, des prières sont récitées conformément à la foi des Témoins de Jéhovah ou des documents, des films ou des bandes magnétiques concernant la foi des Témoins de Jéhovah sont présentés."

2.12 Le ler mars 1990, l'auteur a fait appel auprès du Département du droit privé (l'ancienne Direction des affaires familiales), indiquant que son fils et lui-même étaient victimes de persécutions continuelles et que son droit à la liberté de religion et de pensée lui avait été dénié. Il a présenté unfo nouvelle plainte au médiateur parlementaire pour contester la décision des autorités du comté. Par une décision du 10 mai 1990, le Département du droih. privé a confirmé la décision prise le 13 décembre 1988 par les autorités du comté, telle que précisée le 28 février 1990. Il a indiqué notanunent que les conditions imposées à l'auteur en ce qui concerne son droit de visite n'étaient pas excessives au regard de la liberté de religion.

2.13 Il ressort de la correspondance ultérieure de l'auteur que celui-ci a continué à présenter des requétes aux autorités. A l'heure actuelle, il ne peut exercer son droit de visite que sous surveillance étant donné qu'il ne s'est pas conformé aux conditions qui lui avaient été imposées.

Teneur de la plainte

3. L'auteur affirme qu'il y a eu violation des articles suivants :

a) Paragraphe 2 de l'article 14 : Son droit de visite lui aurait ete dénié sur le simple soupçon qu'il pourrait mal se comporter à l'avenir;

b) Paragraphe 3 c) de l'article 14 : Le differend remonte à août 1986 et, cinq ans et demi plus tard, il n'a toujours pas été tranché par
les autorités;

c) Article 17 : Les conditions imposées à l'auteur par les décisions administratives et judiciaires constituent une ingérence illicite dans savie privée et dans sa vie de famille. Par ces décisions, l'auteur affirme avoir été l'objet d'atteintes illégales dans son honneur et dans sa réputation;

d) Article 18 : Si les autorités avaient respecté les dispositions de cet article, il n'y aurait pas eu d'affaire du tout;

e) Articles 21 et 22 : Les restrictions imposées à l'auteur et à son fils entraînent des violations du droit de réunion pacifique et du droit a la liberté d'association;

f) Article 23 : Les autorités danoises n'ont à aucun moment cherché à protéger la cellule familiale;


g) Article 24 : En ce qui concerne son fils;

h) Article 26 : Violation qui, d'après l'auteur, découle des violations des paragraphes 2 et 3 c)de l'article 14, et des articles 18, 21 et 22;

i) Article 27 : Violation qui, d'après l'auteur, découle de la violation de l'article 18.

Observations de 1'Etat Partie et commentaires de l'auteur à leur sujet

4.1 L'Etat partie explique les dispositions de la législation danoise qui régissent la séparation des époux, le divorce, la garde des enfants et le droit de visite ainsi que le fonctionnement des autorités administratives et judiciaires compétentes. Il ajoute quelques observations préliminaires sur les doléances de l'auteur.

4.2 L'Etat partie note que la garde du fils a été confiée à la mere, conformément à la législation danoise et à la pratique des tribunaux. Par conséquent, la mere a le droit. exclusif de décider des affaires personnelles du fils et d'agir en son nom. L'Etat partie affirme que
la communication devrait être déclarée irrecevable ratione oersonae en ce qui concerne T. S., au motif que, en droit danois, l'auteur ne peut pas agir au nom de son fils sans le consentement du parent qui a la garde.

4.3 L'Etat partie affirme que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que le 10 mai 1990, le Département du droit privé a rendu sa décision finale au sujet des conditions relatives au droit de visite de l'auteur, ce qui fait que seules les procédures administratives disponibles ont été épuisées. En vertu de l'article 63 de la Loi constitutionnelle danoise, l'auteur aurait díi ensuite demander aux tribunaux la révision judiciaire des conditions imposées par la décision administrative.

4.4 L'Etat partie fait observer que les tribunaux peuvent étre saisis directement de cas faisant état de violations par le Danemark de ses obligations internationales contractées en vertu du Pacte international relatif aw droits civils et politiques. Il conclut que, vu que l'auteur n'a pas déposé sa plainte auprès des tribunaux danois, la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

4.5 Dans ses commentaires sur les observations de 1'Etat partie, l'auteur déclare notamment qu'il ne veut pas saisir les tribunaux afin d'éviter des frais inutiles à la charge des contribuables, ainsi qu'en raison du temps nécessaire et des difficultés à surmonter. Il doute également, dans son cas, de l'efficacité d'une procédure devant les tribunaux.

Délibérations du Comité :

5.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une comrnunication, le Comité des droits de l'hsmme, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décide si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité a pris note de l'argument de 1'Etat partie qui affirme que l'auteur ne peut pas agir au nom de son fils étant donné que la législation danoise donne ce droit seulement au parent qui a la garde de l'enfant. Le Comité fait observer que la possibilité de s'adresser à lui en vertu du Protocole facultatif est independantebde toute réglementation ou législation nationale régissant la position d'un particulier devant une autorité de justice intérieure. En l'espece, il est évident que T. S. ne peut pas soumettre lui-méme une plainte au Comité; la relation entre un père et son fils et la nature des allégations doivent étre réputées suffisantes' pour justifier la représentation de T. S. par son père devant le Comité.

5.3 Pour ce qui est des allégations de l'auteur selon lesquelles il aurait été victime d'une violation des articles 14, 21, 22 et 27, le Comité estime que les faits présentés par l'auteur ne soulèvent pas de question au titre de ces articles. Cette partie de la communication est de ce fait irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.


5.4 A propos des allégations de l'auteur selon lesquelles il aurait ete victime de violations des articles 17, 18, 23, 24 et 26, le Comité fait observer qu'en vertu du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif, il ne peut pas exasniner une communication s'il n'a pas établi que les recours internes ont été épuisés. A cet égard, le Comité note que l'auteur n'a épuisé que les procédures administratives; il réaffirme que, par l'expression "tous les recours internes disponibles" le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif vise clairement en premier lieu les recours judiciaires. Le Comité rappelle l'argument de 1'Etat partie selon lequel l'auteur aurait pu former un recours utile en demandant la révision judiciaire des ordonnances et décisions administratives, conformément à l'article 63 de la Loi constitutionnelle danoise. Il note que l'auteur a refusé de faire usage des voies de recours qui s'offraient à lui, pour des raisons de principe et à cause des frais
encourus. Il estime toutefois que des considérations d'ordre financier et des doutes quant à l'efficacité de recours internes ne sauraient dispenser l'auteur d'épuiser les recours. L'auteur ne s'est donc pas conformé aux dispositions du paragraphe 2 b)de l'article 5 à cet égard.

6.
En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) des articles 2 et 5 du Protocole facultatif


b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.



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