Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No. 414/1990
Présentée par : Primo José Essono Mika Miha
Au nom de : L'auteur
État partie : Guinée équatoriale
Date de la communication : 28 mai 1990 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 414/1990 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Primo José Essono Mika Miha en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Primo José Essono Mika Miha, citoyen
de Guinée équatoriale, né en 1940. Il est également titulaire d'un passeport
espagnol et réside actuellement à Madrid. Il affirme être victime de violations
par la Guinée équatoriale des droits qui lui sont reconnus en vertu des
articles 3, 6 (par. 3), 7, 9 (par. 1, 2, 4 et 5), 10 (par. 1), 12 (par.
1 et 2), 14 (par. 1, 3 b) et 5), 16, 17 (par. 1 et 2), 19 (par. 1 et 2),
21 et 22 (par. 1 à 3) du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Guinée
équatoriale le 25 décembre 1987.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est un ancien fonctionnaire de gouvernements précédents
de la République de Guinée équatoriale. En 1968, il a été élu député à
la Première Assemblée de la République et, en 1971, il a été nommé représentant
permanent de son pays auprès de l'Organisation des Nations Unies. En 1974,
il a été nommé ambassadeur de la Guinée équatoriale au Cameroun et en
République centrafricaine. Lorsque M. Macias a été élu président, l'auteur
a démissionné, quitté le pays avec sa famille et demandé l'asile politique
en Espagne.
2.2 Après la mort du président Macias, l'auteur est retourné dans son
pays où il a occupé les fonctions de directeur des affaires administratives,
culturelles et consulaires au Ministère des affaires étrangères du nouveau
gouvernement. En 1982, il a de nouveau quitté le pays et a cherché refuge
en Espagne, craignant d'être persécuté par le clan des Mongomos, auquel
appartenait le président Obiang Nguema (qui avait remplacé le président
Macias).
2.3 Durant l'été de 1988, à une date non précisée, l'auteur est retourné
en Guinée équatoriale en vue d'appuyer activement le parti d'opposition
(Partido de Progreso), auquel il appartenait. Le 16 août 1988,
vers 23 h 30, il a été enlevé par des membres des forces de sécurité dans
une rue de Malabo, capitale du pays. Il affirme qu'on lui a passé les
menottes, qu'on lui a bandé les yeux et qu'on l'a réduit au silence en
lui mettant un mouchoir dans la bouche. On lui a dit que le président
Obiang avait ordonné son arrestation, mais aucune autre explication ne
lui a été donnée; l'auteur affirme qu'il a été arrêté uniquement en raison
de ses activités en faveur du Partido de Progreso.
2.4 Après son arrestation, l'auteur a été détenu à bord d'un navire et
aurait été privé de nourriture et d'eau pendant une semaine. Il a été
ensuite transféré à la prison de Bata sur le continent, où il aurait été
torturé pendant deux jours. L'auteur donne des détails sur les mauvais
traitements qu'il aurait subis et explique que la torture était pratiquée
la nuit, en plein air, dans un terrain près de la plage et en présence
non seulement d'agents de police, mais aussi de membres du gouvernement.
Il semble que plusieurs autres personnes qui avaient été arrêtées à peu
près au même moment que l'auteur et qui appartenaient également au Partido
de Progreso auraient subi le même sort que l'auteura.
2.5 L'auteur ne précise pas la nature des blessures qui lui auraient
été infligées pendant les séances de torture, mais il affirme qu'il a
été par la suite maintenu en détention pendant plus d'un mois, sans soins
médicaux. Il ajoute que les conditions de détention à la prison de Bata
étaient déplorables et que les détenus ne recevaient guère d'autre nourriture
que celle que leur apportaient leurs familles, et devaient dormir à même
le sol.
2.6 Le 10 janvier 1990, alors qu'il était encore en détention, l'auteur
a dû subir une opération au coude droit pour lutter contre une grave infection
et l'apparition d'une tumeur, peut-être provoquées, selon lui, par les
mauvais traitements reçus au cours de l'été de 1988. À l'appui de ses
affirmations il présente des copies de certificats médicaux, de radiographies
et des résultats d'analyses médicales effectuées par un laboratoire espagnol.
Le 1er mars 1990, il a été libéré, sans avoir reçu la moindre explication;
les autorités ne lui ont pas rendu toutes les affaires personnelles (argent,
billets d'avion, bijoux) qui lui avaient été confisquées après son arrestation.
Il est retourné en Espagne où il enseigne actuellement dans un établissement
public.
2.7 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur indique
que les recours judiciaires existant en Guinée équatoriale seraient totalement
inefficaces. Selon lui, le pouvoir judiciaire est directement contrôlé
par le président Obiang Nguema lui-même, qui intervient également dans
la nomination des juges. En conséquence, les cours et les tribunaux locaux
ne sont ni indépendants ni impartiaux; dans ce contexte, l'auteur récuse
le procès dont il a fait l'objet ainsi qu'un certain nombre de coaccusés,
le qualifiant de sommaire ("procedimiento sumarísimo")
et affirmant que les critères d'équité n'ont pas été respectés. Il ne
fournit toutefois pas d'autres renseignements sur la date, le lieu ou
les circonstances du procès.
2.8 Selon l'auteur, le recours à des instances supérieures est impossible
car ces dernières soit n'existent pas, soit ne sont plus en état de fonctionner.
L'auteur ajoute qu'indépendamment de la question de savoir si le responsable
d'une infraction peut faire l'objet d'une procédure sommaire ou ne peut
être jugé qu'après inculpation, les procès se déroulent selon une procédure
sommaire, comme dans son propre cas. Il affirme que souvent, ce n'est
pas le tribunal, mais le Président lui-même qui décide de la peine à prononcer
contre l'accusé.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme que les faits exposés ci-dessus constituent des violations
des articles 3, 6 (par. 3), 7, 9 (par. 1, 2, 4 et 5), 10 (par. 1), 12
(par. 1 et 2), 14 (par. 1, 3 b) et 5), 16, 17 (par. 1 et 2), 19 (par.
1 et 2), 21 et 22 (par. 1 à 3) du Pacte.
Observations communiquées par l'État partie
4.1 Dans ses observations datées du 12 octobre 1991 communiquées conformément
à l'article 91 du règlement intérieur, l'État partie conteste la recevabilité
de la communication en faisant valoir qu'elle viole les normes élémentaires
du droit international et constitue une ingérence dans les affaires intérieures
de la Guinée équatoriale ("esta comunicación viola las normas elementales
del derecho internacional y constituye una ingerencia en los asuntos del
Estado ecuatoguineano").
4.2 À cet égard, l'État partie explique que l'auteur a volontairement
renoncé à la nationalité équato-guinéenne en 1982 et a pris la nationalité
espagnole. Étant donné qu'il n'existe entre l'Espagne et la Guinée équatoriale
aucun accord ou traité de double nationalité et que l'auteur est actuellement
fonctionnaire espagnol, l'État partie estime que l'auteur ne relève pas
de sa juridiction.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 À sa quarante-sixième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a rejeté l'affirmation de l'État
partie selon laquelle l'auteur n'était pas soumis à sa juridiction, car
ce dernier avait été détenu en Guinée équatoriale du 16 août 1988 au 1er
mars 1990 et avait donc été manifestement soumis à la juridiction de l'État
partie. Il a rappelé que l'article premier du Protocole facultatif était
applicable aux particuliers relevant de la juridiction de l'État intéressé
qui affirmaient être victimes d'une violation par cet État de l'un quelconque
des droits qui leur étaient reconnus par le Pacte, quelle que soit leur
nationalité. Le Comité a noté en outre que le fait que l'État partie ait
reconnu la compétence du Comité en vertu du Protocole facultatif impliquait
que les considérations de politique intérieure ne pouvaient être avancées
pour empêcher le Comité d'examiner des plaintes émanant de particuliers
relevant de la juridiction de l'État partie.
5.2 À propos de la question de l'épuisement des recours internes, le
Comité a fait observer que l'État partie n'avait pas indiqué quels recours
étaient disponibles et seraient efficaces dans la situation particulière
de l'auteur. Il a conclu que les conditions prévues au paragraphe 2 b)
de l'article 5 avaient été réunies.
5.3 S'agissant des allégations de l'auteur au titre des articles 3, 6
(par. 3), 16, 17, 21 et 22, le Comité a conclu qu'elles n'avaient pas
été étayées aux fins de la recevabilité et qu'en conséquence l'auteur
ne pouvait pas invoquer l'article 2 du Protocole facultatif.
5.4 Le 16 octobre 1992, le Comité a déclaré la communication recevable
en ce qu'elle semblait soulever des questions relevant des articles 7,
9, 10, 12, 14 et 19 du Pacte.
Examen quant au fond
6.1 Le délai fixé à l'État partie pour la présentation d'informations
et d'observations conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole
facultatif a expiré en juin 1993. L'État partie n'a fait parvenir aucune
observation quant au fond, malgré le rappel qui lui a été adressé le 2
mai 1994.
6.2 Le Comité note avec regret et préoccupation que l'État partie n'a
pas coopéré avec lui pour ce qui est de la fourniture de renseignements
sur le fond des allégations de l'auteur. Il ressort du paragraphe 2 de
l'article 4 du Protocole facultatif que tout État partie concerné est
tenu d'enquêter, de façon approfondie, en toute bonne foi et dans les
délais prescrits, sur les allégations de violation du Pacte le mettant
en cause et de communiquer par écrit au Comité toutes les informations
dont il dispose. En l'occurrence, l'État partie concerné ne s'est pas
acquitté de cette obligation. En conséquence, toute l'importance voulue
doit être accordée aux allégations de l'auteur, dans la mesure où elles
ont été étayées.
6.3 Le Comité a noté l'affirmation de l'État partie selon laquelle l'examen
de la communication constitue une ingérence dans ses affaires intérieures.
Il rejette catégoriquement l'argument de l'État partie et rappelle que
lorsqu'il a ratifié le Protocole facultatif, l'État partie a accepté la
compétence du Comité pour examiner des plaintes émanant de particuliers
relevant de sa juridiction.
6.4 L'auteur a affirmé qu'il avait été privé de nourriture et d'eau pendant
plusieurs jours après son arrestation le 16 août 1988, qu'il avait été
torturé pendant deux jours après son transfert à la prison de Bata et
qu'il avait été par la suite laissé sans soins médicaux pendant plusieurs
semaines, faits que l'État partie n'a pas réfutés. L'auteur a donné une
description détaillée des traitements auxquels il a été soumis et a fourni
des copies des rapports médicaux à l'appui de ses conclusions. Se fondant
sur ces renseignements, le Comité conclut que l'auteur a été victime de
tortures à la prison de Bata, en violation de l'article 7; il note en
outre que la privation de nourriture et d'eau après le 16 août 1988, ainsi
que le refus de soins médicaux après les mauvais traitements subis à la
prison de Bata ou à l'extérieur constituent un traitement cruel et inhumain
au sens de l'article 7, ainsi qu'une violation du paragraphe 1 de l'article
10.
6.5 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été
arbitrairement arrêté et détenu entre le 16 août 1988 et le 1er mars 1990,
le Comité note que l'État partie n'a pas contesté les faits. Il note en
outre que l'auteur n'a reçu aucune explication sur les raisons de son
arrestation et de sa détention, ayant été simplement informé que le Président
de la République en avait ainsi décidé, qu'il n'a pas été traduit rapidement
devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer les
fonctions judiciaires et qu'il n'a pas pu obtenir qu'un tribunal statue
sans délai sur la légalité de sa détention. Compte tenu des renseignements
dont il dispose, le Comité conclut à une violation des paragraphes 1,
2 et 4 de l'article 9. Compte tenu des mêmes renseignements, il conclut
toutefois qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 5 de l'article 9
car il ne semble pas que l'auteur ait concrètement demandé réparation
pour arrestation ou détention illégale. Il ne peut pas non plus conclure
à une violation du paragraphe 3 de l'article 9 car il n'est pas certain
que l'auteur ait été effectivement détenu du chef d'une infraction pénale
particulière au sens des dispositions de ce paragraphe.
6.6 L'auteur a affirmé être victime d'une violation des paragraphes 1
et 2 de l'article 12. Rien n'indique toutefois qu'il ait été privé de
son passeport ou d'autres documents, que l'État partie ait restreint sa
liberté de mouvement ou qu'il ait été privé du droit de quitter son pays.
Il semble plutôt, d'après les informations dont dispose le Comité, que
l'auteur ait quitté la Guinée équatoriale de son plein gré, tant en 1982
qu'en 1990; rien n'indique non plus que la liberté de mouvement de l'auteur
ait été restreinte après son retour en Guinée équatoriale au cours de
l'été 1988 et avant son arrestation le 16 août 1988. Le Comité conclut
en conséquence qu'il n'y a pas eu violation de l'article 12.
6.7 L'auteur a affirmé qu'il avait été jugé sommairement et que le pouvoir
judiciaire en Guinée équatoriale n'était ni impartial ni indépendant.
À cet égard, le Comité a noté en particulier l'affirmation de l'auteur
selon laquelle le Président de l'État partie contrôlait directement le
pouvoir judiciaire en Guinée équatoriale. Toutefois, les renseignements
fournis par l'auteur n'ont pas été suffisants pour étayer son allégation
au titre de l'article 14. Le Comité conclut en conséquence qu'il n'y a
pas eu violation du paragraphe 1 de l'article 14.
6.8 Enfin, pour ce qui est des questions soulevées au titre de l'article
19, le Comité note que l'État partie n'a pas réfuté l'allégation de l'auteur
selon laquelle il a été arrêté et détenu uniquement ou principalement
en raison de son appartenance à un parti politique opposé au régime du
président Obiang Nguema et de ses activités en faveur de ce parti. Le
Comité conclut en l'espèce que l'État partie a entravé illégalement l'exercice
par l'auteur des droits qui lui sont reconnus en vertu des paragraphes
1 et 2 de l'article 19.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les éléments portés
à sa connaissance font apparaître des violations des articles 7, 9 (par.
1, 2 et 4), 10 (par. 1), et 19 (par. 1 et 2) du Pacte.
8. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de mettre
un recours utile à la disposition de M. Mika Miha. Le Comité prie instamment
l'État partie d'indemniser l'auteur comme il convient pour le traitement
auquel il a été soumis.
9. Le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des observations
de l'État partie se rapportant à ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Note
a L'auteur fournit la liste des noms de ces personnes.